Communication scientifique
Séance du 24 novembre 2009

Risques d’importation des maladies infectieuses exotiques en France métropolitaine : détection, alerte et réponse

MOTS-CLÉS : surveillance de l’environnement. surveillance sentinelle.
Risk of importation of tropical diseases in metropolitan France : detection, alert, response
KEY-WORDS : environmental monitoring. sentinel surveillance.

Dounia Bitar, Arnaud Tarantola, Isabelle Capek, Philippe Barboza **, Didier Che *

Résumé

Dans le domaine des maladies infectieuses, l’Institut de veille sanitaire est chargé d’impulser et de coordonner l’anticipation et l’analyse des risques infectieux afin d’alerter l’autorité sanitaire et de lui fournir des éléments de réponse face à ces risques. Dans le domaine infectieux, la veille épidémiologique vise à détecter précocement les menaces sanitaires en captant des signaux d’alerte qui recouvrent les champs humain et animal. Les signaux étant nombreux et de qualité variable, une vérification est effectuée. L’évaluation du risque d’introduction et de diffusion d’un pathogène sur le territoire est ensuite effectuée au travers d’une expertise multidisciplinaire. Dans cet article nous illustrons à l’aide d’exemples, différents scenarii de détection, d’analyse de risque et de réponse concernant des phénomè- nes infectieux présents dans la zone intertropicale et potentiellement importables en France métropolitaine. Qu’il s’agisse d’agents peu connus car rarement identifiés en Métropole, ou d’agents émergents de novo, l’analyse et la réponse doivent rester flexibles et être ajustées en fonction des données épidémiologiques et de l’interaction entre l’agent, l’hôte et son environnement. Ces incertitudes nous amèneront à discuter des besoins en matière de surveillance, dans une optique d’amélioration de la réactivité et de l’expertise.

Summary

The French public health institute is responsible for promoting and coordinating threats the detection and assessment of health risks, and for suggesting possible responses. Transmissible diseases affecting both human and animal health are the focus of surveillance networks. Early detection of potential infectious threats is based on the screening of ‘‘ alert signals ’’ identified through routine surveillance networks and other systems. The quality and accuracy of these signals is first verified, before assessing, through a multidisciplinary approach, the risk of introduction and dissemination. This article examines specific cases illustrating the process of detection, risk analysis and response, with respect to infectious threats that are endemic in tropical regions and have the potential to be imported into metropolitan France. For both novel pathogens and exotic diseases — which, not being endemic in France, are less well known — the analysis and response process must regularly be adapted to the latest epidemiological, clinical and biological findings, taking interactions between the pathogen, host, and environment into consideration. The need to improve reaction times and risk assessment is also discussed.

INTRODUCTION

Dans le cadre de ses missions de surveillance et d’alerte, l’une des priorités de l’Institut de veille sanitaire (InVS) est d’anticiper l’introduction et la diffusion d’une menace de santé publique sur notre territoire afin d’apporter les réponses les plus appropriées [1]. À cette fin, la veille prospective, la surveillance et l’expertise sont associées dans une démarche multidisciplinaire.

L’organisation de la réponse est facilitée lorsqu’un phénomène infectieux est identifié au-delà de nos frontières et que sa vitesse de diffusion est relativement lente. Ce fut le cas avec le Sras en 2003 : bien qu’initialement peu précises, des informations cliniques et épidémiologiques étaient disponibles dans les pays du sud-est asiatique avant l’alerte internationale par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS). Cette circulation des informations en amont d’une confirmation par une source officielle a permis aux pays européens d’anticiper l’introduction de cas importés sur leur territoire et d’organiser la mise en place des mesures de prévention et de contrôle, dans un délai de temps suffisant [2]. De même, la réactivité de la réponse est améliorée lorsque des plans de lutte sont déjà élaborés et mis à disposition des différents acteurs. Ainsi, les plans contre la pandémie grippale et les nombreux exercices conduits depuis plusieurs années aux échelons local, national et international [3] ont permis aux pays européens de mettre en place des mesures de réduction de risque et de contrôle dans un délai très bref, suite à la diffusion rapide du nouveau variant de grippe A(H1N1) depuis le continent américain en avril 2009. Dans ces deux exemples, la stratégie de l’autorité sanitaire ne vise pas nécessairement à « éviter à tout prix » l’introduction de cas individuels sur le territoire car la faisabilité et l’efficience de cette stratégie sont limitées. Il s’agit surtout d’empêcher, de retarder, voire d’atténuer un cycle de transmission autochtone d’un pathogène par le diagnos- tic, l’isolement et la prise en charge précoces des patients et de leur entourage. Un autre scenario pouvant être envisagé est celui d’un patient porteur de fièvre hémorragique virale arrivant en France métropolitaine, pour lequel les mesures d’isolement seraient retardées faute de diagnostic précoce. Enfin, dans l’hypothèse de pathogènes non identifiés ou mal connus, il importe d’évaluer très rapidement le degré de menace pour la santé publique, malgré des informations cliniques, biologiques et épidémiologiques initialement peu précises.

