Rapport
Séance du 9 décembre 2003

Situations pathologiques pouvant relever d’une suspension de peine, pour raison médicale, des personnes condamnées, suite à l’article 720-1-1 du code civil de procédure pénale

MOTS-CLÉS : accessibilité service santé. hospitalisation.. organisation et administration. prison. prisonnier
KEY-WORDS : . health services accessibility. hospitalization. organization and administration. prisoners. prisons

Denys Pellerin

Résumé

En application de la loi 2003-202 du 4-03-2003 portant sur les Droits des malades, a été introduite dans le code de procédure pénale (art.720-1-1) la possibilité pour un détenu de bénéficier d’une mesure de suspension de peine pour raison médicale. En l’absence de toute donnée épidémiologique et de statistique sur la pathologie observée en France en milieu carcéral, l’Académie nationale de médecine n’est pas en mesure de répondre à la saisine des autorités sanitaires lui demandant de préciser les situations pathologiques qui pourraient relever de la mesure de suspension de peine pour raison médicale (hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement pour troubles mentaux). Ce rapport aborde de façon plus globale le problème des détenus âgés en prison, la mort en prison, et les conditions de soins et de suivi des détenus atteints d’une affection chronique durable, dans les conditions actuelles de fonctionnement des Unités carcérales de soins ambulatoires (UCSA) placées sous la responsabilité de personnels médicaux hospitaliers ou hospitalouniversitaires. Le rapport souligne que les personnes incarcérées ne sauraient être privées du bénéfice des dispositions législatives concernant les droits du malade. * * * Le texte de ce rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www. academie-medecine.fr L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 9 décembre 2003, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

RAPPORT au nom d’un groupe de travail*

Situations pathologiques pouvant relever d’une suspension de peine, pour raison médicale, des personnes condamnées, suite à l’article 720-1-1 du code civil de procédure pénale

Denys PELLERIN Par lettre du 28 août 2003 le Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées a souhaité confier à l’Académie nationale de médecine la mission de préciser les situations pathologiques qui pourraient relever de la mesure de suspension de peine pour raison médicale, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement pour troubles mentaux, introduite dans le Code de procédure pénale en son article 720-1-1 par la loi no 2002-203 du 4 mars 2002 en tenant compte de la prise en charge sanitaire qui est assurée aux personnes détenues par le service public hospitalier.

A l’initiative de Monsieur le Président et de Monsieur le Secrétaire perpétuel a été mis en place un groupe de travail qui, répondant aux indications mêmes figurant dans la saisine, a recueilli les avis qualifiés de médecins exerçant en milieux pénitentiaires en des lieux et dans des conditions reflétant la diversité et la réalité des situations.

Il faut d’emblée souligner la parfaite identité de vue existant entre les médecins auditionnés, en dépit de la diversité des populations dont ils ont la charge, de la diversité de leur appartenance hospitalière (CHU ou Hôpital Général, et de leur grade, Professeur d’université — PU-PH, ou Praticien hospitalier), et même des caractéristiques architecturales de l’établissement pénitentiaire au sein duquel ils exercent, notamment sa plus ou moins grande vétusté.

Les informations recueillies et la réflexion approfondie qu’elles ont suscitées, confirment qu’en l’absence de toute donnée épidémiologique et de statistique
sur la pathologie observée en France en milieu carcéral, la réponse à la saisine ne peut revêtir la forme d’une liste précise de « situations qui pourraient relever de cette mesure de suspension de peine pour raison médicale ».

En revanche, l’Académie nationale de médecine souhaite faire part de ses réflexions plus générales sur la prise en charge sanitaire assurée aux personnes détenues. Elle s’appuie sur ses convictions que résume la déontologie médicale. Elle place en toute priorité le respect de la personne et sa dignité préservée quelque soient les circonstances. Elle rappelle que ce qui est aujourd’hui présenté comme le Droit du malade continue pour elle de relever du

Devoir du médecin . Les remarques formulées ci-dessous concernent exclusivement les deux circonstances particulières prévues par l’article 70-1-1 du Code de procédure pénale, à savoir :

— lorsque le condamné est atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital, et — lorsque l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.

LES DÉTENUS ÂGÉS

Selon les sources récentes, sur 60 000 personnes détenues dans les établissements pénitentiaires français, 470 auraient plus de 70 ans dont dix plus de 80 ans et un seul serait nonagénaire. La vie carcérale de ces personnes ne poserait pas de problèmes, la prison étant devenue pour elles leur lieu de vie, leur « domicile ». Malheureusement la plupart sont incarcérées dans des établissements inadaptés aux handicaps physiques liés à l’âge : nombreux escaliers, absence d’ascenseurs, absence de plans inclinés rendant inaccessibles de nombreux locaux, y compris les locaux médicaux voire les lieux de promenade, a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant.

