Communication scientifique
Séance du 1 avril 2008

Tissu adipeux, nutrition et reproduction : quel lien ?

MOTS-CLÉS : adipokines. fécondité. ovulation
Adipose tissue, nutrition and reproduction : what is the link ?
KEY-WORDS : adipokines, fertility, ovulation

Philippe Monget, Christine Chabrolle et Joëlle Dupont

Résumé

De très nombreuses recherches montrent que l’indice de masse corporelle, en particulier le rapport tissu maigre/tissu gras, est un paramètre déterminant pour la fertilité chez la femme et les femelles de mammifères. En 1996, la leptine a été identifiée comme étant un facteur faisant le lien entre tissu adipeux et la reproduction. La leptine fait partie de la famille des adipokines qui, depuis, s’est agrandie. Cette famille comporte, en plus de la leptine, l’adiponectine et la résistine. La leptine et la résistine sont des facteurs induisant plutôt une résistance à l’action de l’insuline, alors que l’adiponectine semble la favoriser. La leptine est clairement un facteur stimulant la sécrétion du GnRh et des gonadotropines hypophysaires, et plutôt inhibiteur de la stéroïdogenèse au niveau ovarien. Les effets de l’adiponectine et de la résistine sont moins clairs et moins connus au niveau central. Par contre, ces deux facteurs semblent jouer un rôle inédit sur l’ovaire. En particulier, on a montré récemment que l’adiponectine stimule la stéroïdogenèse par les cellules de la granulosa. Plus généralement, des travaux récents suggèrent qu’il existe dans l’ovaire un type de métabolisme lipidique complet et original, dont le rôle sera à étudier dans les années futures.

Summary

The body mass index, and especially the lean/fat tissue ratio, are determinants of female fertility. In 1996, it was claimed that leptin might be the ‘‘ missing link ’’ between fat and reproduction. Leptin belongs to the adipokine family, which also contains adiponectin and resistin. Leptin and resistin impair insulin sensitivity, whereas adiponectin enhances it. Leptin is a potent stimulator of central GnRH and gonadotropin secretion, and, paradoxically, a potent inhibitor of ovarian steroidogenesis. The central roles of adiponectin and resistin are less clear. In the ovary, adiponectin stimulates steroidogenesis by granulosa cells. Recent data point to the existence of a distinct lipid metabolism in the ovary. Its role in female reproduction will provide an exciting field of research in coming years.

Chez la femme comme chez les femelles de vertébrés, la fertilité est intimement liée à l’index de masse corporelle. Dans les cas de maigreur prononcée, la fertilité chute, avec entre autres une diminution de la fréquence des pulses de LH, diminution de la taille des follicules préovulatoires, dysovulation, perte embryonnaire précoce etc.

Dans les cas d’obésité avec développement d’une résistance à l’insuline voire d’obé- sité, des troubles de la fertilité, et en particulier de l’ovulation, sont également observés. Ces troubles peuvent aboutir à la formation de kystes ovariens chez la femme. Jusqu’à tout récemment, on considérait le tissu adipeux comme un organe passif qui permet le stockage des triglycérides. Or, nous savons aujourd’hui que cet organe peut être considéré comme une glande endocrine capable de secréter des hormones appelées « adipokines ». Celles-ci sont au moins au nombre de trois : la leptine, l’adiponectine et la résistine. Dans ce texte, nous limiterons la réflexion sur le rôle du tissu adipeux à ces trois adipokines, et passerons volontairement sous silence d’autres mécanismes, tels que le rôle du tissu adipeux dans la métabolisation des stéroïdes par exemple. D’autre part de larges exemples seront tirés d’expérimentations animales.

Les adipokines

La sécrétion des adipokines par le tissu adipeux est modulée essentiellement par le métabolisme énergétique et les facteurs qui lui sont liés comme l’insuline.

La leptine

Jusqu’à maintenant, l’adipokine ayant reçu le plus d’attention est très certainement la leptine découverte en 1994. La leptine a été initialement identifiée comme étant le facteur responsable du phénotype d’obésité chez les souris obèses ob/ob [1]. Elle est considérée comme un facteur de satiété régulant l’appétit et le poids chez le rongeur et l’homme. Cette hormone, dont la sécrétion par le tissu adipeux est stimulée par l’insuline, se fixe sur un récepteur de forme longue Ob-Rb dans l’hypothalamus où il participe à la réduction de synthèse de facteurs orexigènes tels que le neuropeptide Y (NP-Y) ou la protéine AgRP (pour Agouti related protein), et où elle augmente la synthèse de facteurs anorexigènes tels que la Pro-opio-mélanocortine (POMC) ou la cocaine-and amphetamine related protein (CART). La leptine participe donc à une réduction d’appétit et de la prise alimentaire [2]. L’absence de leptine ou de récepteur de leptine chez les souris ob et db , respectivement, contribue au développement d’une résistance à l’insuline suivie d’une obésité très sévère et d’un diabète. Chez les souris ob , l’ensemble de ces troubles sont entièrement restaurés par des injections de leptine [3].

