Résumé
La démence à corps de Lewy est une maladie dégénérative fréquente probablement la seconde forme de démence dégénérative en terme d’incidence. Il s’agit d’un syndrome clinique bien plus que d’un « diagnostic neuropathologique ». Effectivement, sa définition neuropathologique est incertaine et ambiguë en raison de lésions partiellement communes avec la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer. Six critères originaux essentiellement cliniques et relativement spécifiques permettent son diagnostic : fluctuations de l’attention de la vigilance et des fonctions cognitives ; hallucinations visuelles diurnes, précoces, précises ; syndrome parkinsonien ; troubles du comportement durant le sommeil paradoxal ; sensibilité majeure aux neuroleptiques ; diminution de la capture striatale du transporteur de la dopamine mise en évidence en imagerie isotopique (DAT-scan). En raison des enjeux thérapeutiques poser un diagnostic de démence à corps de Lewy revêt une grande importance.
Summary
Dementia with Lewy bodies is probably the second most frequent neurodegenerative dementia. Its neuropathological features overlap those of both Parkinson’s disease and Alzheimer’s disease, and the neuropathological hallmarks are therefore uncertain. Dementia with Lewy bodies is rather a clinical syndrome than a ‘‘ neuropathological diagnosis ’’. A combination of six original but non specific features is useful for diagnosis, namely
* Neurologie et CMRR (Centre Mémoire de Ressource et de Recherche) et Inserm U1077 e-mail : delasayette-v@chu-caen.fr ** Anatomie pathologique et Inserm U1075, CHU Côte de Nacre — 14033 Caen cedex Tirés à part : Docteur Vincent de La Sayette, même adresse.
Article reçu le 23 janvier 2012, accepté le 6 février 2012 fluctuating attention and cognition ; recurrent daytime well-formed and detailed visual hallucinations ; features of parkinsonism ; rapid eye movement sleep behavior disorders ;
severe neuroleptic sensitivity ; and low dopamine uptake in the basal ganglia. Because of the therapeutic implications, diagnosis of dementia with Lewy bodies is an important challenge.
INTRODUCTION
L’existence de corps de Lewy (CL), inclusions intraneuronales dans le tronc cérébral, parfois dans le cortex, la moelle épinière ou certains neurones du système nerveux autonome digestif et cardiaque définit « les maladies à corps de Lewy ». Cliniquement il s’agit d’entités très polymorphes qui regroupent la classique maladie de Parkinson, certaines formes de dysautonomies isolées et des tableaux de démences avec des formes intermédiaires et de passage entre ces trois entités.
Outre les CL corticaux, la démence à corps de Lewy (DCL) se caractérise aussi par la présence habituelle de plaques amyloïdes corticales identiques à celles de la maladie d’Alzheimer (MA). Pour cette raison, elle est souvent présentée comme une entité hybride entre maladie de Parkinson et MA alors qu’elle possède des traits cliniques tout à fait caractéristiques et très prégnants. En dépit de sa fréquence (elle représenterait la seconde cause — 10 à 20 % — des démences dégénératives) et de traits cliniques originaux, cette maladie reste peu et mal connue alors que les conséquences thérapeutiques de son « non-diagnostic » sont importantes voire parfois dramatiques. L’âge de début de la maladie est superposable à celui de la MA, presque toujours après soixante ans avec une atteinte masculine prédominante.
L’évolution est assez imprévisible, les complications potentiellement graves, la survie moins longue que dans la MA. Notre première rencontre certaine avec la démence à CL remonte à 1992 chez un sujet ayant présenté plusieurs épisodes confusionnels et délirants attribués à un alcoolisme chronique et des ivresses répé- tées. Cependant, les améliorations spectaculaires et prolongées entre épisodes et une grande sensibilité aux neuroleptiques avaient fait suspecter une DCL, confirmée en 1997 à l’examen histologique du cerveau. Notre « série autopsique » s’est depuis enrichie d’une dizaine de cas et nous suivons actuellement dans notre service, une soixantaine de patients souffrant de DCL.
