Communication scientifique
Séance du 24 mai 2005

Responsabilité médicale. Etude comparée de l’indemnisation des préjudices corporels en Europe

MOTS-CLÉS : erreur medicale. europe.. indemnites compensatoires. responsabilité legale
Medical liability. Comparative compensation for personnal injury in Europe
KEY-WORDS : compensation and redress. europe.. liability, legal. medical errors

Jacques Hureau, Philippe Hubinois

Résumé

L’harmonisation des principes de responsabilité médicale et d’indemnisation des préjudices corporels faisant suite aux accidents médicaux est réclamée par les institutions européennes. Elle suppose l’étude comparée des systèmes et l’établissement d’un « vocabulaire » commun .

Summary

European institutions apply a number of common principles to medical liability and compensation. The Scandinavian patient insurance system, based on listed criteria, is independent from the notion of ‘‘ fault ’’, unlike in the rest of Europe. However, since March 2002, French law has also allowed for compensation of major medical accidents, regardless of the notion of fault. On the eve of harmonization, two statutory bases must be created. The first is a common European list of recoverable medical damages. Yvonne Lambert-Faivre’s recent work offers a convenient guide in this respect. The second —- pecuniary quantum of damages —- should be founded on Courts of Appeal rulings on personal medical injury. Common trends can be identified in nearly all European countries. Despite the subsidiarity principle, a common road towards harmonizing medical accident compensation systems can be found.

L’augmentation du contentieux des accidents médicaux, en nombre mais surtout en coût, est à l’origine, dans la plupart des pays européens, en ce début du vingt et unième siècle, de difficultés de couverture de la responsabilité civile professionnelle médicale par les assureurs.

La variabilité de l’indemnisation des préjudices corporels d’origine médicale en Europe rend désormais utile l’étude comparée des systèmes de responsabilité médicale et des modes de « réparation » dans les différents pays. Toutefois, le principe de subsidiarité laisse aux Etats membres de l’Union Européenne toute latitude pour instaurer les lois et règlements qu’ils jugent être les plus adaptés, en matière de santé.

D’autre part, la disparité des populations, l’existence de systèmes de santé « nationalisés » dans certains pays, de prestations reposant sur les cotisations salariales et patronales dans d’autres, la possibilité ou non d’actions récursoires des tiers payeurs sur les responsables, doivent rendre prudents, quand il s’agit de tirer des conclusions, après comparaison.

L’harmonisation européenne des procédures de réparation des accidents médicaux, souhaitable à l’heure de la libre circulation des citoyens en Europe, est expressément souhaitée depuis 1975, par le Conseil de l’Europe (Résolution 75-7 du 14 Mars 1975 [1], Convention d’Oviedo du 4 Avril 1997, article 24 [2]) .

Nous considérerons la situation dans les principaux pays de l’Union, et en Suisse (en raison sa proximité géographique avec la France), au plan d’abord de la responsabilité médicale, puis au plan de l’indemnisation des divers postes de préjudices corporels.

LA RESPONSABILITE MEDICALE EN EUROPE [3]

Si les principes généraux de responsabilité médicale, à savoir faute, préjudice et lien de causalité entre la faute et le dommage, sont presque constamment retrouvés dans la majorité des pays européens, il faut cependant opposer deux groupes principaux d’Etats, les Etats scandinaves et le reste des pays européens. Dans ces derniers, la recherche d’une faute médicale précède, à de rares exceptions près (cas de responsabilité sans faute) toute possibilité d’indemnisation. En Scandinavie, l’indemnisation des accidents médicaux est désolidarisée de la recherche première de responsabilité médicale. Le fondement de la responsabilité médicale y est le risque, quand il reste la faute ailleurs. La France, depuis le 4 mars 2002, jouit d’une situation particulière en Europe.

Les pays non scandinaves

Dans ce groupe de pays, le fondement de la responsabilité médicale est relativement univoque (la faute), mais les procédures d’indemnisation sont variables. Nous étudierons successivement l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, les autres pays principaux de l’Union, puis la Suisse hors l’Union.

En Allemagne

Le patient et son médecin sont liés par un « contrat de service », avec obligation de moyens et nécessité d’établir la faute , le dommage et le lien de causalité, pour engager la responsabilité médicale. Les principes de responsabilité sont inscrits dans le Code Civil ( Bürgerliches Gsetzbuch ), la faute de la victime peut réduire son indemnisation. L’évaluation du dommage se fait in concreto . Les ordres régionaux de médecins ont créé, selon les

Länder , des « commissions d’experts » ou des « bureaux de conciliation ». Les premières se prononcent sur l’existence d’une faute, sans chiffrer les préjudices, les seconds évaluent les préjudices, en accord avec les assureurs. Les délais de prescription sont de trois à cinq ans. Mais, particularité importante, ces instances de médiation sont composées d’un juriste pour quatre à cinq médecins, ces derniers nommés pour cinq ans par l’Ordre des médecins. L’avis des instances est indicatif, les patients gardant accès à la voie judiciaire en cas de désaccord (système proche du système français d’après mars 2002, sur ce point précis). Saisies gratuitement par les patients, elles traitent 90 % des réclamations et en règlent définitivement 90 %. C’est donc environ 80 % des affaires médicales qui sont traitées en totalité en dehors des tribunaux allemands. Le manque d’indépendance des bureaux et commissions a parfois cependant été évoqué.