Dans les tissus périphériques, la leptine inhibe l’action biologique de l’insuline (en particulier sur le transport du glucose), ce qui contribue probablement à la résis-
tance à l’insuline chez les individus obèses. Dans le tissu adipeux ainsi que dans les cellules du muscle squelettique, la leptine augmente la lipolyse.

La fixation de la leptine sur son récepteur Ob-Rb active les facteurs Signal Transducer and Activator of Transcription-1 (STAT1) et STAT3, et/ou la voie de signalisation impliquant la phosphatidylinositol 3-kinase (PI3K) et la Serine/Threonine Protéine Kinase B (PKB/Akt) [4]. Enfin l’augmentation de l’oxydation des acides gras dans le muscle squelettique suite à un traitement par la leptine passe par l’activation d’une kinase dépendante de l’AMP (AMPK, Adénosine Monophosphate activated kinase) [5].

L’adiponectine

L’adiponectine (30 kDa), appelée au moment de sa découverte en 1995, ACRP30, AdipoQ, APM1 ou gbp28, est l’adipokine la plus abondamment produite par le tissu adipeux. Sa concentration plasmatique est importante puisqu’elle s’élève à 0,01 % des protéines plasmatiques totales (environ 10 mg/ml). L’adiponectine circule dans le plasma sous forme de trimère, d’hexamère (également appelé forme de faible masse moléculaire, LMW) ou sous forme multimèrique de 12 ou 18 sous-unité (appelée forme de forte masse moléculaire HMW). Contrairement aux autres adipokines, les concentrations plasmatiques d’adiponectine sont diminuées chez le sujet obèse, diabétique de type 2 ou atteint de pathologies associées à l’insulinorésistance et l’hyperinsulinémie [6, 7]. Chez le porc, les animaux présentant une adiposité élevée ont aussi une concentration plasmatique plus faible en adiponectine comparativement aux animaux plus maigres. L’adiponectine augmente la sensibilité cellulaire à l’action de l’insuline et réduit l’oxydation des acides gras au moins au niveau hépatique [8]. Chez la souris, l’injection d’adiponectine dans la circulation sanguine diminue les niveaux de glucose sanguin et améliore la résistance à l’insuline [9]. De plus, des souris déficientes en adiponectine deviennent résistantes à l’insuline en réponse à un régime hyperlipidique [10]. L’expression transgénique d’adiponectine dans le tissu adipeux se traduit par une inhibition de la production hépatique de glucose et une meilleure tolérance au glucose [11]. L’adiponectine réduit également l’accumulation des triglycérides dans le muscle squelettique. En plus de ces effets antidiabétiques, l’adiponectine présente aussi une activité anti-inflammatoire, antiangiogénique et antiathérogénique [12]. Une mutation du gène codant pour l’adiponectine a été identifiée comme un facteur de maladie cardiovasculaire et de syndrome métabolique [13].

En 2003, deux récepteurs de l’adiponectine ont été clonés chez l’homme et la souris, AdipoR1 et AdipoR2 [14]. Ceux-ci appartiennent à une nouvelle famille de récepteurs qui comprennent sept domaines transmembranaires, mais sont fonctionnellement et structurellement différents des récepteurs couplés aux protéines G. Ils présentent une topologie inversée par rapport aux récepteurs couplés aux protéines G (GPCR) avec une extrémité N-terminale intracellulaire et une extrémité C-terminale extracellulaire. D’un point de vue fonctionnel, ils ne sont pas couplés
aux protéines G, et n’ont pas les seconds messagers de ces derniers (AMPc).