Les corps de Lewy
Les CL ont été décrits en 1912 par un neuropathologiste berlinois dans le tronc cérébral de patients ayant souffert d’une maladie de Parkinson [1]. Il s’agit d’inclusions neuronales, intra-cytoplasmiques, sphériques, uniques, volumineuses, éosinophiles, possédant un centre homogène très dense et un halo périphérique. Ils sont localisés essentiellement dans les neurones pigmentés du tronc cérébral et sont constants dans les neurones monoaminergiques de la substantia nigra ; de ce fait, ils ont été considérés pendant des décennies comme un marqueur histologique spécifique de la maladie de Parkinson. Hors de la substantia nigra ils sont également fréquents dans le locus coeruleus, le noyau dorsal du vague et le mésencéphale et en dehors du tronc cérébral dans le noyau basal de Meynert, les noyaux du septum, et la colonne intermédio-latérale de la moelle, les plexus digestifs et cardiaque du système végétatif ; ces dernières localisations rendent compte de la fréquence du déficit cholinergique et des troubles végétatifs. En revanche, ils ne sont jamais localisés ni dans le thalamus ni dans le striatum.
En 1976, l’examen du cerveau d’un patient ayant présenté un tableau de démence progressive associée à des troubles moteurs permit de décrire des CL corticaux moins bien individualisés que les CL du tronc cérébral : inclusions éosinophiles, de limite floue, sans halo périphérique, volumineuses (10 à 20 μm), refoulant en périphérie un noyau clarifié [2]. Leur localisation (et leur densité) est parfaitement ordonnée avec une présence constante dans les structures limbiques puis une extension éventuelle dans le néocortex : amygdale temporale, cortex parahippocampique, gyrus cingulaire, insula, cortex préfrontal, hippocampe, cortex occipital. Il n’y a jamais de CL cortical sans CL dans le tronc cérébral mais il n’existe aucun lien entre leur densité respective. D’autres inclusions en fuseau ou filiformes situées dans les prolongements neuronaux, les neurites de Lewy (NL), ont également été décrites en association et dans toutes les localisations des CL.
Les CL sont constitués de neuro-filaments de 10nm, de disposition radiaire dans le halo clair, disposés anarchiquement dans les CL corticaux, très réactifs à différents anticorps. Le marquage anti-ubiquitine est non spécifique mais permet un excellent repérage des CL et des NL. Le marquage par les anticorps dirigés contre l’alphasynucléine caractérise de façon spécifique les CL et les NL.
Maladies avec des corps de Lewy : les synucléopathies
L’alpha-synucléine, produit du gène
SNCA situé sur le chromosome 4 (4q21) est une protéine constitutive des neurones, présente dans le noyau, les mitochondries et les prolongements axonaux ; son accumulation anormale en dépôts de structure fibrillaire et insoluble se retrouve dans les CL. Les mutations du gène de l’alphasynucléine sont exceptionnelles et responsables de maladies de Parkinson juvéniles ou de DCL. Les duplications ou triplications du gène pourraient également induire une DCL — pour revue voir Kurz et al [3]. Il est donc classique de parler de « synucléopathies » autant que de « maladies à CL », en référence à la protéine constitutive des CL dont l’accumulation, selon un schéma classique dans les maladies cérébrales dégénératives, est probablement le point de départ de la pathologie.
