Communication scientifique
Séance du 15 janvier 2002

Thérapie cellulaire : autogreffe de myoblastes

MOTS-CLÉS : autogreffe.. histothérapie (muscle strié). insuffisance cardiaque. transplantation cellulaire
Cellular therapy : myoblast autotransplantation
KEY-WORDS : cell transplantation.. hearth failure, congestive

Ph. Menasché

Résumé

La transplantation de cellules musculaires squelettiques (myoblastes autologues) dans une cicatrice d’infarctus a pour objectif de restaurer une certaine fonctionnalité des zones akinétiques et de contribuer ainsi à l’amélioration du pronostic chez des patients présentant des insuffisances cardiaques ischémiques sévères. Le bien fondé de ce concept repose sur de multiples études expérimentales et les résultats préliminaires d’un essai clinique de phase 1. De nombreuses questions restent toutefois en suspens : analyse comparative des myoblastes par rapport à d’autres types cellulaires, notamment les cellules souches de la moelle ; optimisation des techniques d’injection et de la survie des cellules après leur implantation ; mécanismes par lesquels le tissu ainsi greffé affecte la fonction cardiaque et extension possible de la technique aux cardiopathies non ischémiques. Seules des études cliniques méthodologiquement rigoureuses, fondées sur des arguments expérimentaux déjà solides, permettront de répondre à ces questions et de mieux situer la place de la thérapie cellulaire dans l’arsenal des moyens dont nous disposons déjà pour traiter l’insuffisance cardiaque grave.

Summary

Transplantation of autologous skeletal muscle cells (myoblasts) into post-infarction scars is intended to restore some functionality in these akinetic areas. This concept is now validated by a large number of experimental studies and the preliminary results of a phase 1 human trial. Several issues however still need to be addressed : critical analysis of myoblasts in comparison with other cell types, in particular bone marrow stem cells ; optimization of delivery techniques and cell survival following engraftment ; mechanisms by which transplanted cells may affect overall cardiac function and possible extension of the indications to non ischemic cardiomyopathies. Only carefully controlled clinical studies, based on sound experimental data, will allow to address these questions and to define the place cell therapy may have within our armamentarium of techniques designed to ameliorate the prognosis of patients with severe heart failure.

Tissue therapy (muscle, skeletal). Transplantation.

Il est sans doute inutile d’insister sur l’importance qu’a prise aujourd’hui l’insuffisance cardiaque tant sur le plan médical que financier (1 à 2 % du budget de la santé dans les pays occidentaux). La fréquence de cette pathologie augmentant avec l’âge, cette importance ne peut aller qu’en s’amplifiant dans les années qui viennent en raison du vieillissement de la population. Certes, ces dernières années ont vu se développer des améliorations thérapeutiques majeures. Toutefois, qu’elles soient fondées sur des drogues, la resynchronisation bi-ventriculaire ou les techniques chirurgicales de remodelage ventriculaire gauche, ces diverses innovations thérapeutiques ont des limites qui justifient la recherche incessante de pistes nouvelles. Cette recherche est d’autant plus importante qu’il y a peu de neuf à attendre de ce qui fut et reste le traitement radical de l’insuffisance cardiaque grave, c’est-à-dire la transplantation cardiaque dont les limites, aujourd’hui bien connues, ont conduit à une stabilisation, voire à une diminution des indications. C’est donc dans le cadre de ces options thérapeutiques nouvelles que se situe la thérapie cellulaire.

PRINCIPE DE LA THÉRAPIE CELLULAIRE

Le principe général de la thérapie cellulaire est la recolonisation des cicatrices fibreuses akinétiques postinfarctus par des cellules contractiles avec l’espoir qu’elles puissent s’intégrer dans le tissu hôte et y restaurer une certaine fonctionnalité.

