Communication scientifique
Séance du 3 mars 2009

Thérapie cellulaire : les résultats en cardiologie

MOTS-CLÉS : cellules souches. defaillance cardiaque.. infarctus du myocarde
Cell therapy : results in cardiology
KEY-WORDS : heart failure.. myocardial infarction. stems cells

Philippe Menasché *

Résumé

Visant à redonner une fonctionnalité à des territoires myocardiques devenus akinétiques à la suite d’un infarctus, la thérapie cellulaire en cardiologie est déjà une réalité clinique comme l’atteste le nombre d’essais actuellement en cours. Ces études concernent soit les cellules musculaires squelettiques chez des patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche ischémique sévère, soit des cellules médullaires plus électivement réservées à des patients vus au stade aigu de l’infarctus, et bénéficiant dans le territoire greffé d’une revascularisation complémentaire par une technique interventionnelle. Si, globalement, ces techniques apparaissent bien tolérées, la question de leur efficacité reste incertaine. En effet, l’enthousiasme généré par les premiers essais de phase I doivent aujourd’hui être relativisés à la lumière des résultats plus mitigés des études randomisées récemment publiées. Ces études ont cependant déjà le mérite d’avoir permis d’identifier au moins deux problèmes essentiels (l’efficience modeste du transfert des cellules dans le tissu cardiaque et le taux élevé de leur mortalité post-greffe) dont la solution paraît un pré-requis pour que le bénéfice potentiel de la thérapie cellulaire soit optimisé. Par ailleurs, la plasticité des cellules adultes étant beaucoup plus limitée que ce que l’on pensait, leur capacité à donner naissance à de nouvelles cellules cardiaques est improbable et les bénéfices de la thérapie cellulaire procèdent avant tout d’effets paracrines conduisant à une modification favorable de la composition de la matrice extra-cellulaire, à une stimulation de l’angiogenèse et peut-être même au recrutement de cellules souches cardiaques. Toutefois, ni les cellules de la moelle ni les cellules musculaires ne remplissent le pré-requis à une véritable régénération cardiaque: un couplage électrique des cellules greffées avec les cardiomyocytes du receveur aboutissant à la formation d’un syncytium et permettant au greffon de se contracter de façon synchrone avec le cœur receveur et donc de contribuer efficacement à améliorer sa fonction contractile. Il est dont important de continuer à explorer d’autres pistes au sein desquelles les cellules souches embryonnaires tiennent une place dominante. Il est en effet bien établi que ces cellules, correctement pré-programmées vers une lignée cardiomyogénique, peuvent se différencier en véritables cardiomyocytes après implantation dans des zones d’infarctus et améliorer la fonction ventriculaire gauche. Bien que les problèmes à régler avant d’éventuelles utilisations cliniques restent nombreux, les cellules souches embryonnaires offrent aujourd’hui de réels espoirs en matière de régénération du myocarde.

Summary

Cell therapy is already a clinical reality, having restored function to postinfarct akinetic myocardial scars. Ongoing trials are testing skeletal myoblasts in patients with chronic left ventricular dysfunction, and bone marrow-derived cells are being tried in patients with acute myocardial infarction undergoing concomitant percutaneous revascularization by angioplasty and stenting. While these procedures appear to be safe, their efficacy is uncertain. Indeed, the enthusiasm generated by the first phase I studies has been tempered by the less successful outcomes of recently published randomised controlled phase II trials. At least these studies have the merit of highlighting two major issues —- the modest efficiency of cell transfer and the high rate of posttransplantation cell death — which need to be addressed if cell therapy is to hold its promise. Furthermore, it is becoming clear that the plasticity of adult somatic cells is likely to be much more limited than initially thought, and that the generation of new cardiomyocytes capable of ensuring true myocardial regeneration is still elusive. So far the documented effects of cell therapy are mainly due to a paracrine signaling action on the extracellular matrix, angiogenesis, or even recruitment of endogenous cardiac stem cells. Neither skeletal myoblasts nor bone marrow-derived cells meet the criteria required for true myocardial regeneration, i.e. electrical coupling between donor and recipient cells, leading to the formation of a syncytium and allowing the graft to beat in synchrony with the remainder of the heart and, thus, to effectively contribute to its pump function. We must therefore continue to explore other paths, notably using embryonic stem cells. If appropriately precommitted towards a cardiac lineage, these cells can differentiate into cardiomyocytes following engraftment into postinfarct scars, leading to improved left ventricular function. Although several hurdles stand in the way of routine clinical applications, there are serious reasons for hoping that these cells will eventually provide an effective means of repairing diseased myocardial tissue.

