Communication scientifique
Séance du 24 mai 2005

Robotique chirurgicale : jouet ou progrès ?

MOTS-CLÉS : chirurgie video-assistee. peritoneoscopie. robotique. urologie.
Robotic surgery : toy or tool ?
KEY-WORDS : laparoscopy. robotics. urology.. video-assisted surgery

Guy Vallancien, Xavier Cathelineau, François Rozet, Eric Barret

Résumé

La télémanipulation a été développée dans l’industrie depuis les années 70. Plus récemment, les bras télémanipulés sont entrés dans la salle d’opération. L’article décrit brièvement l’histoire de la robotique chirurgicale et met en avant les avantages et désavantages pour les patients et pour les chirurgiens. La conclusion plaide pour le développement de la chirurgie robotique, car elle permet de former les jeunes chirurgiens aisément et facilite en partie l’intervention.La robotique chirurgicale est donc plus un progrès qu’un simple jouet.

Summary

Telemanipulation has been developed for industrial purposes since the 1970s. More recently, telemanipulated arms entered the operating room. This paper briefly describes the history of surgical robotics and discusses the advantages and disadvantages for both patients and surgeons. The authors advocate the development of robotic surgery, as it facilitates the training of young surgeons and can be useful during certain phases of an operation. Thus, robotic surgery is more a promising tool than a simple toy.

INTRODUCTION

Issue du mot ‘‘Robota’’ : ‘‘travail’’ en Tchèque, la télémanipulation s’est développée dans l’industrie, les automates pouvant faciliter et améliorer la fabrication de produits variés. Le même développement s’est effectué dans les laboratoires, qu’il
s’agisse de manipuler des substances radioactives, infectées ou stériles. Dans les années 80, les robots ont été introduits dans les salles d’opération, tout d’abord en neurochirurgie puis en orthopédie, spécialités pour lesquelles les repères anatomiques sont fixes. Ces premières machines permettaient, à partir d’un programme pré-enregistré de réaliser des gestes avec une grande précision, telle que la chirurgie stéréotaxique (minerva neuromate integrate surgical system Davis en Californie), tout comme il permettait d’enclouer des fémurs avec une précision millimétrique, comme le robot Robodoc.

Dans le même temps le groupe de chercheurs du National Aeronautic Space Administration (NASA) en collaboration avec des ingénieurs de la Stanford research Institute SRI développèrent un système de téléprésence chirurgicale pour améliorer la dextérité de la chirurgie microscopique. Dans une première publication, ils montrèrent une perméabilité de 100 % de l’anastomose fémorale chez le rat. Parallèlement, le développement de la chirurgie coelioscopique facilita le développement de la robotique chirurgicale, compte tenu de la possibilité de passer des instruments à travers les trocarts. Le département de défense américain développera un projet appelé SRI green telepresent surgery system, dont le but était de créer un véhicule opératoire mobile équipé d’un télémanipulateur chirurgical contrôlé à distance par un chirurgien en arrière du front. Il s’agissait de réaliser de la chirurgie d’urgence pour contrôler les blessures à risque vital comme un traumatisme vasculaire, le soldat étant ensuite transporté pour subir l’intervention définitive. Les premiers essais montrèrent qu’en chirurgie ouverte, le temps de la chirurgie télétransmise était près de trois fois plus long que celui de la chirurgie ouverte directement. Le projet fut donc abandonné mais les avancées technologiques servirent à développer le système Da Vinci de la Compagnie Intuitive.

Les premières interventions réalisées furent des néphrectomies ou des fermetures de cytostomie. La présence de seulement 4 degrès de liberté similaire à un instrument de chirurgie coelioscopique standard rendait toutefois la manipulation difficile. En Europe, des travaux démarrèrent en Allemagne avec le système Artémis. Une équipe anglaise développa un instrument appelé Probot visant à réaliser une résection endoscopique de la prostate télémanipulée. Une machine fut aussi développée en Asie au Nanyang Technological University en collaboration avec la Société Dornier Medical System. Le projet n’eut pas de suite.

En 1995 fut fondée la Compagnie Surgical System par un chirurgien digestif américain et un ingénieur transfuge de la NASA. Dans les mêmes années, une autre compagnie, Computer Motion développa un système de télémanipulation de l’optique de coeliochirurgie appelé Aesop. Actuellement, les deux compagnies ont fusionné et il ne reste véritablement à disposition pour les chirurgiens, que le télémanipulateur appelé Da Vinci [1-7].

LE MATERIEL

Le système est composé de quatre bras, dont un sert au maintien de l’optique qui permet une vision en trois dimensions du champ opératoire, deux servent aux instruments opérateurs et le quatrième permet de tenir l’organe à opérer et sert donc de pince ou de rétracteur.

Les bras sont fixés sur un pied mobile qui est indépendant de la table d’opération et une console de travail à distance permet, grâce à des manettes de contrôler les mouvements de l’optique et des trois instruments. Un système informatique à haute puissance calcule 1200 fois par seconde le positionnement des instruments par rapport au champ opératoire. Les mouvements sont télétransmis de la console aux instruments, grâce à des systèmes de mécanique par câblerie.

Les instruments qui peuvent être utilisés sont des ciseaux, des crochets, des pinces et des porte-aiguilles. 6 degrés de liberté sont possible, rendant les instruments très maniables.

LES BENEFICES DE LA TELETRANSMISSION

Ces bénéfices concernent le chirurgien et le malade

Le chirurgien

Effectuer une chirurgie coelioscopique est extrêmement éprouvant pour l’opérateur compte tenu de la distance à laquelle il doit travailler par rapport au champ opératoire. Le fait de pouvoir être assis, les bras posés sur un accoudoir et grâce à la vision 3D d’augmenter véritablement la réalité anatomique en magnifiant de plus l’image entre dix à quinze fois, est un véritable progrès. Pour l’assistant qui reste à la table opératoire, le travail à effectuer consiste essentiellement à tenir l’aspirateur et éventuellement une pince supplémentaire et à changer les instruments des bras du robot lorsque c’est nécessaire.

