Communiqué
Séance du 6 janvier 2004

Remarques et recommandations de l’Académie nationale de médecine à propos de l’« Amendement Garraud »

MOTS-CLÉS : mort embryon. mort fœtale. texte législatif.
KEY-WORDS : embryo loss. fetal death. legislation.

Claude Sureau*

Communiquémort embryon, mort fœtale, texte législatif.embryo loss, fetal death, legislation.Claude Sureau*

COMMUNIQUÉ

Remarques et recommandations de l’Académie nationale de médecine à propos de l’« Amendement Garraud »

Claude SUREAU*

Au nom d’un groupe de travail **

L’amendement proposé par le député J.P. Garraud, et voté en 2ème lecture par l’Assemblée nationale, a provoqué dans le public, les médias, au sein des associations et du corps médical une intense émotion. Les autorités politiques ont exprimé sur ce sujet des opinions variées et évoqué l’éventualité de son retrait en 2ème lecture au Sénat, ou tout au moins d’une profonde modification de sa rédaction.

Compte tenu des implications médicales de cet amendement, l’Académie nationale de médecine regrette de ne pas avoir été consultée avant sa présentation à l’Assemblée nationale et a réuni un Groupe de travail 1 pour en étudier le texte, en analyser les conséquences médicales éventuelles et présenter tant au Sénat qu’aux pouvoirs publics des points de réflexion.

Situation actuelle :

 

Code pénal :

 

Article 221-6 du nouveau code pénal (art. 319 de l’ancien) : « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».

 

Les arrêts de la Cour de Cassation 30.06.99 Lyon ch. criminelle Confusion de patientes 29.06.01 Metz ass. plénière Accident de la voie publique 25.06.02 Parly II ch. criminelle Dépassement de terme

Arrêt 476 du 29.06.01, ass. plénière :

« Attendu que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221.6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ».

Il résulte de ces arrêts ce que l’on a pu considérer comme un « vide législatif » :

l’homicide involontaire, c’est à dire l’acte de provoquer involontairement la mort d’ « autrui » ne s’applique pas à l’être prénatal qui n’acquiert la qualité juridique de personne qu’à la naissance.

Les tentatives de correction législative — Cl. Gaillard, 6.02.02 — M. Hunault, 15.10.02 — J.P. Garraud, 27.11.03 (Texte de l’amendement, Annexe 1 )

Art. 223-11. — « L’interruption de la grossesse, sans le consentement de l’intéressée, causée, dans les conditions et selon les distinctions prévues par l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » « Si les faits résultent de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, la peine est de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Remarques et recommandations de l’Académie nationale de médecine

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA MORT DE L’ENFANT AVANT LA NAISSANCE.

 

Un drame familial

Convaincue de l’importance des implications humaines de l’interruption accidentelle d’une grossesse, désirée dans le cadre d’un projet parental, l’Acadé- mie nationale de médecine se sent profondément solidaire des parents et tient à exprimer fortement sa compassion face à un tel drame.

 

Un paradoxe juridique

Comme le public et les associations familiales, elle est extrêmement sensible au paradoxe juridique qui conduit à admettre une différence, du point de vue de la responsabilité pénale, entre la mort prénatale quelle qu’en soit la cause et une atteinte à la vitalité de l’être prénatal compatible avec sa survie immédiate, mais aboutissant à sa mort après la naissance.

Une nécessité judiciaire

L’Académie nationale de médecine est néanmoins convaincue de la nécessité d’une interprétation stricte de la loi pénale fondée sur le principe de la légalité des délits et des peines, telle que l’ont rappelée la chambre criminelle et l’assemblée plénière de la Cour de Cassation.

Pour autant, elle note que cette interprétation conduit, pratiquement, à une absence de qualification pénale pour un acte ayant conduit à une telle mort, lorsque cette mort est l’unique conséquence de l’acte délictueux.

