Résumé
L’évolution de notre société et l’organisation du travail (7 jours sur 7, 24 heures sur 24) a significativement augmenté le nombre de travailleurs en dette de sommeil ou en horaires décalés et a changé nos modes de vie. Des populations sont particulièrement exposées au risque de somnolence excessive par leur comportement de privation de sommeil (e.g., obligations professionnelles), des facteurs circadiens (e.g. conduite de nuit) ou des troubles du sommeil (e.g. syndrome d’apnées obstructives du sommeil ou hypersomnie). Au total, la somnolence diurne excessive (i.e. difficulté à rester éveillé) toucherait 5 % de la population. Les études de santé publique ont montré que la somnolence au volant et son risque associé à l’endormissement sont responsables de 5 à 30 % des accidents de la route en fonction des conducteurs et/ou du réseau routier utilisé. Les stratégies visant à limiter les accidents liés à la somnolence passent par — la mise en place d’un réseau fiable de détection et de traitement des maladies du sommeil, — la prise en compte des conflits chronobiologiques, — la lutte contre la dette de sommeil et — le développement de contre-mesures à la somnolence au volant .
Summary
The evolution of society and labor organization (24/7 working) has significantly changed our lifestyles and increased the number of workers with sleep debt and staggered hours. Populations are particularly at risk of excessive sleepiness due to sleep deprivation (professional obligations), circadian factors (e.g. night driving) and sleep disorders (e.g. obstructive sleep apnea syndrome and hypersomnia). Excessive daytime sleepiness (i.e. difficulty staying awake) is estimated to affect about 5 % of the population. Public health studies have shown that sleepiness at the wheel and other risks associated with sleep are responsible for 5 % to 30 % of road accidents, depending on the type of driver and/or road. Strategies to reduce accidents related to sleepiness include — reliable diagnosis and treatment of sleep disorders, — management of chronobiological conflicts, — adequate catch-up sleep, and — countermeasures against sleepiness at the wheel.
INTRODUCTION
Certaines maladies ou la privation de sommeil entraînent chez l’homme et chez l’animal une somnolence diurne excessive qui représente un handicap majeur [24].
Cet état qui conduit à des modifications importantes du comportement peut se résumer à « un assoupissement peu profond mais insurmontable ou une tendance irrésistible à s’assoupir » [11]. Dans nos sociétés où la performance est une caracté- ristique déterminante des individus, on peut y adjoindre une définition plus comportementale qui serait « l’incapacité de soutenir un niveau de veille compatible avec des activités physiques ou intellectuelles ».
ÉPIDÉMIOLOGIE DE LA SOMNOLENCE ET DES ACCIDENTS LIÉS A UNE BAISSE DE LA VIGILANCE
La part de handicap causée par la somnolence est variable selon les types de réseaux routiers et les populations, néanmoins les accidents de la circulation constituent un assez bon reflet de l’impact social de cette symptomatologie.
Une tranche de la population (18-25 ans) est particulièrement exposée puisqu’elle représente à elle seule la moitié des décès causés par des accidents de la circulation [3].
Si l’alcool et la vitesse ont été identifiés depuis longtemps comme des facteurs de risque en termes d’accidents, depuis quelques années la fatigue semble être également responsable d’accidents.
Il a été montré que deux heures seulement de conduite prolongée de nuit suffisaient à produire des effets sur la conduite comparables à 0, 5g d’alcool par litre de sang et que trois heures de conduite prolongée nocturne correspondait aux effets de 0.8g d’alcool par litre de sang [30] (Figure 1).
En Angleterre, Horne et coll . [10] ont réalisé une étude sur les accidents liés aux endormissements. Ces derniers représentent 16 % des accidents sur route nationale et 20 % des accidents sur autoroute. Ils surviennent la nuit (2-3 heures, 6-7 heures du matin) mais également en fin de journée (16-17 heures). Les sujets jeunes sont particulièrement touchés. Une étude épidémiologique (Sagaspe et al. 2010) (enquête
AFSA) a été menée par téléphone sur 4 695 conducteurs représentatifs des conducteurs français. La somnolence au volant joue un rôle important dans les accidents de la route mineurs urbains et diurnes dans la population active jeune. Ces récents résultats étendent le domaine de l’accidentologie routière liée à la somnolence au
Fig. 1. — Augmentation de la déviation latérale du véhicule par rapport au centre de la voie durant un trajet prolongé sur autoroute et sa relation avec le taux d’alcool [30].
volant pour de longs trajets ou des trajets en milieu de nuit à des trajets plus classiques et fréquents en milieu urbain.