Néanmoins, l’accumulation pathologique d’alpha-synucléine peut se rencontrer dans l’atrophie multisystématisée dans les oligodendrocytes et non dans les neurones et sans formation de CL ; en conséquence, maladies à CL et synucléopathies ne se recouvrent pas parfaitement. La plus emblématique des maladies à CL est bien entendu la maladie, de Parkinson caractérisée par la perte des neurones dopaminergiques de la substancia nigra. L’extension progressive et longtemps asymptomatique des CL et des NL débute dans le noyau dorsal du X et les structures olfactives [4] avant de diffuser lentement aux autres structures du tronc dont le substantia nigra, aux noyaux basal de Meynert et du septum, à l’amygdale, aux autres structures du système limbique puis au néocortex [4]. Une autre forme, rare, de « synucléopathie » correspond à un syndrome dysautonomique primaire isolé caractérisé par des troubles végétatifs extrêmement sévères associés à des CL et des NL confinés, ou largement prédominants, dans la colonne intermédio-latérale de la moelle et le système nerveux autonome. La troisième forme clinique constitue la démence à corps de Lewy.
La démence à corps de Lewy : critères neuropathologiques
Sur le plan neuropathologique, la présence de CL corticaux, dans les structures limbiques et le néocortex est une condition nécessaire mais non suffisante pour porter un diagnostic de DCL. Effectivement, les CL corticaux sont rarement isolés puisque, dans la très grande majorité des cas, des plaques amyloïdes leur sont associées sans qu’il y ait de corrélation entre leur densité respective. Il existe en fait un continuum entre les rares formes de DCL pure (sans lésion de MA) décrite essentiellement dans la population japonaise [5], la forme commune de DCL associant CL et plaques amyloïdes sans dégénérescences neuro-fibrillaires (DNF) [6] et une troisième forme associant CL et lésions de MA, c’est-à-dire plaques amyloïdes et DNF [5-7], forme qualifiée de MA avec CL ou variante avec CL [6].
Dans ces trois formes, l’accumulation diffuse d’alpha-synucléine dans les terminaisons synaptiques s’accompagne d’une perte neuronale corticale [6]. Parallèlement, la densité de CL corticaux est statistiquement corrélée à la détérioration cognitive [8], comme l’est la densité des DNF dans la MA. Les plaques amyloïdes rencontrées dans la DCL sont identiques à celles de la MA, de répartition semblable, formées de dépôt de protéine βA4 insoluble issue de la scission anormale de la protéine APP (amyloid precursor protein). La répartition topographie des plaques amyloïdes et des CL est donc différente, comme l’est celle des plaques amyloïdes et des DNF dans la MA. Si la charge amyloïde (densité de plaque amyloïde) n’a pas d’influence prépondérante sur la sévérité du déficit cognitif, la présence de plaques amyloïdes semble bien favoriser le développement des CL corticaux dans la DCL à l’instar des DNF dans la MA.
Le substratum neuropathologique de la DCL est donc difficile à définir avec certitude en raison du chevauchement avec les lésions propres à la maladie de Parkinson et la MA. En 2005 les critères neuropathologiques et cliniques pour le diagnostic de la DCL [9] ont été révisés et ce sont ces critères qui vont être exposés.
Le diagnostic neuropathologique de DCL repose tout d’abord sur un comptage des CL et NL à partir d’un échantillonnage régional permettant d’appliquer une échelle de sévérité semi-quantitative en quatre stades : 1 — Léger : rare CL ; 2 — Modéré :
plus de un CL dans un champ ; 3 — Sévère : plus de quatre CL dans un champ ; 4 — Très sévère : très nombreux CL. La répartition régionale permet de distinguer trois types. Le Type C, avec des CL confinés au tronc cérébral associés éventuellement à de rares CL dans le noyau basal de Meynert et les structures limbiques correspond à la maladie de Parkinson. Le type A qui comporte des CL diffus dans le tronc cérébral, les structures limbiques et le néocortex correspond à la DCL. Le type B est qualifié de transitionnel ou limbique puisque les CL sont nombreux dans les structures limbiques mais rares ou absents dans le néocortex (tableau 1).
