Autre, droits du patient education sanitaire, législation médicale, health education, legislation medical, patients rightsÉmile Aron *La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé exprime particulièrement les droits des malades qui ont toujours été considérés comme un devoir dans la déontologie médicale. Il est regrettable que cette loi ne souligne pas que la santé est devenue un problème de société et que son avenir est avant tout une médecine préventive qui dépend à la fois de la collaboration de la médecine et de la coopération confiante de la population. Par ailleurs, quelles mesures sont envisageables pour ces futurs malades qui compromettent leur santé ? N’est-ce pas le devoir qui devrait susciter le droit ?
The French law dated March 4th, 2002, on patients’ rights and the efficiency of the French health care system, astonished many health professionals, who have always considered patients’ rights a duty. It would have been preferable to underline the fact that health preservation is first and foremost a social question based on preventive medicine. Prevention is the future of medicine, but can only expand when it is fully accepted by the population and by health professionals. We deeply regret that preventive medicine takes so little place in an official document aiming to improve the efficiency of health care. Worse, this law totally overlooks the responsibilities of patients, many of who currently jeopardize their own health and life expectancy with total impunity. Are not laws built on the twin foundations of duty and responsibility ?
* Membre de l’Académie nationale de médecine — 45, boulevard Béranger — 37000 TOURS.
Tirés à part : Monsieur le Professeur Emile ARON à l’adresse ci-dessus.
Article reçu le 14 octobre 2003 et accepté le 24 novembre 2003
INTRODUCTION : LES DROITS ET LES DEVOIRS
Les citoyens accordent plus d’attention à leurs droits qu’à leurs devoirs. Cette conduite humaine a été condamnée de tout temps par la morale, tant religieuse que civile. Pour Socrate, qui fut un pionnier de cette philosophie, la seule connaissance nécessaire aux hommes était celle de leurs devoirs. Socratiser, n’est-ce pas d’ailleurs raisonner avec sagesse. Jean-Jacques Rousseau, dans l’ Emile , déclare « qu’il n’y a qu’une science à enseigner aux enfants, c’est celle des devoirs de l’homme ».
Credo d’un nouvel âge, la Déclaration des Droits de l’Homme , décrétée par l’Assemblée Nationale en août 1789, ne s’accompagna pas d’une Déclaration des devoirs.
Les revendications concernaient des droits alors qu’il n’y avait eu jusqu’alors que des devoirs. Soulignons cependant l’article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». En filigrane, le devoir avait donc une valeur civique et il était interdit de désobéir à la loi. A la Constitution de 1793, après Thermidor, fut adjointe pour la première fois une déclaration timide des devoirs car on craignait surtout l’abus des droits. L’article 6 de cette déclaration est à retenir : « Celui qui viole les lois se déclare en état de guerre avec la société ».
Toutes ces déclarations solennelles furent en réalité des vœux pieux. La Déclaration universelle des droits de l’homme, établie par l’O.N.U., adoptée à Paris le 10 décembre 1948, mentionne dans son article 29 que l’individu a aussi, à côté de ses droits, des devoirs à l’égard de la communauté.
Il convient de garder la mémoire des bons esprits qui soutinrent pendant ces périodes révolutionnaires que la citoyenneté exigeait le respect de la loi. Citons l’ Abbé Grégoire ainsi que Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne pasteur à Nîmes , député du Tiers-Etat et de la Convention, qui dressa une
Table des devoirs de l’homme et du citoyen , modèle d’une morale laïque qui se terminait ainsi : « Otez ces devoirs, un peuple est sauvage ». Le « sauvageon » n’est pas un terme désadapté ! Rabaut Saint-Etienne fut guillotiné en 1793, victime d’une Terreur sauvage ! Condorce t, auteur d’un remarquable mémoire sur l’Instruction publique, assigna à cette institution une mission fondamentale : former des bons citoyens par l’éducation. Le Ministère de l’Education Nationale a aujourd’hui une large tâche à accomplir pour mériter son titre. Il est peut-être dangereux d’être précurseur en ce domaine, puisque l’illustre Condorcet se suicida dans sa cellule pour échapper à son sort !