Dans cet article nous nous attacherons à décrire quelques exemples de détection et d’analyse de risque concernant des phénomènes infectieux endémiques dans la zone intertropicale et potentiellement importables en France. Il faut toutefois préciser que ces exemples n’illustrent qu’une partie du champ de la surveillance des maladies infectieuses telle qu’elle est organisée en France. Par exemple la surveillance des infections nosocomiales ou les spécificités de la surveillance en fonction des zones géographiques ne sont pas abordées.

ORGANISATION DE LA SURVEILLANCE DES MALADIES INFECTIEUSES EN FRANCE

Principes

Le dispositif de veille et de surveillance des maladies infectieuses est basé sur le recueil d’informations visant à décrire un problème de santé, à détecter des épidé- mies ou des augmentations anormales de cas, à alerter l’autorité sanitaire, à aider à la gestion et enfin à évaluer l’efficacité des mesures (figure 1). Dans une optique de prévention et de contrôle des maladies infectieuses — que ces dernières soient importées ou qu’elles surviennent sur le territoire métropolitain — cette surveillance ne peut être dissociée de celle concernant les phénomènes émergents. Ces derniers sont en effet définis comme ‘‘ des phénomènes infectieux ou présumés comme tels, inattendus (en référence à leurs propriétés intrinsèques ou aux connaissances de leur biologie), touchant l’homme, l’animal ou les deux. Il peut s’agir d’entités cliniques d’origine infectieuse nouvellement apparues ou identifiées, d’entités pathologiques infectieuses connues dont l’incidence augmente dans un espace ou dans un groupe de population donné ou d’une modification qualitative et/ou quantitative des caractéristiques de l’agent, de la maladie, de la population touchée et de son environnement. Dans une optique d’anticipation, il peut s’agir d’une maladie identifiée dont les conditions d’expansion deviennent favorables. Habituellement, une incertitude réelle ou perçue quant au potentiel évolutif, la maîtrise du phénomène et l’impact en santé publique humaine et/ou animale est présente ’’ [4].

Détection des signaux

Les signaux d’alerte repérés par la veille sanitaire peuvent inclure des évènements non préalablement suivis ou la modification d’indicateurs provenant de systèmes de

Fig. 1. — Principes de l’analyse et de la réponse aux signaux d’alerte issus de la veille sanitaire.

Source : Rapport annuel 2006, Institut de Veille Sanitaire surveillance organisés (par exemple une augmentation inhabituelle de cas d’une maladie à déclaration obligatoire). Ces signaux proviennent de différentes sources et recouvrent généralement les champs humain et animal, une grande partie des infections émergentes étant des zoonoses [5, 6].

L’un des objectifs des systèmes de surveillance organisés est de détecter des épidé- mies ou des phénomènes inhabituels. La surveillance des maladies à déclaration obligatoire et celle issue des centres nationaux de référence permettent le recueil de données cliniques, biologiques et épidémiologiques concernant des entités cliniques précises. Le choléra ou les fièvres virales hémorragiques sont des exemples de pathologies non endémiques sur le territoire français métropolitain, soumises à la déclaration obligatoire, de pronostic potentiellement sévère, pour lesquelles des mesures rapidement mises en œuvre peuvent prévenir la diffusion secondaire. La « surveillance syndromique » complète le dispositif en recueillant de manière systé- matique et continue des données d’activité médicale regroupées en syndromes :

consultations aux urgences ou admissions hospitalières codées selon la classification internationale des maladies, pour lesquelles le tableau clinique détaillé et l’étiologie ne sont pas disponibles. Une augmentation inhabituelle du nombre d’évènements par rapport à des valeurs de référence représente un signal qui doit être exploré.