Au Royaume-Uni

Le régime de responsabilité est différent selon qu’il s’agit du service public ou du secteur privé.

Dans le secteur public : un patient traité par le NHS ( National Health Service ) n’a aucune relation contractuelle avec ce service public et encore moins avec son médecin qui est salarié du NHS. La responsabilité médicale ne peut être mise en cause qu’au plan délictuel ou quasi-délictuel (négligence fautive, dommage et lien de causalité), comme c’était le cas en France jusqu’à la loi du 4 mars 2002, qui rapproche dorénavant les responsabilités civile et administrative. Une plainte orale ou écrite donne lieu à des explications du NHS depuis 1996, mais le patient qui n’en est pas satisfait peut faire appel à un médiateur spécialisé. Celui-ci ne peut fixer lui-même la hauteur de l’indemnisation (rôle dévolu aux tribunaux civils).

Dans le privé : un contrat de moyens lie patient et médecin, le premier devant prouver que l’obligation au contrat n’a pas été remplie. Mais dans tous les cas, l’action en justice auprès des tribunaux civils (un seul ordre de juridiction) est l’unique moyen pour le patient d’obtenir la réparation financière d’un préjudice éventuel.

Un « protocole pré-judiciaire pour la résolution du contentieux médical » a été mis en place le 26 avril 1999, pour encourager le règlement extra-judiciaire des conflits. Ses exigences procédurales doivent être respectées par les parties, sauf à ce qu’elles soient sanctionnées, en cas de saisine judiciaire ultérieure. Ce protocole prévoit l’obtention du dossier médical dans les 40 jours (pour mémoire : huit jours en France depuis la loi du 4 mars 2002, deux mois quand il s’agit d’un dossier de plus de cinq ans), ainsi qu’un exposé écrit de la plainte, avec une éventuelle proposition de transaction. Aucune action en justice n’est alors possible pendant 90 jours (voies exclusives l’une de l’autre, différence avec le système mis en place le 4 mars 2002 en France). Le médecin doit s’entourer, pour y répondre, de personnes compétentes, après une procédure de contrôle de la qualité des soins. En cas d’échec du règlement amiable, l’affaire est portée devant les juridictions. Des procédures simplifiées existent pour les sinistres dont le montant pécuniaire est peu élevé. Le montant moyen des indemnisations a été à de nombreuses reprises jugé insuffisant, y compris par la Cour d’Appel du Royaume-Uni (par exemple le 23 Mars 2000), jugement qui doit pourtant être tempéré par l’interdiction de toute action récursoire de l’Etat envers le responsable. Le délai de prescription est de trois ans à partir des faits.

En Belgique

Il n’existe ni code ni loi réglementant l’ensemble des aspects juridiques de l’activité médicale. La doctrine et la jurisprudence ont, au fil du temps, complété les principes issus du code civil belge (proche de notre code Napoléon), ceux d’une responsabilité fondée sur la mise en évidence d’une faute, d’un préjudice et d’une relation de causalité entre la faute et le préjudice. Depuis 1998, la prescription en matière de responsabilité médicale, est de dix ans (article 2262 bis du Code Civil belge). Les patients ne peuvent mettre en cause, devant les juridictions de droit commun, que les praticiens, qu’ils appartiennent aux secteurs public ou privé, et pas les établissements. La « loi relative aux droits du patient », du 22 août 2002 [4] insiste sur les droits du patient à des prestations de qualité répondant à ses besoins (article 5), au libre choix du praticien (article 6), à être tenu informé sur son état de santé et son évolution probable (article 7, §1), à consentir librement à toute intervention du praticien (article 8, § 1) après avoir été mis au courant des effets secondaires et risques inhérents à l’intervention et pertinents pour le patient (article 8, §2), à la protection des informations privées qui concernent sa santé, et à la conservation en lieu sûr de son dossier (article 9, §1), ainsi qu’à introduire une plainte auprès du médiateur compétent (article 11, §1). Tous ces droits s’exercent en l’absence actuelle de réforme du principe de responsabilité médicale pour faute, bien que de nombreux projets de loi visant à permettre l’indemnisation des accidents médicaux sur le fondement du risque soient en cours d’étude (le dernier en mars 2003) [5].

Dans les autres pays non scandinaves

En Espagne, les articles 1902 et suivants du Code Civil définissent les principes d’une responsabilité pour faute, dommage et relation de causalité entre les deux. Il
existe deux ordres de juridiction (seul pays avec la France dans lequel cette situation existe), mais que ce soit dans le secteur public ou privé, il est obligatoire de tenter la conciliation avant d’en appeler aux tribunaux. Le délai de prescription est de quinze ans à partir des faits. Au Portugal , le fondement de la responsabilité est également la faute ; jusqu’en 1992, il n’était qu’exceptionnellement accordé de préjudice extra-patrimonial. En Italie , l’article 2236 du Code Civil prévoit qu’en cas de difficultés techniques importantes, le praticien de santé n’est pas responsable des dommages. Cet article n’est que très parcimonieusement appliqué par la jurisprudence. L’Italie est le seul pays d’Europe où toute procédure extra-judiciaire d’indemnisation en matière d’accidents médicaux est interdite. Il n’y a pas de possibilité d’action récursoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable du dommage. En Grèce , les articles 914 à 938 du Code Civil reconnaissent le principe d’une responsabilité médicale pour faute. L’action récursoire des assurances sociales contre le responsable est en théorie autorisée, mais n’est en pratique jamais utilisée. Il est tenu un compte très particulier dans ce pays du préjudice esthétique éventuel. Le droit de la réparation du dommage corporel est au Luxembourg à l’image de celui qui existe en France avant la loi du 4 mars.