L’Académie nationale de médecine comprend donc la préoccupation de justice et d’humanité qu’a exprimée l’amendement présenté par M. Garraud.

Un problème de chronologie

L’Académie nationale de médecine tient à souligner qu’il ne lui paraît pas médicalement fondé de regrouper dans ce contexte de responsabilité pénale (qu’il s’agisse d’accident de la voie publique ou d’acte médical ou de tout autre circonstance) les atteintes à la vitalité de l’être prénatal aux divers stades de la gestation. La mort d’un fœtus en fin de grossesse, celle d’un embryon ou d’un fœtus en début de grossesse, voire d’un embryon in vitro , comportent des conséquences médicales, psychologiques, aussi bien qu’humaines, de nature et d’intensité différentes, malgré l’évidente continuité ontologique de l’être prénatal.

De ce fait, il semble à l’Académie nationale de médecine que l’incrimination visée par l’amendement, dans son éventuelle nouvelle rédaction, devrait se limiter à la période dite de viabilité fœtale, telle que reconnue par les autorités médicales internationales, et fixée quelque peu arbitrairement à partir de 22 semaines écoulées depuis le premier jour des dernières règles ou d’un poids fœtal de 500 grammes.

 

La spécificité médicale

Accident de la voie publique et acte médical

Elle regrette par ailleurs que la formulation de cet amendement conduise à associer dans une même incrimination les conséquences d’un acte évidemment délictueux, tel qu’une conduite automobile en état d’ivresse ou des coups portés en cas de violence conjugale, et celles qui peuvent résulter d’un acte médical dont la motivation est toute autre et comporte nécessairement parfois une atteinte à l’intégrité corporelle (Art. 16.3 du Code civil, Annexe 2 ). Elle souligne, à ce sujet, la spécificité de l’acte médical, et rappelle la reconnaissance de cette spécificité par le rapport du Conseil d’Etat de 1998.

Spécificité de l’être prénatal

Elle tient également à souligner la spécificité de l’être prénatal, que l’on ne saurait assimiler à une chose, à quelque terme que ce soit, en raison de son devenir potentiel ainsi que l’affirme l’Article 16 du Code civil (Annexe 3) , ni à une personne, qualité juridique qui ne peut lui être reconnue qu’à et par la naissance vivant et viable, ainsi qu’il résulte de la règle infans conceptus comme de la jurisprudence de la Cour de Cassation.

 

Le patient prénatal

Comme l’a déjà affirmé l’Académie nationale de médecine, l’être prénatal est, pour le corps médical, un patient méritant attention et soins, diagnostiques ou thérapeutiques, et comme tel doit pouvoir bénéficier d’une protection juridique aussi spécifique que l’est sa nature.

Sa mort en raison d’un état pathologique le concernant ou concernant sa mère, ou de l’aléa d’un acte médical, par exemple une amniocentèse ou un prélèvement chorial, ne devrait pouvoir donner lieu à poursuites pénales, ni d’ailleurs civiles, à partir du moment où le devoir d’information de sa mère, tel que rappelé dans la Loi du 4 mars 2002, et les contraintes inhérentes à la réalisation de tout acte médical, ont été respectés.

Le rappel de ces particularités paraît opportun à un moment où l’angoisse générée par la mise en cause croissante de la responsabilité médicale en gynécologie-obstétrique, risque d’entraîner de lourds retentissements en matière de démographie médicale.

Ce souci, bien entendu, ne doit pas faire obstacle à une telle mise en cause lorsque des fautes caractérisées ont été commises.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 janvier 2004, a adopté le texte de ce communiqué (une voix contre, cinq abstentions)

Les annexes de ce communiqué, dans leur intégralité, peuvent être consultées sur le site www.academie.medecine.fr

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine. ** Président : Georges DAVID, Membres : M. A. BRUHAT, R. HENRION, C. SUREAU.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 141-145, séance du 6 janvier 2004