Communication scientifique
Séance du 24 mai 2005

Stress, dépression et plasticité cérébrale : mise au point à partir des études cliniques et expérimentales

MOTS-CLÉS : antidépresseurs.. dépression. hippocampe. plasticité nerveuse. stress
Stress, depression and cerebral plasticity : an update of clinical and experimental findings
KEY-WORDS : antidepressive agents.. depression. hippocampus. neuronal plasticity. stress

Jean-François Allilaire, Henri Lôo

Résumé

De nouvelles données cliniques, paracliniques et expérimentales sont apparues ces dernières années concernant l’impact des facteurs de stress psychosociaux sur le cerveau et les bases neurobiologiques du stress et de la dépression. Les progrès des neurosciences, de la neuroimagerie fonctionnelle et de la neuropathologie en particulier ainsi que ceux de la biologie moléculaire et cellulaire, permettent de faire de nouvelles hypothèses sur la physiopathologie des états psychiatriques en particulier la dépression.

Summary

Recent studies of neuroplasticity in stress and depression have given rise to new hypotheses on the neural bases of these disorders. Based on data from imaging studies, cellular and molecular biology, and animal models, this approach could help to understand certain clinical findings, and especially cognitive impairments. Some antidepressants have effects on neuroplasticity, in addition to their symptomatic effects on depression.

C’est depuis quelques années seulement que l’on sait que le cerveau est doté d’une plus grande plasticité que ce que l’on avait pu croire jusqu’à maintenant.


Cette neuroplasticité cérébrale semble particulièrement développée et jouerait un rôle physiologique important au niveau des régions hippocampiques et amygdaliennes mais aussi du bulbe olfactif.

L’hippocampe est impliqué dans de très nombreuses fonctions mais intervient surtout dans l’apprentissage et la mémoire. On sait aussi que c’est une structure particulièrement sensible et vulnérable au stress surtout lorsqu’il s’agit de stress répétés ou chronique [1].

L’ensemble des données cliniques et expérimentales actuelles sur ce sujet suggèrent de nouvelles hypothèses sur le rôle du cerveau dans les troubles de l’humeur et plus particulièrement la dépression [2] et permettent de tester de nouvelles hypothèses sur le rôle du stress dans la physiopathologie des épisodes dépressifs et plus spécifiquement des troubles cognitifs de la dépression. [3] On sait depuis longtemps que le stress joue un rôle à la fois déclenchant et aggravant dans de très nombreuses pathologies au premier rang desquelles la dépression, mais aussi les troubles anxieux, les comportements d’agression, et d’autres pathologies au premier rang desquelles l’hypertension artérielle, les maladies cardio-vasculaires etc.

Le rôle de l’axe hypothalamo-hypophysaire et des stéroïdes surrénaliens est démontré et bien connu.

Or il s’avère que le stress possède à la fois des effets rapides mais aussi des effets plus lents et différés sur la structure et le fonctionnement neuronal de l’hippocampe.

En effet, l’hippocampe est connu pour subir des altérations bien mises en évidence par les techniques d’imagerie cérébrale dans plusieurs pathologies : C’est le cas du syndrome de Cushing dans lequel il est classique d’observer une atrophie hippocampique, ou encore le syndrome de stress post-traumatique, certaines démences, les schizophrénies, le déficit cognitif mineur, mais aussi dans le vieillissement.

Or il est clair que la maladie dépressive en particulier lorsqu’elle est chronique, s’accompagne d’une atrophie de l’hippocampe [4] et que les performances cognitives des sujets déprimés sont d’autant plus altérées que l’atrophie est prononcée [5].

Nous ne développerons pas ici ce que l’on sait du rôle de l’hippocampe dans l’apprentissage et la mémoire, pour ne faire que mentionner les différentes fonctions mnésiques de la mémoire épisodique, déclarative, contextuelle et spatiale.

En ce qui concerne les modifications des performances cognitives et les modifications morphologiques, on peut sur ce point affirmer les faits suivants :

— En premier lieu, on sait que des altérations cognitives sont associées aux premiers épisodes de la maladie dépressive mais aussi et peut-être surtout lorsque les épisodes sont récurrents [6]. Il est clair par ailleurs qu’une diminution de volume de l’hippocampe peut être observée chez les patients ayant présenté des épisodes multiples.