Neuf ans après la première greffe intra-myocardique de cellules souches musculaires dans le cœur d’un patient insuffisant cardiaque, il semble approprié de faire un premier bilan de la thérapie cellulaire dans ses indications cardiologiques.

Plusieurs facteurs compliquent cette tâche : le caractère parfois contradictoire des nombreuses publications sur le sujet, l’usage galvaudé de la formule « régénération myocardique » et les faux espoirs qu’il a induits, enfin l’évolution rapide et incessante des connaissances, rançon positive des moyens considérables alloués à la recherche sur la thérapie cellulaire.

On peut toutefois tenter de dresser un état des lieux et il est alors sans doute pertinent de le faire en fonction de l’indication clinique qui a motivé l’administration des cellules.

 

L’infarctus du myocarde au stade aigu représente la situation qui concentre à ce jour le plus grand nombre d’essais cliniques de thérapie cellulaire. La technique en est aujourd’hui bien standardisée : dans un délai variable (quelques heures à quelques jours) après la revascularisation de l’artère coupable par angioplastie souvent complétée d’une endoprothèse, les cellules mononuclées de la moelle du patient, prélevées par ponction de la crête iliaque, sont injectées dans la zone infarcie qui a été reperfusée.

De la très nombreuse littérature consacrée à cette indication, on peut dégager trois observations principales :

— La technique paraît sûre et ne semble entraîner aucune complication spécifique, notamment rythmique ou ischémique.

— Les études randomisées montrent que, dans l’ensemble, les patients qui ont reçu ces injections intra-coronaires de cellules médullaires ont des fractions d’éjection supérieures à celles des patients assignés aux groupes contrôles (qui n’ont d’ailleurs pas toujours comporté l’injection d’un liquide placebo). Cette augmentation est modeste, de l’ordre de 3 à 5 % et semble-t-il plus nette lorsque la fraction d’éjection initiale était basse. On peut certes s’interroger sur la signification clinique de ces chiffres qui conduisent aujourd’hui certains à penser que la thérapie cellulaire est peu efficace. Encore est-il juste de rappeler que dans le cadre des grands essais pharmacologiques qui ont conduit, sur la base de critères durs de morbi-mortalité, à l’utilisation de drogues telles que les bêta-bloquants ou les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les sous-études fonctionnelles ont à l’époque montré des améliorations de la fraction d’éjection qui n’étaient pas supérieures à cet ordre de grandeur. Plus préoccupante peut être est la constatation que les injections intra-coronaires de cellules de moelle ne semblent pas prévenir le remodelage ventriculaire gauche post-infarctus dont on sait pourtant qu’il est un facteur pronostique majeur. Cette observation est d’ailleurs paradoxale car expérimentalement, il est aujourd’hui bien établi que les cellules de moelle n’agissent pas par transformation en cellules cardiaques mais par sécré- tion de facteurs de croissance et de cytokines qui activent des voies endogènes cytoprotectrices notamment angiogéniques et anti-apoptotiques [2, 3]. Or tant l’augmentation de l’angiogénèse que la limitation de l’apoptose sont des élé- ments qui contribuent chez l’animal à réduire le remodelage. Il est possible que des facteurs spécifiques à la situation clinique viennent neutraliser cet effet bénéfique. Trois d’entre eux au moins ont été identifiés : la date du traitement, l’efficacité médiocre du transfert des cellules et l’extrême variabilité de leur fonctionnalité.

