Résumé
En Europe à partir de données récentes, le taux de couverture vaccinal contre l’hépatite B varierait selon les pays chez les enfants entre 27,5 % et 99,2 % et chez les adolescents entre 52 et 98 %. L’étude réalisée en 2002 en France révèle un taux de couverture global de 21,7 % et des taux de couverture très bas pour les vaccinations complètes (3 doses) puisque l’on retrouve des taux de 19,8 % chez les nourrissons de 2 ans, de 23,3 % pour les enfants et de 46,2 % pour les adolescents. Ces taux de couverture sont très faibles et insuffisants pour protéger les futures générations des infections par le virus de l’hépatite B et de leurs conséquences. Des efforts conséquents seront nécessaires pour relancer la vaccination de ces groupes de populations et des groupes à risque si l’on ne veut pas repousser de 20 ans l’arrêt des transmissions du virus de l’hépatite B en France . MOTS-CLÉS : VACCIN ANTIHÉPATITE B. ÉPIDÉMIOLOGIE. PROGRAMMES IMMUNISATION.
Summary
In parts of Europe where the relevant data are available, the vaccinal coverage rate of children against hepatitis B virus ranges from 27.5 to 99.0 % and that of adolescents from 52 to 98 %. In France, an exhaustive population survey conducted in 2002 revealed an overall vaccine coverage rate of over 21.7 % and very low three-dose coverage rates among infants (19.8 %), children (23.3 %), and adolescents (46.2 %) which are inadequate to protect future generations from HBV infection and its consequences. Unless major efforts are made to vaccinate these populations and high-risk groups, complete elimination of HBV transmission might take another 20 years to achieve . KEY-WORDS (Index Medicus) : HEPATITIS B VACCINE. EPIDEMIOLOGY. IMMUNIZATION PROGRAMS.
* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Tirés-à-part : Professeur François DENIS, Hôpital Universitaire Dupuytren — 2 avenue MartinLuther-King — 87042 Limoges cedex. Article reçu le 30 septembre 2003, accepté le 17 novembre 2003.
INTRODUCTION
La vaccination contre l’hépatite B a débuté en France en 1975 avec les travaux de Philippe Maupas et de son équipe [1] avant que le premier vaccin plasmatique reçoive une autorisation de mise sur le marché en 1981. Par la suite les vaccins obtenus par génie génétique ont remplacé en France les vaccins plasmatiques, l’antigène vaccinal étant produit, soit par des levures Saccharomyces cerevisiae , soit par des cellules ovariennes de hamster (CHO) [2].
Initialement la cible vaccinale concernait les professionnels de santé et les patients à haut risque tels les hémodialysés, puis les nouveaux nés de mères porteuses du virus de l’hépatite B. Enfin cette vaccination a été proposée aux préadolescentsadolescents et tout particulièrement aux nourrissons, selon les recommandations du calendrier vaccinal [3].
Sur le plan de la politique vaccinale la stratégie a été cohérente mais la vaccination a connu un coup d’arrêt, car, comme l’a écrit Emile Aron ‘‘ C’est en France, berceau de cette vaccination, que cette prévention efficace de l’hépatite B va être attaquée et condamnée alors qu’il n’existe aucune preuve scientifique d’un risque d’une affection démyélinisante ’’ [4].
Dans ce contexte il est important de disposer de données sur le taux de couverture vaccinale afin de juger de l’impact de la politique d’une part, et des polémiques d’autre part sur cette vaccination, le but étant d’atteindre des taux satisfaisants dans les populations cibles.
Afin de disposer de bilans périodiques permettant de suivre l’évolution de la vaccination, une enquête a été conduite, procédant par sondages, portant sur un vaste échantillon de foyers représentatifs de la population française. Des résultats antérieurs ont été publiés pour les années 1995 et 1996 [5, 6], la présente étude concerne l’année 2002.
OBJECTIFS ET MÉTHODES
L’enquête de l’Observatoire de la vaccination contre l’hépatite B en France est effectuée par un organisme de sondage spécialisé (Sofres-Médical).
