Communication scientifique
Séance du 11 octobre 2011

Dysfonctionnement hypocrétinergique et troubles du sommeil

MOTS-CLÉS : hypocrétines-orexines. maladies neurodégénératives. narcolepsie
Hypocretin disturbance and sleep disorders
KEY-WORDS : narcolepsy.

Michel Billiard *

Résumé

Le système hypocrétinergique (orexinergique) hypothalamique joue un rôle crucial dans la régulation de la veille et du sommeil. La meilleure illustration de ce fait est que l’hypersomnie d’origine centrale narcolepsie est due à un dysfonctionnement du signal hypocrétine chez l’homme et dans divers modèles animaux de la maladie. On note aujourd’hui un intérêt croissant pour le rôle du déficit en hypocrétine dans les troubles du sommeil associés aux maladies neurodégénératives. L’une des questions la plus débattue est celle du rôle des déficits partiels en hypocrétine dans le mécanisme de ces troubles.

Summary

The hypothalamic hypocretin (orexin) system plays a crucial role in the regulation of sleep and wakefulness. The strongest evidence is the fact that the primary sleep disorder narcolepsy is caused by disrupted hypocretin signaling in humans as well as in various animal models. Today there is growing interest in the role of hypocretin defects in sleep disorders associated with neurodegenerative diseases. One of the most controversial issues is the functional relevance of partial hypocretin defects in these disorders.

INTRODUCTION

Postérieurement à la découverte des anomalies de l’hypocrétine dans les modèles canins et murins de la narcolepsie, puis dans la narcolepsie humaine, l’intérêt s’est porté sur le rôle possible d’anomalies du même système dans d’autres troubles du sommeil, primaires ou secondaires à des maladies neurologiques dégénératives, autoimmunes, musculaires ou à des traumatismes crâniens. Cette démarche est importante dans la mesure où les perturbations du système hypocrétinergique peuvent éclairer les mécanismes physiopathologiques des troubles du sommeil rencontrés et où, alternativement, les maladies neurologiques considérées peuvent apporter des indications sur l’origine des perturbations du système hypocrétinergique.

Dans cette revue seront successivement envisagés le système hypocrétinergique, son anatomie, ses rôles, son implication dans les hypersomnies d’origine centrale, dans un trouble du mouvement lié au sommeil, et dans les maladies neurodégénératives.

LE SYSTÈME HYPOCRÉTINERGIQUE

Le terme d’hypocrétine renvoie à deux neurotransmetteurs peptidergiques, les hypocrétines 1 et 2, également appelées orexines A et B, provenant de la scission d’un peptide précurseur, la préprohypocrétine [1-2]. L’hypocrétine 1 est faite de 33 résidus dont 4 résidus cystéine formant deux liaisons disulfide, et l’hypocrétine 2 de 28 résidus sans liaison disulfide, cette différence de structure expliquant probablement la plus grande stabilité de l’hypocrétine 1 dans les fluides physiologiques. A chaque hypocrétine correspond un récepteur couplé à une protéine G, le récepteur-1 étant affin seulement pour l’hypocrétine 1 et le récepteur 2 étant affin pour les hypocrétines 1 et 2. Le récepteur I de l’hypocrétine est abondant dans le locus coeruleus, et dans une moindre mesure dans l’aire préoptique médiane, le raphé dorsal et le tegmentum pontique, le récepteur 2 dans le septum, le nucleus accumbens, la bande diagonale de Broca, le noyau tubéromammillaire, l’aire tegmentale ventrale et le raphé dorsal [3].

Les neurones à hypocrétine sont de taille moyenne, et de forme multipolaire ou fusiforme. On en compte environ 20 000 chez le chien [4] et 70 000 chez l’humain [5].

Ces neurones sont situés dans l’hypothalamus dorsolatéral, centrés autour du fornix et dans les aires adjacentes. Ils projettent de façon diffuse sur le bulbe olfactif, le cortex cérébral, le thalamus, l’hypothalamus, et le tronc cérébral notamment le locus coeruleus, les noyaux du raphé et la formation réticulée bulbaire [6] (Fig 1).