Sous la IIIe République, la morale fut enseignée comme la science des devoirs en faisant appel à la raison. « Si l’on apprenait à penser comme on apprend à souder, nous connaîtrions le peuple roi » écrit Alain. Malheureusement, les pulsions et les passions sont des adversaires redoutables car tous les hommes ne sont pas égaux et combien de vertus civiques sont devenues obsolètes dans notre société moderne !
LE DROIT DES MALADES
Une loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a été promulguée au Journal Officiel du 5 mars 2002 [1]. Elle modifie sensiblement les codes de la santé publique, de la procédure pénale, du travail et des Assurances auxquels on doit se référer, ce qui rend son étude difficile et son application aléatoire.
Composée de 126 articles, cette loi, trop longue, souffre de complexité.
Bien que n’ayant pas été consultée, la Commission : Ethique et responsabilité professionnelle de l’Académie Nationale de Médecine s’est penchée avec compé- tence sur ce texte de modernisation législative de la santé publique. Son président, Denys Pellerin [2], a rapporté les conclusions de cette étude qui ont été adoptées à l’unanimité. Je me permets de rappeler une phrase particulièrement pertinente :
« L’Académie Nationale de Médecine observe que figure maintenant comme droits des malades un grand nombre de règles jusqu’alors considérées comme devoirs des médecins et figurant dans le code de déontologie médicale ».Jacques Hureau [3], notre confrère, agréé par la Cour de Cassation, et Patrick de Fontbressin, avocat au Barreau de Paris, ont, à notre tribune, souligné la gravité pour la médecine des imperfections de cette loi et souhaité un travail de réflexion pour y remédier. Certes, les progrès scientifiques et techniques, ainsi que l’évolution sociale, doivent s’accompagner d’une garantie de la dignité de la personne humaine et lui octroyer des droits légitimes. Mais nous déplorons qu’aucun article de cette loi n’évoque les devoirs des citoyens dans le domaine de la santé.
LES DEVOIRS DE LA MEDECINE, DE LA SOCIETE ET DES CITOYENS
Rappelons que dans notre pays la Médecine est née de la charité et de la générosité animées par la foi chrétienne. Autour des monastères et des abbayes s’édifièrent des Hotels-Dieu pour héberger les miséreux et les malades. Les moines-médecins se formèrent suivant la formule de Montaigne : « par exemple et par expérience ». Les jardins des herbes, contigus aux abbayes, leur fournissaient les « simples » avec lesquelles ils préparaient des électuaires, des opiats et des vins composés. Pendant des siècles, cette médecine monastique s’efforça de soulager l’humanité souffrante.
En 1139, le Concile de Latran interdit aux clercs l’exercice de la Médecine car l’Eglise « avait horreur du sang ». Cette décision fut utile à notre art car il fut désormais confié aux laïcs instruits dans des Facultés de Médecine. Les médecins sont tous disciples d’Hippocrate, père de la Médecine et de sa déontologie, qui est la science des devoirs. Son fameux serment est prononcé lors de la thèse de doctorat. Il nous invite à rester fidèle à des principes essentiels : le respect des maîtres, le dévouement primordial aux malades, le secret professionnel, etc…Les législations actuelles donnent l’impression que l’intérêt seul rend compte des conduites humaines. Pourquoi omettre la conscience, dont chaque être est pourvu, vertu qui permet d’apprécier le bien et de rejeter le mal. Le devoir de solidarité et de compassion fait partie de la conscience professionnelle du médecin. Qu’on me pardonne de citer l’exemple des médecins de ma province [4]. Le 28 février 1789, à Tours, ils décidèrent unanimement de donner à la partie indigente des citoyens des marques de leur zèle et de leur attachement en leur portant secours en cas de maladie. La Société Médicale d’Indre & Loire, fondée en 1801, prit comme devise : « Le salut public est notre loi » et ses membres déclarèrent qu’ils ne pouvaient se permettre de loisirs tant qu’ils trouveraient du bien à faire ou des malheurs à prévenir. Un des membres le plus réputé et le plus actif de cette Société Médicale fut Jean Origet. Il est le seul médecin, dans l’œuvre de Balzac, qui est désigné, dans le Lys dans la Vallée , par son propre nom. Son testament mérite mention. Il laissa sa fortune aux pauvres et invita ceux qui lui devaient des honoraires d’en remettre le montant évalué au tarif de leur conscience et de leurs moyens aux curés de leurs paroisses.