Commencé en 1994, ce sondage permet désormais de suivre annuellement, la progression du nombre de vaccinations contre l’hépatite B réalisées en France et de préciser certains paramètres : âge des sujets vaccinés, motif de la vaccination, prescripteurs, lieu de réalisation du vaccin.
La population de référence de l’enquête est la population française. L’échantillon de départ est constitué par 20.000 foyers représentatifs de la population française, recrutés et pondérés suivant la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille, stratification par région et catégorie d’agglomération). Le présent rapport regroupe les chiffres faisant le point en avril 2002. La comparaison avec les résultats antérieurs permet de suivre la dynamique d’évolution de la vaccination contre l’hépatite B.
RÉSULTATS
Sur 20.102 foyers contactés (soit 50.888 personnes), 14.125 foyers (soit 34.540 individus) ont répondu : soit un taux de retour de 70,3 %. Après étude de la cohérence des questionnaires ont été retenus 30.790 individus.
Globaux
Les résultats de ce sondage montrent que 10.659 individus (34,6 %) ont reçu au moins une injection de vaccin, que 6.677 individus (21,7 %) ont eu une primovaccination complète, c’est-à-dire 3 doses, la vaccination était incomplète pour les autres (12,9 %) et que sur les 20.131 individus (65,4 %) n’ayant reçu aucune injection, seulement 524 (1,7 %) avaient l’intention de se faire vacciner dans les 12 prochains mois.
Taux de couverture en avril 2002 par tranche d’âge
Le taux de couverture en avril 2002 varie très sensiblement d’une tranche d’âge à l’autre (figure 1). Il est optimal chez les 19-24 ans (71,5 % avec au moins une injection et 47,3 % avec vaccination complète), il est faible chez les 0-13 ans avec 35,6 % qui ont reçu au moins une injection et seulement 23,3 % une vaccination complète.
Chez les adultes, il chute franchement et proportionnellement à l’âge à partir de 24 ans, pour devenir très faible au-delà de 55 ans.
Les (pré)adolescents et les nourrissons/enfants ont fait l’objet d’un examen plus détaillé (figure 2) qui révèle que les taux de couverture maximaux sont atteints chez les enfants âgés de 6 ans (vaccination complète : 27,0 %, au moins une injection :
40,4 %), que le rattrapage des adolescents est très partiel et tardif (au-delà de 14 ans), et que la vaccination des nourrissons reste malheureusement marginale puisque le taux de couverture (vaccination complète) à l’âge de 2 ans n’est que de 19,8 %.
Répartition régionale
Les vaccinations effectuées ont été analysées en fonction de leur répartition géographique entre 8 régions françaises : Nord, Est, Sud-Est, Méditerranée, Sud-Ouest, Ouest, Bassin parisien et région parisienne. Les taux de couverture vont de 19,4 % pour la région méditerranée à 25,4 % pour la région parisienne. Les autres régions tion.
popula la de le l ’ ensemb sur ge ’â d anche tr par r ance F en B tite é pa l ’ h e contr tion accina v l a de e ertur couv de aux T — 1.
IG.
ans 13 à 0 de ge ’â d anche tr la pour é e é taill d r ance F en B tite é pa l ’ h e contr tion accina v l a e d e ertur couv de aux T — 2.
IG.
F ont des taux de couvertures très voisins : Sud Est : 20,0 %, Ouest : 20,3 %, Bassin parisien 21,0 %, Nord : 21,3 %, Sud-Ouest : 21,4 % avec un léger avantage pour la région Est : 23,5 %.
Évolution des taux de couverture au cours du temps
Le suivi du taux de couverture global montre qu’il était de 3,1 % en 1993, de 10,2 % en 1995 avant d’atteindre 20,1 % en 1999 et de plafonner ensuite pour atteindre 21,7 % en 2002 (figure 3).