RÔLES DES HYPOCRÉTINES

Lors de leur découverte il a d’abord été envisagé que les hypocrétines soient principalement impliquées dans la régulation de la prise alimentaire. L’injection d’hypocrétine-1 dans le noyau dorso-médian de l’hypothalamus induit en effet un comportement d’alimentation chez le rat [7], tandis que l’administration d’anticorps anti hypocrétine-1 supprime l’alimentation chez le rat [8]. Toutefois l’administration d’hypocrétine chez le rat ne modifie pas la consommation de nourriture

Fig. 1. — Représentation schématique des neurones à hypocrétine hypothalamiques (violet) et de leurs projections vers le cortex (rouge), le bulbe olfactif (bleu clair), le thalamus (vert) et le tronc cérébral (bleu) from Peyron et al. J. Neurosci, 1998, 18, 9996-10015.

sur 24 heures et son administration répétée n’affecte pas la masse corporelle [9]. Il est donc apparu que la fonction majeure de l’hypocrétine devait être autre.

D’une part les neurones à hypocrétine projettent largement sur le cerveau mais surtout sur les aires de stimulation de la veille [6]. D’autre part l’administration centrale d’hypocrétine 1 entraîne une hyperactivité généralisée et des activités motrices stéréotypées [10]. Elle augmente aussi la fréquence des décharges des neurones histaminergiques qui jouent un rôle prédominant dans l’éveil [11]. Surtout deux découvertes effectuées simultanément en 1999 ont mis en évidence un rôle clé du système hypocrétinergique dans la régulation du sommeil et de l’éveil. Le séquençage au niveau génomique, avec détermination des jonctions intron-exon, chez le chien atteint de narcolepsie familiale, a montré une mutation du gène codant pour le récepteur 2 de l’hypocrétine sous forme d’un SINE ( short interspersed nucleotide element) de 226 paires de bases inséré en amont du site d’épissage du 4e exon chez tous les Dobermans narcoleptiques et sous forme d’une délétion de 122 paires de bases au niveau du 6e exon chez tous les Labradors narcoleptiques [12]. A l’inverse, dans les formes canines sporadiques de la narcolepsie aucune mutation n’a été trouvée et les mesures effectuées ont montré un effondrement des taux d’hypocrétine dans le cerveau et le liquide céphalorachidien (LCR), indiquant que les narcolepsies familiales et sporadiques ont des étiologies différentes [4]. Parallèlement aux données acquises chez le chien narcoleptique il était en même temps montré par d’autres auteurs que les souris knock-out pour le gène de la préprohypocrétine en l’état homozygote manifestaient un phénotype « narcoleptique » avec de brèves périodes d’immobilité comportementale évoquant des cataplexies et des endormissements en sommeil paradoxal [13].

L’ensemble de ces données démontrait donc l’importance du système hypocrétinergique dans la régulation des états de veille et de sommeil et dans la physiopathologie de la narcolepsie.

LES HYPERSOMNIES DE TYPE CENTRAL

La narcolepsie

La narcolepsie est un trouble chronique du sommeil auquel on décrit aujourd’hui trois formes, la narcolepsie avec cataplexie, la narcolepsie sans cataplexie et la narcolepsie due à une maladie [14].

La narcolepsie avec cataplexie est remarquable par deux signes cardinaux, la somnolence diurne excessive culminant en des accès de sommeil irrésistibles et rafraî- chissants et les cataplexies ou pertes du tonus musculaire à déterminisme émotionnel, et par des signes dits accessoires, parce que non spécifiques et non indispensables au diagnostic, les hallucinations hypnagogiques, les paralysies du sommeil et les troubles du sommeil. L’examen clinique est normal à l’exception de l’abolition des réflexes ostéo-tendineux pendant la cataplexie et l’augmentation fréquente de l’index de masse corporelle, surtout nette chez le sujet jeune au début de la maladie. Le diagnostic est confirmé par l’enregistrement polysomnographique montrant la nuit un endormissement direct en sommeil paradoxal dans environ 40 % des cas, des éveils fréquents, une fragmentation du sommeil paradoxal, et le jour qui suit par le test itératif de latence d’endormissement (TILE) mettant en évidence une latence moyenne d’endormissement inférieure ou égale à 8 min et deux endormissements ou plus en sommeil paradoxal. Une association avec HLA DQ1*0602 est quasi systématique mais non spécifique de la narcolepsie. Peu de temps après la description des mutations du gène du récepteur de l’hypocrétine-2 chez les chiens atteints de narcolepsie familiale il était rapporté que dans 90 % des narcolepsies humaines sporadiques, HLA DQB1*0602 positives, les taux d’hypocrétine-1 mesurés dans le LCR étaient significativement abaissés ou infé- rieurs à la limite de détection [15]. Parallèlement une disparition d’au moins 90 % de l’expression de l’ARN messager de la préprohypocrétine et des protéines matures des neurones hypocrétinergiques était retrouvée dans le cerveau de sujets atteints de narcolepsie avec cataplexie [16]. De plus, l’absence conjointe de protéines coexprimées dans une majorité des neurones à hypocrétine (dynorphine et NARP) suggé- rait un mécanisme de mort neuronale ciblé sur ces neurones [17]. L’origine de cette mort neuronale pourrait être auto-immune compte tenu de l’âge généralement jeune de début de la maladie et de l’association massive à HLA DQB1*0602. On manquait cependant d’arguments en ce sens jusqu’à la publication récente de deux études. Des anticorps antistreptococciques (ASLO) ont été mis en évidence au début de l’affec- tion [18]. Et de façon plus spécifique, la présence d’anticorps pathogènes antitribbles-2 (antigène surexprimé dans les neurones à hypocrétine) a été trouvée et ce d’autant plus que l’affection était récente [19].