Conceptuellement, cet objectif peut être atteint de trois façons différentes. Une première approche consiste en une multiplication des cardiomyocytes restants afin d’augmenter le nombre d’éléments contractiles. Cette stratégie a pendant longtemps été considérée comme irréaliste, car la cellule cardiaque adulte humaine est en principe différenciée de façon terminale et a, par conséquent, perdu la capacité de proliférer. Ce dogme a été remis en question par quelques études expérimentales et anatomopathologiques récentes suggérant que les cellules cardiaques avaient en réalité conservé une capacité de réentrer dans un cycle mitotique. Ces observations sont importantes sur le plan cognitif, car une meilleure compréhension de la biologie du développement cardiaque pourrait conduire à identifier des facteurs de différenciation susceptibles d’applications thérapeutiques. Toutefois, la pertinence clinique de ces travaux reste aujourd’hui limitée, car le degré de prolifération cellulaire observé est très insuffisant pour compenser la perte des cardiomyocytes résultant de l’infarctus initial responsable de l’insuffisance cardiaque. La seconde stratégie est fondée sur la transformation des fibroblastes constituant la cicatrice fibreuse en cellules contractiles. Théoriquement, cet objectif peut être réalisé par transfection d’un gène engageant les cellules dans une voie de différenciation
myogénique. Bien que cette approche ait fait l’objet de résultats expérimentaux encourageants, elle reste limitée par de nombreux problèmes qui s’apparentent naturellement à ceux de la thérapie génique et rendent quelque peu sceptique sur une application clinique prochaine. La troisième stratégie consiste à transplanter des cellules contractiles dans la cicatrice fibreuse. A défaut d’être la plus simple, cette approche est sans doute la plus réaliste et c’est donc elle qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux expérimentaux et d’un essai clinique préliminaire. La présente revue se concentrera donc sur cette dernière option.

VALIDATION DU CONCEPT

Tant chez le petit que chez le gros animal, des modèles d’infarctus du myocarde créés par ligature coronaire, embolisation endocoronaire ou lésion thermique ont permis d’établir que la transplantation de cellules contractiles, c’est-à-dire de cardiomyocytes fœtaux (et néonataux) ou de cellules musculaires satellites dans le tissu cicatriciel permettait une prise effective de la greffe et une amélioration de la fonction.

La preuve de cette « prise de greffe » a été apportée par différentes techniques dépendantes du type de cellules implantées. Les cardiomyocytes fœtaux s’intégrant structurellement dans le myocarde receveur, leur identification ultérieure nécessite la transfection des cellules, avant la transplantation, par des gènes codant pour la β-galactosidase (qui colore les cellules en bleu) ou une analyse immunohistochimique des cœurs explantés visant à détecter l’alpha-actine du muscle lisse qui est normalement présente dans les cardiomyocytes fœtaux, mais non adultes.

Dans nos travaux, nous avons plutôt utilisé le chromosome Y comme marqueur génétique de cellules mâles implantées dans des cœurs d’animaux femelles [1]. Les cellules musculaires satellites ou myoblastes sont plus faciles à repérer car elles se différencient en myotubes multi-nucléés typiques qui peuvent être identifiés histologiquement et caractérisés par un marquage positif à des anticorps spécifiques de la myosine du muscle squelettique. En fait, les myotubes intra-myocardiques présentent un phénotype composite dans la mesure où ils co-expriment une myosine embryonnaire, rapide et lente et, par analogie avec ce qui a été observé après cardiomyoplastie dynamique, on peut concevoir que l’étirement et/ou la stimulation électromécanique répétée induisent une reprogrammation des myoblastes ainsi implantés vers l’expression d’un phénotype lent et donc mieux adapté aux conditions de charge auxquelles sont soumises ces cellules une fois implantées dans un tissu myocardique. En revanche, il ne semble pas exister de différenciation induite par l’environnement, dans la mesure où les cellules musculaires implantées conservent une apparence typique de muscle squelettique et n’expriment aucun des marqueurs spécifiques de la cellule cardiaque. Une différence importante entre les cardiomyocytes et les myoblastes est leur mode de couplage avec les cellules du tissu-hôte. Les cellules cardiaques normales communiquent par des disques intercalaires qui contiennent le fascia adheren s et des jonctions communicantes, respon-
sables du couplage mécanique et électrique, respectivement. Toutefois, alors que les cellules cardiaques fœtales greffées forment effectivement des jonctions communicantes détectables par des anticorps spécifiques avec les cardiomyocytes du tissu receveur, tel n’est pas le cas des myoblastes squelettiques [2]. Cette observation a naturellement des implications importantes quant au mécanisme par lequel les myoblastes peuvent améliorer la fonction cardiaque ; elles sont discutées plus loin.