 

Ces systèmes organisés ne permettent pas de détecter des phénomènes rares, peu connus ou insuffisamment caractérisés. Pour ces derniers, il est demandé aux soignants, biologistes et acteurs de santé publique de ‘‘ signaler tout syndrome infectieux dont la fréquence et/ou les circonstances de survenue et/ou la présentation clinique et/ou la gravité sont jugées inhabituelles ’’. Le signalement peut être effectué par téléphone pour plus de réactivité comme illustré dans l’encadré avec l’exemple de la fièvre de la vallée du Rift (FVR).

Un autre axe de la surveillance est celui de la veille bibliographique basée sur l’étude des publications scientifiques. Dans une optique d’anticipation, cette veille scientifique permet par exemple d’analyser le risque potentiellement lié à des modifications de l’environnement comme le changement climatique, de s’informer sur les éventuelles adaptations des arthropodes vecteurs ou sur les mutations de certains agents pathogènes, de surveiller l’évolution et la rapidité de diffusion des résistances aux anti-infectieux, etc.

L’anticipation s’appuie également sur une combinaison de réseaux d’information et d’alerte qui constituent la veille internationale et qui couvrent notamment l’importation de maladies infectieuses exotiques. Les dispositifs les plus fréquemment utilisés incluent la veille issue des media, particulièrement structurée par le système canadien GPHIN d’accès payant [7] et le réseau Promed, plus largement accessible [8]. Des réseaux d’accès limité complètent ce dispositif, notamment le «

Global Outbreak Alert and Response Network (GOARN) » de l’OMS et le « Early Warning and Response System (EWRS) » de la Commission européenne, géré par le ‘‘ European Centre for Diseases Control ’’ (ECDC) [9, 10]. Ces réseaux sécurisés permettent aux institutions partenaires de s’informer mutuellement en temps réel et de lancer des alertes de portée régionale ou internationale. Ils s’appuient sur le nouveau règlement sanitaire international de 2005 dont le but est « d’aider la communauté internationale à éviter les risques aigus pour la santé publique susceptibles de se propager au-delà des frontières et de constituer une menace dans le monde entier, en prenant les mesures qui s’imposent » [11].

 

Encadré

En 2007, le Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales (Institut Pasteur) signalait par téléphone à l’InVS un diagnostic de FVR chez un enfant habitant aux Comores et transféré pour une hospitalisation à Mayotte.

Une enquête téléphonique immédiate auprès des cliniciens de Mayotte permettait de retracer le parcours et les dates de séjour de l’enfant aux Comores. Au cours des 48 heures suivantes l’équipe de la veille internationale complétait l’investigation en interrogeant les partenaires sur la survenue d’épizooties, de vagues d’avortements chez le bétail, de cas suspects ou confirmés aux Comores et à Madagascar.

Cette enquête mettant à jour la circulation du virus dans l’archipel des Comores, une alerte a été immédiatement émise. Les partenaires au niveau national et local (InVS, Cire, Ddass, cliniciens, biologistes, etc.) ont été mobilisés pour la détection rapide des cas et la mise en place de mesures de contrôle. Un dispositif de détection des cas à Mayotte a été mis en place, complété par une intensification de la surveillance syndromique. En parallèle une analyse rétrospective des pré- lèvements a été effectuée, à la recherche d’anticorps anti- FVR parmi des patients ayant présenté des symptômes similaires mais pour lesquels le résultat initial était négatif pour la dengue, le Chikungunya, la leptospirose et le paludisme.

Ce dispositif de surveillance coordonné par la Cire Réunion-Mayotte a permis d’identifier dix cas confirmés de FVR à Mayotte entre fin 2007 et mai 2008. Deux autres cas sont survenus après les campagnes de prévention conduites en juin 2008.

Validation du signal

La grande richesse et la diversité des systèmes de surveillance assure une complé- mentarité des informations. Certains systèmes sont plus sensibles au risque de générer de nombreuses fausses alertes. D’autres sont plus spécifiques et basés sur la confirmation étiologique mais peuvent engendrer un retard avant l’alerte. Il importe donc de vérifier de manière rapide, rigoureuse et systématique les signaux réceptionnés à l’InVS. Cette étape est d’autant plus importante que la source d’information est peu spécifique, comme la veille issue des media.