Aux Pays-Bas , il repose sur les articles 1406 (en ce qui concerne les décès) et 1407 (pour ce qui est des dommages corporels) du Code Civil néerlandais. Mais le système ne déroge ici qu’exceptionnellement, y compris en matière d’infection nosocomiale, au dogme de la responsabilité pour faute, prouvée par le patient (au maximum il est fait usage de la technique du renversement de la charge de la preuve). Contrairement à la situation belge, ce sont les hôpitaux hollandais qui indemnisent les victimes de sinistres, même lorsque ceux-ci sont engendrés par des praticiens privés qui exercent en leur sein. Une procédure amiable et rapide existe pour les montants d’indemnisation inférieurs à 4500 k, sans possibilité d’appel lorsque la commission d’arbitrage qui en connaît a rendu son avis. Le patient qui n’a pas tenté la conciliation préalable, dans un tel cas, peut ultérieurement être condamné par les tribunaux à rembourser les frais de procédure. Le délai de prescription est de cinq ans à partir de la date de connaissance du dommage ou d’identification de l’auteur. Le montant moyen des indemnisations hollandaises est réputé peu élevé. En Autriche , au cours de l’année 2001, des procédures ont été mises en place pour que les victimes de certains accidents médicaux non fautifs lourds, survenant dans les hôpitaux publics, puissent bénéficier d’une indemnisation. Pour le reste, le système autrichien reste proche de celui de son voisin allemand. Enfin, la « common-law » reconnaît en Irlande , comme au Royaume-Uni, le principe, appliqué strictement, de responsabilité pour faute. Le calcul de l’indemnisation s’y fait sur un mode analogique, par référence à la situation la plus proche décrite dans la jurisprudence.

En Suisse (hors l’Union Européenne)

Les règles du droit commun de la responsabilité s’appliquent aux affaires médicales, via les tribunaux et la notion de « contrat de mandat », mais la Fédération des

Médecins Helvétiques, qui regroupe environ 90 % du corps médical, a institué, en 1982, deux « bureaux d’expertises extra-judiciaires », qui mettent à la disposi-
tion des patients un réseau d’experts, dans le but de favoriser les transactions amiables. Tout médecin membre de la fédération est tenu de se soumettre à ces procédures d’expertise, sur saisine du patient lui-même ou quelquefois du médecin (si le patient ne s’y oppose pas). Il faut, pour que cette saisine puisse prospérer, qu’il existe une faute au moins probable, même discutée par le médecin, et qu’on puisse supposer que l’expertise contribuera à préciser l’origine du dommage et les droits du patient (ce qui s’apparente quelque peu à la procédure du référé judiciaire en France). L’expertise coûte 500 k environ au patient, mais quatre fois plus, en cas de doute sur la validité de ses motifs, somme qui ne lui sera pas remboursée, si l’expertise confirme que la réclamation était injustifiée (un tel procédé pourrait certainement éviter la prolifération de plaintes abusives en France). Reconnus comme indépendants, rapides et objectifs, les bureaux d’expertises ne sont saisis que dans un tiers des cas de sinistres environ et concluent alors à la faute (manque de diligence du médecin, dommage physique et/ou moral et lien de causalité entre les deux) dans 30 % des cas [6]. Toutefois, pour la première fois depuis sa création, l’un des deux bureaux a récemment conclu à l’existence d’une faute de traitement dans 55 % des affaires. Chargé de fournir les bases d’un arrangement amiable, l’expert fournit son rapport aux parties dans les trois ou quatre mois. Ses conclusions n’engagent pas les parties, qui peuvent, en cas d’échec, les utiliser en justice. Le montant moyen des indemnisations en Suisse a la réputation d’être l’un des plus élevés d’Europe.

Les pays scandinaves

Nous verrons successivement la Suède, le Danemark et la Finlande. La situation en Norvège et en Islande (hors l’Union Européenne) est sensiblement identique.

La Suède

Elle a institué, en 1975, un protocole d’indemnisation des accidents thérapeutiques, envisageant l’indemnisation de certains patients en dehors de toute faute médicale . Il a été remplacé en 1996 par un texte législatif, entré en vigueur le 1er Janvier 1997 [7].

L’article 6 de cette loi prévoit que l’indemnisation du préjudice subi par les patients couvre les dommages, à condition qu’il existe une forte probabilité que le dommage ait été causé par l’un des six critères objectifs listés suivants :

• un examen médical, des soins, un traitement ou tout autre acte comparable, dans la mesure où le dommage aurait pu être évité , en exécutant différemment la méthode choisie ou en choisissant une autre méthode disponible, pour laquelle une expertise médicale aurait conclu qu’elle pouvait satisfaire aux besoins du patient de manière moins risquée pour sa santé ;

• un défaut dans l’instrument technique ou le matériel médical utilisé pour l’examen, pour les soins, pour le traitement ou tout autre acte comparable, ou l’utilisation incorrecte de ces instrument ou matériel ;

• un diagnostic incorrect ;

• la transmission de germes provoquant une infection par suite d’un examen, de soins, d’un traitement ou de tout autre acte analogue (avec de fortes restrictions) ;

• un accident dans le cadre d’un examen, de soins, d’un traitement, ou de tout autre acte comparable, ou lors du transport du malade ou d’un incendie ou de tout autre dommage survenu dans l’utilisation de l’équipement médical ou sur les lieux de soins, • la prescription ou la délivrance de médicaments , contraire aux indications ou instructions réglementaires.

