Rapport
Séance du 1 juillet 2003

Prise en charge de l’ictère du nouveau-né

MOTS-CLÉS : ictère néonatal. ictère nucléaire. ligne directrice pratique médicale.
Neonatal jaundice : practice guidelines
KEY-WORDS : jaundice, neonatal. kernicterus. practice guidelines.

Georges David

RAPPORT au nom d’un groupe de travail*

Prise en charge de l’ictère du nouveau-né

Neo natal Jaundice : practice guidelines

Georges DAVID L’ictère est une manifestation banale au cours de la première semaine de la vie.

On parle, d’ailleurs, d’ictère physiologique. Il peut toutefois atteindre dans certains cas une intensité telle qu’il fait courir le risque d’une complication de haute gravité, l’ictère nucléaire, dû à la toxicité de la bilirubine pour le système nerveux central (encéphalopathie bilirubinique). C’était le cas, en particulier, dans les hémolyses massives entraînées par les immunisations fœtomaternelles Rhesus. C’est dans ce cadre qu’a été établie, au milieu du siècle dernier, la règle de prévention de l’ictère nucléaire par la fixation d’un seuil critique, 200 mg/l (ou 340 µmol/l) à ne pas laisser franchir. La mesure préventive a été dans un premier temps l’exsanguino-transfusion, puis la photothérapie qui l’a maintenant presque totalement supplantée du fait de son caractère non invasif et de sa relative simplicité de mise en œuvre.

Mais un autre progrès a contribué encore plus fortement à la diminution du risque, la prévention des immunisations Rhésus par une immunoprophylaxie spécifique.

L’addition de ces innovations a réduit très fortement la fréquence des ictères graves. Ce bénéfice a eu comme contrepartie une tendance au relâchement de la vigilance. Considérant que chez le nouveau-né à terme, en dehors de toute pathologie évidente, le risque devait être moindre, la règle des 200mg/l a fait l’objet d’une remise en cause, surtout aux Etats-Unis. Malheureusement cette assurance ne devait pas être confirmée par les faits.

Un retour de l’ictère nucléaire signalé aux Etats-Unis

En 2001 les autorités sanitaires des Etats-Unis ont lancé une alerte soulignant la permanence du risque d’ictère nucléaire chez le nouveau-né normal, en dehors de toute pathologie autre. En 2002 étaient publiées les données d’un registre ayant réuni 90 cas sur les 8 dernières années. Très récemment d’autres cas sont encore venus s’ajouter.

L’analyse de ces données met en évidence trois facteurs explicatifs principaux :

— tout d’abord une évidente démobilisation quant à l’appréciation du risque, largement sous-estimé particulièrement dans les circonstances d’une naissance normale et d’un enfant sans manifestation pathologique apparente.

— une sous-estimation de l’intensité de l’ictère du fait d’une évaluation purement visuelle sans recours systématique à une bilirubinométrie transcutanée ou sanguine — enfin et surtout une sortie précoce après l’accouchement, au deuxième ou troisième jour. C’est-à-dire à un moment où l’ictère est encore évolutif et où la surveillance va être moins bien assurée.

Qu’en est-il en France ?

Il est difficile de répondre à cette question car on ne dispose pas de données centralisées quant à la survenue d’ictères nucléaires. Il est toutefois possible que, par rapport aux Etats-Unis, un moindre relâchement des règles classiques et surtout, jusqu’à il y a peu, une durée d’hospitalisation moins courte aient minimisé le risque d’une recrudescence. Mais sommes-nous vraiment à l’abri ?

Cette question mérite d’autant plus d’être posée que l’on assiste, également dans notre pays, à une diminution de la durée d’hospitalisation après accouchement. Elle a été longtemps de 6 ou 7 jours. En 2001, d’après les données du Ministère de la Santé, la durée moyenne de séjour des nouveau-nés bien portants était de 4,6 jours dans les maternités publiques et 5,1 jours dans les maternités privées. Mais avec des variations régionales importantes, le minimum étant constaté dans deux régions, le Languedoc-Rousillon et l’Ile de France. Dans cette dernière on sait que se généralise, dans les maternités publiques une sortie au troisième jour et pour certaines au deuxième jour après l’accouchement.

Il est donc clair qu’il faut, dans de telles conditions, prévoir une continuité de la surveillance à domicile.

Les modalités de la surveillance et de la prévention.

Les principaux travaux américains insistent sur la nécessité d’une « approche systémique » de la prise en charge, c’est-à-dire d’une démarche codifiée et appliquée dans le cadre de l’organisation d’une chaîne de surveillance.

La détection de l’ictère doit commencer le premier jour de la vie, même s’il n’y a pas encore à ce moment d’ictère apparent, ce qui est le cas le plus fréquent.