Les éléments de validation portent sur plusieurs critères : la source de données et leur degré de fiabilité, les informations initiales sur la description clinique des cas (sévérité, tableau clinique compatible avec le diagnostic évoqué, éléments de confirmation biologique ou d’orientation étiologique, etc.), les données épidémiologiques (modalités de diffusion du germe), l’existence éventuelle de phénomènes similaires rapportés dans d’autres zones géographiques ou dans un passé proche, etc. La possibilité d’une origine bioterroriste doit être évoquée à ce stade.

 

Expertise et analyse du risque

Un nouvel évènement infectieux, une nouvelle souche bactérienne identifiée ne signifient pas nécessairement un risque pour la santé publique. Ce dernier est évalué en fonction de nombreux critères : données cliniques et épidémiologiques (taux d’attaque, incidence, gravité, létalité, population touchée, classes d’âge touchées) ;

nature de l’agent et modes de transmission supposés ou avérés (une transmission interhumaine par voie respiratoire faisant suspecter un phénomène hautement contagieux) ; interactions animal-homme (maladies vectorielles, zoonoses) ; facteurs environnementaux (changement climatique, pullulation vectorielle) ; modifications des comportements humains (flux migratoires, échanges commerciaux licite, ou non, entre pays) ; capacité épidémique et risque d’émergence ou d’extension (notamment en fonction de la sévérité du tableau, des difficultés de diagnostic biologique et de traitement spécifique) ; perception sociale et politique du risque ;

enjeux économiques ; risque de diffusion internationale.

Les disciplines impliquées dans l’analyse reflètent la diversité de ces critères d’analyse. Elles associent cliniciens, biologistes, épidémiologistes, vétérinaires, entomologistes, sociologues, etc. ainsi que les gestionnaires, afin de s’assurer de la faisabilité et de la cohérence de la réponse. L’expertise intègre de plus en plus souvent les modèles mathématiques qui permettent par exemple d’estimer le risque d’importation du Sras ou de la dengue en Europe [12, 13] ou d’évaluer l’impact des mesures de contrôle aux frontières pour la réduction de la diffusion d’une pandémie grippale [14-16]. L’analyse de risque peut être effectuée conjointement par plusieurs pays frontaliers ou sous la coordination et l’impulsion des institutions internationales : le risque d’implantation du Chikungunya en France métropolitaine et sur le pourtour méditerranéen a fait l’objet de diverses expertises nationales et européennes [17-20].

Nous proposons ci-dessous un exemple d’analyse multidisciplinaire du risque d’introduction et implantation de la FVR en France métropolitaine.

Contexte épidémiologique et justification de l’expertise

La FVR est une maladie animale occasionnellement transmise à l’homme par contact direct avec des produits contaminés (viande, produits d’avortement), inhalation ou piqûre d’arthropodes. L’infection est asymptomatique dans près de 50 % des cas. Dans moins de 5 % des cas l’infection évolue vers une pathologie grave :

infections oculaires, méningo-encéphalites, hémorragies. Plusieurs espèces de moustiques peuvent transmettre l’infection de même que des phlébotomes et des simulies.

Le phlébovirus de la FVR est présent en Afrique subsaharienne et dans la Péninsule arabique et une transmission autochtone du virus a été identifiée en 2007 chez un enfant comorien n’ayant jamais quitté son île natale [21]. En France métropolitaine le virus ne semble pas implanté, mais les vecteurs sont présents et les échanges entre la Métropole et l’archipel comorien imposent d’anticiper le risque.

Modalités de l’expertise

L’InVS a mis en place dès 2000 un groupe d’experts multidisciplinaires (cliniciens, épidémiologistes, biologistes, vétérinaires, responsables de santé publique, chercheurs, gestionnaires) chargé de définir les priorités de surveillance concernant les zoonoses non-alimentaires [22]. Ce groupe définit les zoonoses à surveiller en priorité en fonction de l’importance de la maladie humaine (incidence ou prévalence, sévérité, mortalité, potentiel épidémique, modes de transmission, existence de mesures de prévention et de contrôle), de l’importance de la maladie ou du portage chez l’animal (mammifère ou insecte) et du contexte environnemental qui peut évoluer au cours du temps. Entre 2006 et 2008, le groupe d’experts a notamment été interrogé sur le risque de survenue de FVR en Métropole.

