Résumé
L’Académie nationale de médecine, après examen du projet de Loi constitutionnelle (Charte de l’environnement), notamment ce qui intéresse la santé et le bien-être individuel et collectif, conformément aux missions qui sont les siennes ; — Adhère au concept d’écologie humaniste, ayant inspiré la Charte, qui traduit le souci d’un meilleur équilibre entre les aspirations de l’humanité à améliorer ses conditions de vie et la nécessité d’une préservation de l’environnement ; elle reconnaît que pour y parvenir un effort particulier en faveur de l’environnement est justifié, mais s’inquiète de constater que, dans son état actuel, le projet n’offre pas le même niveau de garantie à l’égard des besoins de santé et d’épanouissement des hommes. — Souligne que toute ambiguïté ou imprécision, dans ce texte fondamental sera utilisée pour atteindre, sous couvert de prétextes écologiques, des objectifs d’intérêts particuliers aux dépens de l’intérêt général. — Remarque, comme elle l’avait déjà dit, le risque qui résulterait pour la santé et le progrès médical d’une prééminence accordée au principe de précaution, alors que dans ses applications au domaine médical, ce principe n’a pas démontré la maturité de sa méthodologie, et a eu des conséquences dommageables quand il n’était pas soumis à toutes les étapes, à une évaluation objective et à l’estimation du rapport coût/bénéfice. — Souhaite que soit envisagée la création d’un Comité Consultatif National de l’Environnement qui serait, grâce à sa composition diversifiée, un lieu d’échange, d’information et d’élargissement de la réflexion, répondant aux interrogations de la société et des décideurs politiques.
Summary
The National Academy of Medicine, after examining the proposal for a constitutional law (Environment Charter), has made the following comments regarding health issues and individual and collective well-being, in conformity with its mission : — The Academy adheres to the concept of a humanist ecology, which should underlie the Charter and translate the concern for a better balance between human aspirations for improved living conditions and the need to preserve the environment. The Academy recognizes that, in order to achieve this, a special effort in favor of the environment is justified, but is concerned that the proposals in their current state do not offer the same level of guarantee for health needs and human fulfillment. — The Academy underlines that any ambiguity or lack of precision in this constitutional text might be used to attain, under the pretext of environmental concerns, economic or ideological goals to the detriment of the general good. — The Academy draws attention, as before, to the drawbacks of giving preeminence to the precautionary principle, which could hamper health and medical progress, since this principle has not demonstrated the maturity of its methodology and has had detrimental consequences when specific actions were not submitted before their implementation to a complete and objective evaluation, and cost/benefit estimation. — The Academy recommends that a National Advisory Committee on the Environment be created which, with its diverse membership, could provide a framework for exchange, information, and reflection, and respond to the concerns of society and policy-makers.
Communiquéconsultation pour avis expert., ecosystème, environnement et santé publiqueecosystem, environment and public health, referral and consultation.Maurice Tubiana **L’Académie nationale de médecine, après examen du projet de Loi constitutionnelle (Charte de l’environnement), notamment ce qui intéresse la santé et le bien-être individuel et collectif, conformément aux missions qui sont les siennes ; — Adhère au concept d’écologie humaniste, ayant inspiré la Charte, qui traduit le souci d’un meilleur équilibre entre les aspirations de l’humanité à améliorer ses conditions de vie et la nécessité d’une préservation de l’environnement ; elle reconnaît que pour y parvenir un effort particulier en faveur de l’environnement est justifié, mais s’inquiète de constater que, dans son état actuel, le projet n’offre pas le même niveau de garantie à l’égard des besoins de santé et d’épanouissement des hommes. — Souligne que toute ambiguïté ou imprécision, dans ce texte fondamental sera utilisée pour atteindre, sous couvert de prétextes écologiques, des objectifs d’intérêts particuliers aux dépens de l’intérêt général. — Remarque, comme elle l’avait déjà dit, le risque qui résulterait pour la santé et le progrès médical d’une prééminence accordée au principe de précaution, alors que dans ses applications au domaine médical, ce principe n’a pas démontré la maturité de sa méthodologie, et a eu des conséquences dommageables quand il n’était pas soumis à toutes les étapes, à une évaluation objective et à l’estimation du rapport coût/bénéfice. — Souhaite que soit envisagée la création d’un Comité Consultatif National de l’Environnement qui serait, grâce à sa composition diversifiée, un lieu d’échange, d’information et d’élargissement de la réflexion, répondant aux interrogations de la société et des décideurs politiques.