Au-delà de ces chiffres relativement minimes qui relativisent l’importance du problème, il convient d’observer une notable augmentation récente du nombre des détenus âgés de plus de soixante ans en rapport avec la levée de prescription et l’incarcération des auteurs de crimes et délits sexuels notamment en rapport avec des actes très anciens de pédophilie.

LA MORT EN PRISON

Il convient de rappeler que le plus grand nombre de morts en prison sont le fait de suicides. Quarante quatre suicides ont été jusqu’ici enregistrés en 2003, dont 8 % concernent des détenus de plus de cinquante ans ; le sujet n’a pas à être traité ici. S’il est habituel qu’un détenu âgé atteint de déficience cognitive et relationnelle bénéficie d’un transfert dans une institution médicalisée appropriée où il achèvera sa vie, il ne faut pas méconnaître que le même
aménagement de peine pour un détenu âgé en fin de vie mais lucide peut représenter un réel traumatisme qui doit lui être évité. Il s’agit le plus souvent de condamnés à perpétuité qui ont rompu tout lien familial et pour lesquels l’établissement pénitentiaire est devenu le milieu de vie habituel. Il conviendrait alors qu’ils puissent bénéficier de l’accompagnement approprié dû à toute personne en fin de vie dans le respect de sa dignité de personne humaine. Cet accompagnement manque actuellement cruellement.

Une attention toute particulière doit être apportée à la situation des détenus, quel que soit leur âge, dont la situation pathologique engage le pronostic vital et sont parvenus au stade irréversible de leur maladie. Leur mort est inéluctable dans le délai de quelques semaines ou de quelques mois. Les dispositions de l’article 720-1-1 devraient pouvoir leur être aisément appliquées. Cette situation est particulièrement fréquente chez les personnes incarcérées parvenant rapidement et encore jeunes au stade terminal d’un cancer du poumon ou des voies aéro-digestives supérieures particulièrement fréquentes dans un contexte de consommation de tabac sur un terrain souvent alcoolique. Dans de telles conditions, il serait souhaitable qu’une mesure de suspension de peine puisse intervenir pour autant que le bénéficiaire dispose d’un entourage familial accueillant, ou que soient mises en œuvres les dispositions d’accueil extérieur adaptées à son état. En revanche, l’on ne saurait nier qu’il y a pour certains détenus le risque théorique de persistance de leur dangerosité ; il conviendrait alors que soient prises les dispositions nécessaires. Dans le cas contraire toutes dispositions devraient être prises par l’établissement pour assurer le temps de la fin de vie en incarcération dans les conditions requises de respect de la dignité de la personne par la mise en œuvre des soins palliatifs et d’accompagnement appropriés.

LES CONDAMNÉS ATTEINTS D’UNE AFFECTION

Ils devraient grandement bénéficier des conditions nouvelles de prise en charge sanitaire par le service hospitalier, ce qui devrait théoriquement limiter le recours aux dispositions de l’article 720-1-1 pour cette catégorie de détenus.

Mais il faut observer que l’on ne dispose d’aucune statistique sur les pathologies observées en milieu pénitentiaire. Par contre, il y a à l’évidence une grande disparité des moyens de cette prise en charge selon les établissements concernant les budgets, les locaux et les équipements. Les personnels médicaux et paramédicaux sont en maints établissements particulièrement insuffisants pour répondre aux besoins, et pour certains d’entre eux insuffisamment formés à leur fonction très particulière.

L’attribution des moyens relevant exclusivement de l’autorité judiciaire conduit parfois à laisser perdurer des situations préjudiciables à la prise en charge sanitaire de certains détenus. Plusieurs faits précis illustrent cette situation.

Comme son nom l’indique, la liaison entre l’établissement pénitentiaire et l’hôpital par le moyen des UCSA (unité carcérale de soins ambulatoires) est limitée dans le temps. Dans la plupart des établissements les cellules sont fermées à 17 heures. Très rares sont les établissements où est assurée une présence médicale permanente. Le suivi d’un traitement prescrit pour être réparti sur les 24 heures a les plus grandes chances d’être interrompu. La spécificité d’une surveillance continue telle que celle d’un diabète de type I ne peut être assurée. La survenue d’un événement médical aigu nocturne relève du dispositif civil de type S.O.S. médecin, pour autant qu’ait été identifié (par qui ? le codétenu ?) et signalé l’état anormal du détenu.