Analyse de risque pour la France métropolitaine (2008)

L’incidence de la maladie est nulle en 2008 mais le risque d’importation et d’implantation (i.e. d’émergence) existe en raison de l’épizootie dans des zones géographiques ayant des liens particuliers avec la France métropolitaine, de la présence de vecteurs compétents et du rôle potentiellement aggravant du réchauffement climatique. Il n’y a pas, en théorie, d’importation de bétail en Métropole à partir de ces zones. Le risque serait essentiellement lié à une arrivée de voyageurs infectés et virémiques, pouvant être à l’origine d’une chaîne de transmission en cas de piqûre par l’un des vecteurs présents. Sur la base de ces critères, les experts ont classé la FVR comme hautement prioritaire en matière de surveillance humaine (niveau 4 sur une échelle de 1 à 4). En parallèle il importe de renforcer et adapter la prévention et le contrôle (niveau 2) et de développer des recherches pour une meilleure connaissance clinique et épidémiologique (niveau 3). Par ailleurs, la surveillance et le contrôle dans le milieu animal sont également jugés prioritaires car l’infection peut provoquer des avortements spontanés et la mort de jeunes animaux d’élevage avec un impact économique important. Les connaissances concernant le risque de FVR doivent être approfondies avec les entomologistes, les vecteurs potentiels étant nombreux (rapport en cours).

— Recommandations (2008-2009)

Les résultats de l’expertise ont été soumis à l’autorité sanitaire (Direction générale de la santé) et à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) (lien http://www.afssa.fr/cgi-bin/countdocs.cgi). La première étape de la réponse a consisté à intensifier la surveillance biologique et à renforcer les capacités de détection des cas dans l’archipel comorien, avec une mise à dispostion de fonds.

Concernant la Métropole, l’Afssa devrait évaluer le risque d’importation pour le volet animal et recommander des mesures pour éviter l’implantation. Ce travail est en cours.

 

Alerte et réponse

Une alerte est émise lorsqu’une menace pour la santé publique est retenue comme plausible ; cette alerte doit s’accompagner d’informations sur les mesures de réduction de risque ou de contrôle. Un exemple désormais classique est celui du Sras au début de l’alerte mondiale, lorsque le germe était encore inconnu [2]. En cas d’urgence, des réunions téléphoniques sont rapidement organisées avec les experts des différents secteurs concernés sous la coordination de la Direction générale de la santé. Des conduites à tenir peuvent être proposées. Par exemple, un guide de gestion autour des cas importés de choléra a été élaboré entre institutions (lien 1). Ce guide a été précédé d’une revue de la littérature et d’une analyse des protocoles élaborés dans d’autres pays. Par ailleurs, une recherche systématique de cas secondaires éventuellement survenus chez des soignants ou dans l’entourage des six cas de choléra importés en France et déclarés entre 2003 et 2007 a permis de confirmer qu’aucune transmission secondaire n’était survenue.

Outre les conduites à tenir, des plans peuvent également être développés. Les plans nationaux « Sras » et « grippe » ont été élaborés à partir d’une trame similaire mais avec des spécificités propres (liens 2). Les mesures de prévention et de contrôle de la diffusion du Chikungunya et de la dengue en Métropole sont presque identiques (liens 3) en raison des nombreuses similitudes concernant la présentation clinique initiale des deux pathologies, les modalités de transmission des deux virus et l’éco-épidémiologie des vecteurs. Ce plan chikungunya/dengue prévoit de renforcer la surveillance entomologique et épidémiologique pour détecter la présence du vecteur Aedes albopictus et la présence de cas importés potentiellement virémiques, afin de mettre en œuvre les mesures de contrôle du vecteur et de protection des personnes. Les mesures sont ciblées à des zones géographiques précises ; elles sont graduelles et proportionnelles au risque (figure 2).

Dans le cas de menaces avérées par leur sévérité ou leur diffusion, mais insuffisamment caractérisées, l’évaluation, l’alerte et la réponse doivent être conduites rapidement malgré les nombreuses incertitudes. Ainsi, la mise en quarantaine de personnes asymptomatiques exposées à un cas de Sras n’est plus considérée comme justifiée car le risque de diffusion à l’entourage est infime avant la survenue de symptômes [23], mais cette notion n’était pas clairement établie dans les premiers temps, justifiant que des mesures drastiques aient été mises en place.