La preuve des bénéfices fonctionnels de la transplantation cellulaire a été apportée par des techniques ex vivo (perfusion de cœur isolé) et in vivo (échocardiographie, sonomicrométrie). Dans leur ensemble, les résultats indiquent que la transplantation de cardiomyocytes fœtaux et de myoblastes squelettiques dans les cicatrices d’infarctus améliore la fonction ventriculaire à la fois globale et régionale, comme en témoigne une préservation des indices de contractilité et une diminution du remodelage ventriculaire [3, 4]. Les résultats que nous avons obtenus dans un modèle d’infarctus créé par voie endovasculaire chez le mouton, suggèrent que la réduction de la taille de la cicatrice pourrait être liée à une régression de la fibrose au profit des myotubes nouvellement formés [5]. Sur ce même modèle, l’imagerie par doppler tissulaire montre une augmentation des gradients de vélocité en systole comme en diastole à travers les segments infarcis greffés, apportant ainsi une preuve plus directe de la contribution des cellules transplantées à l’amélioration globale de la fonction. Cette relation de causalité était d’ailleurs déjà suggérée par les résultats de Taylor et collaborateurs [3] qui, sur leur modèle de lésion thermique chez le lapin, montraient que l’amélioration de la fonction après greffe de myoblastes autologues n’était observée que dans les cas où l’incorporation intra-myocardique des cellules avait été couronnée de succès. Dans une perspective clinique, il est enfin important de noter que l’amélioration fonctionnelle consécutive à la transplantation de myoblastes est additive de celle induite par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

Cette amélioration est étroitement dépendante du nombre de cellules injectées, ce qui a naturellement des implications dans une perspective clinique [6].

Une dernière question importante est de déterminer la durée pendant laquelle les bénéfices fonctionnels de la transplantation cellulaire peuvent s’exercer. De ce point de vue, les résultats que nous avons obtenus après un an, à la fois chez le rat et le mouton, sont encourageants, dans la mesure où ils indiquent que l’amélioration fonctionnelle constatée deux mois après la greffe se maintient inchangée au bout d’un an. A cette date, l’explantation des cœurs permet d’y retrouver les myotubes et l’expression par ces fibres d’une myosine lente est cohérente avec une résistance des cellules musculaires implantées à la fatigue et donc à leur capacité de supporter une activité mécanique de type cardiaque au long cours. Si l’essentiel de ces données provient de modèles d’infarctus du myocarde, il est intéressant de noter que certains travaux préliminaires suggèrent également un bénéfice fonctionnel de la transplantation de cardiomyocytes fœtaux et de myoblastes squelettiques dans des modèles de cardiopathie, non plus segmentaire, mais globalement dilatée.

CHOIX DES CELLULES

Le prérequis pour que les cellules implantées améliorent la fonction cardiaque est qu’elles aient des propriétés contractiles [7]. Les fibroblastes par exemple, peuvent améliorer la performance diastolique, mais sont incapables d’augmenter la fonction systolique. Il en est de même des cellules musculaires lisses. Les cellules contractiles regroupent dans la pratique deux grandes catégories : les myoblastes squelettiques et les cellules souches de la moelle. En effet, bien que les cardiomyocytes fœtaux soient par essence des cellules contractiles qui ont d’ailleurs permis d’établir historiquement le bien-fondé du concept de transplantation cellulaire, leur utilisation clinique pose des problèmes majeurs d’éthique, de disponibilité et d’immunogénicité qui les rendent finalement peu attractives.

Les cellules musculaires satellites ou myoblastes sont normalement présentes à l’état quiescent, sous la membrane basale des fibres musculaires. Lorsque celles-ci sont endommagées, elles sont rapidement mobilisées, prolifèrent et fusionnent pour assurer la régénération des fibres lésées. Du point de vue clinique, l’utilisation de ces myoblastes offre de nombreux avantages :

— une origine autologue qui élimine tout problème immunologique et par consé- quent toute nécessité d’un traitement immunosuppresseur ;

— le développement de procédures d’expansion permettant d’obtenir un grand nombre de ces cellules à partir d’une petite biopsie musculaire ;

— une programmation exclusivement myogénique qui rend extrêmement faible, pour ne pas dire quasiment nul, le risque tumoral ;

— une forte résistance à l’ischémie, caractéristique fondamentale compte tenu de l’environnement hostile (une cicatrice fibreuse peu vascularisée) dans lequel ils seront implantés.

