Communication scientifique
Séance du 21 février 2012

Présentation

Bernard Lechevalier et Françoise Chapon

 

Séance dédiée aux démences non Alzheimer

PRÉSENTATION

Bernard LECHEVALIER * et Françoise CHAPON **

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en relation avec le contenu de cet article

Il y a exactement cinquante ans, la publication du livre de Jean Delay et Serge Brion « Les démences tardives » [1] et la thèse de leur élève Raymond Escourolle, marquè- rent un repère dans l’histoire des démences dégénératives. Se basant sur l’expérience de vingt-deux observations anatomo-cliniques et sur la revue de la littérature, les auteurs signalaient que contrairement à une opinion qui persistait encore à l’époque, il était possible sur la clinique et l’examen histologique de distinguer maladies d’Alzheimer et de Pick, nous expliquant en préambule pourquoi l’individualisation de cette dernière affection fut si laborieuse.

Aloïs Alzheimer (1845-1928) rapporta en 1906 et 1907, l’observation clinique et anatomique d’une patiente démente de 51 ans. Arnold Pick né en Moravie (1851- 1924), élève de Wernicke à Vienne, s’intéressait aux atrophies circonscrites du cerveau, exemptes de ramollissement, responsables d’une aphasie. Il présenta, en 1892, six cas assez disparates parmi lesquelles deux « semblaient appartenir à ce qui sera plus tard la maladie de Pick » (Delay et Brion). Après l’examen seulement macroscopique du cerveau, Pick insista sur l’importance de l’atrophie temporale respectant sa partie postérieure. C’est Alzheimer qui en 1911 décrira les lésions histologiques de deux cas semblables d’atrophie lobaires qu’Onari et Spatz appelè- rent en 1926 non pas Atrophie mais bien « Maladie de Pick ». Alzheimer laisse une œuvre très importante. Ch. Derouesné [2] précise que dès 1895, il établit une distinction entre démences vasculaires et démences dites séniles montrant que cellesci ne résultaient pas d’une insuffisance circulatoire du cerveau. Dans leur ouvrage de 1962, Delay et Brion insistaient sur les formes mixtes, artériopathiques et dégéné- ratives.

Depuis 1962, le cadre des démences tardives a évolué dans trois domaines : nosologique, clinique, et neurobiologique.

 

Aujourd’hui, le concept de démences vasculaires a acquis droit de cité, ce dont vous entretiendra Marie-Germaine Bousser, Membre correspondante de l’Académie.

Quant aux démences dites dégénératives nous n’aborderons ici que les formes dégénératives pures excluant du même coup des aspects démentiels au cours de maladies du système nerveux comme la SEP, les tumeurs, la chorée de Huntington où les troubles des fonctions intellectuels ne sont ni au premier rang ni inauguraux.

Les démences dégénératives pures ont été divisées en démences corticales et sous corticales, distinction commode qui néanmoins doit être nuancée. La maladie d’Alzheimer, qui a fait l’objet de plusieurs réunions récemment dans notre Compagnie (plaques séniles amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire riche en protéine Tau demeurent ses caractères histologiques) et les démences fronto-temporales se partagent le chapitre des démences corticales. En 2011, dans leur revue de 228 observations anatomocliniques de démences [3] Julie S. Snowden et al. dénombraient 46 % de DTA, 42 % de démences fronto temporales ; le pourcentage restant comprenant : Maladie des corps de Lewy, de Creutzfeld Jakob et démences vasculaires. Florence Pasquier, chef du service de Neurologie au Chu de Lille, auteur d’un remarquable ouvrage sur cette question, nous montrera que la maladie de Pick, considérée jadis comme une simple atrophie frontale responsable d’un syndrome du même nom, a vu son domaine s’étendre à des régions beaucoup plus vastes du cortex cérébral, devenant le groupe des démences fronto-temporales. Il n’y a pas si longtemps on considérait que le point commun des démences fronto-temporales était l’absence des lésions histologiques de la DTA et la présence, inconstante d’ailleurs, de figures caractéristiques comme les inclusions intra neuronales argyrophiles appelées corps de Pick, la spongiose et les neurones ballonisés. Depuis 1986 plusieurs constatations ont perturbé ce schéma. La protéine Tau n’est plus l’apanage de la DTA du fait de sa présence non constante dans les corps de Pick obligeant à décrire de nombreux sous-types de DFT. En 2000, l’accumulation d’ubiquitine et d’une nouvelle protéine (fused — in — sarcoma protéin) a été signalée dans le cytoplasme et les noyaux des neurones corticaux, protéine qui a été décelée chez des patients atteints de SLA, ou atteints de DFT associées à une SLA.

