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Séance du 20 janvier 2004

Une expérience d’informatisation intégrée du circuit du médicament

MOTS-CLÉS : affection iatrogenique. gestion du risque.. ordonnance médicale médicament. systeme distribution médicaments hopital. systeme information hopital
An experience of the presciption process
KEY-WORDS : hospital information systems. iatrogenic disease. medication systems, hospital. prescription, drug. risk management.

Jacques Hureau *, Marc Simard **, René Cabrit ***, Philippe F. Bernard ****

Résumé

L’ampleur de la iatrogénie médicamenteuse hospitalière est maintenant mieux connue. La sécurisation du circuit du médicament dans les hôpitaux passe par l’informatisation. Le Centre Médical de Forcilles, d’une capacité de 391 lits, spécialisé dans la prise en charge nutritionnelle et cancérologique précoce des opérés de chirurgie lourde, est un établissement privé à but non lucratif participant au service public. Depuis 1980 il a développé progressivement une gestion informatisée intégrée quasi totale. Dernier volet de cette politique, l’informatisation du circuit du médicament a pu être développée grâce à l’informatisation de l’ordonnance médicale et à la mise en place du dossier unique par patient depuis 1999. Un logiciel a été créé en interne. Il permet de gérer la prescription, acte médical, conformément à un cahier des charges rigoureux, la dispensation du médicament, acte pharmaceutique, avec contrôle de la prescription et, à moindre titre à ce jour, l’administration du médicament, acte infirmier. Trois objectifs doivent être atteints : la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse au sein de la chaîne de soins, un gain de temps pour tous les acteurs de cette chaîne, un gain financier pour l’hôpital. Presque totale, cette informatisation est perfectible. Des propositions sont faites dans le cadre du projet d’établissement 2004-2008 pour tendre aux conditions optimales de sécurité, c’est à dire l’administration du bon médicament, au bon patient, à la bonne posologie et au bon moment.

Summary

The high prevalence of drug-related illness in hospitals is now widely acknowledged. The medication pathway, from prescription to administration, can now be computerized in order to reduce the incidence of errors. The Forcilles Medical Center, with a capacity of 391 beds, is a private non profit institution integrated into the French public healthcare system, specializing in nutrition and cancer treatment directly after major surgery. Since 1980, it has gradually developed and integrated a computerized network that encompasses nearly every aspect of the administration. The computerization of the prescription process was made possible by further technological advances in 1999, giving doctors access to patients’ charts and allowing them to prescribe medications within the network. A program created by the Center manages each step of the process, from prescription by the physician to dispensation by the pharmacist and, to some extent, administration by the nurse. Built-in checks at each level verify that the proper guidelines and instructions have been followed. The objective of this system is three-fold : prevention of drug-related illness at all levels of care ; a more efficient prescription process ; and a resulting cost reduction. This computerized system is almost complete and will be further developed. The Center’s projected goals for 2004-2008 include propositions to continue to strive for optimal safety, through administration of the right medication to the right patient with the right dose at the right time.

La sécurisation du circuit du médicament dans les établissements d’hospitalisation est devenue une priorité. L’expérience d’informatisation intégrée de ce circuit menée depuis plusieurs années au Centre Médical de Forcilles (CMDF) mérite d’être rapportée.

Ce Centre a été créé en 1963, sous l’impulsion du Professeur Jean Louis Lortat Jacob, pour prendre en charge précocement les grands opérés, en particulier digestifs, requérant des soins médicaux et nutritionnels spécialisés. L’évolution de la chirurgie lourde a conduit l’établissement à consacrer 50 % de son activité à la cancérologie. C’est un hôpital privé de type PSPH de 391 lits. Cette structure juridique lui donne suffisamment de souplesse pour s’adapter rapidement et en permanence aux besoins évolutifs de la Santé publique.