Nos résultats expérimentaux ont montré que bien que ces myoblastes squelettiques ne communiquent pas avec les cardiomyocytes de l’hôte par les « gap junctions » classiques, ils permettent une amélioration fonctionnelle identique à celle observée après greffe de cellules cardiaques fœtales [8] et cette observation a été fondamentale dans notre choix d’utiliser ces cellules dans une perspective clinique. Toutefois, ces myoblastes restant fidèles à leur programmation myogénique, il est tout à fait concevable que leurs performances contractiles pourraient être améliorées par une transfection préalable par des gènes codant pour des protéines cardio-spécifiques, notamment celles impliquées dans le couplage excitation — contraction. Les candidats potentiels incluent notamment la connexine 43 et les récepteurs membranaires aux dihydropyridines de type cardiaque.

Les cellules souches de la moelle sont également attractives pour 2 raisons principales :

— elles partagent avec les myoblastes la possibilité d’être utilisées comme autogreffes ;

— au contraire de ces cellules musculaires, elles ont une plasticité qui peut conduire à leur différenciation cardiomyogénique et/ou endothéliale.

En dépit de l’enthousiasme qu’elles suscitent actuellement, ces cellules souches posent de nombreux problèmes non résolus qui tiennent autant au concept luimême qu’à leur technique de préparation. Les problèmes conceptuels sont de trois types :

— il n’est pas absolument certain que la pluri-potentialité de ces cellules leur permette de se transformer véritablement en cardiomyocytes. Des données très récentes indiquent même que ces cellules sont incapables d’exprimer les marqueurs véritablement spécifiques de la cellule cardiaque ;

— si une telle trans-différenciation se produit néanmoins, il semble qu’elle ne puisse concerner qu’un nombre limité de cellules et il n’est dès lors pas certain qu’on puisse en attendre une réelle amélioration fonctionnelle ;

— enfin, il est vraisemblable que le moment auquel ces cellules sont injectées dans le cœur, joue un rôle essentiel pour leur évolution. En effet, s’il est concevable que des cellules souches de la moelle implantées très précocement après un infarctus trouvent, dans un tissu encore largement ischémique, des signaux susceptibles d’orienter leur différenciation en cellules cardiaques ou endothéliales, une telle évolution paraît nettement moins probable si l’injection se fait au stade plus tardif de la cicatrice fibreuse. Il existe même alors le risque de voir ces cellules souches médullaires se transformer en fibroblastes.

Du point de vue strictement technique, on peut également distinguer 3 problèmes majeurs :

— le choix des cellules : la moelle est en effet un milieu complexe et on peut envisager de l’utiliser soit dans son ensemble, soit après avoir sélectionné les cellules mésenchymateuses ou stromales ou au contraire les cellules progénitrices des lignées hématopoïétiques, dont on sait qu’elles partagent un ancêtre commun avec les cellules vasculaires endothéliales. Chacun de ces types cellulaires a été testé expérimentalement sur des modèles d’infarctus du myocarde avec des résultats dans l’ensemble encourageants, qui tendent à montrer une augmentation de l’angiogenèse et de la fonction cardiaque [9]. Il faut cependant souligner que, notamment pour ce qui concerne les injections intra-myocardiques de cellules souches hématopoïétiques, la transplantation s’est faite dans les heures qui suivent l’infarctus [10] et qu’on est par conséquent là dans un cadre qui s’apparente davantage à la prise en charge du syndrome coronarien aigu que de l’insuffisance cardiaque chronique ;

— les modifications pré-implantatoires des cellules : l’utilisation de la moelle totale correspond naturellement à l’approche la plus simple, puisque après biopsie
osseuse et centrifugation visant à éliminer globules rouges et plaquettes, les cellules sont immédiatement réinjectées dans la zone infarcie. Des données cliniques tout à fait préliminaires ont été récemment rapportées par une équipe japonaise. Elles indiquent davantage une augmentation, au demeurant inconstante, de la perfusion myocardique (d’autant plus difficile à juger dans cet essai qu’un pontage coronaire a été associé) qu’une amélioration franche de la fonction cardiaque. Pour séduisante qu’elle soit (la biopsie osseuse peut en effet se faire dans le même temps que le pontage puisqu’il n’y a aucune culture), cette approche reste incertaine quant à sa réelle efficacité fonctionnelle. Si l’on opte en revanche pour l’utilisation des cellules stromales, il est alors nécessaire de les cultiver en présence d’un composé qui induit déjà leur différenciation vers des cellules supposées cardiaques, la 5-azacytidine. Le problème dans le cas d’une utilisation clinique est alors celui d’une toxicité éventuelle de ce produit susceptible de déréprimer l’expression de multiples gènes avec des conséquences encore incertaines. Si enfin, on choisit la troisième approche, c’est-à-dire l’utilisation des cellules progénitrices des lignées hématopoïétiques, il faut d’abord sélectionner la sous-population qui paraît la plus appropriée, puis résoudre le problème de l’expansion. En effet, ces cellules souches hématopoïétiques représentent un pourcentage très faible de la population globale des cellules médullaires (au maximum 2 %). On ignore encore s’il suffit d’injecter une très petite quantité de cellules avec l’espoir qu’elles se multiplieront in vivo ou s’il faut d’abord en augmenter le nombre par une phase d’expansion in vitro avec alors le risque de les voir perdre une partie de la plasticité qui fait leur intérêt ;