Certes, la mise en place des UCSA facilite grandement l’accès du détenu malade aux spécialistes hospitaliers pour consultation ou hospitalisation.

Encore faudrait-il que celui-ci ne soit pas dépendant des disponibilités réduites des personnels de police d’accompagnement et de surveillance.

EN CONCLUSION

En réponse à la saisine de M. le Ministre de la Santé, l’Académie nationale de médecine désire attirer son attention sur les grandes insuffisances de prise en charge sanitaire des détenus qui persistent dans un grand nombre d’établissements pénitentiaires du fait de structures architecturales souvent anciennes et inadaptées et de l’insuffisance de moyens matériels et humains. Si plutôt que d’y remédier il devait être fait appel aux modalités prévues par l’article 720-1-1 du Code Pénal, il conviendrait que le juge d’application des peines — dont dépend la décision — et les trois experts chargés de l’éclairer tiennent le plus grand compte de l’avis du médecin de l’UCSA en charge du détenu. Dès lors que la demande du bénéfice de la disposition doit être formulée par le détenu lui-même, il conviendrait que le médecin de l’UCSA, informé par son patient de son intention, lui remette un relevé détaillé de son état, du traitement suivi et des propositions qu’il aurait formulées si lui avait été donnée la possibilité de le faire devant le J.A.P.

Cette procédure tout-à-fait assimilable à la remise au patient de son dossier médical telle qu’elle figure dans la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 apparaît ici comme le respect des droits du malade dont ne saurait être privé le détenu. Elle devrait contribuer à une meilleure coordination médico-judiciaire et faire qu’une décision de justice ne puisse indirectement faire obstacle à une décision médicale prise dans l’intérêt du malade.

COMMUNIQUÉ

Santé et comportements d’inspiration religieuse

Roger HENRION* et Georges DAVID*

L’actualité fait une large place aux difficultés soulevées, à l’école, par le port ostentatoire de signes d’appartenance religieuse. Les lieux de soins, particulièrement les hôpitaux publics, ont à faire face à des difficultés du même ordre qui, pour être moins connues, n’en sont pas moins fréquentes et peuvent avoir des conséquences très graves sur l’exercice des soins et la santé.

L’affichage d’une appartenance religieuse peut par lui-même introduire une perturbation dans un lieu, tel que l’hôpital public, qui devrait par excellence transcender tout clivage. Regrettable de la part des patients, cette manifestation est difficilement acceptable lorsqu’elle vient des soignants. Elle est susceptible de troubler l’indispensable relation de confiance entre le médecin et son patient ainsi qu’entre les différents membres du personnel médical, influant alors sur la qualité des soins. Pour rares que paraissent être encore de tels faits, l’Académie nationale de médecine estime qu’ils ne devraient pas être tolérés.

Mais l’Académie a été saisie d’incidents plus graves. Ainsi en est-il du refus, de plus en plus souvent observé sur l’ensemble du territoire français, de femmes qui, excipant de leur religion, ne veulent pas être examinées par un gynécologue-obstétricien de sexe masculin. Ce refus qui peut s’accompagner de menaces, voire de violences de la part de leurs maris, s’étend parfois à l’accouchement et à l’anesthésie péridurale, ce qui peut avoir des conséquences critiques pour la mère et l’enfant lorsque l’obstétricien ou l’anesthésiste est le seul médecin de garde.

Si une explication claire ne parvient pas à convaincre la patiente durant la grossesse ou à dénouer la situation en urgence, force est pour les médecins d’avoir recours à la médiation d’un responsable religieux ou à l’intervention du procureur de la République, à l’instar de ce qui se produit pour les témoins de Jéhovah refusant toute transfusion sanguine, démarches plus ou moins longues, toujours astreignantes, alors qu’il y a parfois urgence vitale et que le temps presse.

* Membres de l’Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte — 75272 Paris Cedex 06.

Tirés-à-part : Professeur Roger HENRION, à l’adresse ci-dessus.

* Membres : D. PELLERIN (Président), G. CRÉMER, P. PICHOT, P. LEFEBVRE, J.D. SRAER. — Experts : Mme le Pr. LE GUEUT-DELEWAY (Rennes-Femmes), Mme le Dr S. BALANGER (Paris-Santé), Dr MIFTTAHOUDDINE (Val de Reuil), Dr P.-Y. ROBERT (Nantes), Dr F. MOREAU (Le Chesnay).

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 9, 1713-1717, séance du 9 décembre 2003