L’informatisation de l’établissement est une longue histoire. L’intégration du circuit sécurisé du médicament en est l’une des étapes : 1980 — informatisation de la gestion administrative et comptable générale, y compris au niveau de la pharmacie et des services techniques, 1996-97 — gestion informatique de l’ordonnance médicale et de la dispensation des médicaments par la pharmacie, 1999 — dossier médical unique informatisé, 2000 — grâce à la prescription nominative et au dossier médical unique, instauration du contrôle personnalisé de la prescription et de la dispensation avant administration au malade, amélioration de la gestion des stocks et des commandes au niveau de la pharmacie et gestion informatisée des incompatibilités (base Thé- riaque), 2003 — informatisation de la prescription et de la dispensation nominatives en nutrition médicalisée.

 

LA SÉCURISATION DU CIRCUIT DU MÉDICAMENT EST UNE PRIORITÉ

LE RISQUE IATROGÈNE MÉDICAMENTEUX

Il est double : effet indésirable du médicament dont il est consubstantiel et risque lié à une erreur d’utilisation du produit, objet de cette présentation. Tout récemment à cette tribune, notre collègue Georges David a fait un exposé sur l’erreur médicale [1] en souhaitant que, bien gérée, elle soit utile à la démarche qualité de nos établissements. Il a montré qu’à côté de l’erreur individuelle existe l’erreur systémique. Il parle d’une chaîne de soins dont le maillon le plus faible est le maillon humain. Ce phénomène n’est pas ignoré de la jurisprudence judiciaire qui a su développer la notion de responsabilité du fait d’autrui dans l’exercice médical pluridisciplinaire.

Chacun des maillons humains conserve individuellement sa responsabilité. La conception de la juridiction administrative qui rattache la faute à une mauvaise organisation ou un disfonctionnement du service public met également en cause la notion de chaîne de soins. Le circuit du médicament au sein d’un hôpital est l’exemple typique d’une chaîne de soins.

LA FRÉQUENCE DES ACCIDENTS IATROGÈNES MÉDICAMENTEUX

De nombreuses études ont été menées sur ce sujet. Nous rappellerons en France les communications de Patrice Queneau à cette tribune en 1992 et en 2003 [2-3-14], de E. Schmitt [5] et de J.L Imbs et coll. [6] en 1999, de P.Michel et coll. [22] en 2003 et, dans la littérature anglo-saxonne, les travaux de A. Troyen et coll. [7] et L. Lucian et coll. [8] en 1991, de B. Dean et coll. [9] en 2002. Si l’on excepte l’étude de Harward [7-8] qui chiffre à 19 % le taux des erreurs de médication, les différentes études estiment la prévalence de la iatrogénie médicamenteuse hospitalière entre 5,6 et 10,3 % des patients hospitalisés un jour donné, dont 30 à 50 % d’évènements dits graves. Ces chiffres retenus pour l’élaboration de la loi relative à la politique de santé publique permettent d’extrapoler à 1 300 000 le nombre de patients hospitalisés victimes chaque année en France d’un tel risque médicamenteux. L’étude de P.

Pouyanne et coll. [10] en 1998 retenait en France un taux d’incidence de 3,2 % responsable de 128000 hospitalisations. Selon B. Begaud et coll. [21] 1,4 % des effets indésirables sont à l’origine de décès. Une méta-analyse de J.Lazarou and all de 1998 [11] sur 39 études prospectives cite pour les hôpitaux US : 10,9 % d’incidence iatrogénique médicamenteuse — 6,7 % d’évènements graves — 0,19 % des décès leur étant imputables ; en 1994, 2 216 000 iatrogénies médicamenteuses ont été cause de 106 000 décès, soit 4,8 %.