1 http://www.invs.sante.fr/publications/2008/guide_investigation_cholera/index.htm 2 http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/pneumapathies/sommaire.htm : lien Pour le Sras 3 http://www.sante-sports.gouv.fr/dossiers/sante/dengue/informations-concernant-dengue.html ;

http://www.sante-sports.gouv.fr/dossiers/sante/zoonoses/chikungunya/chikungunya.htlm

Fig. 2. — Schéma résumé de la détection, l’alerte et la réponse face à des cas de chikungunya importés en Métropole Source : voir note 3 — Plans dengue — chikungunya, Direction générale de la santé Surveillance et adaptation de la réponse

Le dispositif que nous avons décrit doit également fournir des informations permettant l’évaluation de l’impact et l’adaptation des mesures mises en œuvre. La mise à jour régulière des plans et conduites à tenir est une preuve de ces ajustements effectués en fonction des nouvelles connaissances épidémiologiques, biologiques, cliniques dans les domaines humain et animal, et en particulier dans le domaine des vecteurs. La mise à jour des connaissances par la veille scientifique est complétée par des retours d’expérience organisés au niveau national ou international. Toutefois, ces retours d’expériences sont rarement publiés [2, 24-26]). Enfin, l’ensemble du dispositif de surveillance concernant un pathogène spécifique peut être évalué [27].

DISCUSSION

Du fait de la grande diversité des sources d’information, les épidémiologistes chargés de la veille en maladies infectieuses font face à un volume croissant de signaux d’alerte, issus d’outils et de réseaux de veille très diversifiés. Il importe d’observer avec un regard critique ces outils visant à détecter et à retarder l’implantation des agents importés. Selon une étude récente [28], parmi les milliers de signaux émis par le réseau Promed entre 2006 et 2007 sur une période d’un an, vingt-sept signaux avaient été sélectionnés par l’Institut de santé publique néerlandais en raison d’un risque potentiel d’importation et de diffusion pour leur pays.

deux signaux étaient exclus car non validés et une menace possible était retenue et analysée de manière approfondie pour cinq des vingt-cinq signaux retenus. Toutefois aucune de ces cinq menaces possibles n’a finalement donné lieu à une alerte ou à la mise en place de mesures de contrôle immédiates. D’autres auteurs [29, 30] soulignent également les limites de ces outils de veille dont la valeur ajoutée serait marginale en termes d’alerte et de réponse pour les pays européens ; ils indiquent néanmoins que ces signaux restent utiles et nécessaires pour connaître le « bruit de fond ». La combinaison de différents systèmes de surveillance apportant une meilleure sensibilité, des projets de recherche opérationnelle visant à améliorer les modalités de détection et à définir des critères plus pertinents de sélection des signaux d’alerte pourraient éventuellement permettre d’améliorer la spécificité. En parallèle, le renforcement des capacités de diagnostic biologique et des capacités de réponse est essentiel. Enfin, le renforcement de la surveillance doit impérativement englober les pays de la zone intertropicale : le risque relatif de survenue et de diffusion d’une émergence infectieuse est en effet particulièrement élevé dans ces pays alors que les efforts de veille et d’anticipation sont généralement développés dans les pays plus riches [31].

REMERCIEMENTS

À Daniel Eilstein et Christine Saura (Institut de Veille Sanitaire) pour leur relecture attentive du document BIBLIOGRAPHIE [1] Desenclos J.C. — Surveillance des maladies infectieuses : principes et organisation en France en 2005. Med. Mal. Infect ., 2005, 35 , 232-44.

[2] Bitar D., Emmanuelli J. — L’épidémie de Sras en 2003 en France. Rapport sur la gestion épidémiologique du Sras par l’InVS. 2004 Nov.

[3] Kaiser R., Coulombier D. — Different approaches to gathering epidemic intelligence in Europe. Euro Surveill ., 2006, 11 , E060427.

[4] Pépin M., Boireau P., Boue P., Castric J., Cliquet F. — Emergence des maladies infectieuses animales et humaines. INRA Productions Animales 2007, 20 , 199-206.

[5] Antia R., Regoes R.R., Koella J.C., Bergstrom C.T. — The role of evolution in the emergence of infectious diseases. Nature , 2003, 426 , 658-61.

[6] Woolhouse M.E., Gowtage-Sequeria S. — Host range and emerging and reemerging pathogens. Emerg. Infect. Dis ., 2005, 11 , 1842-7.

[7] Mykhalovskiy E., Weir L. — The Global Public Health Intelligence Network and early warning outbreak detection: a Canadian contribution to global public health. Can. J. Public Health , 2006, 97, 42-4.

