Communication scientifique
Séance du 4 octobre 2011

Pharmacologie de l’âme ou le mystère du placebo

MOTS-CLÉS : biologie. pharmacologie. placebo/histoire
The placebo mystery or neurobiology of the soul
KEY-WORDS : biology. pharmacology, placebo

Patrick Lemoine

Résumé

L’histoire du mot placebo remonte à une erreur de traduction commise par Saint Jérôme dans la Vulgate (Bible en latin). Après divers avatars, le concept semble définitivement rattaché à la médecine scientifique, notamment aux essais comparatifs en pharmacologie. Il existe de nombreux éclairages tentant de rendre compte de ce curieux phénomène qui pourrait représenter environ un tiers des effets thérapeutiques observés, avec de grosses variations en fonction du médecin, du patient, de leur relation et de la maladie traitée. Au cours des deux dernières décennies, les avancées les plus importantes ont concerné l’interprétation pharmacobiologique de l’effet placebo. C’est d’abord dans le domaine de la douleur que la capacité du placebo à activer le système endorphinique a été mise en évidence, même si depuis, on a compris que d’autres mécanismes impliquant par exemple la cholécystokinine ou la dopamine sont également en jeu. La dépression et la maladie de Parkinson ont également été l’objet de recherches qui ont montré que le placebo est capable d’augmenter la transmission sérotoninergique pour la première et dopaminergique pour la seconde. Il ressort de toutes ces recherches neuropharmacologiques que d’un point de vue fondamental, le phénomène placebo passerait par l’activation des circuits de production des médicaments endogènes. D’un point de vue plus général, l’effet placebo peut être considéré comme la résultante de la capacité du médecin à optimiser les effets de l’attente de la guérison induits par la relation thérapeutique.

Summary

The ‘‘ placebo ’’ concept started with Saint Jerome’s mistranslation of the first word of the ninth line of Psalm 116: instead of ‘‘ I will walk before the Lord ’’, he wrote ‘‘ I will please the Lord ’’ (Placebo Domino instead of ambulabo coram Domino). The placebo story is filled with quiproquos, mistakes and abuses. After many avatars, the placebo notion became firmly linked to medicine, and especially pharmacology. Nowadays, all new treatments are required to have proved their efficacy in randomized, placebo-controlled, double-blind trials. After a plethora of hypotheses based on psychology, behavorism, ethology, anthropology and sociology, proposing mechanisms of action based on patients’ suggestibility and expectations induced by doctors’ enthusiasm and beliefs, the past two decades have seen several new findings focusing on pharmacobiological phenomena. Animal studies provide fascinating information on immunological mechanisms and cancer outcomes in conditions of stress and pain. Placebo and nocebo mechanisms are now explained in terms of pain, endorphins, cholecystokinin and dopamine system activation, and possibly inflammation control. PET scans have been used to investigate these effects in depression and Parkinson’s disease. A role of genetic mechanisms is also emerging in the field of placebo neurobiology. In fact, the placebo effect might simply result from the medical art. Further studies are needed to maximize the placebo effect and to make it more consistent.

INTRODUCTION

L’histoire du placebo est émaillée d’un grand nombre de quiproquos, erreurs et autres mystifications. Il n’est donc pas étonnant que dès son origine, le vocable repose sur une faute de traduction [1] : Saint Jérôme, chargé par le Vatican de traduire en latin (Vulgate = langue courante, vulgaire) la Bible jusqu’alors en grec, se trompe à propos du psaume 16 (ligne 9) écrivant Placebo Domino « je plairai au Seigneur » au lieu de : Ambulabo coram Domino: « Je marcherai devant le Seigneur ». On devrait en réalité parler d’effet ambulabo, pas d’effet placebo ! Mais peu importe le vocable, l’Histoire du placebo était en marche !

Au cours du xiiie siècle, les familles endeuillées prirent l’habitude de psalmodier ce verset de manière à tromper leur attente des vêpres des morts. L’habitude fut prise de les brocarder en les surnommant placebos afin de stigmatiser ce comportement erroné. Par un subtil glissement de sens, la société se laïcisant, le seigneur perdit sa majuscule et Placebo défroqua pour revêtir l’habit de courtisan. Désormais péjoratif, le mot fut utilisé pour désigner les flatteurs, les flagorneurs, bref, tous ceux qui cherchaient à plaire par tous les moyens [2]. On retrouve cette utilisation aussi bien en France dans la Satyre Ménipée ou chez Molière, qu’en Angleterre, dans les contes de Canterbury où Chaucer nomme Placebo son courtier sycophante… toujours la fourberie !