Les accidents médicaux échappent ainsi, à l’exception de ceux qui sont causés par une faute volontaire ou à une négligence grossière (loi de 1972, [8]), aux jugements des tribunaux. La réparation est alors assurée directement, grâce à un système « d’assurance-patient », privé, mais contrôlé par l’Etat. Des bureaux d’appel, non juridictionnels, existent, avant la saisine toujours possible des tribunaux.

Le Danemark

Il a adopté, à l’instar de la Suède, le 6 Juin 1991, une loi entrée en vigueur le 1er juillet 1992 [9]. Celle-ci a été complétée en décembre 1999 pour s’appliquer non plus seulement aux établissements publics et privés signataires d’une convention de gestion avec les pouvoirs publics, mais aussi aux spécialistes libéraux qui reçoivent des patients adressés par le secteur public. Les critères d’indemnisation sont proches de ceux retenus par la Suède, mais l’indemnisation est exclue dans les préjudices donnant lieu à une indemnisation inférieure à 1500. Le délai de prescription est de cinq ans, après la « connaissance du préjudice subi, et de dix ans après la survenue de ce dernier » (article 19). Comme dans la loi suédoise, pour statuer sur une infection nosocomiale, il convient de tenir compte « de la sévérité de la complication et pour partie de la maladie du patient et de son état général de santé » (article 2, 4ème alinéa).

Au Danemark, les patients adressent leur réclamation à « l’association pour l’assurance des patients ». Au cours des dix dernières années, environ 60 % des demandes d’indemnisation ont été rejetées au Danemark. Celles qui ont donné droit à indemnisation concernaient, dans 30 % des cas, des aléas thérapeutiques, et dans 40 % des cas, la non-application de la règle de l’art. Le délai moyen d’examen des dossiers est de cinq à sept mois, l’indemnité versée est plafonnée, une négligence grossière de la victime peut exclure toute réparation.

La Finlande

La situation y est sensiblement comparable à celle de la Suède, avec cependant une loi de 1986 [10] plus précise dans ses termes que la loi suédoise de 1996. Sept critères objectifs listés déterminent la possibilité d’obtenir une indemnisation. Les dommages mineurs en sont exclus. Particuliers dans cette loi sont le recours à la notion de « disproportion » entre la gravité du dommage et l’état de santé préalable du patient,
ainsi que la définition restrictive de l’infection nosocomiale*. Le patient s’adresse, presque automatiquement, en cas de sinistre, à l’assureur du professionnel de santé responsable, selon un schéma d’assurance directe propre à tous les pays scandinaves (Islande et Norvège comprises).

La France

La réparation des accidents fautifs est assumée en France par les assureurs de responsabilité civile professionnelle des praticiens et des établissements privés et publics. Seuls les accidents non fautifs n’étaient pas couverts avant la loi du 4 mars 2002 [11], affirmation qui doit être nuancée cependant, au vu des évolutions jurisprudentielles, tant en droit administratif que privé, antérieures à la loi du 4 mars 2002 [12]. Les décisions des tribunaux suprêmes avaient en effet, au fil du temps et pour des raisons humanitaires, considérablement élargi le « domaine de la faute médicale », voire, en droit administratif pour les hôpitaux publics, établi quelques cas de réparation d’accidents sans faute, pour les dommages les plus graves. Depuis la loi du 4 mars 2002, les victimes ont la possibilité d’une double saisine, concomitante ou successive, celle des Commissions Régionales de Conciliation et d’Indemnisation et celle des tribunaux, civils ou pénaux pour le secteur privé, administratifs et pénaux pour le secteur public. Les accidents non fautifs, au-dessus d’un certain seuil de gravité [13], peuvent dorénavant être « réparés », au titre de la solidarité nationale, par l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales [14].

Au terme de ce rapide survol des systèmes de responsabilité médicale et des modes d’indemnisation des accidents médicaux en Europe, on peut être frappé par la variabilité des uns et des autres. Variabilité encore accentuée par l’utilisation de termes différents pour caractériser les différents « chefs de préjudices », de part et d’autres des frontières.

INDEMNISATION DES PREJUDICES CORPORELS

Aucun « vocabulaire » commun n’existe actuellement, qui permettrait d’individualiser par les mêmes termes, au travers de l’Europe, des chefs de préjudices identiques.

La CEREDOC (Confédération Européenne d’Experts en Réparation et Evaluation du Dommage Corporel) a déposé au Parlement Européen, en août 2003, un projet de proposition [15], établissant un barème européen pour l’AIPP (Atteinte à l’Inté- grité Physico-Psychique, correspondant sensiblement au « préjudice fonctionnel d’agrément » défini par Yvonne Lambert-Faivre antérieurement à son rapport de 2003 [16]). Ce barème, qui laisse de côté l’évaluation des préjudices esthétique, * « Infection prenant sa source dans un examen, un traitement ou tout autre action similaire, sauf si cette infection était prévisible en raison de la gravité de la maladie ou de la blessure originelle, ou de l’état de santé général du patient » , in [3] p. 483
sexuel, d’agrément et même de la douleur (au moins exceptionnelle), est resté sans suite à ce jour*. Il émane de six pays de droit continental, et nous semble s’appliquer essentiellement à l’évaluation des accidents corporels dus aux véhicules à moteur, sans pouvoir être utilisé pour une tentative d’harmonisation de l’évaluation, par des experts judiciaires, des dommages corporels faisant suite à des accidents médicaux.