Le monde du travail n’est pas non plus épargné et aux États-Unis, une commission scientifique a démontré que de grandes catastrophes économiques, scientifiques ou écologiques étaient directement en rapport avec une erreur humaine liée à un trouble du sommeil [8]. Le naufrage du pétrolier Exxon Valdez, l’explosion de la navette Columbia ou la catastrophe nucléaire de Three Miles Island figurent sur la liste des drames qui auraient pu être évités par une meilleure gestion de l’organisation du travail.
Devant la gravité des conséquences de la somnolence diurne excessive, des enquêtes ont tenté d’établir une prévalence au sein de la population générale. Selon les types de population (sujets jeunes, sujets âgés, sujets actifs ou sujets à la retraite), le pourcentage d’individus présentant une somnolence diurne excessive se situe entre 0,5 % et 8,7 %. Ohayon et coll. [16] en utilisant une technique sophistiquée d’enquête épidémiologique ont montré que 5,5 % de la population générale en Angleterre éprouvait une somnolence diurne sévère quotidienne depuis plus d’un mois.
Si l’on additionne les causes intrinsèques de somnolence diurne excessive (syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS), mouvements périodiques du sommeil (MPS), narcolepsie, hypersomnie idiopathique), on peut arriver à 6 % de prévalence au sein de la population générale [16, 17, 19]. Les malades atteints de ces pathologies présentent plus d’accidents que des individus contrôles [1] mais ne peuvent pas rendre compte de l’intégralité des accidents liés à la somnolence. Des études [16, 19] nous donnent à penser qu’un pourcentage important d’individus souffrant de somnolence diurne excessive ne possèdent pas de pathologie intrinsèque du sommeil. Leur altération du sommeil, dite extrinsèque, est liée à un trouble des conduites baptisé ‘‘ syndrome d’insuffisance de sommeil ’’ défini par un sommeil chroniquement insuffisant pour assurer le maintien d’un parfait niveau d’éveil. L’évolution des modes de vie et de travail dans les sociétés occidentales vont promouvoir le syndrome d’insuffisance de sommeil qui représente déjà une cause majeure de somnolence diurne dans les sociétés occidentales [13, 14].
Une étude épidémiologique [19] réalisée sur internet (enquête AFSA) a été menée sur 35 004 usagers des autoroutes françaises. Les conducteurs déclarant souffrir de narcolepsie ou d’hypersomnie sont plus exposés à la somnolence au volant et aux accidents que les autres patients souffrant de troubles du sommeil, y compris que les conducteurs apnéiques. Le sur-risque attribuable à la somnolence chez ces malades pourrait expliquer le différentiel de risque accidentel.
Malgré le fait que les scientifiques aient mis en évidence les causes et les conséquences de la somnolence diurne, notre société poursuit un processus de contrainte des rythmes veille-sommeil qui ne correspond donc pas nécessairement aux besoins propres de chaque individu. Il existe par exemple un nombre croissant de Français qui travaillent à des horaires variables, ce qui les force à se resynchroniser en permanence. On estime qu’un travailleur sur quatre varie régulièrement ses horaires de lever et de coucher aux Etats-Unis et ce taux progresse depuis 1986. Ce stress majeur n’est physiologiquement tolérable que par une quantité réduite d’individus.
Quera Salva et coll. [23] ont montré par exemple que la susceptibilité individuelle aux changements de rythme est très importante et que la majorité des individus de son étude éprouvaient de grandes difficultés à faire varier rapidement leurs horaires de sommeil du fait de l’inertie des rythmes biologiques. Les individus capables de déplacer rapidement leur pic de sécrétion de mélatonine nocturne tolèrent le travail posté et modifient rapidement leurs performances psychomotrices.