AdipoR1 et adipoR2 sont exprimés dans de nombreux tissus mais l’expression de AdipoR1 est surtout abondante dans le muscle squelettique alors que celle d’AdipoR2 est majoritaire dans le foie [14]. Les signaux intracellulaires empruntés par AdipoR1 et AdipoR2 mettent en jeu l’activation de l’AMPK, des PPARalpha et des MAPKs. Hug et al. ont identifié la T-cadhérine comme un récepteur potentiel pour l’adiponectine [15]. Cependant, seuls les complexes de haut poids moléculaire de l’adiponectine sont capables de lier la T-cadhérine.

La résistine

La résistine (12,5 kDa) a été découverte au début des années 2000, par trois groupes qui cherchaient à identifier de nouveaux gènes spécifiques du tissu adipeux. Par exemple, la résistine a été découverte chez la souris en étudiant les gènes inhibés par l’activation de PPARgamma [16]. Les principaux travaux ont été réalisés jusqu’ici chez l’Homme et les rongeurs. Ces travaux montrent que la résistine augmente la résistance à l’action de l’insuline, en tout cas au niveau hépatique, musculaire et du tissu adipeux. En effet, l’administration de résistine in vivo à des rongeurs et la surexpression transgénique de résistine induit une insulinorésistance ainsi qu’une augmentation de production hépatique de glucose [17]. De plus, chez des souris rendues obèses et résistantes à l’insuline par un régime riche en gras, un traitement par un oligonucléotide anti-sens inhibant la synthèse de résistine améliore la sensibilité hépatique à l’insuline [18]. Dans le muscle squelettique, la résistine diminue le captage des acides gras et leur métabolisme spécifiquement en diminuant l’AMPK.

In vitro, dans la lignée de cellules 3T3-L1, la résistine diminue l’action de l’insuline en inhibant certains facteurs de la cascade de signalisation de l’insuline, et plus spécifiquement en stimulant le facteur Suppressors of Cytokine Signalling-3 (SOCS-3) [19]. Cependant, contrairement à la leptine ou à l’adiponectine, aucun récepteur de la résistine n’a été identifié.

Il est à noter que Pagano et al. [20] ont montré que la résistine était aussi exprimée dans les adipocytes humains avec une expression quatre fois plus élevée dans la graisse viscérale que sous-cutanée. La résistine est aussi exprimée dans d’autres types cellulaires, en particulier dans les macrophages et les monocytes, suggérant un rôle dans l’inflammation, mais également dans l’ovaire (voir plus loin). Son rôle dépasse donc probablement celui de molécule de résistance à l’action de l’insuline.

Enfin et c’est probablement vrai des deux autres adipokines, le rôle de la résistine est probablement spécifique d’espèces, ce qui n’est pas étonnant étant donné la très grande diversité de type de métabolisme énergétique entre les vertébrés, des mammifères aux oiseaux, amphibiens et poissons.

Les adipokines et la fertilité

Étant donné l’importance de l’état des réserves corporelles sur la fertilité de la femme et des femelles de mammifères en général, il est important de s’intéresser aux
effets de l’obésité ou au contraire d’une restriction calorique sévère sur l’expression des adipokines, mesurée ici en estimant les quantités d’ARNm cellulaire ainsi que les taux circulants. La plupart des travaux menés chez l’homme, les rongeurs, et pour quelques-uns le porc, montrent que l’obésité et la restriction calorique respectivement augmentent et réduisent l’expression et les niveaux sériques de leptine. En ce qui concerne l’adiponectine, l’obésité en réduit les taux et l’expression, les effets semblant contradictoires pour la restriction calorique. Enfin pour la résistine, l’obésité semble en augmenter les niveaux sériques, avec une diminution paradoxale de son expression, alors que la restriction aboutit à une diminution de l’ensemble [21].

Le rôle des adipokines dans la fertilité est et doit être abordé au niveau central et hypophysaire, au niveau gonadique, au niveau des ovocytes et des embryons, ainsi qu’au niveau fœtal.

→ Les modèles transgéniques ou d’invalidation des adipokines Les deux modèles d’invalidation naturelle de la leptine et de son récepteur existent chez les souris ob et db , respectivement. Dans les deux cas, comme on l’a dit, les souris sont obèses mais également stériles, avec diminution très importante de la sécrétion des hormones hypophysaires FSH et LH, suggérant un effet essentiellement central de ces mutations [3].

L’invalidation de l’adiponectine n’a pas d’effet visible sur la fertilité des mâles et des femelles, alors qu’une surexpression de deux à trois fois de ce facteur rend les souris stériles [11].