Il ne faut pas se fier à la détection visuelle, insuffisamment sensible. C’est une mesure par un bilirubinomètre transcutané qui doit être commencée et poursuivie tous les jours jusqu’à la certitude que s’amorce la décroissance ce qui peut exiger 4 ou 5 jours, voire plus. Aussi, en cas de sortie précoce, le suivi devra être possible à domicile. Avec la conséquence de la nécessité d’équiper d’un bilirubinomètre transcutané les équipes chargées de cette surveillance. En cas de montée notable de la courbe se pose le problème d’une prévention active par photothérapie (environ 10 % des nouveau-nés à terme bien portants). Cette décision repose sur un bilan biologique comportant d’une part un dosage de bilirubine (bilirubine totale ; bilirubine directe, éventuellement bilirubine non liée à l’albumine), et d’autre part un groupage ABO Rh et un test de Coombs direct.

Les résultats guideront la mise en œuvre éventuelle d’une photothérapie dont il existe plusieurs modalités. La photothérapie modifie les conditions de surveillance. D’une part parce qu’elle rend inapproprié l’usage du bilirubinomè- tre transcutané, nécessitant un suivi par dosage sanguin. D’autre part parce que la baisse du taux de bilirubine est suivie normalement d’un certain rebond qu’il faut encore surveiller jusqu’à la baisse définitive.

La mise en œuvre de cette surveillance et de la prévention par photothérapie devraient, du fait des nouvelles conditions entraînées par les sorties précoces, faire l’objet d’instructions diffusées par les autorités sanitaires à tous les professionnels de santé susceptibles de participer à cette organisation des soins visant au contrôle de l’ictère du nouveau-né Recommandations — L’Académie nationale de médecine, préoccupée par les informations faisant état d’une certaine recrudescence des cas d’ictères nucléaires rappelle que cette complication sévère des ictères de la période néonatale n’est pas limitée aux cas d’immunisation fœtomaternelles, devenus rares grâce à la prévention par les immunoglobulines anti Rhésus D. Elle concerne tous les nouveau-nés et nécessite donc une surveillance continue de l’évolution de la bilirubinémie tout au long de la première semaine de la vie Ce fait prend une importance majeure en raison de la tendance actuelle à une sortie de plus en plus précoce après l’accouchement. Il convient donc d’assurer
la continuité de la surveillance au-delà de la sortie, surtout en cas de retour à domicile.

L’évaluation de l’ictère et de son évolution ne peut être assurée par la seule inspection clinique. Elle nécessite une mesure, rendue maintenant facile et non traumatisante, par le recours à la bilirubinométrie transcutanée. Toute maternité, ou centre périnatal ou équipe de surveillance à domicile devrait disposer de cet appareil. En cas d’élévation forte de la courbe de bilirubine le recours à un dosage de bilirubine sanguine doit rester possible.

Au-delà d’un seuil dépendant de l’âge, du poids de l’enfant et de l’évolution de la courbe de bilirubine une photothérapie doit être mise en œuvre. Elle est en règle suffisante pour éviter le recours à l’exsanguino-transfusion devenue exceptionnelle. Il convient toutefois, à la lumière des données récentes, de revoir les seuils recommandés au plan national, qui, en raison de la raréfaction des cas de maladie hémolytique, ont tendu à une tolérance parfois excessive.

— L’Académie nationale de médecine estime que le carnet de santé devrait comporter, outre la mention déjà prévue de la survenue éventuelle d’un ictère, des informations sur l’évolution de la bilirubine et l’application éventuelle d’une photothérapie.

Par ailleurs il serait utile d’organiser, au niveau national, un recueil des données concernant non seulement d’éventuels cas d’ictère nucléaire, mais également les hyperbilirubinémies intenses. L’exploitation épidémiologique de ces données devrait permettre de répondre plus précisément à des questions encore ouvertes, notamment celle concernant la probabilité du risque d’ictère nucléaire en fonction du niveau maximal de bilirubine atteint ou celle concernant la gravité des séquelles et leur degré de réversibilité.

— Enfin l’Académie souligne que le raccourcissement actuel des hospitalisations après accouchement est susceptible de perturber la continuité de la surveillance de l’ictère. Aussi souhaite-t-elle que soient diffusées à l’ensemble des professionnels de santé appelés à une prise en charge du nouveau-né dans les premiers jours de la vie des informations et des instructions sur les modalités de surveillance et de prévention des ictères intenses. Ces instructions doivent plus particulièrement viser les équipes assurant l’hospitalisation à domicile des suites obstétricales.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 1er juillet 2003, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

* Le groupe de travail comprenait MM. B. Blanc, Y. Brossard, G. David (rapporteur), B. Salle, et P. Vert. Mme C. Blatrix (bibliothécaire) a assuré la documentation et la liaison.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 6, 1195-1198, séance du 1er juillet 2003