Tableau 1. — Localisation et densité des corps de Lewy (d’après McKeith et al. , 2005)
Stades :1 — Léger : rare CL ; 2 — Modéré : plus de un CL dans un champ ; 3 — Sévère : plus de quatre CL dans un champ ;
4 — Très sévère : très nombreux CL Type A : maladie à CL diffus Type B : maladie à CL transitionnelle ou limbique Type C : maladie à CL confinés ou prédominant dans le tronc cérébral Type C
Type B
Type A
Structures du tronc Noyaux IX – et X 1 — 3 1 — 3 1 — 3
Locus coeruleus 1 — 3 1 — 3 1 — 3
Substantia nigra 1 — 3 1 — 3 1 — 3
Structures limbiques Noyau b de Meynert 0 — 2 2 — 3 2 — 3
Amygdale 0 — 2 2 — 3 3 — 4
Trans-entorhinal 0 — 1 1 — 3 2 — 4
Cingulaire 0 — 1 1 — 3 2 — 4
Néocortex Temporal 0 0 — 2 2 — 3
Frontal 0 0 — 1 1 — 3 pariétal 0 0 0 — 2
Parallèlement, sont prises en compte les densités respectives des plaques amyloïdes et des DNF qui, selon les critères du NIA-Reagan (National Institute on Aging — Reagan) permettent de déterminer la probabilité que la densité des lésions constatées correspond effectivement à une MA. En croisant répartition et densité des CL et critères du NIA-Reagan, la probabilité haute, intermédiaire ou basse que les constatations neuropathologiques soient en rapport avec une DCL clinique peut être établie (tableau 2). Il est donc essentiel de souligner à nouveau que le diagnostic neuropathologique de la DCL est probabiliste.
La démence à corps de Lewy : signes cliniques et critères diagnostiques
Les signes cliniques de la DCL sont variés, polymorphes et peuvent au début de la maladie être déroutants. De l’exposé sur les CL et les lésions neuropathologiques, il paraît déjà clairement que les signes cliniques d’entrée dans la maladie peuvent être moteurs (syndrome parkinsonien) ou cognitifs. Il était habituel avant 2005 de ne considérer comme DCL que les cas de « démence initiale ou précoce, c’est-à-dire de durée d’évolution inférieure à un an par rapport au diagnostic d’un syndrome
Tableau 2. —
Probabilité (haute, intermédiaire ou basse) que les constatations neuropathologiques soient en rapport avec une démence à corps de Lewy clinique (d’après MacKeith et al. 2005)
Répartition régionale des CL selon les trois types A, B et C.
Stades de Braak de 0 à VI : probabilité d’une « démence de type Alzheimer » en fonction des critères du NIA — Reagan : Braak 0 — II probabilité faible ; Braak III — IV probabilité intermédiaire : Braak V — VI probabilté haute
Braak 0 — II
Braak III — IV Braak V — VI
CL : Type C
Basse
Basse
Basse
CL : Type B
Haute
Intermédiaire
Basse
CL : Type A
Haute
Haute
Intermédiaire parkinsonien ». Le terme de démence parkinsonienne était réservé aux démences survenant après plus d’un an d’évolution d’une maladie de Parkinson. Ce critère temporel n’a plus lieu d’être et on considère maintenant que ces deux affections, DCL et démence parkinsonienne, sont confondues [10].
Toute démence se caractérise habituellement par un retentissement dans la vie quotidienne, attribuable au déclin progressif des fonctions cognitives. Une des originalités de la DCL est que les troubles cognitifs peuvent être initialement extrêmement discrets, au second plan mais avec un important retentissement dans la vie socio-professionnelle, pouvant résulter d’hallucinations, d’un délire, d’épisodes de confusion, de troubles du comportement nocturne, de troubles végétatifs de malaises répétés, de pertes de connaissance, tous ces symptômes constituant autant de modes d’entrée dans la maladie et de motifs de consultation.