Enfin ni la surexpression ni la perte du gène de la résistine n’aboutissent à une quelconque perturbation de la fertilité. Rappelons que l’absence de phénotype chez une souris invalidée ou transgénique n’est peut-être qu’apparente, l’expérimentateur ne s’étant peut-être pas mis dans les bonnes conditions pour le révéler. Il est possible par exemple pour les adipokines, qu’une perturbation de la fertilité ne soit révélée qu’en cas de stress énergétique, ou à cause de toute autre condition environnementale anormale ou « limite » (Stress, diminution même légère de la ration alimentaire, exercice physique…).

→ Les adipokines dans la maturation de l’axe hypothalamus-hypophyse Chez les mammifères, la puberté intervient au moment où la masse corporelle et une certaine valeur de l’indice de masse corporelle (IMC) atteignent un certain seuil. Dès lors, on s’attendrait à voir les niveaux sériques des adipokines augmenter pendant cette période. C’est le cas dans la plupart des travaux réalisés, en particulier chez les rongeurs, où les niveaux sériques et/ou l’expression des adipokines augmentent.

L’adiponectine plasmatique par contre, diminue chez l’enfant au moment de la puberté [22].

La leptine, outre ses effets anorexigènes, stimule la sécrétion du GnRH au niveau central ainsi que de FSH et LH au niveau central chez les rongeurs, in vitro et in vivo
[23]. Ce n’est pas le cas chez les bovins et le porc recevant des apports alimentaires normaux, ce qui pose une fois de plus la question des effets spécifiques d’espèces.

Cela dit, y compris chez ces espèces ont été observés des effets positifs de la leptine sur la sécrétion de GnRH, ainsi que de FSH et de LH par des explants respectivement hypothalamique et hypophysaire in vitro . Cela dit, il est très probable que les effets centraux de la leptine soient spécifiques d’espèces, en particulier entre animaux mono et polygastriques.

On a longtemps pensé que le rôle de l’adiponectine était probablement de moindre importance que ceux de la leptine. En particulier, l’absence d’altération de l’appétit et de la prise alimentaire chez les souris invalidées pour le gène de l’adiponectine et de ses récepteurs suggère que l’importance de ce facteur au niveau central est mineure. Cependant, des travaux récents ont montré la présence de l’adiponectine et ses deux récepteurs (AdipoR1 et adipoR2) dans l’hypothalamus et l’hypophyse chez l’homme et le rongeur [24-26]. L’adiponectine et la résistine sont aussi présentes dans le liquide céphalo-rachidien [24]. In vitro dans les cellules primaires hypophysaires ou dans la lignée murine gonadotrope LbetaT2, l’ajout de l’adiponectine recombinante diminue la secrétion de LH et l’expression des récepteurs au GnRH [26].

Enfin les effets biologiques de la résistine au niveau hypothalamique et hypophysaire sont mal connus pour le moment. Par contre, l’expression de la résistine a été observée dans l’hypophyse de souris ; cette expression augmente pendant la puberté et chute dans l’hypophyse des souris obèses.

La question du rôle des adiponectines dans la médiation centrale des effets de l’obésité sur la fertilité est importante, compte tenu du phénotype des souris ob et db .

Or un travail a montré qu’une obésité provoquée par un régime alimentaire hyperlipidémique, provoque également une altération de la fertilité essentiellement chez la femelle, et que cette dernière est restaurée par des injections de GnRH [27]. Ces effets sont associés à une altération des teneurs en NP-Y hypothalamique, elle-même liée à une résistance à l’action de la leptine au niveau central.

→ Les adipokines dans le fonctionnement des ovaires Le rôle de la leptine dans la fonction ovarienne a été très étudié ces dernières années.

La grande majorité des travaux a montré un rôle plutôt inhibiteur de la leptine sur la stéroïdogenèse des cellules de la granulosa [21]. Cet effet inhibiteur est a priori contradictoire des effets stimulants de la leptine sur la sécrétion des hormones gonadotropes décrits plus haut. Cela dit, étant donné que les souris ob et db , respectivement déficientes en leptine et en récepteur, sont stériles par déficience centrale en gonadotropines, il est probable que les effets stimulateurs de FSH et LHcentraux soient prédominants sur les effets inhibiteurs ovariens.

Le rôle de l’adiponectine et de la résistine dans la fonction ovarienne est beaucoup moins connu. Cependant, le fait que les niveaux circulants de l’adiponectine soient diminués chez les femmes souffrant du syndrome des ovaires polykystiques [28], et
qu’un variant du gène de l’adiponectine soit beaucoup plus prédominant chez ces femmes laissent supposer une action directe de l’adiponectine sur les ovaires.