Reste la difficile question des prétendues démences à prédominance sous-corticales qui, en réalité, ne méritent le nom de démence qu’à un stade avancé de leur évolution. On peut opposer celles qui sont en rapport avec la protéine Tau : la paralysie supra nucléaire progressive et l’atrophie cortico-basale et celles qui ont un rapport avec la synucléine : la maladie des corps de Lewy. Avec Jean Cambier, nous avons rapporté en 1969 devant la Société française de nécrologie la première observation française d’un patient atteint de paralysie supra nucléaire progressive ou maladie de Steele Richardson Olsewski [4]. Parmi la centaine de malades chroniques que nous découvrîmes à notre arrivée à l’hôpital Beaujon en 1958, un, retint particulièrement notre attention, tant son intense hypertonie donnant au facies un aspect sardonique et sa contraction de la nuque en hyperextention étaient inhabituels. Des chutes inopinées avaient marqué le début suivies d’une paralysie de la verticalité du regard, de troubles de la phonation et de la déglutition avec un syndrome pseudobulbaire, ce qu’a expliqué la topographie des lésions (dégénérescence neurofibrillaire riche en protéine Tau et perte neuronale) dans le mésencéphale: noyaux rouge, locus niger, noyaux du III et dans les noyaux gris centraux et le thalamus. L’état psychique n’est pas celui de la DTA, c’est plus une apathie avec inaction, dont Jean Cambier a montré le lien avec un hypométabolisme frontal [5]. Le terme de pseudo démence peut être appliqué également à une autre ‘‘ Taupathie ’’ la très rare atrophie corticobasale, comportant des mouvements anormaux et une dystonie souvent asymétrique. Enfin Vincent de la Sayette, praticien hospitalier dans le service de neurologie du CHU de Caen, vous présentera le fruit de son expérience des démences dites à Corps de Lewy en raison de la présence en grande abondance de ce type de lésion dans le cortex ainsi que dans les noyaux gris centraux. L’altération du psychisme est, là encore, différente d’une vraie démence, en revanche des signes de la série extrapyramidale peuvent évoquer une maladie de Parkinson, maladie dans laquelle furent décrits d’ailleurs les corps de Lewy dont on connaît maintenant la richesse en synucléine. Il ne s’agit pas non plus d’une vraie démence mais d’un athymormie (perte de l’élan vital) dans le syndrome de Perry dû à une anomalie de la Dynactine. Il s’agit d’une affection à hérédité dominante, frappant des adultes jeunes chez qui elle entraîne toujours la mort du fait d’accès d’ insuffisance respiratoire d’origine neurogène, dont nous vous avons présenté, ici même, l’observation d’une famille suivie sur cinq générations, l’une des six familles atteintes dans le monde [6].

BIBLIOGRAPHIE [1] Delay J. et Brion S. — Les démences tardives, Paris, Masson, 1 volume, 1962.

[2] Derouesné Ch. — La maladie d’Alzheimer : regard sur le présent à la lumière du passé. Une approche historique. Psychologie et Neuropsychiatrie du vieillissement , 2008, 6 (2) , 115-118.

[3] Snowden J. S. Thomson J.C., Stopford C.L. et al. — The clinical diagnostic of early-onset dementias: diagnostic accuracy and clinicopathological relationships,

Brain, 2011, 134 , 2478- 2492.

[4] Cambier J., Escourolle R., Masson M., et Lechevalier B. — La paralysie supra-nucléaire progressive. À propos d’une observation anatomo-clinique. Revue neurologique , 1969, 121 (2) , 139-154.

[5] D’Antona R. Baron J.C., Samson Y., Serdaru M., Viader F., Agid Y., Cambier J. — Subcortical dementia. Frontal cortex hypometabolism detected by positron tomography in patients with progressive supranuclear palsy. Brain , 1985, 108 , 785-799.

[6] Farrer M.J., Hulihan M.M., Kachergus J.M., Dächsel J.C., Stoessl A.J., Grantier L.L., Clane S., Calne D.B., Lechevalier B., Chapon F. et al . — DCTN1 mutations in Perry syndrome.

Nature-Genetics , 2009, 41 , 163-165.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : bernard.lechevalier@orange.fr ** C.H.U. de CAEN 14000 Tirés à part : Professeur Bernard Lechevalier, même adresse</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 2, 405-407, séance du 21 février 2012