Au xvie siècle [1], à travers une incursion dans le droit canon, le placebo fut utilisé pour confondre les possédés : de manière à éviter des exorcismes abusifs administrés par des clercs trop zélés, quand un individu présentait des signes douteux de possession diabolique, on lui présentait de fausses reliques, des reliques placebo en quelque sorte. Si le « possédé » réagissait à leur vue, de la même manière que si elles avaient été authentiques (ou du moins authentifiées par le Vatican), on en déduisait que leurs convulsions résultaient de leur imagination morbide et non de l’œuvre du Malin. L’idée d’un contrôle d’une manifestation clinique douteuse par l’administra- tion d’un produit à la fois inactif et trompeur est sans doute née de cette pratique.

Jusqu’à une époque très récente, certains internistes utilisaient des placebos pour confondre les hystériques dont les symptômes mimaient trop bien des maladies organiques et risquaient de les induire en erreur. On a compris depuis que ce test n’est pas fiable, et s’avère même dangereux puisque les symptômes organiques peuvent répondre au placebo et que les symptômes fonctionnels dits de conversion peuvent ne pas y répondre, d’où des risques de retard au diagnostic ou même des erreurs.

C’est en 1752 que James Lind (1716-1794) un obscur médecin de la Royal Navy, publie son Traité du scorbut après avoir réalisé la première expérimentation pharmacologique de l’histoire utilisant sans le savoir des groupes placebo [3]. Il consacrera le restant de sa vie à tenter sans succès de convaincre l’Amirauté — et la Faculté — du bien-fondé de sa découverte. Véritable inventeur de ce qui sera appelé un jour « essais comparatifs en groupes parallèles », Lind sélectionna douze marins souffrant du scorbut à un stade comparable. Les installant dans des conditions de nourriture, de logement et de chauffage identiques, il les répartit par groupes de deux auxquels il administra en parallèle pendant quinze jours six traitements différents :

le premier groupe reçut du cidre, le deuxième un élixir de vitriol (acide sulfurique), le troisième du vinaigre, le quatrième de l’eau de mer, le cinquième des citrons et des oranges, le dernier un mélange d’ail, de graine de moutarde et de racine de raifort.

Les chanceux appartenant au cinquième groupe guérirent en quelques jours. Le cidre fit également des miracles, mais un peu moins vite, semble-t-il. Les quatre autres groupes étaient des groupes placebo et les traitements furent fatals. On peut penser que Lind ne savait pas a priori que quatre de ses six groupes recevraient un produit inactif et aussi qu’il avait choisi des substances supposées thérapeutiques à l’époque, donc du placebo, mais d’un point de vue strictement pharmacologique, il n’en reste pas moins que ce fut le cas.

Une autre célèbre utilisation en médecine d’une procédure inactive induisant le patient en erreur concerne le baquet de Mesmer [1, 2], Louis XVI ayant nommé en 1784 une commission présidée par Benjamin Franklin destinée à évaluer l’efficacité objective du magnétisme animal. La conclusion sans appel fut que « tout n’est pas imagination, mais (que) l’imagination est dans tout. » Là encore, il est probable que Mesmer était de bonne foi et pensait que son baquet était objectivement efficace et que c’est effectivement à cause de sa propre conviction qu’il obtenait des guérisons spectaculaires avec ses patients.

Il fallut attendre 1785 pour voir apparaître le vocable placebo en médecine dans le premier dictionnaire médical [2], le Motherby’s new Medical Dictionary où il est défini comme « une méthode banale ou un médicament ». Il faut probablement prendre le mot banal au sens de anodin. Placebo deviendra donc petit à petit une substance anodine administrée pour plaire, c’est-à-dire apporter du confort au patient. Enfin, en 1958, le mot placebo apparaît officiellement en France dans la dix-septième édition du dictionnaire des termes techniques de médecine de Garnier et Delamarre et quelques années plus tard dans les dictionnaires grand public.

 

C’est en réalité avec l’avènement des essais comparatifs en double insu avec randomisation que le placebo a acquis une légitimité fournissant une respectabilité scientifique à un concept qui, jusque-là, sentait par trop le soufre du charlatanisme.