Récemment, l’expression de l’adiponectine et de ses deux récepteurs AdipoR1 et AdipoR2 a été montrée dans l’ovaire de truie [29], de rate [30], et de poule [31]. Dans les deux dernières espèces, notre laboratoire a montré la présence de l’adiponectine majoritairement dans les cellules intersticielles/thécales et très faiblement dans les cellules de la granulosa [30, 31]. Chez la truie, l’adiponectine peut induire des changements périovulatoires au niveau des cellules de la granulosa [32]. Dans les cellules de la granulosa de rate, l’adiponectine augmente la sécrétion de progesté- rone et d’oestradiol induite par l’IGF-1 [30]. Ces effets pourraient s’expliquer par une augmentation de la phosphorylation de la sous-unité bêta du récepteur de l’IGF-1 et de la phosphorylation des MAPK ERK1/2. Des effets stimulateurs de la sécrétion de testostérone par les cellules de la thèque traitées par la résistine ont également été reportés [30]. Ce résultat suggère un lien possible entre obésité et kystes ovariens chez la femme.

Si la leptine joue essentiellement un rôle endocrine au niveau central et dans l’ovaire, la question se pose de la part respective du rôle endocrinien de l’adiponectine et de la résistine, sécrétées par le tissu adipeux, par rapport au rôle que pourraient jouer ces mêmes facteurs exprimés localement au niveau ovarien. L’origine paracrine de ces facteurs est-elle significative par rapport à la quantité d’adipokines venant du serum ? Pour répondre à cette question, il sera nécessaire d’invalider spécifiquement ces gènes dans les cellules somatiques ovariennes, au moyen du système cre/lox.

→ Les adipokines dans la maturation ovocytaire et le développement embryonnaire L’expression du récepteur de la leptine a été montrée dans plusieurs espèces, ce qui suggère un rôle direct de cette adipokine dans la maturation nucléaire et cytoplasmique de l’ovocyte. L’expression des récepteurs de la leptine a été confirmée dans les ovocytes et les embryons porcins avant leur implantation [33, 34]. Les mêmes auteurs ont de plus démontré que la leptine améliore la maturation des ovocytes porcins et améliore le développement embryonnaire in vitro . Plus précisément, on sait qu’à un stade de développement similaire, un ovocyte issu d’un follicule de vache aura beaucoup plus de chance d’assurer un développement embryonnaire harmonieux après fécondation qu’un ovocyte issu d’une génisse. Il est donc possible qu’une stimulation directe des ovocytes par la leptine, en particulier pendant la période péri-pubertaire, participe à la maturation des gamètes femelles chez les adultes, en comparaison avec les individus nullipares.

Très peu de travaux montrent un effet de l’adiponectine ou de la résistine sur l’ovocyte. Cependant, des travaux récents montrent clairement un rôle des AMPKs dans la maturation ovocytaire [35], ce qui suggère que l’adiponectine est susceptible de jouer un rôle dans l’utilisation des métabolites par l’ovocyte.

→ Les adipokines pendant la grossesse

La leptine ainsi que son récepteur sont assez fortement exprimés dans le placenta [36]. Le placenta humain sécrète également de la résistine. Les niveaux sériques et placentaires de la leptine semblent chuter au cours de la grossesse, la tendance étant exactement contraire pour la résistine. Il reste à montrer en quoi cette inversion des niveaux de ces adipokines participe à l’augmentation de la sensibilité de l’organisme à l’insuline en fin de grossesse.

Enfin l’expression de l’adiponectine dans le placenta semble augmenter pendant la gestation chez le rat, et semble diminuer si les femelles gestantes subissent une restriction alimentaire [21].

Un effet direct de l’adiponectine sur les cellules de l’utérus a été rapporté chez l’humain [37]. Les niveaux d’expression d’AdipoR1 et d’AdipoR2 dans l’endomètre sont au maximum pendant la phase mi-lutéale du cycle oestral, laquelle correspond à la période d’implantation de l’embryon. De plus, cette même étude demontre que l’adiponectine aurait également un effet anti-inflammatoire sur les cellules de l’uté- rus favorisant l’implantation de l’embryon.

Fig. 1. — Schéma des principaux effets biologiques des adipokines sur différents compartiments de la reproduction chez la femme

Les adipokines, un lien entre tissu adipeux et fertilité ?