— le choix des sites de prélèvement et de réinjection : si la première approche consiste à prélever les cellules souches dans la moelle elle-même, la constatation de progéniteurs circulants conduit à s’interroger sur l’intérêt d’un prélèvement sanguin, naturellement plus simple et moins invasif, avec éventuellement mobilisation préalable de ces progéniteurs par une cytokine qui permettrait d’en augmenter substantiellement le nombre. Quant à la réinjection des cellules, si elle s’est principalement faite par voie directe, intra-myocardique, elle a aussi été proposée par voie simplement périphérique, intraveineuse [11], avec l’hypothèse sous-jacente que les signaux émis par le tissu ischémique pourraient conduire les progéniteurs circulants à venir s’y loger de façon préférentielle. Ce concept est très séduisant, trop peut-être, et demande à être sérieusement validé dans les situations expérimentales cliniquement pertinentes, avant qu’on puisse affirmer qu’il est véritablement susceptible de permettre une régénération myocardique.

On rappellera, en effet, qu’une mobilisation des progéniteurs hématopoïétiques dans le sang circulant a été observée chez des patients présentant un infarctus du myocarde sans qu’on puisse faire la preuve que ce mécanisme compensateur avait un quelconque effet bénéfique.

Les considérations qui précèdent n’ont pas pour objet de prôner l’utilisation exclusive des myoblastes squelettiques qui ne représentent d’ailleurs sans doute qu’une première étape sur une voie encore longue. Elles visent simplement à tempérer
l’enthousiasme parfois excessif suscité par les cellules souches et à insister sur les problèmes qui restent à résoudre pour concilier au mieux attractivité du concept et applicabilité clinique. Il en va de même pour les cellules souches embryonnaires qui, elles, posent des problèmes non seulement techniques mais également éthiques, dont la complexité échappe au cadre de cette revue.

VOIE D’ADMINISTRATION DES CELLULES

Dans la plupart des études expérimentales, ainsi qu’au cours de notre essai clinique chez l’homme, les injections de cellules ont été faites à ciel ouvert, par voie transépicardique. Si le contrôle de la vue permet de cibler les zones d’injection, il n’évite pas pour autant un pourcentage élevé de mort cellulaire précoce. Même si une certaine reconstitution du pool contractile initial peut être espérée de la multiplication des cellules ayant survécu, il est clair que l’optimisation des bénéfices fonctionnels de la transplantation cellulaire passe par une amélioration des systèmes d’injection actuels. Ces remarques s’appliquent aussi largement aux injections par voie endocardique, même si la précision de cette transplantation « aveugle » bénéficie des progrès récents des systèmes de navigation intraventriculaire. Il faut d’ailleurs remarquer que si la faisabilité de cette technique est établie et validée par une tentative clinique restée à ce jour unique, de nombreuses inconnues persistent quant à l’importance de la rétention réelle des cellules dans le myocarde. Nos travaux expérimentaux récents montrent qu’en fait, une infime proportion seulement des cellules injectées par un cathéter endoventriculaire gauche reste fonctionnelle, ce qui incite naturellement à une certaine prudence quant à l’efficacité de la voie percutanée. Quant aux injections directes par voie endocoronaire, elles ont fait l’objet de quelques études expérimentales aux résultats encourageants, mais dans des conditions qui s’apparentent davantage à la transplantation cardiaque traditionnelle (injections sur cœur explanté) qu’à la pratique de la cardiologie interventionnelle de tous les jours.