— La prise en compte de ces trois facteurs est importante car il existe aujourd’hui des raisons sérieuses de penser qu’elle peut déboucher sur des mesures concrètes permettant d’optimiser le bénéfice fonctionnel de ces greffes cellulaires. La date optimale de l’administration des cellules reste incertaine mais compte tenu du rôle des signaux émis par les tissus, elle joue sans doute un rôle important tant il est vrai que ces signaux ne seront pas les mêmes quelques heures après l’épisode aigu ou une semaine plus tard. Des essais sont actuellement en cours en Europe et aux Etats-Unis pour tenter de définir le moment auquel l’administration intra-coronaire des cellules a le plus de chance d’être efficace et ce point devrait donc être clarifié dans un avenir assez proche. Les conditions du transfert des cellules posent un problème plus difficile. On sait en effet aujourd’hui qu’après leur administration par cathétérisme, seules 2 % à 3 % d’entre elles persistent dans le myocarde au bout de quelques heures [4]. Des efforts importants sont donc faits pour essayer d’améliorer cette prise de greffe en intervenant soit sur les cellules elles mêmes avant leur injection soit sur le myocarde receveur, l’idée sous-jacente étant de faire surexprimer les facteurs qui interviennent dans l’attraction des cellules circulantes vers les zones ischémiques [5]. Dans la perspective d’une utilisation clinique qui doit nécessairement rester simple et facilement accessible, il faut cependant se méfier de manipulations, notamment génétiques, complexes et à la sécurité parfois incertaine et peut-être privilégier des pistes reposant davantage sur les avancées technologiques telles ce cathéter muni d’une micro-aiguille latérale qui permet des injections non plus intra- mais péri-vasculaires. Le problème de la fonctionnalité des cellules est enfin celui qui reste à ce jour le plus complexe à régler. Comme il a été dit plus haut, on sait en effet que ces cellules agissent par des mécanisme paracrines qui impliquent la sécrétion de diverses cytokines activant des voies endogènes cytoprotectrices. Or, le paradoxe est que la fonctionnalité des cellules de moelle est altérée, de façon variable, chez les patients présentant une cardiopathie ischémique, c’est à dire précisément chez ceux qui auraient besoin des cellules les plus performantes [6, 7]. Cette fonctionnalité variable explique d’ailleurs sans doute en bonne part les discordances qui existent dans les résultats des séries cliniques. Expérimentalement, on peut tester ex vivo la fonctionnalité des cellules de moelle et corriger éventuellement un déficit par un procédé pharmacologique ou génétique. Dans la pratique clinique, une telle approche se heurterait naturellement à de grandes difficultés logistiques qui rendent sa mise en œuvre pour le moins problématique.

L’idéal serait donc de disposer de cellules fonctionnellement compétentes, stockées dans une banque et immédiatement disponibles. L’inconvénient majeur de cette approche, scientifiquement logique et économiquement intéressante, est que le caractère nécessairement allogénique des cellules conduirait à des phénomènes de rejet sauf à utiliser des drogues immunosuppressives, ce qui n’est pas réaliste dans un tel contexte. C’est de ces observations que découle principalement l’intérêt porté aux cellules souches mésenchymateuses, qu’elles soient issues de la moelle sanguine ou du tissu adipeux. En effet, ces cellules peuvent être facilement extraites et cultivées en grand nombre, elles sécrètent également des quantités abondantes de cytokines cytoprotectrices mais surtout elles sont créditées d’un « privilège » immunologique qui permettrait leur utilisation dans un contexte allogénique sans pour autant provoquer de réaction de rejet [8].

Leur utilisation clinique dans le contexte de l’infarctus du myocarde a été récemment initiée par une étude menée aux Etats-Unis et qui a comporté l’injection intraveineuse de ces cellules avec des résultats jugés encourageants mais qui en réalité ne sont guère concluants. En effet, cette administration intraveineuse entraîne sans doute une telle rétention extra-cardiaque (poumon notamment) qu’il n’en arrive pratiquement plus dans les zones ischémiques du myocarde. Une injection intra-coronaire directe paraît dans ces conditions plus satisfaisante mais certains hésitent encore en raison de la taille relativement importante de ces cellules et des phénomènes d’obstruction capillaire qui peuvent résulter de leur administration artérielle coronaire. Il semble néanmoins que ces difficultés puissent être surmontées par un choix approprié de la dose de cellules et l’encadrement de la thérapie cellulaire par un traitement antithrombotique robuste [9]. Il n’est pas douteux qu’il s’agit là d’un champ d’investigations important. S’il est vraiment établi que ces cellules sont immunologiquement tolérées et qu’elles sont injectables en intra-coronaire sans danger, leur utilisation pourrait représenter un réel acquis thérapeutique.