La réduction des accidents iatrogènes en milieu hospitalier a été définie comme une des 10 priorités nationales proposées au gouvernement par la Conférence nationale de santé de 1996. Le rapport de la mission Woronoff — Lemsi, Grall, Monier et Bastianelli sur Le médicament à l’hôpital [12], remis au Ministre de la santé en mai 2003 « considère comme prioritaire le développement d’un circuit sécurisé du médicament avec, en premier lieu, l’informatisation de la prescription ». L’expérience pilote du Centre hospitalier de Longjumeau est donnée comme la seule complète concernant la prescription nominative. A notre connaissance la dispensation nominative journalière centralisée aurait été développée depuis. Une expérience semblable a été rapportée au CHG de Saint Nazaire en 1994 [4]. Publications, rapports et directives préconisent d’abord l’informatisation de l’ordonnance. Nous l’avons fait depuis 1996. L’expérience du Centre de Forcilles va plus loin dans l’organisation du circuit en plaçant le malade au centre du dispositif grâce au dossier médical unique informatisé.

L’INFORMATISATION DU CIRCUIT DU MÉDICAMENT AU CMDF

Si une partie du risque iatrogène médicamenteux reste inévitable puisque constituée des effets indésirables propres à toute thérapeutique, l’autre partie est évitable. Ce risque médicamenteux évitable est la conséquence d’erreurs ou de négligences tout au long du circuit du médicament allant de la prescription à l’administration en passant par la dispensation pharmaceutique. L’intégration du circuit sécurisé du médicament au CMDF a dû tenir compte du grand développement informatique existant déjà dans l’établissement depuis 1980. C’est pourquoi la préférence a été donnée à la création d’un logiciel interne « sur mesure ».

LE SYSTÈME GÉNÉRAL D’INFORMATION DU CMDF

Ce système se situe au cœur du fonctionnement de l’hôpital. Il travaille en temps réel, sur un mode interactif, structuré autour d’une base de données ordonnée autour du fichier patients. Il est orienté sur les besoins des utilisateurs. Il est capable de fournir des données synthétiques d’activité et de coût. Primitivement consacré à la gestion comptable, selon une logique administrative de séjour, le système d’information hospitalier privilégie maintenant une logique patients d’ordre médical. Dès l’origine le Centre disposait d’un identifiant patient unique. Un réseau informatique local a été mis en place, complété d’applications clientes, au niveau des unités de soins ou du plateau technique. Sa fonction est de produire des informations à visée diagnostique, thérapeutique ou d’évaluation s’appuyant sur l’informatisation des dossiers, des unités de soins, du laboratoire et du plateau technique. Elles sont potentialisées par la définition d’interfaces de communication matérielles et logicielles. Elles permettent la mise en place d’un dossier unique par patient assurant la coordination de la centralisation de toutes les informations relatives au malade :

saisie unique de l’information à la source, partagée par tous les intervenants, volet administratif et social, volet médical (totalité de l’observation médicale de l’admission à la sortie, examens complémentaires, volet cancérologique, toutes les prescriptions, résultats des examens, recueil à la source des actes médico-techniques) et le volet nutritionnel également médicalisé.

 

LE SYSTÈME INFORMATIQUE DE SÉCURISATION DU CIRCUIT DU MÉDICAMENT AU CMDF

Un logiciel interne

Le développement interne d’un logiciel présente deux principaux avantages :

l’exhaustivité des prescriptions et la souplesse de développement. 45 logiciels de prescriptions médicamenteuses existent sur le marché. Aucun n’intègre totalement l’ensemble des modes de prescriptions, certains étant spécifiques d’une classe thérapeutique (chimiothérapie par exemple) ou limités à une ou plusieurs voies d’administration [13]. En regroupant l’ensemble des prescriptions sur le même support informatique, le logiciel développé au CMDF permet au médecin d’appréhender d’un seul coup d’œil l’ensemble des thérapeutiques prescrites évitant ainsi la dispersion des prescriptions sur de multiples supports. Développé par les services informatiques du Centre, le logiciel répond parfaitement aux exigences du corps médical qui a participé à sa conception et en suit l’évolution. Cette souplesse de développement explique la très grande acceptabilité du logiciel par le corps médical.