Les récentes recherches en neuropsychopharmacologie ont également aidé à comprendre comment un état d’âme, une suggestion, une attente de la part du médecin comme du patient pouvaient induire des changements objectifs et quantifiables.

DÉFINITIONS

Le placebo pur ou poudre de perlimpinpin désigne une substance pharmacologiquement inerte administrée dans un contexte thérapeutique [2]. Son pendant est le verum. Un placebo impur est un médicament généralement commercialisé, mais qui n’a pas démontré son efficacité, citons certains « défatigants », « donneurs de mémoire », « toniques veineux »… L’homéopathie est généralement mentionnée dans ce cadre. Les placebos impurs peuvent aussi être des produits commercialisés avec une indication précise, mais détournés de leur usage normal. La vitamine C est sans aucun doute efficace sur le scorbut, mais reste sans effet objectif sur la grippe, la fatigue, le rhume, la prévention du cancer… Idem pour le magnésium, efficace en perfusion sur certains troubles du rythme cardiaque, mais plus que douteux dans les états de stress, les courbatures, l’insomnie, l’anxiété…

L’effet placebo représente l’écart entre l’effet thérapeutique attendu d’un médicament et l’effet effectivement observé. Par exemple, un antidépresseur prévu pour agir au bout de trois à six semaines fonctionnera dès le premier ou deuxième jour. Un antibiotique supprimera la fièvre dès la première prise. Si le médicament agit moins bien que prévu, ou même aggrave la maladie, on parle « d’effet nocebo » (« je nuirai »).

Il ne faut pas non plus oublier de distinguer l’effet placebo de l’évolution naturelle de la maladie. Ce n’est pas forcément parce qu’un traitement ou un placebo a été administré que la maladie a disparu puisque, heureusement, la plupart des affections guérissent spontanément. Cette distinction n’est pas toujours facile à opérer.

Beecher [4], dans un célèbre article ayant réuni les données de quinze études ayant concerné 1 082 patients présentant des douleurs extrêmement variées, a montré que le placebo d’antalgique est efficace en moyenne dans 35,2 % des cas, à l’intérieur d’une large fourchette allant de 4 à 86 %. Étonnamment, ce sont les douleurs les moins organiques (douleurs expérimentales déclenchées en laboratoire chez les sujets sains), mais aussi les moins inquiétantes qui répondent le moins au placebo, alors que ce sont les douleurs organiques et surtout hyper angoissantes, type angine de poitrine, qui y répondent le mieux. En effet, un des principaux moteurs de l’effet placebo est l’attente du sujet : un sujet sain, qui sait que sa douleur expérimentale peut être interrompue dès qu’il en manifeste le désir, a moins de motivation à mettre en œuvre une « stratégie placebo » qu’un sujet malade, souffrant d’un mal plus ou moins bien contrôlé et surtout très angoissant.

 

A sa suite, de très nombreuses publications ont permis maladie par maladie, de quantifier l’efficacité de l’objet placebo et l’importance de l’effet placebo en fonction du contexte psychologique et somatique du patient et du médecin. Un assez grand nombre de recherches ont tenté d’apporter une explication psychologique, éthiologique, anthropologique, sociologique quant à ses mécanismes d’action qui reposent avant tout sur la suggestion, l’enthousiasme et l’attente du médecin qui eux-mêmes induisent l’attente du patient. Mais ce sont sans conteste les interprétations biologiques qui ont apporté l’éclairage le plus original — et le plus convaincant — au phénomène placebo.

PHARMACOBIOLOGIE ANIMALE

Si l’on veut comprendre les mécanismes biologiques de l’effet placebo, il convient tout d’abord d’examiner les modèles considérés comme pertinents chez l’animal.

Première expérience [5]

Un groupe de rats à qui a été greffés une tumeur cancéreuse sous-cutanée est réparti en deux lots par tirage au sort : l’un est prévenu suffisamment à l’avance de l’imminence d’un choc électrique douloureux aléatoire en le faisant à chaque fois précéder d’un éclair de lumière, alors que l’autre reçoit les mêmes chocs au même moment, mais sans information préalable. Dans le premier lot, les animaux informés vont se préparer psychologiquement en se réfugiant dans un coin de la cage, généralement en se mettant en boule. Dans ce cas, leur immunité cellulaire (prolifé- ration des lymphocytes) ne sera pas perturbée et les rongeurs se défendront plus efficacement contre le cancer que les animaux qui reçoivent des chocs non annoncés et dont les lymphocytes ne se multiplient pas de manière correcte. En d’autres termes, l’information participe à la lutte contre la maladie, probablement parce qu’elle aide les individus à maîtriser mentalement le stress. Toute extrapolation hasardeuse mise à part, ce résultat devrait inciter les cliniciens à réfléchir à la nécessité d’une information claire, accessible et adaptée des patients quant à leur diagnostic et aux traitements dont ils vont bénéficier. Chez l’homme, la compréhension de ce qui va arriver permet en effet le contrôle du stress de l’annonce de la maladie et du traitement.