Dans la narcolepsie sans cataplexie les faits sont beaucoup moins clairs. Il s’agit en effet d’une entité hétérogène avec des sujets qui auront un jour des cataplexies et des sujets qui n’en auront pas. Chez ces derniers, la limite est imprécise entre ceux effectivement atteints de narcolepsie sans cataplexie, ceux atteints d’hypersomnie idiopathique sans allongement de la durée du sommeil, voire même ceux qui seraient des sujets sains en état de privation de sommeil.

Seulement 10 % des patients atteints de narcolepsie sans cataplexie ont des taux effondrés d’hypocrétine-1 dans le LCR et le problème se pose de savoir si ces sujets pourraient avoir une perte plus ou moins complète de cellules à hypocrétine à même d’expliquer la symptomatologie d’accès de sommeil sans cataplexie, en l’absence d’effondrement des taux d’hypocrétine dans le LCR. Deux éléments sont importants pour en juger. D’une part les études faites chez l’animal suggèrent qu’une large destruction des neurones hypocrétinergiques est nécessaire pour qu’elle se reflète dans une diminution des taux d’hypocrétine dans le LCR [20]. D’autre part une étude histochimique récente a comparé deux cerveaux de sujets atteints de narcolepsie sans cataplexie à cinq cerveaux témoins [21]. Dans le premier cerveau l’hypothalamus entier était disponible tandis que dans le deuxième seul l’hypothalamus antérieur l’était. Dans aucun des deux cerveaux, il n’était noté de perte des cellules à hypocrétine dans l’hypothalamus antérieur. En revanche il était trouvé dans l’hypothalamus entier une perte de 33 % des cellules à hypocrétine par rapport aux cerveaux des témoins, avec une perte cellulaire prédominant au niveau de l’hypothalamus postérieur et un niveau élevé de gliose dans le noyau hypothalamique postérieur. Bien qu’elle ne repose que sur l’analyse d’un seul hypothalamus entier, cette observation anatomopathologique suggère pour la première fois qu’une perte partielle et localisée des cellules hypocrétinergiques puisse rendre compte de la somnolence diurne excessive.

La narcolepsie due à une maladie se définit par une plainte de somnolence diurne excessive survenant quotidiennement ou presque depuis au moins trois mois, associée à une maladie neurologique rendant compte de cette somnolence, et par l’un au moins des trois critères suivants, la présence de cataplexies typiques, ou une latence moyenne d’endormissement inférieure à 8 min et deux endormissements au moins en sommeil paradoxal au TILE, ou un taux d’hypocrétine-1 dans le LCR inférieur à 110 pg/ml [14]. A ce jour 116 cas de narcolepsie due à une maladie ont été recensés [22]. Parmi ces cas, 38 relevaient d’une maladie héréditaire ou congénitale, syndrome de Prader-Willi, maladie de Nieman-Pick, dystrophie myotonique, 33 d’une tumeur, 19 d’un traumatisme crânien, 10 d’une sclérose en plaques. Une revue de ces cas montre que l’hypothalamus était souvent atteint, surtout dans les cas de tumeur, et que lorsqu’une mesure du taux d’hypocrétine avait été effectuée celle-ci montrait le plus souvent qu’il était abaissé.

 

Hypersomnie idiopathique

L’hypersomnie idiopathique est le deuxième type d’hypersomnie d’origine centrale.

Elle comprend deux formes distinctes, l’hypersomnie idiopathique avec longue durée de sommeil et l’hypersomnie idiopathique sans longue durée de sommeil [14].