Le cahier des charges de l’informatisation de l’ordonnance médicale

Première étape du circuit du médicament, cette informatisation s’articule autour de 6 principes Le respect de la réglementation en vigueur

L’ordonnance doit respecter l’arrêté du 31 mars 1999 relatif à la prescription, à la dispensation et à l’administration des médicaments soumis à la réglementation des substances vénéneuses dans les établissements de santé et notamment ses articles qui rendent obligatoires la présence des mentions légales (identification du patient, identification des médicaments et leurs modalités d’administration, identification du prescripteur et du praticien et validation de l’ordonnance par une signature informatique à l’aide d’un mot de passe individuel changé régulièrement chaque trimestre dans notre pratique) — la date et l’heure de prescription — un archivage sur support numérique et édition possible sur papier.

 

La sécurité d’utilisation

Trois principaux niveaux de sécurité doivent être garantis :

— une sécurité d’accès par un accès sécurisé par un mot de passe individuel et par un accès réservé aux seuls médecins pour écriture et modification des prescriptions et aux pharmaciens et infirmières pour consultation.

— une sécurité de prescription : les médicaments prescrits doivent être issus d’une base de données gérée par la pharmacie conformément au livret thérapeutique validé annuellement par le comité du médicament ; la recherche d’interaction médicamenteuse doit être possible ; une aide en ligne doit être garantie.

— une traçabilité des mouvements de prescription : toutes modifications de prescription doit faire l’objet d’un enregistrement daté et signé du médecin avant de procéder au mouvement ; il faut pouvoir, à tout moment, accéder à l’historique des prescriptions.

L’exhaustivité des prescriptions

Quelle que soit la nature de la thérapeutique médicamenteuse (chimiothérapie, nutrition parentérale, insulinothérapie ou autre…), la totalité des prescription médicamenteuses doit être regroupée sur le même support informatique.

La compatibilité avec les systèmes informatiques existants, le logiciel administratif de l’établissement et le dossier médical informatisé intégrant la totalité de l’ordonnance.

La facilité d’utilisation : accès par le réseau informatique sur tous les postes informatiques de l’établissement et utilisation simplifiée par le minimum de saisie libre.

Evolutivité vers l’informatisation des autres étapes du circuit du médicament

A partir du logiciel de prescription doivent pouvoir se développer des fonctionnalités réservés aux autres intervenants sur le circuit du médicament : informatisation des commandes de médicaments avec gestion informatisée des stocks, informatisation de la dispensation pharmaceutique, informatisation des sorties comptables, aide à l’administration des médicaments et informatisation de la validation infirmière de l’administration.

L’application pratique au circuit du médicament au sein du CMDF

Le tableau 1 présente le circuit du médicament tel qu’il existe actuellement au CMDF.

Développé en étroite collaboration entre les pharmaciens, les médecins et une équipe de trois informaticiens, le logiciel de prescriptions est totalement intégré au dossier médical informatisé. Il contrôle les trois étapes du circuit du médicament.

L’acte médical : la prescription

La prescription ne pouvant être rédigée que par un médecin, l’accès au logiciel de prescription est validé par un mot de passe informatique unique et personnel. Ce mot de passe qui correspond à une véritable signature informatique est obligatoirement modifiable tous les 3 mois.

Pour rédiger sa prescription le médecin dispose d’un écran principal sur lequel figurent les données administratives du patient directement reliées au logiciel administratif de l’établissement, une zone de prescription médicamenteuse, une zone de prescription des examens biologiques.

La zone de prescription médicamenteuse comporte plusieurs item qui doivent obligatoirement être renseignés : le nom du médicament (ne sont disponibles en ligne .

1 .

ABLEAU T que les médicaments retenus par le Comité du médicament sous la forme d’une base de données gérée par la pharmacie), la voie d’administration, la posologie et la répartition dans les 24h, une zone remarque en texte libre, la date de prescription, la date d’arrêt du traitement, le nom du médecin prescripteur, le nom du médecin qui a arrêté la prescription.

Pour certaines catégories de médicaments des écrans spécifiques de saisie ont été développés. Ils sont accessibles à partir de l’écran principal de prescription (prescriptions de perfusion, de pompe à insuline, de chimiothérapie, de nutrition parentérale par exemple).