[8] Madoff L.C. — ProMED-mail: an early warning system for emerging diseases.

Clin. Infect.

 

Dis. , 2004 , 39 , 227-32.

[9] Formenty P., Roth C., Gonzalez-Martin F., Grein T., Ryan M., Drury. P. et al. [Emergent pathogens, international surveillance and international health regulations (2005)].

Med.

Mal. Infect., 2006, 36 , 9-15.

[10] Guglielmetti P., Coulombier D., Thinus G., Van L.F., Schreck S. — The early warning and response system for communicable diseases in the EU: an overview from 1999 to 2005. Euro Surveill ., 2006, 11 , 215-20.

[11] Rodier G., Hardiman M., Plotkin B., Ganter B. — Implementing the International Health Regulations (2005) in Europe. Euro Surveill ., 2006, 11 , 208-11.

[12] Goubar A., Bitar D., Cao W.C., Feng D., Fang L.Q., Desenclos J.C. — An approach to estimate the number of SARS cases imported by international air travel. Epidemiol. Infect ., 2009, 137 , 1019-31.

[13] Seyler T., Grandesso F., Le Strat Y., Tarantola A., Deforteere E. — Assessing the risk of importing dengue and chikungunya viruses to the European Union. Epidemics, 2009, (in press).

[14] Bitar D., Goubar A., Desenclos J.C. — International travels and fever screening during epidemics: a literature review on the effectiveness and potential use of non-contact infrared thermometers. Euro Surveill ., 2009, 14 (6).

[15] Cooper B.S., Pitman R.J., Edmunds W.J., Gay N.J. — Delaying the International Spread of Pandemic Influenza. PLoS Med., 2006, 3 , e212.

[16] Pitman R.J., Cooper B.S., Trotter C.L., Gay N.J., Edmunds WJ. — Entry screening for severe acute respiratory syndrome (SARS) or influenza: policy evaluation . BMJ , 2005, 331 , 1242-3.

[17] InVS — Cas importés de chikungunya et de dengue en France métropolitaine: Bilan de la surveillance à partir des données de laboratoire, avril 2005 — décembre 2007. 2009.

[18] Krastinova E., Quatresous I., Tarantola A. — Imported cases of chikungunya in metropolitan France: update to June 2006. Euro Surveill ., 2006, 11 , E060824.

[19] Depoortere E., Coulombier D. — Chikungunya risk assessment for Europe: recommendations for action. Euro Surveill ., 2006, 11 , E060511.

[20] Depoortere E., Salmaso S., Pompa M.G., Guglielmetti P., Coulombier D. — Chikungunya in Europe. Lancet , 2008, 371, 723.

[21] Sissoko D., Giry C., Gabrie P., Tarantola A., Pettinelli F., Collet L. et al . — Rift Valley fever, Mayotte, 2007-2008.

Emerg. Infect. Dis ., 2009, 15, 568-70.

[22] Capek I., Vaillant V., Mailles A., De Valk H. — Définition de priorités et actions réalisées dans le domaine des zoonoses non alimentaires, 2000-2005. Bulletin Épidemiologique Hebdomadaire , 2006, 27-28 , 196-9.

[23] Poutanen S.M., Low D.E. — Severe acute respiratory syndrome: an update.

Curr. Opin. Infect.

 

Dis. , 2004, 17 , 287-94.

[24] Girard J.F., Lalande F., Salmi L.R., Le Bouler S., Delannoy L. — Rapport de la mission d’évaluation et d’expertise de la veille sanitaire en France. Pages 101, 2009.

[25] Numéro thématique. Fièvres virales hémorragiques. Bulletin Épidemiologique Hebdomadaire 2006, 43-44 , 331-44.

[26] RetexDengueAntilles-Guyane2007.Bulletind’alerteetdesurveillanceAntilles-Guyane2008 ,1 .

[27] Perra A. — La surveillance du virus West Nile en France.

Bulletin Épidemiologique Hebdoma- daire , 2002 , 33 , 161-3.

[28] Zeldenrust M.E., Rahamat-Langendoen J.C., Postma M.J., Van Vliet J.A. — The value of ProMED-mail for the Early Warning Committee in the Netherlands: more specific approach recommended. Euro Surveill ., 2008, 13 .

[29] Coulombier D. — Epidemic intelligence in the European Union: strengthening the ties.

Euro

Surveill ., 2008, 13 .

[30] Brownstein J.S. — Surveillance sans frontieres.