Seule la première est bien caractérisée cliniquement avec trois symptômes distincts, une somnolence diurne excessive plus ou moins permanente donnant lieu à un ou deux accès de sommeil par jour, moins irrésistibles mais de plus longue durée que dans la narcolepsie, un sommeil de nuit anormalement prolongé, jusqu’à 12 à 14 heures voire plus, et un réveil laborieux nécessitant le plus souvent l’intervention d’un proche. Le diagnostic est essentiellement clinique mais il n’en nécessite pas moins un examen polysomnographique suivi d’un TILE pour éliminer une autre cause de somnolence diurne excessive. Différentes études ont montré l’absence d’effondrement de l’hypocrétine-1 dans l’hypersomnie idiopathique orientant donc vers un mécanisme physiopathologique autre que celui de la narcolepsie Quant à l’hypersomnie idiopathique sans longue durée de sommeil, elle se caracté- rise cliniquement par une somnolence diurne excessive et des accès de sommeil isolés, et au TILE par une latence moyenne d’endormissement inférieure à 8 min et moins de deux endormissements en sommeil paradoxal. Elle semble nosologiquement très proche de la narcolepsie sans cataplexie.

TROUBLES MOTEURS LIÉS AU SOMMEIL

Le syndrome des jambes sans repos

Il se caractérise par une sensation désagréable siégeant dans les membres inférieurs ou plus rarement supérieurs, obligeant à bouger les membres. Cette sensation désagréable et l’obligation de bouger qu’elle entraîne débute ou s’aggrave pendant les périodes de repos et principalement le soir et la nuit. Elle est partiellement ou totalement soulagée par le mouvement. Le syndrome des jambes sans repos s’associe dans 60 à 80 % des cas à des mouvements périodiques des membres, mouvements répétitifs brusques à l’éveil et dans le sommeil.

L’enregistrement polysomnographique n’est pas nécessaire pour poser le diagnostic de syndrome des jambes sans repos qui est essentiellement clinique. Il est en revanche indispensable, pour préciser un syndrome de mouvements périodiques des membres, le sujet n’en ayant en général pas conscience.

La physiopathologie du syndrome des jambes sans repos n’est pas encore élucidée, mais il existe des arguments en faveur d’un dysfonctionnement des neurones dopaminergiques prenant leur origine dans la région hypothalamique A11 et se terminant au niveau de la matière grise de la moelle intermédiolatérale et dorsale [23].

Comme l’administration centrale d’orexine A (hypocrétine-1) entraîne une hyper- locomotion, des stéréotypies et un comportement de toilette [10-24], l’agitation motrice caractéristique du syndrome des jambes sans repos pourrait être causée par une augmentation de l’hypocrétine. De plus, les effets excitateurs et éveillants de l’hypocrétine-1 pourraient être impliqués dans le niveau d’éveil relativement élevé de ces patients durant la veille et dans leurs troubles du sommeil. Alternativement une augmentation de l’hypocrétine-1 du LCR pourrait être due à une augmentation de l’activité motrice et de la veille de ces patients, des données animales suggérant que l’activité hypocrétinergique augmente significativement avec le mouvement et durant la veille active en comparaison avec la veille calme [25].

La littérature apporte des résultats contradictoires. Des auteurs ont trouvé des niveaux élevés d’hypocrétine-1 dans le LCR chez des patients atteints d’un syndrome des jambes sans repos à début précoce [26] tandis que d’autres auteurs n’ont pas trouvé d’élévation significative de l’hypocrétine du LCR chez des sujets atteints de la forme précoce ou de la forme tardive [27]. De plus il n’a pas été trouvé de corrélation entre la concentration en hypocrétine-1 et la sévérité du syndrome des jambes sans repos jugée d’après les plaintes des sujets ou les données de l’enregistrement polysomnographique.

MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES

Les troubles du sommeil sont fréquents dans les maladies neurodégénératives (tableau 1). Ils comprennent l’insomnie, particulièrement sévère dans la paralysie Tableau 1. — Troubles du sommeil dans les maladies neurodégénératives. SDE : somnolence diurne excessive. TCSP : trouble comportemental en sommeil paradoxal. TR : troubles respiratoires. SJSR :

syndrome des jambes sans repos. MPM : Mouvements périodiques des membres. + : présents Maladie Insomnie SDE TCSP TR liés au SJSR et Autres sommeil MPM Maladie de 35-80 % 15-50 % 30-60 % 20-66 % + Attaques de Parkinson sommeil Atrophie 50 % 25-30 % 80-100 % 20-70 % 30 % Stridor multilaryngé systématisée Démence 20 % + 90-100 % + + États à corps de confusionnels Lewy nocturnes Maladie + + 2 % 33-53 % + Sundowning d’Alzheimer syndrome

Maladie de + + 12 % 0 24 % Huntington supra-nucléaire progressive, la somnolence diurne excessive, les attaques de sommeil ou endormissements soudains et sans prodromes rencontrées chez 4 à 8 % des malades parkinsoniens, le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP), dans lequel le sujet « agit » son rêve de façon potentiellement dangereuse pour son conjoint, prédominant dans les synucléinopathies, les troubles respiratoires liés au sommeil, le syndrome des jambes sans repos et les mouvements périodiques des membres.