The National Academy of Medicine, after examining the proposal for a constitutional law (Environment Charter), has made the following comments regarding health issues and individual and collective well-being, in conformity with its mission : — The Academy adheres to the concept of a humanist ecology, which should underlie the Charter and translate the concern for a better balance between human aspirations for improved living conditions and the need to preserve the environment. The Academy recognizes that, in order to achieve this, a special effort in favor of the environment is justified, but is concerned that the proposals in their current state do not offer the same level of guarantee for health needs and human fulfillment. — The Academy underlines that any ambiguity or lack of precision in this constitutional text might be used to attain, under the pretext of environmental concerns, economic or ideological goals to the detriment of the general good. — The Academy draws attention, as before, to the drawbacks of giving preeminence to the precautionary principle, which could hamper health and medical progress, since this principle has not demonstrated the maturity of its methodology and has had detrimental consequences when specific actions were not submitted before their implementation to a complete and objective evaluation, and cost/benefit estimation. — The Academy recommends that a National Advisory Committee on the Environment be created which, with its diverse membership, could provide a framework for exchange, information, and reflection, and respond to the concerns of society and policy-makers.
Un des objectifs de la charte de l’environnement est la « protection de la santé ».
L’Académie nationale de médecine considère donc que dans le cadre de ses responsabilités elle a le devoir de participer au débat instauré autour de ce projet, d’autant que cette loi constitutionnelle aura préséance sur toutes les lois et qu’elle « s’imposera à toutes les juridictions et sujets de droits ».
POUR UNE ÉCOLOGIE HUMANISTE.
L’Académie se félicite que ce projet soit fondé sur la promotion d’un « écologie humaniste » pour le bien « de tous les peuples ». Ces expressions qui inspirent l’exposé des motifs, impliquent que soient conciliés la protection des milieux naturels, qui a été dans le passé trop souvent négligée, avec l’épanouissement de la personne qui doit rester l’objectif primordial. Or celui-ci requiert, outre la satisfaction des besoins essentiels (alimentation, éducation, lutte contre les maladies) une protection contre les contraintes et les menaces que l’environnement naturel peut faire peser sur les personnes (catastrophes naturelles, espèces nocives pour la santé présentes dans les milieux naturels, etc). Si ces deux objectifs sont souvent convergents, ils peuvent aussi être antagonistes. Prenons l’exemple des marécages. Ceux-ci sont riches en écosystèmes naturels, mais il est souvent indispensable de les drainer, à la fois pour lutter contre le paludisme (qui a été jusqu’au milieu du XXe siècle, une des principales causes de morbidité et de mortalité en Europe méridionale et qui le reste encore dans de vastes régions du monde) 1 et pour rendre fertiles de vastes étendues insalubres et improductives.
Au cours du XXe siècle, la population du globe est passée de 1,8 milliards à plus de 6 milliards avec une urbanisation croissante dans des conditions hygiéniques souvent déplorables. Elle atteindra plus de 10 milliards au milieu du XXIe siècle. Les milieux naturels évolueront inéluctablement en fonction de cette poussée démographique, d’autant que s’y ajoutera une aspiration à une amélioration des conditions de vie qu’il faut satisfaire sous peine d’aggraver des frustrations qui menacent l’équilibre du monde. Le besoin de mieux-être ne se limite pas, d’ailleurs, aux pays en voie de développement car il existe encore des îlots de pauvreté dans les pays industrialisés.
Faire face aux besoins croissants en aliments, eau potable, énergie, nécessitera des efforts considérables. Des solutions devront être trouvées. Une écologie humaniste devrait favoriser cette recherche tout en évitant les ambiguïtés génératrices de conflits juridiques.
CLARIFICATION DES NORMES ET DES OBJECTIFS.
Pour limiter la fréquence de ces conflits juridiques, il faudrait clarifier les normes et leur interprétation.
Le terme diversité biologique apparaît, à plusieurs reprises, dans la charte. Il faut préciser sa signification. Celle-ci ne peut pas être la préservation de toutes les espèces (au cours des temps géologiques des espèces ont constamment disparu, et d’autres sont apparues, permettant l’évolution). Le maintien de la diversité doit être compris non comme un but en soi mais comme un moyen de favoriser l’épanouissement de l’homme dans son environnement, soit directement dans la mesure ou celui-ci pourrait être bénéfique pour la santé, soit indirectement quand la diversité est utile pour l’agriculture et l’élevage.