Chez les conducteurs automobiles et les camionneurs, d’autre cas de privation de sommeil on été décrits. Coren S. a publié une étude [4] sur le changement d’heures aux États-Unis. L’auteur a comparé la fréquence des accidents juste après le passage de l’heure d’hiver et juste après le passage de l’heure d’été. Lors du passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été les sujets perdent une heure de sommeil. Les résultats ont clairement mis en évidence qu’une privation d’une heure de sommeil pouvait expliquer un surnombre d’accidents (8 %) très significatif. En France, un rapport rédigé par les sociétés d’autoroutes Françaises montre que la première cause de décès sur autoroutes (28 %) est attribuable à l’endormissement au volant. Une étude américaine sur les accidents mortels liés à la somnolence chez les chauffeurs routiers a montré que la durée moyenne de sommeil dans les 24 heures précédent l’accident était de 6 heures [15].
Cette étude, qui a été confirmée par d’autres enquêtes réalisées auprès de conducteurs professionnels et non professionnels [18, 21], prouve que l’aspect comportemental est déterminant dans les troubles de la vigilance et ouvre ainsi la porte à des stratégies d’éducation afin de corriger ces désordres.
MESURES PRÉVENTIVES DANS LE DOMAINE DE L’ACCIDENTOLOGIE EN RAPPORT AVEC LA SOMNOLENCE
Quatre grands volets doivent être abordés dans le domaine de la prévention des accidents liés à la somnolence.
La mise en place d’un réseau fiable de détection des maladies du sommeil
L’absence d’enseignement systématisé dans les universités de la médecine du sommeil et le nombre encore limité de cliniques du sommeil réalisant des tests de maintien de l’éveil (examen requis par l’arrêté sur l’aptitude à la conduite automobile) par rapport à la prévalence des troubles expliquent les difficultés de prise en charge des malades concernant le problème de la somnolence au volant.
Ce retard de développement est particulièrement regrettable car des publications ont montré la valeur prédictive des tests de somnolence sur le risque accidentel automobile [5, 20, 27].
La réduction de la composante chronobiologique dans la survenue de la somnolence excessive
Comme nous l’avons décrit précédemment, des études ont montré des susceptibilités individuelles dans l’adaptation aux variations de rythmes circadiens. Il importe de sensibiliser les employeurs à la difficulté de certains individus à modifier leurs rythmes de sommeil. Une stratégie de régularité des horaires de lever et de coucher peut être obtenue dans certains cas (en particulier en ne variant pas ses horaires de sommeil au cours du week-end). Mais les rythmes de trois/huit interdisent cette pratique. Il faut dès lors se poser la question d’un reclassement professionnel vers un rythme deux/huit ou vers un horaire stable (travail de nuit ou travail du matin). La durée du trajet entre le domicile et le lieu de travail doit être comptabilisée car elle accroît significativement la durée de veille chez les travailleurs postés.
Il serait souhaitable de calculer les horaires de travail en fonction de la durée de veille et de sommeil matériellement réalisable par les travailleurs et non en fonction d’indices de productivité. Les tentatives de contraintes excessives des rythmes se matérialisent par un taux accru d’absentéisme et par des accidents en surnombre.
Limitation de l’accumulation de la dette de sommeil et de la fatigue associée
Des études ont montré qu’une dette minime de sommeil (moins de deux heures par 24 heures) répétée plusieurs jours de suite produit le même effet qu’une privation totale de sommeil [29]. Ce paramètre est trop souvent ignoré par la population géné- rale et conduit à un retard de sommeil important. Privilégier des horaires de lever et de coucher réguliers améliorerait le niveau de vigilance de nombre d’individus.
Il est à noter également un facteur cumulatif du manque de sommeil et de la fatigue lors de la conduite étendue [25]. Il est important de fait de limiter la conduite de façon plus importante en période nocturne qu’en période diurne ce qui pour l’heure n’est pris en compte par aucune législation de conduite.
Développement de contre-mesures à la somnolence au volant
À cause des conflits existants entre besoins physiologiques, les activités professionnelles et sociales, et de la généralisation de la conduite de nuit dans les pays industrialisés, il est primordial pour les chercheurs d’identifier et de développer des contremesures (i.e., moyens de lutte) efficaces pour limiter les accidents liés à la somnolence.
Les différentes stratégies utilisées de façon intuitive par les conducteurs somnolents (e.g., hausser le volume de la radio, rouler la vitre ouverte) permettent de faire face à la somnolence uniquement pour un temps limité [9].