MÉCANISMES D’ACTION

Ils restent à ce jour largement incertains. Trois hypothèses au demeurant non exclusives peuvent cependant être avancées. Selon la première, le tissu greffé aurait avant tout un effet de contention, limitant la dilatation ventriculaire. Cette hypothèse repose sur la constatation expérimentale fréquente que la transplantation cellulaire limite l’expansion de la zone infarcie. Encore faut-il, pour que ce mécanisme soit opérationnel, que l’apport de cellules soit fait à un stade où le processus de remodelage n’est pas encore complètement terminé. Notre expérience chez l’homme prouve en effet que lorsque le cœur est déjà très dilaté, la transplantation cellulaire ne réduit pas les volumes ventriculaires en postopératoire. La deuxième hypothèse fait appel aux propriétés non plus seulement élastiques mais également
contractiles des cellules qui agiraient ainsi sur la composante systolique de la fonction cardiaque. Dans le cas des cardiomyocytes fœtaux, la présence de jonctions communicantes rend tout à fait plausible une propagation synchrone des influx électriques entre les cardiomyocytes du receveur et les cellules greffées. Ce mécanisme est plus difficile à imaginer dans le cas des myoblastes squelettiques qui n’expriment pas ces jonctions mais permettent toutefois, jusqu’à un an, une amé- lioration des paramètres de la fonction systolique. Il est concevable que ces myoblastes se contractent en fait mécaniquement en réponse à la contraction exercée par les cardiomyocytes qui les entourent. Cette hypothèse qui présuppose que les deux types de cellules sont physiquement connectés par le biais de la matrice extracellulaire, se trouve indirectement renforcée par l’observation expérimentale récente qu’il existe une lignée de souris transgéniques dépourvues de la protéine constitutive de ces jonctions communicantes (la connexine 43) et dont les cœurs se contractent néanmoins. Enfin, on ne peut exclure que ces cellules myogéniques greffées se comportent comme des plateformes relarguant des facteurs de croissance angiogé- nique contribuant aussi bien à assurer leur propre survie qu’à améliorer la perfusion du myocarde greffé. Nous n’avons toutefois pas observé expérimentalement une plus grande vascularisation des cœurs transplantés par rapport à ceux recevant, par un nombre équivalent d’injections (dont on connaît le potentiel angiogénique), un liquide de culture sans cellules. C’est pourquoi d’ailleurs certains ont proposé de transfecter les myoblastes avec un gène codant pour un facteur de croissance angiogénique (le VEGF) et ont d’ailleurs rapporté après transplantation de ces cellules, une augmentation de l’angiogenèse et une amélioration fonctionnelle [12], dont l’intérêt clinique évident est à mettre en balance avec les risques habituels de la thérapie génique.

ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE L’EXPÉRIENCE CLINIQUE PRÉLIMINAIRE

Sur la base de ces multiples données pré-cliniques, nous avons initié un essai de phase 1 dont le premier patient a été opéré le 15 juin 2000 [13]. Les critères d’inclusion dans cet essai étaient au nombre de trois : altération de la fonction ventriculaire gauche traduite par un abaissement de la fraction d’éjection à moins de 35 %, cicatrice définie d’infarctus, akinétique et métaboliquement non viable, et indication de pontage coronaire dans des territoires autres que celui de l’infarctus.

En novembre 2001, dix patients répondant à ces critères ont été opérés selon une procédure en trois étapes : prélèvement à la cuisse, sous anesthésie locale, d’un petit fragment musculaire ; culture de la biopsie visant à obtenir un nombre élevé de cellules (au moins 400 × 106 dont 50 % au moins de myoblastes) ; réimplantation des cellules ainsi obtenues dans la cicatrice fibreuse en de multiples sites afin de couvrir la totalité de la zone de nécrose. Une analyse détaillée des résultats de cette phase 1 sera prochainement publiée et nous nous limiterons ici à quelques commentaires généraux.