— Enfin, certains traitements antidépresseurs sont connus pour avoir démontré des effets biologiques sur la plasticité et la morphologie cérébrale [7].

Les travaux d’imagerie fonctionnelle, par la technique du PET scan, montrent l’existence d’une hypoactivité au niveau du cortex frontal et préfrontal ainsi que dans les ganglions de la base ce qui renforce l’idée d’un dysfonctionnement des réseaux neuronaux et d’une perte neuronale dans la dépression.

Plus largement, quelles sont à l’heure actuelle les données établies de l’imagerie cérébrale ?

Du point de vue fonctionnel, on retiendra les faits suivants : des modifications du métabolisme du glucose et du débit sanguin cérébral ; une augmentation relative du volume de l’hippocampe, du cortex orbital, et du thalamus médian avec une diminution relative du volume du cortex préfrontal dorso-latéral et du cortex cingulaire.

Du point de vue anatomique et structural, on retiendra : un élargissement du troisième ventricule ; une diminution du volume de la substance grise dans le cortex préfrontal, l’hippocampe, et le striatum ; une diminution du volume de l’hippocampe ; enfin une hypertrophie relative de l’amygdale [8].

Les clichés d’analyse morphométrique cérébrale réalisés chez un sujet présentant une dépression récurrente montrent des signes d’atrophie au niveau de l’hippocampe, du préfrontal, du temporal moyen et du cervelet.

Quelles sont les données connues et établies concernant la neurogénèse cérébrale chez le sujet adulte ?

On sait que le gyrus dentelé de l’hippocampe (mais aussi la zone périventriculaire ou encore le bulbe olfactif) est le siège d’une activité de production de nouvelles cellules granulaires chez l’adulte. A partir de la région subgranulaire se produit une prolifé- ration, puis une migration et enfin une différenciation de cellules filles (cellules CA3) sous l’influence de facteurs astrocytaires et enfin l’établissement de nouveaux contacts neuronaux. Tous ces phénomènes sont à la base des processus de neuroplasticité et permettent la potentialisation à long terme de l’efficacité synaptique (PLT) et par voie de conséquence la mise en mémoire des traces mnésiques.

De nombreux facteurs physiologiques et pharmacologiques sont capables de moduler cette neurogénèse qui est stimulée par les antagonistes NMDA ou la Sérotonine, et qui peut être inhibée par un excès de corticoïdes via les récepteurs NMDA situés au niveau des cellules CA3 du gyrus dentelé.

On peut observer de façon schématisée le déroulement de cette neurogénèse hippocampique et l’influence de certains facteurs au rang desquels l’effet stimulant de l’enrichissement de l’environnement [9], l’exercice physique, l’apprentissage, mais aussi certains antidépresseurs [1].

Ajoutons sur ce dernier point que des expériences ont montré chez le rongeur que la genèse des grains du gyrus dentelé était stimulée par l’administration prolongée
d’antidépresseurs, que cette production a des effets bénéfiques sur la trophicité et la plasticité hippocampique mais que toutefois des effets protecteurs et plastiques directs n’ont été jusqu’à présent démontrés qu’avec les chocs électriques (ECT), les thymorégulateurs et certains antidépresseurs.

Notons pour terminer sur ce point que la Tianeptine semble douée d’effets trophiques directs en prévenant les effets atrophiques d’un stress chronique sur l’arborisation dendritique des cellules CA3 et en restaurant la potentialisation à long terme après stress entre le cortex préfrontal et l’hippocampe A ce point, il convient d’évoquer brièvement les modèles animaux de dépression : il faut tout d’abord noter que la plupart des modèles animaux de dépression reposent sur l’induction d’un stress et sont associés à des conséquences morphologiques directes telles que la réduction du neuropile et la perte neuronale.

Le dispositif expérimental de stress actuellement considéré comme un bon modèle de dépression : est le modèle du singe-écureuil, sympathique petit rongeur (Tupaia belangeri), doué de comportements sociaux assez développés.