La sieste (qui ne doit pas excéder 20-30min et qui doit avoir été effectuée une demiheure avant la reprise de la conduite) et la prise de caféine (une demi-heure avant la reprise de la conduite) semblent être les contre-mesures les plus prometteuses (Figure 2). Cependant, la variabilité interindividuelle des réponses à ces contremesures est importante [22, 27], et il convient donc à chaque conducteur de connaître ses propres réactions vis-à-vis de la prise de sommeil ou de la consommation de café.
À côté des traitements, la correction des désordres respiratoires nocturnes a montré une efficacité directe sur le risque accidentel [6, 7]. On peut également imaginer l’apport de médicaments éveillants sur le risque accidentel des malades hypersomniaques, malheureusement aucune étude randomisée n’a montré à ce jour l’efficacité de ces molécules sur le risque accidentel.
Fig. 2. — Nombre cumulé de franchissements inappropriés de lignes latérales chez des conducteurs jeunes et âgés en conduite nocturne sous placebo, café ou après une sieste [27] ;
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DISCUSSION
M. Yvan TOUITOU
Outre la dette de sommeil qui peut expliquer les accidents survenant à trois heures du matin, il faut également souligner que le rythme circadien de la vigilance est à son plus bas niveau vers trois heures du matin (indépendamment d’une dette quelconque de sommeil). Les grandes catastrophes comme Bhopal, Three Miles Island… se sont toutes produites vers trois heures du matin. Il s’agit d’une heure noire des accidents. Bison futé a donc tout faux dans ses messages incitant à prendre la route le soir, pour un long voyage.
Certes il est néanmoins important de constater que les sujets au travail à trois heures du matin ont usuellement passé une journée éveillée et combinent donc dette de sommeil et pression chronobiologique M. Bernard HILLEMAND
La limitation de vitesse, quand elle se situe sur de longs kilomètres de voies larges et dégagées, n’est-elle pas facteur de somnolence ?
Non c’est le manque de sommeil ou la pression chronobiologique qui provoque l’endormissement et non la monotonie de la tâche.
Conclusion : synthèse
Jean-Jacques HAUW *
Le sommeil normal repose sur la convergence de deux fonctions, la physiologie des états de veille et de sommeil et leur régulation chronobiologique. L’une et l’autre résultent de deux mécanismes étroitement intriqués, l’un anatomo-physiologique, l’autre psychologique et culturel. Les premières recherches modernes, dans notre culture occidentale tout au moins, ont porté sur les rêves et il est généralement admis que Sigmund Freud en a été l’initiateur. Dominique Pringuet nous a rappelé qu’en fait, ils avaient fait depuis longtemps l’objet de multiples réflexions et que, déjà, Héraclite écrivait : « L’homme endormi, le regard éteint, mort à lui-même, saisit alors la lumière dans sa nuit » et il nous pose la question : le rêve nous servirait-il à oublier ? Et, dans ce cas, pour construire ou reconstruire ?
L’étude physiologique du sommeil a été orientée, dès le début du siècle dernier, par les analyses neuropathologiques de l’encéphalite léthargique humaine pratiquées par Constantin Von Economo en 1917. Il a montré que les lésions prédominaient à la base du cerveau (ce qu’il appela plus tard le « Centre de Régulation Cérébrale ») et dans le tronc cérébral [6]. Il y eut, ensuite, comme le rappelait Jean Cambier, de nombreuses recherches clinico-pathologiques et neurophysiologiques dès l’invention de l’électroencéphalographie. Ce fut l’immense mérite de deux équipes concurrentes, à la fin des années 50, l’une à Stanford, celle de William Dement, plus clinique, l’autre à Lyon, celle de Michel Jouvet, plus expérimentaliste, d’explorer le sommeil paradoxal ou REM « Rapid Eye Movement sleep », qu’avaient découvert Aserinsly et Kleitmann quelques années plus tôt. Cela permit de classer le sommeil en 5, puis 4 stades et d’en analyser plus en détail les mécanismes complexes.