La validation médicale de la prescription médicale déclenche automatiquement l’édition papier de l’ordonnance destinée aux dossiers médical et infirmier.

 

Pour faciliter la sécurité de prescription le médecin peut effectuer une recherche d’interactions médicamenteuses . Ce logiciel a été développé à l’aide de la base

Thériaque des médicaments diffusée par le Centre national d’information sur le médicament hospitalier.

L’acte pharmaceutique : le contrôle et la dispensation

Le système informatique fonctionnant en réseau, les ordonnances sont directement accessibles à la pharmacie où l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance est facilitée par la recherche d’interactions médicamenteuses, l’accès au logiciel de prescription, l’accès au dossier médical informatisé, l’accès aux résultats des examens biologiques.

Un logiciel spécifique de dispensation permet pour chaque unité fonctionnelle de séparer les médicaments selon leurs modes de dispensation (globalisée ou nominative). Ce logiciel est totalement interfacé avec le logiciel comptable évitant ainsi toute ressaisie inutile.

L’acte infirmier : l’administration des médicaments au malade

A ce jour l’administration ne fait pas encore l’objet d’une validation informatique mais d’une validation manuscrite. Cependant cet acte infirmier est facilité par l’édition possible de plans de cueillette spécifique de certaines catégories de médicaments. C’est le cas notamment des médicaments stupéfiants du service. L’administration est de la compétence exclusive de l’infirmière. Le patient garde le droit de refuser cette administration.

OBJECTIFS ET RÉSULTATS DE L’INFORMATISATION

Les objectifs d’une informatisation la plus complète possible du circuit du médicament sont multiples : enjeu de qualité en participant à la lutte contre l’erreur évitable de l’utilisation du médicament, gains de temps pour tous les acteurs du circuit et gains financiers.

 

La lutte contre le risque iatrogène médicamenteux

Elle est basée sur les grands principes du bon usage du médicament rappelés par Patrice Quéneau [14-15-16]. Elle implique tous les intervenants dans le circuit du médicament.

Le médecin qui prescrit : au niveau de la prescription médicale, l’informatisation permet le respect des exigences réglementaires. Dans une étude réalisée au CHU de Grenoble, Bontemps a montré que sur 678 prescriptions médicales analysées seules 6 % des prescriptions étaient conformes à la réglementation [17].

Le pharmacien qui dispense : dans plus de 90 % des hôpitaux français [5], l’ordonnance médicale ne parvient pas au pharmacien hospitalier. Il délivre les médicaments sous la forme d’un listing de commande réalisé par le personnel infirmier des services. Sans ordonnance, il ne peut y avoir d’analyse pharmaceutique. L’informatisation du circuit du médicament, en rendant possible l’accès aux ordonnances, aux dossiers médicaux et la possibilité de gérer les incompatibilités médicamenteuses, permet au pharmacien de centrer son action sur ses actes de contrôle et de dispensation qui associent notamment l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance et la préparation éventuelle des doses à administrer. Comme l’a démontré Bats [18], l’analyse pharmaceutique des ordonnances associée à une dispensation nominative des médicaments permet de diminuer les taux de risque iatrogène médicamenteux de 31 à 77 %.

L’infirmier qui administre : le personnel infirmier serait responsable de 26 à 89 % des erreurs de médication [5]. Selon Bosson [19] qui a relevé 10 % d’erreurs d’administration par le personnel infirmier, ces erreurs se répartissent de la façon suivante :

13 % sont directement liées à la lisibilité de la prescription médicale, 12 % surviennent lors de la retranscription des ordonnances, 25 % lors de la préparation des médicaments, 50 % lors de leur administration. Pour 6,5 % d’erreurs d’administration Bats [18] relève dans ces mêmes 4 catégories d’erreurs les chiffres suivants :

49 %, 11 %, 14 % et 26 %. Si aucune étude ne permet de chiffrer avec exactitude l’incidence de l’informatisation de l’ordonnance sur les erreurs d’administration, on peut estimer que les erreurs de lisibilité ainsi que celles liées à la retranscription des ordonnances peuvent être annulées par une informatisation de la prescription médicale. Au vu de ces deux études l’informatisation de la prescription médicale permettrait déjà une réduction de 25 à 60 % des erreurs d’administration. Ces chiffres sont comparables aux estimations du ministère de l’emploi et de la solidarité qui dans un rapport paru en 2001 indiquait que près de 50 % des erreurs d’administration pouvaient être évitées par une informatisation du circuit du médicament.