Un schéma synthétique du rôle des adipokines sur les différents compartiments impliqués dans la reproduction chez la femme est présenté en figure 1. A partir des travaux cités ici, il est tentant de faire l’hypothèse que les adipokines que nous avons citées, ainsi peut-être que d’autres non encore identifiées, jouent un rôle clé de lien entre quantité et type (viscéral, sous-cutané etc.) de tissu adipeux d’une part, et fertilité d’autre part. Un excès ou une insuffisance en adipokines pourrait en particulier être négatifs pour le fonctionnement de l’axe hypothalamus-hypophyseovaire, probablement à travers, entre autres, une diminution de la sensibilité à l’insuline. En outre, un rapport optimal entre chacune des adipokines est probablement important pour le fonctionnement de cet axe, ces adipokines ayant des effets très divers sur l’action de l’insuline. Enfin le rôle biologique que peuvent exercer ces adipokines dans la reproduction est très probablement très différent entre espèces.

Le « dialogue » entre tissu adipeux et le reste de l’organisme est en effet différent entre un homme, une souris, un bovin, une otarie, un poulet, une truite. Signalons par exemple que le génome de la poule ne contient pas de gène codant pour la résistine, et que l’on se pose sérieusement la question de l’existence du gène de la leptine dans cette même espèce.

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DISCUSSION

M. Jacques BATTIN

Comment peut-on concilier, deux modèles différents, chez les jeunes filles mauritaniennes gavées pour devenir obèses et être précocement pubères et nubiles, la leptine favorise la maturation accélérée de l’axe gonadotrope. Et, à l’inverse, les déficits en leptine ou en son récepteur, dans notre espèce, entraînent obésité et déficit gonadotrope. Il est difficile de faire des liens. Que faut-il en penser ?

Ce n’est pas le même modèle. Dans le cas des jeunes filles mauritaniennes, c’est l’augmentation précoce des niveaux de leptine, secondaire à une suralimentation qui est responsable d’une puberté précoce. Il est possible qu’avec l’âge, des problèmes de kystes ovariens surviennent comme c’est le cas de femmes obèses présentant une résistance à l’insuline. Dans le cas des déficits génétiques en leptine chez l’homme ou la souris, l’obésité et le déficit gonadotrope sont dûs à un manque primaire de leptine ou d’action
de la leptine, ce qui aboutit à une obésité parce que la leptine ne joue plus ses rôles satiétogène, métabolique et sur la reproduction.

M. Bernard SALLE

La leptine a un rôle sur le métabolisme osseux et agit spécifiquement sur l’ostéocloste. Ces sujets en surpoids ont une incidence moindre d’ostéoporose. Comment se comporte la souris OB/OB sur le plan osseux ?

Je ne sais pas si cela a été étudié, mais au-delà des effets directs de la leptine sur l’os, un sujet présentant un index de masse corporelle élevé aura également des teneurs sériques en stéroïdes élevées, ce qui aura de facto des conséquences importantes sur le métabolisme osseux.

M. Roger HENRION

Les adipocytes ont-ils tous les mêmes caractères et les mêmes fonctions ? Certaines femmes mangent beaucoup et restent minces alors que d’autres mangent peu et sont fortes, voire obèses.

On ne connaît pas le déterminisme génétique sous-jacent à cette variabilité, mais il est exact, et c’est connu depuis longtemps, que la graisse androïde a un impact plus délétère sur la fertilité que la graisse gynoïde. Les stéroïdes sont peut-être plus importants que la leptine dans ce phénomène.

M. Pierre GODEAU

Vous avez souligné la corrélation entre l’IMC et les taux des diverses hormones. Y a-t-il des discordances, dans le genre humain, entre la graisse profonde et la graisse sous-cutanée ?

Oui, et entre le gras androïde et la graisse gynoïde.

M. Jean CIVATTE

La graisse brune des animaux hibernants a-t-elle les mêmes effets biologiques que le tissu adipeux ‘‘ banal ’’ ?

La graisse brune des nouveau-nés et des animaux hibernant est surtout caractérisée par un découplage de la phosphorylation oxydative qui conduit non pas à la fabrication de l’ATP, mais à la production de chaleur. Ce découplage est dû aux protéines UCP, qui présentent des mutations chez des populations vivant dans les pays tropicaux.


* Physiologie de la Reproduction et des Comportements, UMR 6175 INRA-CNRS-Université de Tours — 37380 Nouzilly Tirés à part : Docteur Philippe Monget, même adresse

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 4, 637-648, séance du 1er avril 2008