L’écologie gagne de plus en plus la faveur populaire. Qui pourrait s’opposer à la protection des sites et à celle de notre environnement ? Il serait souhaitable que cette discipline s’intéresse aux responsabilités de l’homme envers lui-même. Il existe des lois pour la défense de la nature et de la société, mais aucune contre les malades qui ont négligé leurs devoirs de santé. Nous posons cette question car l’avenir de la santé publique en dépend. En l’état actuel des mentalités, ce n’est pas la réponse qui importe, mais la question ! Depuis quelques décennies, la Médecine a fait des progrès considérables, mais elle coûte de plus en plus cher car ses techniques sophistiquées utilisent des outils onéreux et parce que le nombre des malades augmente par suite du vieillissement de la population dont elle est en partie responsable. Pour protéger la santé de nos contemporains sans ruiner la société, une solution existe : la médecine préventive . Dans son livre : « De la longévité humaine et de la quantité de vie », publié en 1855, Flourens soutient que l’homme ne meurt pas, mais qu’il se tue. Une phrase de sa préface mérite d’être citée après l’hécatombe de la récente canicule : « Je voudrais que ce livre put apprendre à tous les hommes le respect nécessaire de la vieillesse ».La santé n’est pas en effet que l’apanage de la médecine. C’est un problème de société qui exige la prise de conscience de chacun d’entre nous de sa responsabilité éventuelle. La prévention des risques est une attitude qu’il convient de préconiser. Dans la mythologie grecque, la santé était divinisée, représentée par Hygie, jeune nymphe au teint frais et à la taille de guêpe, portant un coq de la main droite et tenant à gauche un bâton entouré d’un serpent.
Asclepios (Esculape) avait pour filles Hygie et Panacée. Ce trio mythologique : la médecine, l’hygiène et la thérapeutique représente tous nos atouts pour préserver la santé ou guérir la maladie. Souhaitons qu’Hygie l’emporta sur son père Esculape et que la médecine devienne la science de la santé . Les plus remarquables succès de la médecine ne sont-ils pas le résultat des méthodes préventives, en particulier de la vaccination qui n’a pas encore dit son dernier mot [5]. La prévention, c’est également de rechercher les facteurs de risques, de pratiquer le dépistage de nombreux états pathologiques et de les traiter avant qu’ils évoluent. La collaboration confiante du corps médical et de la population est absolument nécessaire. Puis-je rappeler que plus de la moitié des cancers, plus de la moitié des infarctus du myocarde, sont imputables au tabac. Sans craindre ce paradoxe, l’Etat profite des taxes sur les paquets de tabac où est inscrit « le tabac tue » ! Puis-je souligner encore que la France est le pays de la Communauté Européenne où, parmi les jeunes de 15 à 25 ans, on enregistre la plus grande proportion de fumeurs, la consommation d’alcool et de drogues la plus forte et le nombre de morts par accident sur la voie publique le plus élevé.Notre profession est non seulement un corps médical mais le corps de défense de la santé. Il doit être le conseiller prioritaire des pouvoirs publics avec lesquels il souhaite une collaboration plus étroite. Les efforts de prévention doivent surtout concerner la jeunesse qui, par l’instinct d’imitation, copie les mauvais exemples des adultes dans son milieu familial ou social ou sur les écrans télévisés [6].