Nous ne prendrons en considération que deux classes d’âge : les enfants de 2 ans, et les 11-12 ans. Chez les nourrissons de 2 ans en prenant seulement en compte les enfants ayant reçu 3 injections, la couverture vaccinale passe de 1,4 % en 1999, à 14,4 % en 2000, à 19,1 % en 2001 pour atteindre 19,8 % sur les 4 premiers mois de 2002 (et 32,9 % en incluant les vaccinations incomplètes). Pour les 11-12 ans, toujours en examinant les vaccinations complètes (3 injections) le taux de couverture est de 23,6 % en 1998, 26,2 % en 2001 pour atteindre 27,3 % en 2002 ; en prenant en compte toutes les vaccinations y compris les vaccinations incomplètes ce taux atteint 38 %.en 2002. Ces taux sont très inférieurs pour cette tranche d’âge à ceux signalés après les campagnes de vaccination en milieu scolaire en 1994-95 (75-82 %).
Conditions de la vaccination
Sur l’ensemble des vaccinés, les vaccinateurs sont essentiellement les médecins traitants (70,7 %), puis viennent les médecins du travail et les pédiatres à égalité (8,4 %), suivis par les médecins scolaires (7,1 %).
Chez les moins de 13 ans, les vaccinations sont proposées par les médecins traitants dans 55,1 % des cas, le pédiatre pour 37,6 % et le médecin de PMI pour 5,3 %. Par contre, pour la tranche d’âge des moins de 3 ans, les pédiatres vaccinent 48,5 % des enfants, les médecins traitants 43,2 % et la Protection Maternelle et Infantile 7,9 % d’entre eux.
DISCUSSION
Le recueil de l’information a porté sur plus de 50.000 personnes, le recours à la méthode des quotas pour le recrutement et la pondération avec une parfaite repré- sentativité de l’ensemble de la population française apporte des garanties quant à la validité des taux de couverture retrouvés dans la population française .
Les résultats sont globalement en accord avec des enquêtes ponctuelles réalisées entre 1995 et 1996 selon le même principe de sondage [5, 6] et avec les données nationales récemment publiées dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire .
temps du cours au doses) (3 r ance F en B) tite é pa (h accinal v e ertur couv de taux du olution v É — 3.
IG.
F (BEH) [7]. Ce dernier travail [7] fait état d’un taux de couverture pour les enfants de 24 mois de 28,0 % en s’appuyant sur l’analyse des certificats de santé, alors que notre enquête retrouve pour les 2 ans, un taux 19,4 % de vaccinations complètes et 32,9 % en ajoutant les vaccinations en cours.
La comparaison des données françaises et de celles d’autres pays européens ayant intégré la vaccination universelle contre l’hépatite B dans leur calendrier vaccinal national, montre que sur 23 pays qui pratiquent la vaccination universelle des nouveaux nés ou des nourrissons les taux de couverture sont extrêmement variables.
Ainsi, ce taux est supérieur à 90 % pour 48 % des pays, est compris entre 70 et 90 % pour 28 % d’entre eux, se situe entre 50 et 70 % pour 8 % des pays et le taux de couverture est inférieur à 50 % pour 12 % de ces pays dont la France avec un taux estimé par Van Damme et Vorsters à 27,4 % [8], taux cohérent avec notre propre analyse et avec celle d’Antona et coll. [7]. A titre indicatif, pour les mêmes auteurs, les taux de couverture obtenus étaient en Italie de 97 %, de 88 % en Grèce, de 60 % en Belgique…
A noter que les pays du continent américain (Etats-Unis, Canada) qui ont une épidémiologie comparable à celle de la France ont obtenu un taux de couverture pour ces tranches d’âge voisin de 90 %…[9] CONCLUSIONS
Nous devons considérer qu’en France un taux de couverture supérieur à 90 % chez les nourrissons constitue un objectif prioritaire.