Alpha-synucléinopathies

Maladie de Parkinson

La plupart des pathologies du sommeil se rencontrent chez les patients atteints de maladie de Parkinson, certaines même comme la somnolence diurne excessive et le TCSP pouvant précéder les troubles du mouvement de plusieurs années.

Les études faites par différents groupes n’ont pas trouvé de niveau abaissé d’hypocrétine-1 dans le LCR, même chez les patients sélectionnés pour la sévérité de leurs troubles du sommeil [28-30]. En revanche des taux bas ou non dosables d’hypocrétine-1 ont été trouvés dans le liquide ventriculaire de patients à un stade tardif de leur maladie de Parkinson [31]. Dans cette étude une corrélation inverse entre niveau d’hypocrétine-1 et sévérité de la maladie a même été relevée. Deux études ont évalué le système hypocrétinergique dans le cerveaux de patients décédés de maladie de Parkinson [32-33] avec dans les deux cas une perte massive des neurones à hypocrétine et des corps de Lewy en abondance dans l’hypothalamus périfornical.

Atrophie multisystématisée

Les troubles du sommeil sont encore plus fréquents dans cette maladie combinant de façon variable signes parkinsoniens, signes pyramidaux et cérébelleux et signes dysautonomiques, Les plus sévères sont le TCSP extrêmement fréquent, et le stridor nocturne pouvant mettre en jeu le pronostic vital. La concentration en hypocrétine du LCR était normale dans deux études [34-35]. Toutefois une réduction du nombre des neurones à hypocrétine a été trouvée dans le cerveau de sept patients et des inclusions cytoplasmiques gliales abondantes ont été rapportées dans les aires où se concentrent les neurones à hypocrétine [36].

Démence à corps de Lewy

Caractérisée par une démence progressive, des signes parkinsoniens modérés, des myoclonies, des fluctuations marquées de l’éveil et des performances cognitives, des hallucinations visuelles élaborées et de la dépression, la démence à corps de Lewy a pour troubles du sommeil prédominants le TCSP et les états confusionnels nocturnes. Il n’a pas été trouvé de diminution de l’hypocrétine dans le LCR [30, 37]. En revanche une immunoréactivité hypocrétinergique néocorticale réduite, corrélée à la somnolence diurne excessive, a été mise en évidence [38].

 

Tauopathie

Maladie d’Alzheimer

L’ensemble des troubles du sommeil est fréquent dans la maladie d’Alzheimer, à l’exception toutefois du TSCP. Comme dans les maladies précédentes des taux normaux d’hypocrétine ont été retrouvés dans le LCR (28, 37). Toutefois, dans une étude post-mortem de dix sujets, dont quatre avaient des troubles du sommeil caractérisés, le nombre des neurones à hypocrétine était diminué de 40 % en comparaison avec les contrôles [39].

Maladie de la polyglutamine

Maladie de Huntington

Les troubles du sommeil de la maladie de Huntington comprennent insomnie, somnolence diurne excessive, mouvements périodiques des membres et, dans un petit nombre de cas TCSP. Des études ont rapporté des concentrations normales d’hypocrétine dans le LCR de ces patients (40-41). En revanche une atrophie et une diminution de la densité des neurones à hypocrétine a été retrouvée dans des sections coronales de l’hypothalamus latéral [42].

PERTE PARTIELLE DES NEURONES À HYPOCRÉTINE ET TROUBLES DU SOMMEIL DANS LES MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES

Les données recueillies dans les modèles animaux de narcolepsie familiale et chez des patients atteints de narcolepsie avec cataplexie ont clairement mis en évidence qu’une perte du signal hypocrétinergique était à l’origine de la narcolepsie avec cataplexie. Celle-ci peut avoir deux origines : mutation du gène du récepteur 2 de l’hypocrétine dans la narcolepsie canine familiale, déficience dans la production de ligands hypocrétinergiques, qui pourrait être d’origine auto-immune, dans la narcolepsie sporadique canine et humaine. La ressemblance de certains des troubles du sommeil notés dans les maladies neurologiques, somnolence diurne excessive, TCSP, endormissements en sommeil paradoxal, avec ceux de la narcolepsie a conduit un grand nombre d’auteurs à évaluer le statut hypocrétinergique de ces maladies. Les comparaisons sont rendues délicates par le fait que les troubles du sommeil observés ne coïncident que partiellement avec le phénotype narcoleptique, la cataplexie faisant le plus souvent défaut.