Deuxième expérience [6]

Cette étude montre qu’il est possible de leurrer le système immunitaire par des conditionnements répétés. Des rats sont anesthésiés et opérés de manière septique en incisant la peau de leur crâne avec un bistouri non stérile. Un pansement spectaculaire est installé sur la plaie avant de les réveiller. Quelques jours plus tard, les leucocytes se multiplient afin de lutter contre l’infection liée à la septicité de l’intervention. L’ensemble de l’opération est répété deux fois, mais au bout de la quatrième fois, l’anesthésie n’est pas accompagnée d’une incision septique, alors que le pansement est installé comme à l’accoutumée. L’augmentation du nombre de globules blancs se produit comme si l’opération septique avait été pratiquée.

Sans trop verser dans l’anthropomorphisme, on peut considérer que le système immunitaire du rongeur conditionné est « persuadé » par le pansement qu’il a subi une incision septique et, de fait, les globules blancs se multiplient comme si l’opé- ration avait vraiment eu lieu. La conclusion est donc que l’on peut abuser, en le conditionnant, le système immunitaire d’un animal. C’est la preuve expérimentale de la possibilité d’induire par simple conditionnement un effet biologique mesurable au niveau de l’immunité du rat de laboratoire. Le rat, ou plutôt le système immunitaire du rat, par l’intermédiaire des lymphocytes, a été convaincu qu’il devait faire face à une infection et a fait ce qu’il croyait devoir faire. Nous nous situons ici aux racines des effets biologiques de la conviction. C’est la force de la suggestion et de l’autosuggestion chez le rongeur. Il a par ailleurs été montré chez l’être humain que la prescription enthousiaste et convaincante d’un placebo (suggestion) pouvait modifier de manière durable la tension artérielle, le diamètre pupillaire, l’acidité gastrique, le taux de cholestérol [2].

Tout autre est l’effet d’une stimulation douloureuse non assortie des moyens de combattre le stress répété. On sait par exemple que celui-ci entraîne une augmentation anarchique du cortisol, lequel joue un grand rôle dans le développement du cancer.

Troisième expérience [7]

Lorsqu’on injecte par voie sous-cutanée des cellules provenant de tumeurs de type Walker 256 à des rats de race Whistar, la greffe va prendre, proliférer et engendrer un cancer chez environ la moitié d’entre eux. Après tirage au sort, les animaux greffés sont répartis en trois lots différents. Le premier lot sert de groupe témoin et est installé dans une cage standard, sans dispositif particulier. Le deuxième lot est installé dans une cage qui dispose d’un plancher constitué d’un grillage métallique connecté à un générateur envoyant des décharges électriques à la fois douloureuses et aléatoires. Les rongeurs ne savent pas combien de temps va durer la douleur et, une fois celle-ci arrêtée, ils ne savent pas au bout de combien de temps elle va reprendre. Ils n’ont rigoureusement aucun moyen de s’échapper ni de contrôler des stress à la fois douloureux et incompréhensibles. Le troisième lot est installé dans une cage équipée du même dispositif, mais dotée d’un levier qui leur permet d’interrompre instantanément le courant, à la fois chez eux et chez les animaux de la cage numéro 2. Il en résulte que la quantité de chocs électriques, de douleur et donc de stress est rigoureusement la même dans les cages numéro 2 et numéro 3, la seule différence étant que les rongeurs de la cage numéro 2 ne comprennent ni ne contrôlent rien, alors que ceux de la cage numéro 3 maîtrisent parfaitement la situation.

Au bout d’un mois, les animaux des trois lots sont sacrifiés et autopsiés. Dans la cage numéro 1 (groupe témoin), la tumeur a pris comme prévu chez 54 % des rats. Dans la cage numéro 2, la greffe a pris chez 63 % des rongeurs (différence significative), enfin, dans la cage numéro 3, elle a proliféré chez 27 % d’entre eux (différence significative). Il apparaît clairement dans cette étude que le fait de subir un stimulus douloureux et stressant sans possibilité de le contrôler favorise la prolifération tumorale, alors que le même stress administré dans les mêmes conditions, mais avec la possibilité de le contrôler a un effet antimitotique.

