François-Bernard MICHEL *
Est-il nécessaire de préciser que cette séance dédiée de l’Académie nationale de médecine ne comporte aucune arrière-pensée de déploration d’un passé révolu, de retour à une régression obscurantiste, voire d’opposition à l’exigence de rigueur scientifique, désormais admise par tous dans l’exercice de la médecine ?
Elle souhaite seulement remettre en perspective la clinique traditionnelle consubstantielle à la médecine, et la technologie médicale, c’est-à-dire rappeler le rôle de la personne du médecin (ses yeux, ses doigts, ses mots, son ordonnance). En d’autres termes, le marteau à réflexes et l’aiguille plantaire avant le scanner. La seule médecine est celle de la personne globale.
Il faut s’insurger contre l’idée, trop commune, que le placebo serait une tromperie du médecin, consentie à un patient crédule . Erreur à éviter ! Le placebo est en réalité un remède vide ! Un remède auquel le médecin ne croit pas et que le patient est supposé croire…Or, ce patient qui reçoit un placebo n’est absolument pas trompé. Car le remède vide n’est pas constamment faux… puisque la plupart des études concordent pour lui reconnaître, dans les tests en double aveugle, une efficacité de l’ordre de 30 % des cas.
Parallèle à l’effet placebo, l’effet nocebo. « Docteur, entend-on quelquefois, je vous préviens, je ne supporte aucun médicament ! » Les propos d’un tel malade sont sérieux, ce malade dit vrai. Il est brouillé avec les médicaments (idiosyncrasie, intolérance, allergie, etc. ?) et avec le médical , son contrat de confiance avec le médicament ou le médecin n’a pas été signé, il rejette tout médicament.
Si le placebo est efficace et le nocebo rejeté, c’est parce qu’ils sont des formes médicamenteuses . Tout remède, à moins de renier totalement le pouvoir qui, du fond des âges, le mandate auprès de nous, est un placebo-nocebo. Car toute relation médecin-malade réunit en réalité trois acteurs : un consultant, un consulté, et le médical (l’effet blouse blanche, la salle de consultation, le laboratoire).
L’art médical exploite (à l’insu des acteurs) le transfert sur la scène médicale (la demande d’un souffrant) d’un lien sémantique entre un phénomène archaïque de l’espèce humaine (guérir) et le contexte de la relation. En médecine, ce qu’on dénomme le transfert n’est pas fondamentalement un transfert de sentiments, mais celui d’un pouvoir archaïque de l’espèce humaine sur la maladie. Entre médecin et malade, s’inscrit une instance tierce, un objet qui prend la forme du remède dans l’ordonnance du médecin et son contenu, que celui-ci soit, pharmacologique (effet organique et psychique) ou vide (placebo, mobilisateur de réaction organique et psychique ).
Nous entendrons successivement une conférence invitée de Patrick Lemoine qui, depuis des années, s’intéresse aux mystères du placebo et nous exposera son interprétation pharmacologique de l’effet placebo.
Michel Lejoyeux exposera sa compréhension de la relation médecin-malade.
Enfin, Dominique Bertrand intègrera le thème dans le domaine de l’éducation thérapeutique.
Cette séance dédiée a été imaginée, voulue et organisée par notre confrère Jean Cambier. Elle a été suscitée par sa démarche constante de clinicien, lui qui écrivait, à propos de la relation thérapeutique : « outre l’arsenal thérapeutique, chaque intervenant dispose d’un pouvoir de faire du bien. En engageant ce pouvoir, qu’il partage sans honte avec les guérisseurs, il confère à la relation un supplément d’âme qui, pour l’acte médical, constitue un complément de valeur ajoutée ».
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1463-1464, séance du 4 octobre 2011