Compte tenu de la constatation d’un taux le plus souvent normal d’hypocrétine-1 dans le LCR de ces patients mais d’une perte partielle des neurones hypocrétinergiques à l’examen direct du cerveau, la question se posait de savoir si une perte partielle des neurones à hypocrétine était suffisante pour expliquer les troubles du sommeil ressemblant à ceux de la narcolepsie observés chez ces patients. Un élément important, bien qu’unique, pour répondre à cette question, est l’étude anatomopathologique rapportée plus haut du cerveau d’un patient atteint de narcolepsie sans cataplexie [21]. Elle montrait une perte partielle des cellules à hypocrétine prédominant au niveau de l’hypothalamus postérieur, qui pourrait être responsable de la somnolence diurne excessive et des accès de sommeil incoercibles. Une approche plus directe serait de corriger la déficience en hypocrétine, par exemple en utilisant un agoniste de l’hypocrétine. Malheureusement le développement d’agonistes de l’hypocrétine est une tache délicate non encore menée à bien à ce jour.

Il est possible qu’une perte des cellules hypocrétinergiques projetant sur des régions du cerveau impliquées dans la régulation de la veille et du sommeil, telles que le noyau tubéromammilaire ou le locus coeruleus, entraîne une déstabilisation de la veille. D’après le modèle d’interaction réciproque entre les régions responsables de la veille et du sommeil dénommé « Flip-flop switch » ou « modèle alternatif », les régions aminergiques (noyau tubéromammillaire, locus coeruleus et raphé dorsal) induisent la veille par un effet direct excitateur et inhibent les neurones du noyau préoptique ventrolatéral (VLPO) dans la veille. Dans le sommeil, les neurones du VLPO inhibent ces régions aminergiques via leurs projections GABAergiques et galaninergiques actives pendant le sommeil [43] (Fig 1). Les neurones à hypocrétine stabiliseraient ces états, surtout la veille, en augmentant le tonus aminergique, permettant l’inhibition des neurones du VLPO et ceux du tegmentum pédonculopontin et du tegmentum latéro-dorsal. Compte tenu de la structure de ce modèle une diminution du tonus hypocrétinergique serait de nature à entraîner une instabilité de la veille et du sommeil et des passages soudains et inappropriés de la veille au sommeil.

CONCLUSION

L’absence plus ou moins complète du signal hypocrétinergique explique les symptômes de la narcolepsie. Il est très probable que le défaut partiel d’hypocrétine dans la narcolepsie sans cataplexie et dans certaines maladies neurodégénératives ait une part dans le mécanisme des troubles du sommeil de ces maladies. L’enjeu de ces prochaines années sera de préciser la part exacte du défaut d’hypocrétine dans le déterminisme de ces troubles.

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DISCUSSION

M. François-Bernard MICHEL

Dans votre clinique du sommeil, avez-vous pu, au long des années, améliorer la qualité de vie de ces malades narcoleptiques ?

La qualité de vie des malades atteints de narcolepsie a été améliorée de deux manières dans les trente dernières années. Par l’introduction de traitements plus satisfaisants d’une part : le modafinil (Modiodal®), médicament éveillant non amphétaminique, a été utilisé dans le centre du sommeil de Montpellier à partir de 1984. Il a été mis sur le marché en France en 1994. Il est actif dans environ 70 % des cas, est remarquablement supporté et ne présente pas les inconvénients des amphétamines. Le sodium oxybate (Xyrem®), ex gamma-hydroxybutyrate, a été mis sur le marché en France en 2007 avec l’indication narcolepsie avec cataplexie. Il présente l’avantage d’être actif à la fois sur la somnolence diurne et les accès de sommeil, les cataplexies et les symptômes accessoires, et sur le mauvais sommeil, au prix d’une titration un peu plus délicate que les autres médicaments de la cataplexie. Par la fondation en 1986 d’autre part d’une association de malades, Association Française de Narcolepsie-Cataplexie, auprès de laquelle les malades peuvent chercher aide et conseils.