Les deux critères de jugement principaux étaient la faisabilité et la tolérance. La faisabilité peut être considérée comme parfaitement acquise puisqu’il a toujours été possible d’obtenir des nombres de cellules bien supérieurs aux chiffres seuils et ce, dans un délai cliniquement pertinent de 2 à 3 semaines. En ce qui concerne la tolérance, aucune complication spécifiquement liée à la réimplantation des cellules n’a été observée. Le seul effet secondaire vraisemblablement attribuable à la greffe cellulaire a été la survenue chez quatre patients de tachycardie ventriculaire ayant en commun une survenue assez précoce (environ 2 semaines après l’intervention) et un caractère transitoire. Cette dernière conclusion dérive du fait que chez trois des quatre patients qui ont alors reçu un défibrillateur automatique implantable, l’analyse de la fonction Holter du système ne montre, avec un recul de 4 mois, aucune récidive d’un trouble du rythme. Le mécanisme de ces tachycardies ventriculaires fait actuellement l’objet d’une étude expérimentale et, quoi qu’il en soit, un traitement prophylactique a d’emblée été mis en place, qui est fondé sur l’administration d’amiodarone dès la biopsie musculaire et poursuivie pendant 3 mois après l’intervention. Par définition, et pour des raisons méthodologiques évidentes, l’efficacité ne peut être, dans cet essai de phase 1, qu’un critère de jugement secondaire. On se limitera donc à indiquer qu’à côté de l’amélioration symptomatique et de l’augmentation de la fraction d’éjection globale qui peuvent seulement traduire les effets bénéfiques de la revascularisation, 60 % des segments myocardiques initialement akinétiques et dans lesquels ont été implantées les cellules, ont vu leur cinétique s’améliorer sous la forme d’un nouvel épaississement pariétal systolique, observation faite par un investigateur non impliqué dans l’essai et aveugle quant à la date pré-ou postopératoire des enregistrements échocardiographiques.

Sur la base de ces résultats préliminaires, l’autogreffe de myoblastes apparaît déjà comme une technique intéressante, dont les effets sur la fonction ventriculaire gauche méritent d’être mieux caractérisés ; tel sera l’objet de l’essai de phase 2, prospectif, multicentrique et randomisé, dont le début est prévu en 2002. En marge de cette étude clinique, les travaux expérimentaux doivent se poursuivre pour tenter de répondre aux multiples questions encore en suspens : comparaison des myoblastes avec d’autres types cellulaires, notamment les cellules souches de la moelle ;

optimisation des techniques d’injection et de la survie des cellules greffées ; mécanismes par lesquels ces cellules greffées « communiquent » avec les cellules hôtes et affectent ainsi la fonction cardiaque ; extension possible des indications à des cardiopathies non ischémiques. Il est également important de situer la thérapie cellulaire dans la perspective plus large des nouvelles interventions « biochirurgicales » ; la transfection de myoblastes par des gènes codant pour des protéines cardioprotectrices ou des facteurs de croissance angiogénique n’est qu’un exemple de cette interdépendance entre thérapie cellulaire, thérapie génique et angiogenèse. Il faut dès lors espérer qu’au cours des années qui viennent, des essais cliniques méthodologiquement rigoureux, fondés sur des données expérimentales déjà solides, permettront de savoir dans quelle mesure ces nouvelles approches
peuvent réellement améliorer le pronostic des patients souffrant d’insuffisance cardiaque sévère.

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DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

Une mauvaise question à laquelle vous ne pouvez pas totalement répondre puisque vos résultats s’inscrivent dans une phase I : pourquoi chercher à injecter les cellules souches
médullaires, CD34+ (dont le prélèvement posera peut-être quelques problèmes) puisque l’injection de vos myoblastes donne de bons résultats ? Allez-vous, dans une phase II, comparer myoblastes et cellules souches médullaires ?

Votre question Monsieur, est tout sauf mauvaise. En effet, bien que les myoblastes squelettiques aient donné des résultats fonctionnels encourageants, la limite majeure à leur utilisation est qu’ils ne se transforment pas en cellules cardiaques. On conçoit dès lors l’intérêt de cellules de type CD-34+ dont la plasticité laisse espérer une différentiation possible en cellules endothéliales et peut-être même en cellules cardiaques ou du moins en cellules dont le phénotype se rapprocherait de celui d’un cardiomyocyte. C’est dans cet esprit que nous avons entrepris un travail expérimental visant à comparer myoblastes squelettiques et certains progéniteurs hématopoïétiques.

M. Maurice TUBIANA

Existe t-il une influence de l’âge du donneur de cellules sur la viabilité des cellules ?

Effectuez-vous des expériences animales pour comparer les cellules ?

L’âge du donneur de cellules ne semble pas affecter la qualité ultérieure des cultures. Tout au plus peut-on noter que chez les donneurs les plus âgés, la durée de ces cultures est un peu plus longue, mais le rendement final reste de bonne qualité.

M. Yves GROSGOGEAT

Le myoblaste injecté se transforme-t-il en cardiomyocyte vrai : myosine lente, aspect du réticulum sarcoplasmique ?