La dissection est facilitée par la 3e dimension et les sutures sont facilitées grâce à l’extrême mobilité des porte-aiguilles dont la giration est de 360°.

La télémanipulation permet surtout de répéter les gestes à partir d’une intervention virtuelle entraînant ainsi l’opérateur, avant qu’il ne réalise une première intervention sur un malade. Grâce à la familiarisation qu’acquière le chirurgien avec son instrument, la sécurité opératoire augmente. En revanche, l’idée de télétransmettre à grande distance une intervention, malgré la prouesse technique qu’elle représente, n’a guère d’intérêt dans la mesure où il faudra toujours sur place un chirurgien averti. On peut simplement penser à une éventuelle aide ponctuelle d’un chirurgien expert pour un temps donné d’une intervention [8, 9].

Le malade

Pour le malade les bénéfices sont variables selon le type d’intervention. En chirurgie cardiaque, les mono pontages coronaires et les réparations de valves télémanipulés évitent les sternotomies et la circulation extra-corporelle. Il s’agit là d’un plus incontestable.

Dans les autres domaines de l’activité chirurgicale, pour le malade, les bénéfices sont nettement plus discutables. En urologie, sont pratiquées aujourd’hui régulièrement des néphrectomies, des prostatectomies radicales, des cures de syndrome de la jonction pyélo-urétérale. La télémanipulation, lorsque le chirurgien est rodé à la coelioscopie, n’apporte pas d’avantages particulier pour le malade, dans la mesure où le temps opératoire est quasi le même (à peine plus court), la durée de séjour et les risques de complications identiques à ceux de la chirurgie coelioscopique.

LES INCONVENIENTS

La technique ne permet pas la palpation des tissus et ne permet pas d’établir un renvoi des forces lorsque l’on utilise les instruments. Il faut donc être prudent car la puissance des bras télémanipulés est importante. Toutefois, les ingénieurs travaillent sur l’établissement de ce renvoi de forces.

Le coût de l’appareil fixe et des produits consommables restent un frein à l’expansion de la technique. (1 million d’Euros pour le système et environ 1500 euros par opération, pour les instruments consommables).

Les résultats en urologie : si les manipulateurs ont été conçus pour la chirurgie cardiaque, ce sont les urologues qui utilisent le plus les robots, notamment pour réaliser des prostatectomies radicales pour cancer [10-14].

L’expérience dans le département d’urologie de l’Institut Montsouris [15] sur 200 cas comprenant 25 curages ganglionnaires, 8 néphrectomies, 1 adrenalectomie, 4 cures de la jonction pyélo-urétérale, 162 prostatectomies radicales nous confirme dans l’expression de ces avantages et de ces inconvénients. Pour les prostatectomies radicales, la durée opératoire moyenne est de 2h35, le temps de saignement de 450cc, le taux de complications à type d’hématomes péritonéaux est de 2 %, de fistule urinaire temporaire de 2 %. Aucun décès n’a été déploré.

Actuellement, plus de 40 centres hospitaliers universitaires utilisent un télémanipulateur pour réaliser des prostatectomies.

CONCLUSION

En fin de compte, l’avantage réel d’une telle technique est sans doute le passage de la chirurgie artisanale à la chirurgie industrielle. Il est clair, à l’expérience acquise, que
la réalisation d’interventions standardisées du même type, dans un véritable hall opératoire où pourrait tenir trois ou quatre télémanipulateurs permettra d’optimiser les ressources matérielles et humaines, en améliorant la sécurité en cas de difficulté pour un chirurgien.

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DISCUSSION

M. Gilles CRÉPIN

La simulation en robotique est-elle en mesure de former aussi les chirurgiens à la coelioscopie ?

La réponse est oui. La télémanipulation doit permettre à terme de répéter les gestes opératoires autant de fois qu’on le veut. A partir d’une reconstruction virtuelle d’un acte opératoire dans un environnement anatomique quasi réel, elle doit permettre une bonne formation. Les situations plus à risque, type hémorragie, perforation d’organes ou autres traumatismes sont aussi envisageables. La difficulté est, en revanche, le coût de ces simulations. Il faut savoir que le simulateur d’un Airbus de type donné, coûte le tiers de l’avion.

M. François DUBOIS

Le robot actuel Da Vinci est très volumineux et long à installer. Y a-t-il actuellement un développement de modèle plus ‘‘ légers ’’ ? L’idée de ‘‘ simulateur ’’ est venue dès le début de la chirurgie laparoscopique. La firme Thomson contactée avait fait une étude concluant à la faisabilité de cet appareil, mais que cela se heurtait à une question de budget, fonction de la diffusion éventuelle de cet appareil. Qu’en est-il actuellement ?

Le robot actuel est effectivement volumineux, mais il n’est plus long à installer. Le drapage se fait en 20 à 25mn, ce qui est assez bref. La console de travail du chirurgien est relativement grosse, mais elle permet une bonne ergonomie. Les bras articulés sont montés sur un pied roulant et l’on se pose la question de pouvoir inverser le système en le faisant descendre du plafond de façon à libérer de la place au sol. Il est clair que les télémanipulateurs chirurgicaux réduiront de volume et augmenteront leur capacité de travail, notamment en y ajoutant le renvoi de force qui nous manque actuellement.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Institut Mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris. Tirés à part : Professeur Guy VALLANCIEN, même adresse. Article reçu et accepté le 16 mai 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 873-878, séance des Membres Correspondants, 24 mai 2005