M. Jean CAMBIER

Un de mes patients, colombophile, ne pouvait gagner un concours, car au moment où il voyait revenir son pigeon, il tombait dans un accès narcoleptique, ce qui l’empêchait de prélever la bague et de la déposer dans l’enregistreur. Comme chez le chien qui s’effondre quand il tombe en arrêt, la surprise et l’émotion déclenchent chez l’homme la cataplexie.

Les attaques de cataplexie sont déclenchées par les émotions telles que humour, surprise, satisfaction, colère. Il est intéressant de souligner que le rire est mentionné comme étant le facteur déclenchant le plus efficace, bien qu’à proprement parler le rire ne soit pas une émotion mais un comportement moteur. Chaque patient a une susceptibilité individuelle aux émotions provoquant l’attaque de cataplexie. Il est fort probable que le retour du pigeon ne provoquerait pas de cataplexie chez un narcoleptique non colombophile.

Qu’en est-il des hallucinations hypnagogiques lors des accès narcoleptiques et des délires hallucinatoires associés aux formes graves du syndrome de Guillain-Barré ?

Les hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques des narcoleptiques et les hallucinations rencontrées dans les formes graves du syndrome de Guillain-Barré sont les unes et les autres des manifestations de « status dissociatus ». Le concept de status dissociatus définit un état dans lequel des éléments d’un état de veille, ou de sommeil lent ou paradoxal, apparaissent pathologiquement dans un autre état de veille ou de sommeil.

Cet état peut donc être conçu comme une altération des frontières protégeant les états de veille et de sommeil. Polygraphiquement le status dissociatus est caractérisé par un mélange des élèments graphiques de la veille, du sommeil lent et du sommeil paradoxal, rendant difficile voire impossible la reconnaissance de l’état de veille ou de sommeil en question. Ce concept est très large. Il réunit ensemble des troubles du sommeil classés dans différentes catégories : la cataplexie (intrusion de l’atonie musculaire du sommeil paradoxal dans la veille), les hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques (expé- riences hallucinatoires survenant à l’endormissement ou au réveil) [les hallucinations rencontrées chez les malades atteints du syndrome de Guillain et Barré apparaissent immédiatement à la fermeture des yeux], les parasomnies du sommeil lent telles que les terreurs nocturnes ou les accès de somnambulisme (comportements moteurs de l’éveil se manifestant en sommeil lent profond), M. Pierre GODEAU

L’hypersomnie idiopathique peut-elle donner des accès intermittents de faible fréquence (deux ou trois par an) ? A-t-on progressé dans la compréhension de cette affection ?

Vous faites allusion à une malade qui présentait des épisodes récurrents de sommeil intense, deux à trois fois par an, d’une durée de quelques heures à trois jours, chez laquelle nous avions évoqué une « stupeur idiopathique récurrente ». Cette entité est caractérisée par un état de stupeur suivi de troubles temporaires du comportement, troubles caractérisés par de la niaiserie, de l’aboulie, de la dépression et parfois de l’agressivité et une libération sexuelle. Le tracé électroencéphalographique obtenu pendant les épisodes est caractérisé par une activité rapide diffuse à 14-16 Hz non réactive aux stimuli. Cet état a été rapporté à la libération d’une benzodiazépine endogène, l’endozépine-4. Le traitement proposé était l’administration intra-veineuse de flumazénil. Toutefois certaines benzodiazépines synthétiques sont difficiles à détecter par les techniques conventionnelles et la découverte que certains cas de « stupeur idiopathique récurrente » étaient causés par la prise frauduleuse de lorazepam conduit aujourd’hui à discuter le concept même de « stupeur idiopathique récurrente » M. Emmanuel-Alain CABANIS

Vous avez signalé 16 % d’étiologies post-traumatiques dans votre série. Ne pensez-vous pas que les sports dits de contact dans lesquels surviennent des concussions (en anglais) ou commotions cérébrales, imitant exactement une narcolepsie-cataplexie, dans le « KO » (football américain, rugby, boxe), réalisent un « modèle » expérimental chez des volontaires présumés très sains (athlètes de haut niveau). Dans ces conditions, ne faudrait-il pas suggérer de tels dosages de l’hypocrétine aux Comités olympiques nationaux très préoccupés par ce sujet de la commotion cérébrale ?