Pour synthétiser ces trois séries d’expériences, il est possible d’énoncer les faits suivants :

— un événement pénible, inévitable, incompréhensible et imprévisible perturbe gravement les défenses immunitaires et favorise le développement du cancer expérimental ; c’est l’effet nocebo de l’absence d’information et de sentiment de contrôle chez l’animal ;

— l’annonce systématique de la catastrophe en laissant aux animaux le temps de se préparer psychologiquement annule lesdites perturbations ; c’est l’effet placebo de l’information chez l’animal ;

— le contrôle fiable de la catastrophe renforce les défenses immunitaires et s’oppose de manière efficace au développement du cancer ; c’est l’effet placebo de l’information assortie d’une mise à disposition d’une possibilité de contrôle chez l’animal.

Qu’en est-il chez l’homme ?

BIOLOGIE DU PLACEBO CHEZ L’HOMME DANS L’ALLERGIE, LE STRESS, LA DOULEUR ET LA DÉPRESSION

En 1896, McKenzie [9] a montré que des sujets allergiques pouvaient avoir des crises d’éternuements en étant confrontés à des fleurs artificielles et nous-mêmes avions décrit [2] un sujet allergique au pollen exposé à un stress intense et prolongé (exode de mai 1940), et n’ayant pas éternué une seule fois au cours d’un printemps pourtant ensoleillé où il avait erré sur les routes de campagne persuadé que lui et sa famille allaient être exécutés par l’ennemi. L’hypothèse formulée avait été d’un phénomène de thérapeutique antiallergique endogène grâce à une probable et particulièrement importante sécrétion de cortisol et de noradrénaline due à une terreur intense et prolongée.

C’est en 1978 que Levine [10] a le premier montré la voie pharmacobiologique grâce à une méthode originale : après avoir subi une extraction dentaire des patients reçoivent tous un placebo d’antalgique assorti d’une explication convaincante sur son efficacité. Après tirage au sort, la moitié des sujets reçoit en même temps de la naloxone, antagoniste des récepteurs aux opiacés, l’autre moitié un placebo de naloxone. Résultat : le placebo d’antalgique n’a pas d’effet sur le groupe recevant la naloxone (récepteurs endorphiniques saturés), alors qu’il s’avère efficace chez ceux qui ont eu un placebo de naloxone et dont par conséquent les récepteurs endorphiniques sont restés libres. Ce serait donc à travers une augmentation de la transmission endorphinique que l’effet placebo antalgique exercerait son action.

Cette étude fit l’objet d’une vaste controverse jusqu’à ce que Benedetti [11] en apporte une confirmation définitive en recrutant 340 volontaires sains et en les soumettant à une douleur ischémique d’au moins 7 sur une échelle de 10 degrés et répartis aléatoirement en douze groupes comparatifs et prouvant un effet dose dépendant de la naloxone : plus les récepteurs endorphiniques sont bloqués, moins le placebo est efficace. La participation du système endorphinique à l’établissement de l’effet placebo dans le domaine de la douleur fut ainsi clairement démontrée.

On peut par ailleurs penser que les mécanismes endorphiniques sont loin d’être les seuls en cause quand on songe à la complexité de la physiologie de la douleur où le système endorphinique et enképhalinique n’est pas exclusif, loin s’en faut. On sait par exemple que l’effet analgésique induit par le placebo peut être partiellement ou totalement inhibé par la cholécystokinine et renforcé par les antagonistes de la cholécystokinine [12]. Le proglumide, antagoniste de la cholécystokinine (CCK), a été administré en postopératoire à des patients à qui il avait été dit que ce produit pourrait augmenter leur douleur de manière à provoquer une anxiété anticipatoire.

Cette substance s’est montrée capable d’inhiber l’hyperalgie nocebo de manière dose dépendante, démontrant le rôle de la CCK dans l’hyperalgie nocebo et puisque la CCK est impliquée dans les mécanismes de l’anxiété anticipatoire, on considère généralement que les mécanismes nocebo liés à ce phénomène particulier sont liés à ce peptide.