Le docteur François Rabelais fut un remarquable pédagogue. Il nous invite dans son œuvre à apprendre aux enfants à bien vivre et « jusqu’à la mort en dépit des envieux ». Dans le Quart Livre , il nous lègue cette sentence qui mériterait d’être reproduite dans les traités d’éducation à la santé : « La santé est notre vie. Sans la santé, la vie n’est plus une vie ». On n’enseigne pas assez, dans notre culture, que la vie est un héritage sacré. Comme l’abeille, dès le printemps, fabrique son miel pour l’hiver, le petit de l’homme doit être préparé à la vie et l’éducation sanitaire mérite une place prioritaire dans l’enseignement public. Cette éducation doit être continue car la première loi de la mémoire est la répétition. Notre devoir est d’enseigner aux enfants ces multiples mesures de prévention, qui représentent un investissement à long terme. C’est de six à douze ans que le peuple enfant, ainsi nommé par Alain, calque sa conduite sur celle des adultes et accepte les règles de la vie comme paroles d’Evangile. L’interdiction des fruits défendus, qui sont de plus en plus nombreux à énumérer, dont dépend l’avenir de sa santé, s’inscrit dans sa mémoire. Cette tranche d’âge est un âge de raison dont il faut profiter car la dent de sagesse fait son apparition bien trop tôt ! Aux approches de la puberté, l’écolier a construit sa personnalité et il entend décider personnellement de son mode de vie. Il devient incorrigible et lorsqu’il est adulte, il n’est plus un être raisonnable. En 1968, la jeunesse estudiantine nous a proposé une devise inédite : « Il est interdit d’interdire ». La négation d’une valeur sur laquelle s’appuyait la paix sociale et la santé publique n’a pas provoqué dans notre société les reniements souhaitables. Il n’existe plus dans notre monde une solidarité pour la sagesse qui était pour les Grecs la bonne recette pour bien vivre. Notre magistrature a établi le principe de précaution qui, comme la langue d’Esope, a ses qualités et ses dangers. J’ai plaidé moi-même pour le principe de précaution qui détient l’avenir de notre santé publique. Il m’apparaît opportun d’introduire dans notre législation le principe de la responsabilité personnelle . La maladie n’est pas toujours l’expression malheureuse d’un destin. Elle est trop souvent le résultat d’imprudences ou d’abus. Le Droit ne doit-il pas s’interroger sur cette éventualité car l’impunité ne nous semble pas légitime ?
Professeur de philosophie à la Sorbonne, homme politique qui traita les revendications démocratiques et universitaires avec talent et autorité, Jules Simon publia, en 1854, un ouvrage « Le Devoir » qui conforte parfaitement mon propos : « Si l’acte est libre, écrit Jules Simon, l’arbitrage appartient à la raison. Le devoir est de ne pas se tuer, de ne pas se dégrader, de ne pas se mutiler ».
CONCLUSION
Le principe de la responsabilité personnelle devrait prendre sa place dans notre système de santé. Le respect de soi-même doit être enseigné autant que les devoirs qui sont des obligations morales et civiles. Il est d’ailleurs souhaitable que les devoirs et le droit conservent des liens étroits. Le devoir de santé mérite une priorité.Un groupe de travail, sous la direction de Marcel Legrain et Maurice Tubiana a remarquablement étudié : Comment développer et améliorer les actions de prévention dans le système de santé français [7]. Il a souligné l’importance des comportements à risques à l’origine d’une morbidité excessive. Malgré les lois et les campagnes préventives, l’avenir est préoccupant. La perspective d’une pénalisation pour un malade qui aurait sciemment abusé d’un comportement à risque ne serait-elle pas plus dissuasive ?
BIBLIOGRAPHIE [1] Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 (J.O. numéro 54).
[2] PELLERIN D. — Rapport sur la loi relative aux droits des malades et à la qualité du Système de santé. Bull. Acad. Natle. Méd., 2003, 187 , 5, 997-1005.
[3] HUREAU J., DE FONTBRESSIN P. — Le droit de la responsabilité médicale. Les nouveaux enjeux.
Bull. Acad. Natle. Méd., 2003, 187 , 1, 161-173.
[4] ARON E. — La médecine en Touraine des origines à nos jours, 1992, 283 p., C.L.D. édit., Chambray-les-Tours.
[5] ARON E. — A propos de la vaccination contre l’hépatite B. Plaidoyer pour un principe de protection. Bull. Acad. Natle. Méd ., 2002, 186 , 2, 361-367.
[6] ARON E. — L’enseignement de l’hygiène à l’école.
Bull. Acad. Natle. Méd., 1992, 176 , 8, 1237-1244.
[7] TUBIANA M. et LEGRAIN M. — Comment développer et améliorer les actions de prévention dans le système de santé français ? Bull. Acad. Natle. Méd., 2002, 186 , 2, 447-540.
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 109-114, séance du 20 janvier 2004