La situation de l’angor réfractaire est proportionnellement plus simple. L’objectif essentiel assigné aux cellules est en effet ici d’augmenter l’angiogénèse et de contribuer ainsi à soulager les symptômes ischémiques chez des patients qui ont épuisé les techniques conventionnelles de revascularisation. De ce point de vue, l’utilisation des cellules de moelle, dont on a déjà dit qu’elles étaient des sources importantes de cytokines angiogéniques paraît tout à fait logique. Plus d’ailleurs que les cellules mononuclées dans leur ensemble, certains progéniteurs endothéliaux (cellules CD34+) ou les cellules souches mésenchymateuses représentent potentiellement de meilleurs candidats pour ce type de thérapie. Le problème de l’administration est également plus simple puisque dans ce contexte chronique les cellules peuvent être administrées directement dans le myocarde par cathétérisme endoventriculaire gauche en s’aidant des systèmes de navigation électro-mécanique qui permettent le repérage des zones ischémiques et nécrosées. Les résultats préliminaires obtenus par une équipe américaine avec cette administration endoventriculaire gauche de progéniteurs CD34+ sont très encourageants et l’on attend maintenant avec impatience la fin de l’essai prospectif randomisé qu’ont initié ces investigateurs pour savoir si les promesses de cette thérapie cellulaire à visée angiogénique seront réellement tenues.

Il n’est par ailleurs pas impossible que ces progéniteurs sélectionnés (CD34+ ou CD133+) se révèlent également plus efficaces que les cellules mononuclées non fractionnées utilisées à ce jour dans l’infarctus du myocarde ; des essais en cours devraient clarifier cette question.

A l’opposé, le problème de l’insuffisance cardiaque est infiniment plus complexe.

L’objectif, ambitieux et dont nul ne peut dire s’il sera un jour atteint, est en effet de repeupler les zones fibreuses de myocarde par des cellules contractiles susceptibles de s’intégrer fonctionnellement c’est à dire d’établir des connexions électromécaniques avec les cardiomyocytes du receveur telles qu’il y ait une contraction greffon/hôte synchrone et donc une contribution directe des cellules greffées à la contraction cardiaque. A ce jour, force est de reconnaître que cet objectif n’a été atteint ni par les cellules souches musculaires (myoblastes) ni par celles de la moelle.

 

Les études menées avec les cellules musculaires, administrées par cathéter ou au cours de pontages coronaires, n’ont pas montré d’amélioration significative de la fonction cardiaque même si dans l’essai chirurgical que nous avons conduit (MAGIC), l’injection intra-myocardique directe des myoblastes à la plus forte dose a entraîné une diminution significative du remodelage ventriculaire par rapport au groupe placebo [12]. Les résultats obtenus avec les cellules médullaires dans cette indication sont encore plus décevants [13]. L’explication la plus probable est que les cellules adultes étant incapables de se transformer en cardiomyocytes, elles n’agissent que par des effets paracrines qui, dans ce contexte particulier, sont insuffisants pour entraîner une amélioration significative de la contractilité cardiaque. La conclusion logique est donc qu’une telle amélioration ne pourra être obtenue que si nous sommes en mesure d’implanter des cellules capables de se substituer aux cardiomyocytes perdus. Or, d’un point de vue pratique, le choix est ici limité. Certes, plusieurs études expérimentales ont décrit l’existence d’un réservoir de cellules souches cardiaques. Toutefois leur existence chez l’homme et notamment l’insuffisant cardiaque, est à ce jour plus que douteuse et l’exploitation thérapeutique de ces cellules souches endogènes est à ce jour un vœu pieux. La solution qui semble ici la plus prometteuse est l’emploi de cellules souches embryonnaires. On sait en effet qu’à un stade très précoce ces cellules sont pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent donner naissance à tous les tissus de l’organisme. Au prix d’un traitement désormais mis au point et finalement assez simple, il est donc possible de les orienter dans une voie cardiogénique et de nombreuses études expérimentales montrent aujourd’hui de façon convaincante que l’injection de ces progéniteurs cardiaques dans les zones infarcies entraîne leur réelle différenciation en cardiomyocytes fonctionnellement efficaces [15, 16]. La loi Française (qui sera prochainement rediscutée) autorise depuis 2004 l’évaluation de ces cellules, issues d’embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental, mais auquel est souvent associé le risque de tumeur, notamment par ceux qui pour des raisons éthiques en condamnent l’usage. Il convient ici de souligner que ce risque existe effectivement lorsque les cellules sont utilisées à l’état indifférencié, ce qui naturellement n’a aucune pertinence clinique.