Rappelons avec Goudeau [10] que ‘‘ trois raisons plaident pour la vaccination des nourrissons : la transmission horizontale de l’hépatite B chez l’enfant est rare mais conduit plus fréquemment que chez l’adulte au portage chronique, la surveillance médicale de cette tranche d’âge est excellente et permet d’espérer une couverture de primo-vaccination égale à celle des autres vaccins de l’enfance, enfin l’innocuité est excellente à cet âge ’’. On pourrait rajouter une quatrième raison à savoir l’excellente immunogénicité des vaccins à cet âge et une protection conférée probablement pour la vie.
Malgré cela aujourd’hui, en France, moins de 30 % des enfants de 2 ans ont reçu une vaccination complète. A signaler un autre fait inquiétant : nous avons montré récemment [11] que les nouveau-nés de mères porteuses du virus de l’hépatite B, ne bénéficient pas tous d’une protection effective (par séro-vaccination spécifique), protection pourtant obligatoire depuis 1992, puisqu’il a été trouvé d’une part que 20 % des femmes échappent au dépistage et que d’autre part un nombre non négligeable d’enfants nés des mères reconnues comme étant porteuses du virus, donc à très haut risque, n’ont pas reçu le traitement adéquat.
Ce manque de performance tant de la politique de dépistage que de la protection vaccinale contre l’hépatite B en France tient probablement à un manque de clarté dans ce domaine, à une volonté pas assez affichée et à une part médiatique trop importante faite aux effets indésirables imputés au vaccin (quasi inexistants pour les nourrissons et les adolescents) sans mettre en avant la fréquence et la gravité de l’hépatite B.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient Alain Aufrère, Véronique Abitbol et les laboratoires GlaxoSmithKline qui ont rendu possible l’enquête Sofres-Médical BIBLIOGRAPHIE [1] MAUPAS P., GOUDEAU A., COURSAGET P., DRUCKER J. — Immunization against hepatitis B in man. Lancet, 1976, i, 1367-70.
[2] MICHEL M.L., PONTISSO P., SOLCZAK E., MALPIECE Y., STREECK R.E., TIOLLAIS P. — Synthesis in animal cells of hepatitis B surface antigen particles carrying a receptor for polymerized human serum albumin. Proc. Natl. Acad. Sci., USA 1984, 81, 7708-7712.
[3] Calendrier Vaccinal 2003. Avis du conseil Supérieure d’Hygiène Publique de France.
Bull
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[4] ARON E. — A propos de la vaccination contre l’hépatite B. Plaidoyer pour un principe de protection. Bull. Acad. Natle Med. , 2002, 186 , 361-368.
[5] BEGUE P., DENIS F., GOUDEAU A., MICOUD M., AUFRERE A. — Vaccination contre l’hépatite B en France. Bilan de la campagne de vaccination en 1995. Rev. Praticien (Médecine générale) 1997, 11 , 33-39.
[6] DENIS F., GOUDEAU A., AUFRERE A. — Couverture vaccinale contre l’hépatite B en France en 1996. Bull Soc Path Exot 1998, 91 , 37-40.
[7] ANTONA D., BUSSIÈRE E., GUIGNON N., BADEYAN G., LEVY-BRUHL D. — La couverture vaccinale en France en 2001. Bull. Epidemiol. Hebdo., 2003, 36 , 169-172.
[8] VAN DAMME P., VORSTERS A. — Hepatitis B control in Europe by universal vaccination programs : the situation in 2001. J. Med. Virol. 2002, 67 , 433-439.
[9] DENIS F. — L’éradication de l’hépatite B en Europe est-elle possible ?
M/T Pédiatrie 2001, 4 , 30-35.
[10] GOUDEAU A. — La vaccination contre l’hépatite B : vingt ans d’expérience clinique. Virologie , 1998, 2 (No special), 16-29.
[11] DENIS F., BERGES P., CHASTAGNER M., DELPEYROUX C. — Dépistage de l’Ag HBs chez les femmes enceintes. Quel taux de couverture ? Enquête en Haute-Vienne ; 1999. Bull. Epidemiol.
Hebdo., 2003, 33 , 157-158.
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 115-123, séance du 20 janvier 2004