La question des narcolepsies post-traumatiques est une question délicate. Dans la série de neuf sujets rapportée par Lankford (1994) le traumatisme initial avait été mineur ou modéré, avec un certain degré de perte de connaissance chez huit des neuf sujets. Les neuf sujets présentaient une somnolence diurne excessive et cinq des cataplexies. L’examen neurologique était normal ainsi que l’imagerie (scanner ou IRM) chez l’ensemble des sujets, et huit sur neuf présentaient deux endormissements en sommeil paradoxal ou plus au test itératif de latence d’endormissement permettant de retenir le diagnostic de narcolepsie post-traumatique, avec ou sans cataplexie. Toutefois aucun de ces sujets n’avait été soumis à une ponction lombaire pour dosage de l’hypocrétine-1, la découverte de l’hypocrétine datant seulement de 1998. Ripley et al. (2001) ont trouvé des taux intermédiaires d’hypocrétine-1 (entre 110 et 200 pg/ml) chez cinq sujets sur six atteints de narcolepsie sans cataplexie. Dauvilliers et al. (2003) ont rapporté deux cas de narcolepsie sans cataplexie post-traumatique. Le premier avait un taux intermédiaire d’hypocrétine-1 dans le liquide céphalorachidien (176 pg/ml) et le second un taux strictement normal (503 pg/ml). Arii et a l (2004) ont décrit un cas d’hypersomnie post-traumatique avec un taux intermédiaire de 151 pg/ml. Ces taux intermédiaires ou normaux d’hypocrétine-1 dans le LCR ne permettent pas de tirer de conclusions formelles. D’autre part le dosage d’hypocrétine-1 dans le LCR exige une ponction lombaire et il est douteux que les comités d’éthique y soient favorables.

M. Jean-Jacques HAUW

Les troubles du comportement pendant le sommeil paradoxal permettent de révéler, plusieurs années avant le début des autres signes neurologiques, des affections comme les atrophies multisystématisées. Qu’en pensez-vous ?

Les données actuelles indiquent la présence de troubles du comportement en sommeil paradoxal chez 30 à 60 % des sujets atteints de maladie de Parkinson, 80 à 100 % des malades atteints d’atrophie multisystématisée et 90 à 100 % des malades atteints de démence à corps de Lewy. Dans une série de Carlos Schenck, 45 % (20/44) des patients présentant un trouble du comportement en sommeil paradoxal développèrent un trouble parkinsonien dans un délai moyen de 11,5 ans après les premières manifestations du trouble du comportement du sommeil paradoxal (range de 3 à 23 années). Ce trouble est donc un marqueur extraordinaire d’une maladie neuro-dégénérative à venir. On ne peut dire aujourd’hui si la mise en œuvre d’un traitement par clonazépam, efficace sur le trouble, est susceptible de retarder l’éclosion de la maladie neurodégénérative. Enfin ce marqueur pose une question éthique : faut-il ou non avertir les proches, voire le malade lui-même ?

M. Michel HAMON

Comme vous l’avez souligné, l’hypocrétine est aussi dénommée orexine parce qu’elle joue un rôle dans le contrôle de la prise alimentaire (effet orexigène). En cas de dysfonctionnement du système hypocrétinergique, comme chez les sujets narcoleptiques, voire dans d’autres pathologies, y a-t-il des anomalies du comportement alimentaire et/ou des désordres métaboliques associés aux perturbations des états de vigilance?

Une tendance à l’obésité, surtout lorsque la maladie débute dans l’enfance, est fréquente dans la narcolepsie, en dehors de tout traitement médicamenteux et très souvent dans les premiers mois de l’évolution. En effet, en plus de son rôle dans la régulation de la veille, l’hypocrétine est impliquée dans la régulation de l’équilibre énergétique, des fonctions autonomes et neuro-endocriniennes, et pourrait ainsi participer à cette perturbation métabolique trouvée dans la narcolepsie. En dépit de ce surpoids présent chez environ un tiers des patients, une réduction de l’apport quotidien en calories a été rapportée dans la narcolepsie avec cataplexie. Mais il faut souligner que l’équilibre énergétique fait aussi intervenir d’autres acteurs, leptine, ghréline insuline, neuropeptide Y et hormone alpha mélano-stimulante.

Mme Véronique FABRE

Quels sont les liens (de causalité ?) entre narcolepsie et vaccins H1N1 ?

Les données les plus récentes ont montré une forte saisonnalité du début de la maladie chez les enfants et des associations avec le streptocoque, la grippe H1N1 et la vaccination anti-H1N1. Ces constatations suggèrent des mécanismes de type mimétisme moléculaire ou activation potentielle.

 

<p>* Neurologie, Hôpital Gui de Chauliac, 80, avenue Augustin Fliche — 34295 Montpellier cedex, e-mail : mbilliard@wanadoo.fr Tirés à part : Professeur Michel Billiard, même adresse Article reçu le 21 septembre 2011, accepté le 10 octobre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1567-1581, séance du 11 octobre 2011