Ce peptide pourrait par conséquent rendre compte de l’effet nocebo observé parfois chez des patients algiques. De plus, en cas d’hyperalgésie nocebo, il a été observé une inhibition de la libération de dopamine dans le nucleus accumbens, ce qui permet de supposer que l’effet placebo antalgique est médié par un grand nombre d’endosubstances. La neuroimagerie permet de montrer que les zones activées par l’effet nocebo (hippocampe, régions concernées par l’anxiété anticipatoire) diffèrent de celles activées par l’effet placebo.

La psycho-neuro-immunologie (PNI) postule un certain nombre d’interrelations entre système nerveux central, système neuroendocrinien et système immunitaire.

Une étude classique avait montré chez les veufs et veuves de Boston une altération des systèmes immunitaires cellulaire et humoral dix-huit mois après le deuil [2]. Un certain nombre de recherches démontrent une interaction réciproque entre systèmes nerveux et immunitaire, soit directement, soit via une régulation neuroendocrinienne. Dans la dépression par exemple, les hypothèses neuroendocriniennes et cytokinergiques diffèrent quant au rôle accordé à l’axe corticotrope et à la réponse immune. À l’heure actuelle, les résultats des études chez l’homme restent souvent contradictoires, les mécanismes plus fréquemment invoqués étant une augmentation des cytokines pro-inflammatoires qui pourraient interagir avec le système sérotoninergique, ainsi qu’une altération de l’activité lymphocytaire chez les sujets déprimés âgés, associée à une activation de l’axe corticotrope [5]. Cela pourrait apporter un certain éclairage au fait que des facteurs psychologiques et environnementaux puissent interagir avec l’un ou l’autre système.

La tomographie à émission de positons a permis à Petrovic [13] puis à Wager [14] de visualiser l’activation du cortex cingulaire antérieur riche en récepteurs opiacés. Le placebo d’antalgique active également le cortex préfrontal, ce qui peut être interprété comme l’expression neurophysiologique des attentes des sujets, lesquelles sont corrélées aux attentes des médecins, donc à leur anticipation.

Enfin, toujours dans le domaine de la douleur, si l’on conditionne un patient qui souffre à répondre à un traitement antalgique opioïde, l’effet du placebo de morphinique est annulé par la naloxone, mais si on le conditionne à un traitement antalgique non opioïde, la naloxone n’inhibera pas l’effet placebo antalgique. Cela prouve encore une fois que le placebo d’antalgique n’agit pas seulement à travers un effet agoniste endorphinique [1].

Outre les aspects biologiques et expérimentaux chez l’animal et le sujet sain, l’étude de la pharmacologie humaine permet de mieux comprendre les mécanismes intimes du placebo.

ABORD PHARMACOLOGIQUE

Dépression : dans une étude comparant fluoxétine, venlafaxine et placebo, l’EEG quantifié a montré que les sujets placebo-répondeurs augmentent significativement et précocement leur activité préfrontale, de manière comparable à ceux qui ont répondu aux antidépresseurs et contrairement aux patients réfractaires au placebo ou aux antidépresseurs. Un autre essai en PET scan (consommation de glucose) a mis en évidence une activité métabolique augmentée des patients placeborépondeurs comparable sur le plan anatomo-fonctionnel à celle des patients répondeurs à la fluoxétine, bien qu’atteignant une moindre intensité. Les zones concernées étaient le cortex préfrontal, le gyrus cingulaire antérieur, le cortex prémoteur, pariétal… et correspondaient aux zones sérotoninergiques. Par ailleurs, la fluoxétine activait des zones limbiques sous-corticales, insulaires antérieures et hippocampiques, ce que ne faisait pas le placebo. On peut en déduire l’hypothèse que ce type de placebo d’antidépresseur agit sur les fonctions supérieures plutôt que sur les zones les plus archaïques, ce qui se comprend du fait que c’est encore une fois essentiellement l’attente des sujets, processus en rapport avec la conscience ou la volonté, qui régit la réponse ou la non réponse au placebo [15].

Dans la maladie de Parkinson , l’étude contrôlée L-DOPA versus placebo réalisée en

PET scan par Fuente-Fernandez et publiée dans Science a montré que l’effet placebo plus ou moins bref souvent observé dans cette maladie correspond à une libération de dopamine dans le striatum et que chez ceux qui répondent au placebo comme à la dopathérapie, cette libération est comparable, bien qu’inférieure à celle produite par la L-DOPA [16].