Le myoblaste squelettique reste un myoblaste squelettique. En d’autres termes, s’il est vrai que ces cellules musculaires expriment plus que normalement une myosine lente de type cardiaque qui suggère un certain effet de l’environnement, on ne saurait pour autant parler d’une adaptation phénotypique et l’appareil contractile, par exemple, de ces cellules, reste tout à fait de type musculaire périphérique.

M. Alain RÉRAT

L’intérêt des cellules de moelle osseuse est, semble t-il, qu’elles permettent à la fois un renouveau du muscle et une angiogenèse. Je fais allusion à des travaux d’Orlic en 2001, qui a pu montrer que, chez la souris, l’injection immédiate de cellules de moelle osseuse pourvues d’un récepteur C, dans la bordure de l’infarctus, se traduisait à la fois par la formation de myocytes, mais également de cellules endothéliales et de cellules musculaires lisses. Cela n’incite t-il pas à utiliser de préférence ces cellules très plastiques de moelle osseuse ?

Ainsi que je l’ai indiqué dans ma réponse à Monsieur Binet, certains progéniteurs hématopoïétiques sont particulièrement intéressants s’il est véritablement possible qu’ils se transforment en cellules endothéliales ou cardiaques. Il faut néanmoins noter que dans les travaux d’Orlic auxquels vous faites allusion, les cellules ont été injectées dans la zone bordante de l’infarctus quelques heures après celui-ci. On peut dès lors imaginer qu’à ce stade, les cellules reçoivent des signaux locaux orientant leur différenciation vers les différentes lignées cellulaires (cardiaques, vasculaires lisses et endothéliales) décrites par

Orlic. La situation risque d’être tout à fait différente lorsqu’on injectera ces cellules dans une cicatrice fibreuse correspondant à un infarctus ancien ; le risque serait même de voir alors ces cellules se transformer en fibroblastes. Dans ces conditions, l’approche expérimentale d’Orlic s’apparente davantage au traitement de l’infarctus aigu tel qu’il peut intéresser les cardiologues interventionnels et ne s’inscrit donc pas nécessairement dans la problématique de l’insuffisance cardiaque chronique en rapport avec une cicatrice d’infarctus.

M. André-Laurent PARODI

Comment explique t-on l’établissement ou le rétablissement de la conduction nerveuse, en particulier dans un environnement cicatriciel fibreux ?

Nous n’avons pas d’éléments permettant de penser qu’il y a un rétablissement de la conduction nerveuse et le mécanisme par lequel les myoblastes améliorent la fonction, reste à ce jour très hypothétique. L’une des possibilités est qu’en l’absence de connexions directes avec les cellules cardiaques qui permettraient un couplage électro-mécanique de type classique, les myoblastes se contractent mécaniquement en réponse à la contraction du myocarde receveur avoisinant.

Mme Monique ADOLPHE

Pouvez-vous nous dire quelle est l’importance de la quantité de cellules injectées sur les effets escomptés de récupération myocardique ?

Expérimentalement, il existe une relation presque linéaire entre le nombre de cellules injectées et la récupération fonctionnelle. Chez l’homme, on peut dans l’avenir imaginer que chez un patient donné, la quantité de cellules injectées soit globalement adaptée au volume de l’infarctus tel qu’il peut être estimé par l’imagerie préopératoire. En attendant, il est prévu dans la phase 2 qui commencera en 2002, d’étudier deux « concentrations » cellulaires différentes, ce qui devrait, nous l’espérons, permettre de mieux préciser l’effet-dose de cette thérapie cellulaire.

M. Christian NEZELOF

Utilisez-vous des facteurs de croissance dans le milieu de culture des fibres musculaires ? Si ces facteurs de croissance sont utilisés, sont-ils d’origine animale ?

Le milieu de culture qui a été utilisé et mis au point par MM. Jean-Thomas Vilquin et Jean-Pierre Marolleau fait actuellement l’objet d’un dépôt de brevet de sorte qu’il ne m’est pas permis d’en donner les détails. Tout au plus puis-je dire que la formulation a été intégralement communiquée à l’AFSSAPS et que ce milieu satisfait pleinement aux contraintes de sécurité imposées par les autorités de santé.


* Chirurgie cardiovasculaire B — Hôpital Bichat, 46 rue Henri Huchard — 75018 Paris. Tirés-à-part : Professeur Philippe Menasché, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 22 novembre 2001, accepté le 10 décembre 2001.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 1, 73-85, séance du 15 janvier 2002