Yvonne Lambert-Faivre a fait, pour la France, des propositions qui nous semblent plus utiles [17].

Nous verrons successivement la situation actuelle en Europe, puis les solutions proposées au plan national par le Professeur Lambert-Faivre, afin de dégager d’éventuels principes communs d’indemnisation des préjudices corporels faisant suite à des accidents médicaux, et des préalables à l’harmonisation, qui seraient applicables en Europe.

Les disparités dans l’Union (l’existant)

Elles sont de définition et de valorisation des divers « postes de préjudice » d’une part, de procédures d’indemnisation d’autre part. Les disparités des procédures d’indemnisation ayant déjà été évoquées antérieurement, nous ne traiterons ici que les disparités quant aux divers chefs de préjudices. Celles-ci, nombreuses, sont schématiquement de cinq ordres : des contenus différents apparaissent sous des dénominations faussement identiques ; des préjudices spécifiques sont propres à certains pays ; la valorisation, pour un même poste de préjudice, se fait soit in concreto , soit in abstracto et forfaitairement ; la hauteur globale d’indemnisation, pour des dommages sensiblement identiques, varie selon les pays ; enfin, l’action récursoire des caisses de sécurité sociale peut, quand elle est permise, fortement diminuer la part financière d’indemnisation laissée à la victime.

Exemples d’intitulés communs avec des contenus différents • Aux Pays-Bas, le « pretium doloris » ajoute au préjudice lié à la douleur stricto sensu le préjudice esthétique et l’incapacité permanente ;

• En Belgique, on adjoint une part de « préjudice moral » à l’ incapacité temporaire totale (ITT) et à l’incapacité permanente partielle (IPP), part calculée en multipliant un forfait par le nombre de jours d’arrêt ou le pourcentage d’incapacité ;

• En Grèce, le « préjudice moral » inclut les différents préjudices extrapatrimoniaux, que nous-mêmes individualisons, et pas seulement le préjudice lié à la douleur.

* Depuis la rédaction de cet article (14.02.05) le « Guide barême européen d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique » est annexé au nouveau statut des fonctionnaires de l’Europe. Il devient le barême officiel d’évaluation des séquelles d’accident du travail et de la vie privée de tous les fonctionnaires européens.

Exemples de préjudices spécifiques à certains pays • En Allemagne, le schmerzensgeld , préjudice non économique, répare le préjudice lié à la douleur , le préjudice esthétique et la « limitation de la qualité de vie ». Il tient compte du « degré de faute » commise par le responsable, des conditions de vie économique du blessé et du responsable, et donne lieu à une indemnisation forfaitaire ;

• En Italie, le danno biologico (danno alla salute) est un équivalent du pretium doloris (qui n’existe dans ce pays qu’en droit pénal et pas en droit civil) ;

• En Belgique, le « préjudice d’affection » n’est autre que le préjudice moral des proches d’un individu gravement handicapé ou décédé.

Le calcul des préjudices in concreto ou in abstracto • En Belgique, préjudices liés à la douleur et esthétique sont calculés forfaitairement, alors qu’ils ont calculés en France à partir d’une échelle de 0 à 7 ;

• Au Luxembourg, on indemnise forfaitairement les préjudices esthétique , lié à la douleur et d’ agrément ;

• Au Royaume-Uni, indemnisation forfaitaire du « general damage » qui correspond au « préjudice fonctionnel personnel » d’Yvonne Lambert-Faivre, préjudice non économique.

La générosité de l’offre globale d’indemnisation

Elle est variable selon les pays, à préjudice comparable. Traditionnellement Belgique, Allemagne, Suisse sont réputées plus généreuses que la France qui, elle-même, l’est plus que l’Espagne, le Portugal, la Grèce et les Pays-Bas. L’Italie indemnise deux fois plus cher que la France. L’Europe du Nord est réputée très protectrice.

L’action récursoire des caisses de sécurité sociale sur les responsables des dommages

Elle peut grever dans des proportions considérables, (jusqu’à 40 % du montant total de la « réparation » en France) la part de l’indemnisation qui reste à la victime, lorsque le recours des tiers payeurs a eu lieu. Ce sont les grands handicapés qui se retrouvent les plus lésés. Certains pays européens, tels le Royaume-Uni, la Grèce, l’Italie, les pays scandinaves (pour ces derniers, en dehors de la faute volontaire ou de la négligence grossière) se distinguent par l’absence d’action récursoire des tiers payeurs sur les responsables des dommages, ce qui induit une situation beaucoup plus favorable pour la victime. Yvonne Lambert-Faivre parle « d’incongruité » pour désigner ce recours subrogatoire en France, dans son rapport remis au ministre de la Justice [17].

Ainsi, les systèmes d’indemnisation des dommages corporels d’origine médicale sont éminemment variables en Europe, tant au plan des principes juridiques qu’au plan des modalités procédurales . Il en est de même de la typologie des différents chefs de préjudice. Les propositions d’Yvonne Lambert-Faivre, au plan national, en juin 2003, pour rendre plus homogène et plus comparable la réparation des préjudices
corporels dans les différentes espèces, nous paraissent pouvoir représenter une base d’harmonisation européenne, ultérieurement à leur application nationale.