 

D’un point de vue neurobiologique, il paraît donc raisonnable de penser que l’effet placebo a pour fondement l’activation des substances thérapeutiques endogènes ou endomédicaments. Il est également plausible de penser que plus en amont, la dopamine puisse jouer un rôle clef du fait de son implication dans les structures de la récompense au niveau des circuits corticolimbiques, notamment des aires pré- frontales, l’attente du plaisir procuré par l’amélioration du symptôme représentant déjà une récompense en soi. Il est cependant plus que probable que de nombreux autres systèmes neurologiques et immunitaires entrent en jeu ainsi qu’une pléiade d’autres neurotransmetteurs, aminoacides, peptides et autres neurohormones…

ÉCLAIRAGE GÉNÉTIQUE

D’un point de vue génétique, les études restent encore peu nombreuses, mais s’avèrent non moins intéressantes. Par exemple, dans le domaine de la dépression, quand on tente de différencier génétiquement les patients déprimés répondeurs au placebo des non répondeurs [17], on observe un polymorphisme fonctionnel au niveau des gènes contrôlant le tonus monoaminergique lui-même placé sous le contrôle de la monoamine oxydase A et de la catéchol-O-méthyltransférase, qui sont les deux enzymes du catabolisme de la dopamine et de la noradrénaline. Il ressort de cette étude qu’il existe une corrélation statistique entre le niveau de réponse au placebo dans la dépression et le tonus génétique des enzymes dont dépend le catabolisme catécholaminergique. En d’autres termes, les sujets codant pour le niveau d’activité le plus élevé de monoamine oxydase ont présenté une amplitude de réponse au placebo significativement plus faible que ceux disposant d’autres génotypes. De la même manière, les sujets codant pour une forme réduite d’activité de la catéchol-O-methyltransférase ont présenté une tendance statistique à une amplitude réduite de leur réponse au placebo. Ces résultats soutiennent l’hypothèse que dans la dépression majeure, les polymorphismes génétiques modulant le tonus monoaminergique, notamment catécholaminergique sont corrélés au niveau de réponse au placebo.

CONCLUSION

Notre cerveau est le siège administratif d’une formidable compagnie pharmaceutique capable, à volonté, d’ordonner à ses unités de production réparties dans l’ensemble du territoire de notre organisme, de fabriquer tous les médicaments du monde : antibiotiques, antimitotiques, anticancéreux, antalgiques, cicatrisants, antipyrétiques, anxiolytiques, antidépresseurs, anti-inflammatoires, … Il peut aussi activer d’autres circuits impliquant des équivalents naturels de substances plus sulfureuses, anandamide (cannabis), alcool, amphétamines, nicotine, cocaïne, LSD, endorphines (héroïne)…

 

Le directeur général de toute cette industrie est l’effet placebo, lui-même placé sous la présidence de la qualité de la relation thérapeutique basée sur une confiance réciproque.

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ANNEXE 1

Mechanisms for placebo effects in medical conditions and physiological systems (d’après D.

Finiss et al. )

Pain Activation of endogenous opioids and dopamine (placebo) ; activation of cholecystokinin and deactivation of dopamine (nocebo) Parkinson’s disease Activation of dopamine in the striatum and changes in activity of neurons in basal ganglia and thalamus Depression Changes of electrical and metabolic activity in different brain regions (eg, ventral striatum) Anxiety Changes in activity of the anterior cingulated and orbitofrontal cortices ; genetic variants of serotonin transporter and tryptophan hydroxylase Addiction Changes of metabolic activity in different brain regions Autonomic responses to deep brain stimulation Change of neuronal excitability in limbic régions Cardiovascular system Reduction of β-adrenergic activity of heart Respiratory system Conditioning of opioid receptors in the respiratory centres Immune system Conditioning of some immune mediators (eg, interleukin 2, interferon γ, lymphocytes) Endocrine system Conditioning of some hormones (eg, growth hormone, cortisol) Physical performance Activation of endogenous opioids and increased muscle work Alzheimer’s disease Prefrontal executive control and functional connectivity of prefrontal areas

<p>* Psychiatrie, Clinique Lyon-Lumière, 33 bis, rue du 8 mai - 69330 Meyzieu, e-mail : patrick.lemoine99@free.fr Tirés à part : Docteur Patrick Lemoine, même adresse Article reçu le 11 juin 2010, accepté le 25 octobre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1465-1476, séance du 4 octobre 2011