En revanche, dès lors qu’elles ont été orientées dans une voie donnée et correctement sélectionnées de manière à éliminer le contingent de cellules qui resterait peu ou pas différencié, ce risque tumoral n’a pas été observé chez l’animal. Ainsi avons-nous pu identifier un marqueur membranaire (SSEA-1 ou CD15) qui caractérise les cellules en voie de différenciation ; l’utilisation d’un anticorps anti-CD15 permet ainsi de sélectionner une population de progéniteurs cardiaques dont l’injection dans des zones d’infarctus, chez le rat ou le primate non humain, permet la différenciation en cardiomyocytes exprimant, notamment, les protéines de jonction inter-cellulaire, sans aucune dérive tumorale. Le facteur limitant majeur est en fait l’immunogénicité de ces dérivés différenciés, encore incomplètement caractérisée, et leur utilisation clinique dans des conditions acceptables dépendra sans doute largement de la capacité à développer des stratégies d’immuno-suppression ou, mieux, d’immunomodulation permettant d’orienter favorablement le rapport bénéfice-risque [17, 18].

 

Enfin, dernières arrivées dans ce domaine des cellules souches, les cellules pluripotentes induites suscitent actuellement un intérêt considérable [19, 20]. Il s’agit de cellules adultes souvent cutanées, plus récemment capillaires, qui ont été reprogrammées pour devenir quasiment identiques à des cellules souches embryonnaires, l’avantage principal mis en exergue étant qu’elles n’impliquent pas la destruction d’un embryon (précisons toutefois que la loi Française prévoit qu’en l’absence de projet parental, les embryons surnuméraires doivent de toutes façons être détruits au bout de cinq ans). Ces cellules pluripotentes induites posent toutefois des problèmes importants qui rendent assez peu probables une utilisation clinique à brève échéance : le rendement de cette technique reste encore assez faible ; même si des travaux récents montrent que la transfection rétrovirale des quatre gènes initialement décrits (dont un proto-oncogène) peut être remplacée par des petites molé- cules, l’inocuité clinique de ces dernières reste à établir ; la stabilité génétique et épigénétique de ces cellules reprogrammées n’est pas non plus complètement caractérisée et la fonctionnalité in vivo des cardiomyocytes qui en seraient dérivés ne l’est pas davantage. En réalité, l’avantage majeur que présenteraient ces cellules est qu’elles pourraient être isolées du patient lui même, évitant ainsi les problèmes de rejet inhérents à l’emploi de cellules souches embryonnaires allogéniques. Cette vision quelque peu idyllique d’une médecine personnalisée doit cependant être tempérée en raison des contraintes logistiques et économiques qu’elle implique.

Il est enfin important de souligner que quelle que soit l’efficacité du type cellulaire qui sera en définitive utilisé, il est illusoire d’en espérer un bénéfice réel si l’on est pas capable d’améliorer l’efficience du transfert des cellules et leur survie après implantation. De ce point de vue, le concept est en train d’évoluer progressivement d’une administration isolée de cellules en suspension vers une stratégie associant aux cellules les éléments du soutien matriciel et vasculaire indispensables à la différenciation et à la survie du greffon cellulaire. De nombreuses approches sont ici possibles qui utilisent des biomatériaux (sur lesquels les cellules sont ensemencées ou dans lesquelles elles sont incorporées) et/ou des facteurs inducteurs d’angiogenèse (gènes, protéines ou même autre type cellulaire). Dans le cadre des utilisations chirurgicales qui nous concernent, nous nous sommes ainsi orientées vers des feuilles de cellules souches mésenchymateuses dont la cohérence est assurée par la matrice extra-cellulaire qu’elles ont elles-mêmes secrétée par une phase initiale de culture sur des polymères thermo-sensibles [21]. Les progéniteurs cardiaques issus de cellules souches embryonnaires sont déposés sur ces feuilles, l’hypothèse étant que les cellules souches mésenchymateuses voisines assurent leur support trophique et notamment angiogénique. Ces feuilles composites sensibles sont alors simplement posées sur la zone pathologique du cœur à laquelle elles adhèrent spontané- ment, sans colle ni suture. Ainsi sont évités les inconvénients de la technique conventionnelle d’injection : distribution aléatoire et peu reproductible des cellules, effraction du tissu myocardique potentiellement arythmogène, apoptose par perte de l’ancrage naturel des cellules à leur matrice [22]. Les premiers résultats expérimentaux obtenus confirment l’intérêt de cette nouvelle approche. Toutes ces tech- niques ayant pour finalité l’augmentation du nombre de cellules vivantes, il est cependant évident que leur évaluation optimale requiert le développement parallèle de méthodes d’imagerie des cellules souches permettant d’en suivre le devenir in vivo et dans ce domaine, aucune n’est aujourd’hui véritablement satisfaisante [23, 24].