Le gain de temps

L’ordonnance médicale doit être nominative donc rédigée sur un support unique.

Cette notion sous-entend que toute modification de traitement doit faire l’objet d’une nouvelle rédaction totale de l’ordonnance. L’informatisation, en permettant au médecin d’accéder à l’ensemble des traitements en cours, à l’historique des traitements, aux protocoles thérapeutiques, apporte une aide importante à la prescription.

La recherche d’interaction médicamenteuse par le pharmacien sans l’informatique est inenvisageable en pratique car particulièrement chronophage. Dans un centre médical comme le CMDF, le nombre moyen de lignes de prescription est de 8 par patients représentant 28 interactions médicamenteuses potentielles. Sur la base d’une minute par recherche d’interactions, le contrôle journalier des 391 prescriptions nécessiterait 30 pharmaciens supplémentaires.

En interdisant les tâches fastidieuses de recopiage des ordonnances , en facilitant l’édition de plans d’administration du médicament, en mettant en adéquation les commandes de médicaments avec les besoins réels du service, l’informatisation permet de gagner entre 30 min et 1 heure par jour de temps infirmier mieux réservé aux soins [20].

Le gain financier

L’informatisation de l’ordonnance ne semble pas jouer un rôle important dans la diminution de la consommation des médicaments. C’est plutôt la distribution des médicaments qui en bénéficie. Des économies de l’ordre de 10 à 20 % ont été observées après la mise en place d’une dispensation journalière nominative des médicaments [4]. Sur la base des résultats de l’enquête menée en 1997 [21], le gain financier apporté par l’informatisation du circuit du médicament, en permettant une diminution des évènements iatrogènes médicamenteux, peut être estimé entre 0,2 et 1 % d’un budget hospitalier.

PERSPECTIVES D’AVENIR

L’informatisation de notre circuit du médicament est presque totale. Demeurent encore des actions à mieux contrôler.

La délivrance du médicament par la pharmacie

Des automates de délivrance existent sur le marché. Le plus complet, actuellement en place à la pharmacie du CHU de Rangueil à Toulouse, permet une dispensation robotisée des médicaments. Il traite chaque ordonnance en préparant des doses unitaires surconditionnées dans un sachet plastique, celui-ci étant étiqueté au nom du malade, muni d’un code barre permettant une véritable traçabilité. Le coût d’un tel investissement est de l’ordre de 350.000 euros par an pendant 7 ans. Il ne peut s’envisager sans l’obtention d’un budget spécifique.

 

Certains concepts de cet automate peuvent être appliqués à une délivrance plus humaine contrôlée par l’informatique.

Le conditionnement en doses unitaires, intégré d’origine par l’industrie pharmaceutique, faciliterait la dispensation des médicaments à prise orale par la pharmacie hospitalière.

Le code barre est entré dans nos mœurs de contrôle. Pourquoi ne pas l’appliquer au couple médicaments à dispenser (étiquette) malade à traiter (bracelet code barre) ?

La décentralisation de la dispensation nominale du médicament au sein des services cliniques : un préparateur en pharmacie, détaché auprès d’un service clinique, sous la responsabilité du pharmacien gérant, peut soulager le corps infirmier d’une tâche délocalisée de dispensation nominale au sein du service. Un rapide calcul fait apparaître au CMDF un gain de temps de 3 ½ h d’infirmière par service et par jour.

L’embauche d’un préparateur en pharmacie est actuellement plus aisée que celle d’une infirmière.