Les propositions nationales du groupe présidé par Madame le Professeur Yvonne Lambert-Faivre

Pour cet auteur, il faut :

distinguer la notion factuelle de « dommage corporel » (domaine de l’expert médecin qui évalue in abstracto ) de celle, juridique, de « préjudices corporels » (domaine du juge — ou du régleur- qui évalue in concreto ) ; distinguer préjudices économique et professionnel d’une part, préjudice non-économique et personnel d’autre part, ce dernier incluant le « préjudice fonctionnel permanent », sur lequel toute action récursoire des tiers payeurs devrait être interdite.

Partant de la notion de « préjudice fonctionnel d’agrément » , dénomination forgée par la doctrine et reçue par une partie de la jurisprudence [18], le Groupe de travail du Ministère de la Justice a proposé une « Nomenclature des chefs de préjudices » qui sépare clairement les préjudices économiques potentiellement soumis au recours subrogatoire et les préjudices non économiques, dommages corporels personnels médicalement évaluables. Parmi ceux-ci, et pour éviter toute ambiguïté, les concepts de « préjudices fonctionnels temporaire et/ou permanent » ont été retenus, bien différenciés d’un préjudice d’agrément stricto sensu de caractère spécifique. C’est dans cet esprit qu’avait été pris par la 17ème Chambre de la Cour d’appel de Paris l’arrêt du 25 février 2002 qui utilisait encore, à cette date, le terme de « préjudice fonctionnel d’agrément ». S’appuyant sur l’article 31 de la loi du 5 juillet 1985 (loi Badinter) et sur les articles L. 376-1 et L 454-1 du Code de la Sécurité sociale, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, par un arrêt du 19 décembre 2003, a cassé l’arrêt du 25 février 2002 pour « violation de la loi ». Elle remet en cause tout l’équilibre de l’assiette des droits subrogatoires des tiers payeurs proposé dans le rapport du 22 juillet 2003. Notons toutefois que cette cassation a été prononcée « …en attendant la modification souhaitée par le législateur… dans le cadre de laquelle il pourrait être tenu compte du rapport du groupe d’experts du Conseil national d’aide aux victimes… » (conclusion de l’avis de M.R. de

Gouttes, Premier Avocat général). Ceci traduit l’embarras de la Cour de cassation devant sa propre décision prise en application de la loi existante. La doctrine va évoluer.

À la suite du dépôt du rapport sur « L’indemnisation du dommage corporel » [17], Mme N. Guedj,

Secrétaire d’État aux droits des victimes, a constitué une commission présidée par M. J.P.

Dintilhac et chargée de l’élaboration d’une nomenclature des préjudices corporels pour favoriser l’harmonisation des critères d’indemnisation et clarifier les règles de l’action récursoire des organismes sociaux. Elle doit rendre son rapport à la fin du 1er semestre 2005. Parmi les propositions la Commission suggère de retenir la notion de « Déficit Fonctionnel Personnel Temporaire/Définitif » (DFPT/DFPD) dans le groupe des préjudices personnels.

adopter une nomenclature commune des chefs de préjudice [17] et l’adosser, non pas à un barème, dont la rigueur mathématique ne convient pas à une réparation « individualisée », mais à un Référentiel Indicatif Statistique et Evolutif.

Celui-ci concernerait tous les préjudices, répertoriés suivant la nomenclature édifiée par le rapport, dans tous les types de dommages corporels, à partir des affaires traitées par les Cours d’Appel. Il serait contrôlé par les pouvoirs publics, et diffusé annuellement.

Les tendances communes dans l’Union, en matière d’accidents médicaux et les préalables à l’harmonisation européenne

Tendances communes — Le principe de réparation intégrale est respecté partout, sauf peut-être au Portugal. Les plafonds de réparation, présents dans certains pays, sont en règle compensés par des systèmes d’assurances complémentaires.

— Les accidents les plus graves, qu’ils soient fautifs ou sans faute, sont indemnisés de plus en plus largement avec le temps en Europe, grâce à la jurisprudence ou, comme en France, grâce à l’instauration d’une prise en charge des aléas par la solidarité nationale, ou enfin, comme en pays scandinave, sur des critères objectifs « listés ».

— Les procédures amiables extra-judiciaires de résolution des contentieux médicaux se multiplient partout dans l’Union (sauf peut-être en Italie ). Quant aux tribunaux, que ce soit en common-law (depuis la réforme Woolf de 1999) ou en droit continental, ils privilégient désormais la nomination d’un (ou plusieurs) experts par le juge, plutôt que de plusieurs experts- witness .

Au delà de ces tendances communes, et pour qu’un certain degré d’harmonisation européenne puisse se faire jour progressivement, il faudra que des préalables soient établis.

Les préalables à l’harmonisation européenne — Uniformiser les intitulés des différents postes de préjudices médicaux, veillant à ce qu’un intitulé unique pour tous les pays corresponde à un contenu commun.