Si il y a trente ans devant les résultats plus que décevants de la transplantation cardiaque, la résignation l’avait emporté sur l’enthousiasme, la cyclosporine n’aurait jamais vu le jour et avec elle l’amélioration spectaculaire des résultats de cette intervention qui reste encore dans de nombreux cas salvatrice. Il est permis de penser que la thérapie cellulaire cardiaque en est aujourd’hui à peu près au même stade. Son rejet aujourd’hui par certains est aussi excessif et injustifié que l’a été l’enthousiasme parfois incontrôlé qui a entouré les premiers essais. Même si les résultats cliniques ne sont pas à ce jour spectaculaires, des exemples tirés d’autres domaines de la médecine, en particulier les greffes de moelle et les greffes de peau, indiquent clairement que des cellules peuvent par elles-mêmes avoir des effets thérapeutiques. L’expérience accumulée au cours des dernières années a indiscutablement permis d’identifier les facteurs qui limitent encore les bénéfices de la thérapie cellulaire et donc les pistes de recherche qu’il convient de poursuivre si l’on veut pouvoir régler ces problèmes. Compte tenu des moyens humains et matériels considérables alloués à cette médecine dite régénératrice (mais qui n’en a encore que le nom) il semble raisonnable de penser que la transplantation cellulaire aura un jour sa place au sein de l’arsenal thérapeutique offert aux patients présentant une pathologie cardiaque aiguë ou chronique.

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DISCUSSION

M. Yves GROSGOGEAT

Les cellules mésenchymateuses injectées ont-elles les ultra structures de myocytes authentiques avec cyto-squelette, réticuleur sarcoplasmique, tight-jonctions protéines filamentaires ? Quelles sont leurs propriétés electrophysiologiques ?

Les cellules mésenchymateuses n’ont pas les caractéristiques de cardiomyocytes. En revanche, les progéniteurs cardiaques dérivés de cellules souches embryonnaires finissent après implantation dans les zones d’infarctus de se différencier en cardiomyocytes qui présentent notamment des structures sarcomériques tout à fait typiques. Par ailleurs, les études électrophysiologiques que nous avons menées confirment que l’existence des protéines de jonction identifiées par immunomarquage se traduisent par un couplage fonctionnel entre ces cellules progénitrices et les cardiomyocytes natifs.

Mme Monique ADOLPHE

En thérapie cellulaire cardiaque avez-vous fait des essais de traitement par plusieurs types cellulaires puisque le cœur est constitué de plusieurs types (fibroblastes cardiaques et cardiomyocytes par exemple)

Quelques études ont déjà validé l’intérêt de co-transplanter deux types cellulaires diffé- rents, l’un d’entre eux étant généralement destiné à assurer le support trophique et notamment angiogénique des cellules co-transplantées. Dans notre expérience par exemple, la co-transplantation de cellules cardiaques dérivées de cellules souches embryonnaires humaines et de cellules souches mésenchymateuses améliore la récupération fonctionnelle par rapport à la transplantation de chaque type cellulaire isolément.

M. Jean SASSARD

Peut-on imaginer d’utiliser les méthodes de la thérapie cellulaire en même temps que les techniques chirurgicales classiques de revascularisation lorsque qu’on s’adresse à un ventricule en mauvais état ?

On peut parfaitement imaginer l’addition de la thérapie cellulaire à des techniques chirurgicales plus conventionnelles et cette association est susceptible d’occuper une place non négligeable dans le traitement des cardiopathies ischémiques. C’est d’ailleurs ce que nous avons réalisé dans l’essai MAGIC où les cellules souches musculaires ont été injectées dans le myocarde au cours d’intervention de pontages coronaires.

M. Yves CHAPUIS

Le type de sonde intra-coronarienne armée d’aiguilles pénétrant le myocarde ne soulève-t-il pas la même question ?

Le cathéter auquel il est fait allusion permet effectivement une injection non pas intramais péri-vasculaire des cellules qui peut s’envisager isolément ou en complément d’une procédure de revascularisation conventionnelle par angioplastie et endoprothèse.

 

<p>* Chirurgie cardiovasculaire, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20, rue Leblanc — 75908 Paris, Université Paris Descartes, Inserm U633 — Paris Tirés à part : Professeur Philippe Menasché, même adresse Article reçu le 17 février 2009, accepté le 2 mars 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 3, 559-569, séance du 3 mars 2009