L’exposition au stress social que constitue la mise en présence prolongée d’un mâle dominant et d’un mâle sub-dominant entraîne chez ce dernier une hyperactivité chronique de l’axe hypothalamo-hypophysaire avec réduction de l’activité motrice, trouble du sommeil, désynchronisation des rythmes circadiens, réduction des fonctions gonadiques, mais aussi une réduction significative du volume hippocampique [10].

Ce modèle est intéressant en ce qu’il reproduit de très nombreux symptômes de la dépression correspondant bien aux critères cliniques et diagnostics des classifications internationales (telles que le DSM IV).

Par ailleurs il se double d’une bonne validité prédictive dans la mesure ou les antidépresseurs tels que clomipramine ou fluvoxamine (ISRS) antagonisent ces effets du stress alors que le diazépam est inefficace.

Les données pharmacologiques dont nous disposons actuellement concernant les effets des antidépresseurs sur la neurogénèse et la plasticité cérébrale, il est désormais important de considérer les effets cliniques des médicaments pour la guérison des épisodes dépressifs, mais aussi de tenir compte de leurs effets trophiques, neuroprotecteurs et restaurateurs de la plasticité en particulier au niveau hippocampo-amygdalien. Ce dernier effet, méconnu et négligé jusqu’à présent, pourrait peut-être permettre de mieux comprendre et de mieux traiter non seulement les épisodes, mais les complications cognitives qui en découlent du fait d’une véritable neurotoxicité dont on ne fait encore que pressentir l’importance et le rôle dans l’expression clinique mais aussi sur les caractéristiques évolutives de la dépression et la persistance d’un véritable handicap cognitif Dans cette même perspective, certains n’hésitent pas, à proposer une nouvelle conception pathogénique sur les bases biologiques de la dépression récurrente :

Celle-ci regrouperait différents éléments dont les principaux associent la dysrégula-
tion de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, avec un risque accru de complications cardio-vasculaires, et des signes d’atrophie de l’hippocampe et du cortex préfrontal associés à une hyperactivité amygdalienne.

Pour terminer et conclure sur l’hypothèse du rôle de le neuroplasticité dans la physiopathologie de la dépression, on peut maintenant proposer la synthèse suivante :

— la dépression et plus particulièrement dans ses formes chroniques ou récurrentes peut être considérée comme une sorte de voie finale commune résultant de la mise en interaction de nombreux facteurs au premier rang desquels interviennent le patrimoine génétique et son expression phénotypique liée au développement et à l’histoire personnelle du sujet, mais aussi les différents stresseurs et les évènements de vie ou les traumatismes qu’il a pu subir pour aboutir à cette décompensation dépressive [11].

Les modèles animaux de stress social et de dépression apportent de nombreux arguments en faveur de l’hypothèse de modifications de la plasticité cérébrale dans la mise en place du syndrome clinique mais aussi de certains aspects symptomatiques en particulier cognitifs et leur persistance au delà de l’épisode aigu.

L’effet thérapeutique des antidépresseurs est probablement lié d’abord à leur efficacité sur les symptômes cliniques, mais aussi à des effets méconnus jusqu’à présent sur ce que l’on tend à considérer de plus en plus comme des complications neurotoxiques des épisodes aigus en particulier au niveau de certaines structures cibles telles que le système hippocampo-amygdalien avec les perturbations cognitives et mnésiques souvent durables qui en découlent.

Si ces hypothèses se confirmaient, on pourrait être au point de départ de nouveaux progrès dans les connaissances sur les bases neurales des troubles de l’humeur et de nouvelles cibles thérapeutiques.

BIBLIOGRAPHIE [1] CZEH B., MICHAELIS T., WATANABE T. et al. — Stress induced change in cerebral metabolites, hippocampal volume and cell proliferation are prevented by antidepressant treatment with Tianeptine. Proc. Natl. Acad. Sci., USA. 2OO1, 12796-12801 [2] DUMAN R., HENINGER G.R., NESTLER E.J. — A molecular and cellular theory of depression.