Le projet récent de la CEREDOC semble parfois s’écarter de ces recommandations. Il simplifie à l’extrême, sans s’assurer de la possibilité d’une application homogène, et ne concerne en outre que des pays de droit continental. Les travaux du groupe présidé par Yvonne Lambert-Faivre [17] et les souhaits formulés par le Conseil de l’Europe dans sa Résolution 75 (7) [1] représentent, à notre avis, une excellente base de discussion, et un guide efficace pour avancer dans la voie de l’harmonisation. La Commission présidée par M. J.P. Dintilher travaille actuellement dans le même sens.

— Régler, uniformément en Europe, le problème de l’action récursoire des caisses sociales sur les responsables. Sauf à supprimer des disparités qui existent sur ce point actuellement, on ne voit pas comment un quelconque début d’harmonisation, au plan financier, pourrait advenir.

— Enfin, tenter de rapprocher les droits médicaux nationaux. La simple harmonisation des postes de préjudices ne peut, à elle seule, aboutir à un traitement juridique plus homogène des accidents médicaux en Europe. En effet, sauf dans les pays scandinaves et en France (avec dans ce dernier cas un « seuil de gravité »
dont la hauteur devra à l’avenir pouvoir être discutée), l’aléa médical ne peut actuellement être indemnisé. De même, la notion de faute médicale varie notablement du Nord au Sud. Les travaux des juristes européens, tels ceux réunis dans le groupe de Vienne, pourraient aider à l’harmonisation, sur ces points.

CONCLUSION

L’harmonisation des principes de responsabilité médicale et d’indemnisation des préjudices corporels faisant suite aux accidents médicaux est réclamée par les institutions européennes.

Les principes généraux de la responsabilité médicale en Europe opposent deux groupes de pays. Paradoxe curieux, cette opposition n’est pas entre pays de common law et pays de continental law . La distinction se fait entre les pays scandinaves et les autres. Les premiers réparent grâce à des systèmes d’assurance directe et sur un concept de responsabilité objective fondée sur le risque encouru. Pour les autres le préjudice imputable à une faute reste seul indemnisable avec un certain nombre de variables. Depuis la loi du 4 mars 2002 la France s’est très partiellement rapprochée de l’attitude scandinave, position intermédiaire parfois ambiguë.

L’indemnisation des préjudices corporels se fait en deux temps : l’évaluation médicale in abstracto du dommage corporel et l’évaluation financière des préjudices, in concreto , du ressort des juristes. En l’état des disparités existent au sein de l’Union européenne. L’harmonisation souhaitée par le Conseil de l’Europe passe par l’établissement de deux référentiels. L’un concerne une nomenclature des chefs de préjudices. Celle proposée par Yvonne Lambert-Faivre paraît une excellente base de discussion. L’autre, plus délicat à mettre en place, est d’ordre financier, basé sur le modèle d’un « Référentiel indicatif statistique et évolutif » qui se rapproche des évaluations à base jurisprudentielle en usage au Royaume Uni.

La mise en évidence de tendances communes dans l’Union européenne et la formulation de préalables à une véritable harmonisation, basées sur l’étude comparée des systèmes et aidées par l’établissement d’un vocabulaire commun, devraient permettre, au-delà du respect du « principe de subsidiarité » dû aux Etats, de coordonner en Europe les procédures de réparation des accidents médicaux.

BIBLIOGRAPHIE [1] Résolution (75)7, adoptée par le Comité des Ministres le 14 mars 1975, relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès.

[2] Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. Oviedo, le 4 Avril 1997.

[3] HUBINOIS Ph. — Législations et indemnisations de la complication médicale en France et en Europe — Thèse pour le Doctorat d’Etat en droit – Université Paris 8 — soutenue le 19 octobre
2004 (Directeur, Professeur P. Lunel — Président, Professeur J.M. Clément) — Thèse déposée à la bibliothèque de l’Académie Nationale de Médecine.

[4] Loi belge relative aux droits des patients, Le Moniteur Belge, 26 Septembre 2002.

[5] Projet de loi belge relative à l’indemnisation des dommages liés aux soins, mars 2003.

[6] Rapport annuel du Bureau d’expertises de la F.M.H. Bulletin des médecins suisses. 2002 ; 83 :

no 34, 1765-1770.

[7] Loi suédoise no 1996 :799, 19 Juin 1996, relative à l’indemnisation des patients.

[8] Loi suédoise no 1972-207, 2 Juin 1972, sur la responsabilité.

[9] Loi danoise no 367, 6 Juin 1991, sur l’assurance-patient.

[10] Loi finnoise no 585/86, 25 Juillet 1986.

[11] Loi no 2002-303, 4 Mars 2002, relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, JO no 54, du 5 Mars 2002, p. 4118.

[12] HUREAU J., POITOUT D.G. — L’expertise médicale en responsabilité médicale et en réparation d’un préjudice corporel — Paris : Masson édit., 2005, 2ème édition.

[13] Décret no 2003-314, 4 Avril 2003, relatif au caractère de gravité des accidents médicaux. JO no 81 du 5 Avril 2003, p. 6114.

[14] HUREAU J., DE FONTBRESSIN P. — Le droit de la responsabilité médicale. Les nouveaux enjeux.

Bull.Acad.Natle Med., 2003, 187 , no 1, 161-173.

[15] Projet de proposition de la Commission Européenne d’une Recommandation du Conseil Européen pour un guide-barème européen d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique (émanant primitivement de la commission juridique et du marché intérieur du Parlement Européen, no PE 332.577).

[16] LAMBERT-FAIVRE Y. — Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation — Paris : Dalloz édit., 2004, 5ème édition.