Pierre-Hervé Luppi s’est notamment attaché aux mécanismes du sommeil paradoxal décrits par Michel Jouvet et au rôle du système GABAergique dans son déclenchement, Véronique Fabre, Michel Hamon et leurs collaborateurs, ont mis en place ces données au sein de nos conceptions actuelles sur les mécanismes complexes du sommeil où interviennent notamment, outre le GABA, les neuromédiateurs du système activateur ascendant : acétylcholine et monoamines (sérotonine, dopamine, histamine). Aux multiples neuromédiateurs impliqués dans la physiologie du sommeil, est venue s’ajouter une hormone hypothalamique, l’orexine/hypocrétine, dont Michel Billiard nous a décrit le rôle de puissant modulateur de la régulation veille/sommeil. Son déficit, à l’origine de la narcolepsie, interviendrait aussi dans les troubles du sommeil de multiples affections neurodégénératives.
* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jjhauw@laposte.net
La chronobiologie est aussi capitale. Rappelons que des rats privés de sommeil meurent en deux à trois semaines [4] alors que la longévité normale de cette espèce est de trois ans. Yvan Touitou décrit les rythmes ultra-, circa- et infradiens sous la dépendance d’horloges internes, dont la mieux connue- mais non la seule- est représentée par les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus antérieur. L’horloge interne circadienne est synchronisée par des facteurs de l’environnement, dont les principaux sont les alternances lumière-obscurité et veille-sommeil et aussi la vie sociale. La désynchronisation de l’horloge peut être due à son dysfonctionnement, à un défaut d’entraînement ou à une inadéquation entre ses signaux et ses synchroniseurs. Yvan Touitou nous rappelle l’importance des perturbations des rythmes, de leurs modalités de survenue, de mesure et de traitement.
L’étiologie et les aspects cliniques de la pathologie du sommeil sont très variés.
Michel Billard a souligné la multiplicité des manifestations dues au déficit en hypocrétine. Patrick Levy et ses collaborateurs ont analysé le syndrome d’apnée obstructive du sommeil et ses risques, notamment cardio-vasculaires. Pierre Philip et Patricia Sagaspe insistent sur les effets sociétaux des troubles du sommeil à proprement parler, notamment de la somnolence diurne excessive et sur ceux des dyrégulations de l’horloge biologique, quelle qu’en soit la cause (travail nocturne ou posté, par exemple).
Le traitement des troubles du sommeil et des dyrégulations de l’horloge biologique est, on le conçoit, très variable selon la pathologie responsable et doit être à la fois préventif et curatif. Il peut être très simple, se limitant à des mesures hygiénodiététiques, ou complexe, nécessitant le recours à des Centres du Sommeil où divers spécialistes, médecins du sommeil, pneumologues, ORL, neurologues, psychiatres disposent des équipements suffisants (polysomographes). Quelle est, dans ce contexte complexe, la place du médecin traitant ? Quelles sont, aujourd’hui, les possibilités et les limites du traitement pharmacologique des troubles du sommeil ?
Il faut remercier Jean Costentin d’avoir accepté d’en traiter, d’avoir énuméré les cibles biologiques, les molécules actuellement disponibles, les pistes thérapeutiques et les caractéristiques d’un hypnotique idéal, qui, notamment, n’induirait pas ni accoutumance ni dépendance…
Tout n’a pu être dit sur le sommeil dans cette séance, tant le sujet est vaste. A titre d’exemples, l’accent a été surtout mis sur le sommeil paradoxal, et moins sur le sommeil lent, qui fait aujourd’hui l’objet de recherches de plus en plus nombreuses impliquant, par exemple, le « réseau de connectivité fonctionnelle au repos ».
Celui-ci, souvent appelé par un anglicisme, « réseau cérébral par défaut », est constitué de foyers réticulaires (notamment, le cortex cingulaire postérieur, le precuneus, le cortex préfrontal médian et dorso-latéral, le cortex cingulaire anté- rieur ventral …) qui s’activent en Imagerie par Résonance Magnétique Nucléaire fonctionnelle alors que surviennent des ondes de basse fréquences (< 0.1 Hz). Il semble lié à la formation des souvenirs et à la synaptogénèse [5]. La question de Dominique Pringuet sur le rêve, qui survient en sommeil paradoxal, « nous servirait-il à oublier ? Et, dans ce cas, pour construire ou reconstruire ? », prend ici
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1635-1643, séance du 11 octobre 2011