Arch. Gen. Psych. , 1997, 54 , 597-606.

[3] MCEWEN B.S., SAPOLSKY R.M. — Stress and Cognitive function.

Current. Opin. Neurobiol., 1995, 5 , 205-216.

[4] SHELINE Y.I., WANG P.W., GADO M.H., et al . — Hippocampal atrophy in recurrent major depression. PNAS, 1996 ; 93 , 3908-3913.

[5] BREMNER J.D., NARAYAN M., ANDERSON E.R., et al . — Hippocampal reduction volume in major depression. A.M. J Psychiatry, 2000, 157 , 115-118.

[6] FOSSATI P., HARVEY P.O., LE BASTARD G., ERGIS A.M., JOUVENT R., ALLILAIRE J-F. — Verbal memory performance of patients with a first depressive épisode and patients with unipolar and bipolar recurrent depression ,2004, Journal of psychiatry research , 38 , 137-44 .

[7] WATANABE Y et al . — Stress and antidepressant effects on Hippocampus 1992. Eur. J. Pharma- col., 222 , 157-162 [8] FOSSATI P., RADCHENKO A., BOYER P. — Neuroplasticity : From MRI to depressive symptoms, 2004, Eur. Neuropsychopharmacology., 14 , S503-S510 [9] KEMPERMAN G., et al . — More hippocampal neurons in adult nice living in an enriched environnement.

Nature, 1997, 386 , 493-495.

[10] FUCHS E., et al . — Social stress in tree shrews : Effects on physiology,brain function and behavior of subordinate individuals . Pharmacol. Biochem. Behav., 2002 ; 73 , 247-258 [11] BOYER P. — Do anxiety and depression have a common pathophysiological mechanism ? 2000.

Acta. Psych. Scand., suppl (406), 24-29.

DISCUSSION

M. Pierre RONDOT

A-t-on observé, dans les formes bipolaires, les mêmes anomalies au cours de l’épisode maniaque que dans l’épisode dépressif ? La seule inhibition motrice ne pourrait-elle être en partie responsable de modifications motrices ?

Il est très difficile de répondre à cette question en raison de la très grande difficulté des études chez les sujets maniaques dont l’agitation psychomotrice permet mal l’exploration M. Pierre GODEAU

Tout le monde n’est pas égal vis-à-vis du stress. Dépression ou indifférence. A-t-on pu approcher ce mécanisme ?

Vous avez tout à fait raison et cela avait déjà été souligné par Hans Selye. Par contre indifférence et dépression différent considérablement par la clinique en particulier l’absence apparente de douleur morale dans l’indifférence.

M. Yvan TOUITOU

Tous les antidépresseurs ne sont pas actifs sur la plasticité hippocampique et de l’amygdale.

Pouvez-vous nous indiquer quels sont les types d’antidépresseurs qui sont susceptibles d’agir ?

Il semble que cette propriété pouvait être générale à tous les antidépresseurs même si cela n’a pas encore été testé pour toutes les molécules.

M. Michel HAMON Non seulement les médicaments antidépresseurs, mais aussi l’électro convulsivo thérapie sont efficaces dans le traitement des désordres psycho-affectifs. L’électroconvulsivothérapie agit-elle aussi via une augmentation de la prolifération cellulaire dans le gyrus dentelé de l’hippocampe ?

C’est probable mais en fait il semble que l’ECT déclenche aussi une stimulation de métabolisme des neuromédiateurs et une augmentation du BDNF intra cellulaire ainsi que de tous les facteurs de croissance nécessaire à la prolifération cellulaire.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Psychiatrie, Université Paris VI, CHU Pitié Salpêtrière. 47, Bd de l’Hôpital, 75013 Paris. ** Membre de l’Académie nationale de médecine, Psychiatrie, Hôpital Sainte Anne, Université Paris V, 1, Rue Cabanis, 75014 Paris. Tirés à part : Professeur Jean-françois ALLILAIRE, même adresse. Article reçu et accepté le 16 mai 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 845-851, séance des Membres Correspondants, 24 mai 2005