[17] Rapport du Groupe de travail no 2 : « L’indemnisation du dommage corporel » du Conseil national de l’aide aux victimes — Présidente : Mme le Professeur Y. Lambert-Faivre — remis au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, le 22 juillet 2003 — Service de l’information et de la communication du Ministère de la Justice, édit. Paris, octobre 2003.

[18] Cour de cassation, ass. plén., 19 déc. 2003, arrêt MAAF, 02-14.783 (no 505 P) — Note d’Yvonne Lambert-Faivre, Recueil Dalloz, 2004, no 3, p.161-166.

DISCUSSION

M. Jean NATALI

Quel est le montant des primes d’assurances payées par les médecins dans les différents pays ? La limitation des indemnités réglées aux patients existe-elle dans certains pays ?

L’assurance en responsabilité civile est obligatoire dans les quatre pays scandinaves. Elle l’est en France depuis le 4 mars 2002. Elle est facultative dans tous les autres pays du sud européen avec des pourcentages de médecins assurés qui vont de 15 % en Italie à 100 % en Allemagne. Le montant des primes d’assurances est directement lié à « l’escalade d’engagement » (M. Crozier et E. Friedberg) vis à vis de la responsabilité médicale. Parmi les « pays du sud » la France est certainement celui où l’esprit de judiciarisation basée sur la faute est le plus prégnant. Les primes y sont élevées : en 2004, pour le bureau central de
tarification, elles étaient de 12 000 à 15 000 euros pour les spécialités à risques, en fait jusqu’à 25 % du revenu brut de certains médecins spécialistes. Dans les quatre pays scandinaves la responsabilité objective fondée sur le risque, gérée à moindres frais par le système d’assurance directe, permet, sans déresponsabilisation, une couverture indemnitaire correcte par des primes qui ne grèvent pas l’économie médicale. En Suède par exemple les primes d’assurances pour les soignants privés ne dépassent pas 300 euros.

Pour les hôpitaux publics gérés par les Comtés, l’ « assurance-patient » prélevée et payée à l’Association des assurances-patients est de l’ordre de 4 euros par citoyen et par an. Si un tel système existait en France il en coûterait, par citoyen et par an, 7,5 euros pour couvrir les charges d’accidents fautifs et 11,3 euros pour couvrir l’aléa sans seuil de gravité mais excluant les préjudices inférieurs à 1200 euros. Avec 19 euros par Français et par an (125 FF) la couverture des accidents médicaux fautifs et non fautifs serait assurée.

Sous des formes différentes il existe, dans un certain nombre des pays d’Europe, une limitation du montant des indemnités réglées aux patients. Cette étude figure dans la thèse de doctorat de droit de Ph. Hubinois citée en référence [3] et déposée à la bibliothèque que l’ANM. A titre d’exemple la loi suédoise a institué une « franchise » de 800 euros et un « plafond d’indemnisation » par sinistre de 3 800 000 euros.

M. Louis AUQUIER

Comment agir pour limiter dans notre pays le droit récursoire dont vous soulignez les excès ?

L’action récursoire des tiers payeurs ne peut s’appliquer qu’aux postes de préjudices économiques à l’exclusion des postes de préjudices personnels. La limitation de cette action passe donc par l’établissement d’une nomenclature claire des postes de préjudices dans laquelle la part de préjudice personnel incluse dans ce que l’on appelle encore l’Incapacité Permanente Partielle (IPP) doit être exclue de l’assiette du recours subrogatoire. La Commission présidée par le Président J. P. Dintilhac étudie actuellement ce problème dans l’esprit des travaux de Madame le Professeur Y. Lambert-Faivre et conformément aux souhaits émis par M.R.de Gouttes, Premier avocat général, dans les conclusions de son avis sur l’arrêt du 19 décembre 2003 de la Cour de cassation.

M. Emile ARON

Dernièrement, 350 chirurgiens se sont exilés symboliquement en Angleterre pour manifester leur désarroi. La question des assurances figurait parmi leurs revendications. ‘‘ On paie plus d’assurances professionnelles que d’impôts ’’, m’a assuré un des leurs. La notion de faute, essentielle en matière pénale, n’est pas justifiée en médecine. Ne pensez-vous pas que la médiation, qui donne des résultats très satisfaisants dans les nombreuses instances médiatrices qui se développent actuellement, serait une formule raisonnable pour régler les conflits médicaux et rétablir, par le dialogue, la confiance en la médecine du public et des médias ?

Tous les pays d’Europe ont effectivement mis sur pied des modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) ou des litiges (MARL) variés, à l’exception de l’Italie où le recours à un mode extra judiciaire est interdit. Qu’il s’agisse de modes binaires (transaction, conciliation) ou ternaires (médiation, arbitrage) toutes les modalités figurent dans la panoplie des droits européens comparés. Elles sont détaillées dans le texte de l’exposé.

Elles n’empêchent pas le recours à la procédure judiciaire. Elles sont souvent un passage obligé avant celle-ci.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Expert honoraire agréé par la Cour de Cassation. ** Chirurgien, Docteur en droit, Expert près la Cour d’appel et la Cour administrative d’appel de Paris. Tirés à part : Professeur Jacques HUREAU, 85 avenue Emile Thiébaut 78110 Le Vésinet. Article reçu et accepté le 16 mai 2005

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 815-830, séance des Membres Correspondants, 24 mai 2005