Pour ce qui est de la santé, il existe un malentendu entre scientifiques et non scientifiques. La biodiversité en elle-même n’a pas d’avantage décelable pour la santé : les études montrent que celle-ci est, en France, aussi bonne dans les villes où la biodiversité est minimale que dans les campagnes, aussi bonne dans les régions de monoculture que dans celles de polycultures et certainement, dans les deux cas, meilleure que dans les régions où la nature n’a pas été « humanisée » et où subsistent des espèces nuisibles pour la santé (certains insectes, parasites, et autres animaux ou végétaux venimeux). Pour la santé, l’intérêt de la biodiversité est de préserver de nombreux génomes, y compris ceux d’organismes nuisibles tels le virus de la variole, car ceux-ci peuvent être des modèles utiles à la compréhension des mécanismes génétiques ou gouverner la synthèse de produits pouvant se révéler des médicaments efficaces. Les parcs naturels et les banques de cellules suffisent à cette fonction.
Exiger le maintien de la diversité dans un texte constitutionnel serait source de nombreux procès notamment contre les agriculteurs utilisant des herbicides, pesticides, engrais, car ces produits réduisent la biodiversité dans le sol, sans pour cela nuire à la santé des lors qu’ils sont utilisés selon la loi. Prendre pour objectif le maintien de la biodiversité en tous les points du territoire, n’a pas de fondement rationnel et ouvrirait la porte à des utilisations abusives.
L’article 1 de la Charte dit « Chacun a le droit à vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé ». Le commentaire précise que l’environnement équilibré recouvre « le maintien de la biodiversité, l’équilibre des espèces et des milieux naturels, le bon fonctionnement des écosystèmes ». La gravité des conflits qui ont été provoqués par la construction des voies de circulation ou par l’entreposage ou l’incinération de déchets illustre ce qui pourrait advenir si les contestations s’appuyaient sur une loi constitutionnelle.
Pour faire prévaloir un intérêt particulier, ou des craintes irraisonnées, sur l’intérêt général, des riverains ou voisins pourraient prétendre que l’aménagement d’un chemin, l’abattage d’une haie, la création d’un entreposage des déchets ou la construction d’une usine d’incinération nuirait à l’équilibre de l’environnement et le rendrait moins favorable à la santé. Ils pourraient alors attaquer non seulement ceux qui font ces travaux mais aussi les décideurs ayant donné l’autorisation (maire, préfet, etc.). Les décideurs devraient être protégés afin qu’ils puissent défendre, sans crainte, le bien public.
Pour éviter ces difficultés d’interprétation, il faudrait préciser que cet article ne remet pas en question les normes et les concentrations autorisées et que l’accusation d’altération de la qualité sanitaire de l’environnement devra être fondée, dans des conditions définies par la loi, sur l’existence de dangers avérés aux concentrations considérées et non sur des soupçons ou des hypothèses. Si la prudence est nécessaire, c’est à la loi ou aux règlements d’en fixer les limites et au juge de les faire appliquer.
On a bien vu, les dangers d’une absence de directive dans le cas du procès concernant la sclérose en plaque où l’on accusait sur simple présomption, la vaccination contre l’Hépatite B d’être responsable et où l’État a été condamné. Ne pas guider les tribunaux serait d’autant plus risqué qu’il est souvent impossible de prouver scientifiquement l’absence totale d’un risque, Aristote l’avait montré il y a 23 siècles.
« Le droit à la protection de la santé », s’il n’était pas explicité, risquerait de favoriser l’irrationnel dans un domaine, la santé, jusque là protégé contre ces dérives.
Le progrès médical a été obtenu en conciliant l’innovation avec la mise en balance constante des avantages et des inconvénients de chaque soin et en assortissant toute novation d’une veille sanitaire.
L’ARTICLE 5 ET LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION.
La Résolution des chefs d’Etat ou du gouvernement de l’U.E sur le principe de précaution, adoptée à Nice en décembre 2000, précise qu’avant la mise en œuvre de ce principe, il faut effectuer une analyse du coût et des bénéfices de chacune des actions envisagées en son nom (les avantages et les inconvénients sanitaires, sociaux, financiers et économiques). Cette règle est primordiale afin d’éviter les utilisations abusives de ce principe. Or l’article 5 est ambigu. On parle de mesures proportionnées sans donner de définition ; on rappelle la nécessité « d’éviter la réalisation de dommage » tandis que l’absence de référence à l’évaluation du coût permet toutes les dérives. Pour éviter celles-ci, il faudrait insérer une phrase dans l’article 5 après « la réalisation des dommages » : par exemple « En application du principe de précaution le coût sanitaire, social et économique des dommages éventuels et des mesures prises pour les éviter devra être préalablement estimé dans le cadre des procédures d’évaluation ». Ceci permettrait d’éviter deux pièges : — ne pas tenir compte du rapport coût/efficacité, — ne pas tenir compte de la hiérarchie des risque.