PLoS Med ., 2008, 5 , e151.

[31] Jones K.E., Patel N.G., Levy M.A., Storeygard A., Balk D., Gittleman J.L. et al . —

Global trends in emerging infectious diseases.

Nature, 2008, 451 , 990-3.

 

DISCUSSION

M. Pierre BÉGUÉ

Quelle est la place des centres nationaux de référence (CNR) dans l’élaboration de l’alerte sanitaire lorsqu’une maladie est inconnue en France ?

Le renforcement des capacités de diagnostic biologique concernant des agents inhabituels est essentiel. Mais il doit s’accompagner d’une sensibilisation des cliniciens et biologistes afin qu’ils soient en mesure d’orienter la demande d’expertise microbiologique ou virologique. En effet, face à un agent inconnu, il est difficile pour les cliniciens et biologistes de pouvoir identifier d’emblée vers quel CNR s’adresser en première intention. Le renvoi des prélèvements ou souches vers un autre CNR lorsqu’un diagnostic alternatif est évoqué peut provoquer différents dysfonctionnements : délais prolongés d’acheminement, risque d’égarement des prélèvements ou mauvais rendement de prélè- vements répartis dans plusieurs laboratoires, etc. L’autorité sanitaire a mis en place un laboratoire de niveau P3 à même d’effectuer un premier triage ‘‘ à l’aveugle ’’ sur des prélèvements de nature inconnue : la Cellule d’Intervention Biologique d’urgence (CIBU) basée à l’Institut Pasteur. Ce laboratoire a pour mission d’intervenir lorsque la classe d’agent biologique n’est pas encore identifiée. L’intervention de la CIBU est déclenchée par l’autorité sanitaire après analyse du risque. Dès que l’orientation le permet, les CNR correspondants sont sollicités. L’avantage de ce type de dispositif de niveau P3 est une plus grande souplesse par rapport à un laboratoire de haut niveau de confinement (P4).

M. Jean-Jacques HAUW

Les plans d’action devant une alerte sanitaire sont-ils harmonisés en Europe ?

Dans une certaine mesure (dans les grandes lignes d’une action), oui. Ceci concerne à la fois la planification et la réponse. Il existe une certaine harmonisation en ce qui concerne les grandes lignes d’une action de santé publique. Les modalités et déclinaisons des interventions restent adaptées à chaque pays, selon la situation et l’organisation du système sanitaire des pays respectifs. Les plans ‘‘ pandémie grippale ’’ des pays européens ont été inspirés d’une trameélaborée par l’OMS et adaptée par les différents pays de la Communauté. Par la suite de nombreux exercices inter-pays ont été organisés sous la coordination de l’Union Européenne, comme le ‘‘ Common ground exercise ’’ conduit en 2005 (suivi d’autres exercices). Ces exemples de mise en commun ne concernent pas exclusivement la pandémie : les alertes bioterroristes ou celles liées à des agents inconnus font également l’objet de discussions, mises en commun, exercices (exemple: exercice

Aeolus en 2008 : http://ec.europa.eu/health/ph_threats/com/preparedness/docs/aeolus_ frep_en.pdf). La réponse face à une alerte est également coordonnéee ou concertée, autant que faire se peut : — Pour une alerte prévisible (exemple : pandémie grippale) dès le début de l’alerte l’Union Européenne a organisé des réunions téléphoniques de coordination et concertation, accompagnées d’échanges sur le site Internet de l’EWRS.

Ces échanges permettent tout d’abord une mise à jour des connaissances et un partage sur les arguments ayant conduit chaque pays à faire un choix stratégique particulier. Par la suite une mise en commun des données est organisée. Ainsi pour la grippe H1N1, l’InVS fournit chaque semaine à l’ECDC un bilan des cas de grippe, selon un format standard. L’ECDC se charge ensuite du transfert de ces données agrégées à l’OMS pour les bilans mondiaux. — Le même processus est utilisé pour tout type d’alerte, par exemple le chikungunya en Italie (2007).

 

<p>* Département des Maladies infectieuses, Institut de veille sanitaire, 12 rue du Val d’Osne, 94415 Saint- Maurice cedex, e-mail : d.bitar@invs.sante.fr ** Département International et Tropical, InVS même adresse Tirés-à-part : Madame Dounia Bitar, même adresse Article reçu et accepté le 9 novembre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1847-1860, séance du 24 novembre 2009