L’administration des médicaments par le corps infirmier

Geste humain par excellence, elle ne peut en aucun cas être informatisée. L’application de la loi sur les 35 heures accroît le risque iatrogène médicamenteux par une rotation excessive du personnel et le recours à des agents intérimaires moins au fait des malades. Dernier maillon de la chaîne, l’infirmier doit valider l’administration ou non du médicament et doit s’assurer de sa prise. Son action doit être centrée sur cet acte, et non sur des tâches qui ne sont pas incluses dans son décret de compé- tence. Il ne doit plus être astreint au travail de préparation des médicaments qu’il réalise chaque jour dans les services cliniques et par lequel il se prête d’ailleurs, sans le savoir, à un exercice illégal de la pharmacie. C’est dans cet esprit que le CMDF veut intégrer des préparateurs en pharmacie dans les services cliniques. En outre, grâce au code barre le contrôle informatisé de l’administration du médicament par l’infirmier sera prochainement réalité.

L’informatisation en nutrition

La nutrition orale, entérale ou parentérale est un volet thérapeutique médical à part entière. Elle doit emprunter un circuit informatisé de contrôle identique à celui du médicament.

L’évaluation de la démarche qualité

Au terme d’une telle mise en place de l’informatisation du circuit sécurisé du médicament, l’intérêt d’une évaluation de l’efficacité du système est évident, tant au sein du CMDF lui-même par une enquête d’incidence sur une période suffisamment longue, qu’à titre comparatif, sur d’autres établissements d’activité identique dans une organisation similaire.

 

CONCLUSION

Le circuit du médicament est une chaîne de responsabilités humaines que l’informatisation peut contrôler à chacun de ses maillons. C’est agir sur la part évitable du risque iatrogène médicamenteux. L’informatisation du circuit du médicament n’est pas une fin en soi. Elle n’est pleinement efficace que totalement intégrée dans une logique médicale centrée sur le dossier unique par malade auquel tous les participants au circuit doivent pouvoir accéder. Le médecin prescrit, encadré par les six grands principes qui régissent le cahier des charges de l’informatisation de l’ordonnance. Le pharmacien contrôle et dispense en toute connaissance du dossier.

L’infirmier administre et valide son administration au malade. Il doit être débarrassé des tâches ultimes de dispensation qui ne sont pas de sa compétence. Toutes ces étapes sont nominales. Les trois objectifs sont la lutte contre le risque iatrogène médicamenteux évitable (l’erreur), le gain de temps pour tous, le gain financier pour l’hôpital. Des améliorations suggérées par la démarche informatique sont possibles jusque dans le contrôle de tâches qui resteront inéluctablement humaines.

Cette réorganisation nécessite des moyens financiers et humains et ne peut s’envisager sans une réelle prise en compte du problème de la iatrogénie par les autorités de tutelle.

REMERCIEMENTS

Les auteurs adressent leurs remerciements à Marie-Hélène Lenfant, médecin chef de service du DIM, à Monique Frouin, secrétaire générale, présidente de la Commission informatique, à Bruno Chomette et à son équipe du service informatique, au corps médical, au personnel administratif, soignant, technique et de service sans la coopération desquels l’informatisation intégrée quasi totale du CMDF n’aurait pu être conçue ni fonctionner.

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[22] MICHEL P., QUENON J.L., DE SARASQUETA A.M., SCEMANA O. — L’estimation du risque iatrogène dans les établissements de santé en France. Les enseignements d’une étude pilote dans la région Aquitaine. Drees, 2003, 219 .

 

* Président du Conseil d’administration du Centre Médical de Forcilles — 77150 FerollesAttilly. ** Pharmacien assistant du CMDF *** Pharmacien Gérant du CMDF **** Médecin Directeur du CMDF Tirés-à-part : Professeur Jacques HUREAU, 85, avenue Émile Thiébaut — 78110 Le Vesinet. Article reçu le 1er septembre 2003, accepté le 17 novembre 2003.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 125-137, séance du 20 janvier 2004