L’expertise initiale permettrait, en outre, de juger du bien fondé des craintes et de leur plausibilité scientifique. Après mise en œuvre, ce rapport coût/bénéfice devra être évalué à intervalles réguliers afin de pouvoir éventuellement faire évoluer les mesures et de faire un bilan à la fin de l’action.
On pourrait, ainsi, éviter le gaspillage de sommes énormes pour lutter contre des risques minimes ou hypothétique, sommes qui feront défaut dans le budget de la nation alors que faute de moyens on devra renoncer à des actions beaucoup plus efficaces. On pourrait citer de nombreux exemples de cette situation. Pour éviter les effets paralysants du principe de précaution outre la référence constatée au rapport coût/bénéfice, il faut prendre en considération les effets nuisibles s’étendant au-delà de l’objectif visé. Il faut éviter aussi par une estimation périodique que la mise en œuvre de ce principe donne à une simple suspicion de risque le statut d’un danger avéré. L’expérience montre, en effet, que même si secondairement on est conduit à revenir sur l’analyse initiale parce que l’alarme s’avère fallacieuse, l’opinion publique reste défiante (voir note 6).
PROPOSITION DE CRÉATION D’UN COMITÉ CONSULTATIF.
Proposition de création d’un Comité Consultatif National de l’Environnement.
Les quelques exemples que nous avons pris, et que l’on pourrait aisément multiplier, montrent la complexité des questions que posera la mise en œuvre de la Charte de l’environnement. La protection de l’environnement et des ressources naturelles ne doit pas être réalisée au détriment du développement économique et social, qui peut seul permettre la réduction des tensions que créent les inégalités géographiques et sociales et l’évolution démographique.
Dans les pays industriels, l’opinion n’a pas encore mesuré l’ampleur et la difficulté des problèmes techniques posés par l’inéluctable et souhaitable développement du tiers-monde et a souvent mythifié les peurs au lieu de préparer l’avenir. Il faut favoriser la recherche et les innovations techniques au lieu de cultiver la méfiance de la technologie, il faut aussi considérer les conséquences à court terme et prévoir les effets, à long terme, des mesures envisagées. Pour qu’un comité soit efficace, il faut qu’il réunisse des scientifiques, des médecins qui exposeront les contraintes scientifiques et médicales, des philosophes, des sociologues, des psychologues qui analyseront les réactions des individus et de la société, des juristes et des membres de la société civile. Il doit être un lieu de multidisciplinarité et d’interaction échappant aux fausses urgences et n’ayant pas de pouvoir décisionnel.
Entre d’une part les comités d’experts qui répondent dans leur domaine de compé- tence aux questions qui leur sont posées, les agences qui préparent les décisions administratives, cette instance pourrait être un lieu de réflexion tenant compte de l’évolution des connaissances et des réactions du public dans une vision perspective avant les débats au Parlement et les décisions du gouvernement. C’est faute d’avoir prévu celles-ci que dans le cas de la maladie de la vache folle, par exemple, des décisions ont été prises dans la hâte sans rassurer le public malgré l’énormité des dépenses engagées.
Les missions du comité devraient notamment comporter : la définition des conditions de l’expertise scientifique ; l’évaluation des objectifs et des moyens, l’analyse des résultats des recherches effectuées dans ces domaines ; l’élaboration de méthodes décisionnelles et le contrôle de l’efficacité, de l’absence de nocivité et du coût des mesures envisagées ; l’analyse des dispositions à soumettre au corps législatif ; la concertation avec les milieux européens et internationaux et la mise à disposition du législateur de données scientifiques objectives permettant d’éclairer le débat public.
Il ferait le bilan des actions entreprises et évaluerait les impacts positifs ou négatifs de ces actions. Il devrait permettre la confrontation des idées et, grâce à un débat, la recherche de compromis acceptables.
Ce comité aurait pour mission de répondre aux questions posées par le Gouvernement, le Parlement ou le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation ainsi que par les agences concernées. Il aurait droit d’autosaisine mais pourrait aussi interroger, quant il le jugera utile, les Académies, agences et sociétés savantes concernées. Son indépendance devra être garantie. Ce comité n’aurait aucun pouvoir exécutif et son rôle sera uniquement consultatif, les instances l’ayant questionné gardant leur pleine responsabilité tout en ayant bénéficié de l’expertise de ce comité.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 janvier 2004, a adopté le texte de ce communiqué moins une abstention.
Les annexes de ce communiqué, dans leur intégralité, peuvent être consultées sur le site www.academie-medecine.fr.
* Constitué de M. TUBIANA, G. DAVID, CL. SUREAU, G. MILHAUD. ** Membre de l’Académie nationale de médecine
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 147-152, séance du 6 janvier 2004