Sur le plan cognitif, et même si la plainte mnésique est un motif fréquent de consultation, les troubles de la mémoire épisodique importants ou persistants ne sont pas habituels au début de la maladie alors que les déficits visuo-spatiaux, de l’attention et des fonctions exécutives sont particulièrement marqués, éventuellement isolés, et inauguraux. Les troubles visuo-spatiaux peuvent être caricaturaux et rendre impossible le dessin de figures très simples, spontanément et en copie, ou l’imitation de posture des mains et des doigts ; l’écriture est souvent perturbée (en dehors d’une éventuelle micrographie parkinsonienne), les lettres mal formées, la disposition spatiale désorganisée ; les gestes peuvent être maladroits. Le syndrome frontal est fréquent : apathie, désintérêt, bradypsychie, émoussement affectif plus souvent que désinhibition. Les épreuves testant les fonctions exécutives sont habituellement perturbées parfois en l’absence de « syndrome frontal comportemental ». Les authentiques perturbations de la mémoire épisodique voire des troubles du langage sont beaucoup plus rares au début de la maladie. C’est donc l’association très particulière d’un déficit des fonctions exécutives et des fonctions visuo-spatiales qui suggère le diagnostic de DCL et incite à la recherche soigneuse des autres signes.
Au-delà des troubles cognitifs trois critères cliniques qualifiés de « centraux » et trois critères qualifiés de « suggestifs » ont été jugés particulièrement pertinents par leur fréquence et leur spécificité pour établir le diagnostic de démence à CL [9]. La combinaison de deux critères centraux ou d’un critère central et d’un critère suggestif permet de porter un diagnostic de démence à CL probable. Un seul critère central ou l’association de deux critères suggestifs autorise un diagnostic de démence à CL possible.
Les critères ou symptômes centraux sont : les fluctuations de l’état cognitif ; les hallucinations visuelles diurnes détaillées, précises et récidivantes ; un syndrome parkinsonien.
Les critères suggestifs sont : les troubles du comportement lors du sommeil paradoxal ; la sensibilité marquée aux neuroleptiques ; la diminution de la captation des transporteurs de la dopamine mesurée par des méthodes isotopiques (DAT scan).
— Les fluctuations cognitives affectent en fait essentiellement l’attention et la vigilance et par ricochet peuvent interférer sur les fonctions cognitives et leur évaluation. Il peut s’agir d’épisodes de léthargie, de siestes prolongées parfois de plusieurs heures, de moment de fixité durable du regard, d’épisodes de « désorganisation » du langage, d’état de non réponse, de mutisme. Ces fluctuations sont très variables dans leur durée quotidienne, de quelques minutes à quelques heures, peuvent être ponctuelles, se répéter quelques jours ou se prolonger pendant des semaines ou des mois.
— Les hallucinations visuelles sont remarquables, souvent précoces voire inaugurales, récidivantes, persistantes, complexes, diurnes, souvent identiques ; il s’agit habituellement de personnages inconnus ou familiers, vivants ou décédés, ou d’animaux qui s’intègrent au décor environnant. Elles sont presque toujours silencieuses (les personnages ne parlent et ne répondent pas), sans confusion souvent analysées et critiquées par le patient mais, tellement réelles ! L’interrogatoire répété doit les rechercher avec insistance car les patients n’osent pas les avouer surtout en présence de l’entourage proche. Elles sont souvent associées à des troubles visuo-constructifs importants, à un hypométabolisme marqué du cortex occipital et à un déficit en acétyl-choline corticale majeur qui prédit une bonne réponse aux inhibiteurs de l’acétyl-choline estérase.
— Le syndrome parkinsonien pratiquement constant lorsque la maladie est évoluée n’est présent qu’une fois sur deux au moment du diagnostic. Sa sévérité est similaire à celle observée chez les patients souffrant de maladie de Parkinson idiopathique sans démence mais il existe quelques particularités cliniques plus fréquentes dans la DCL : hypertonie axiale, akinésie symétrique, troubles de la marche et instabilité précoces, rareté du tremblement ; la réponse à la lévoDopa est généralement moins bonne.
— Troubles du comportement au cours du sommeil paradoxal. Le sommeil paradoxal se caractérise par une activité onirique intense associée à une atonie musculaire absolue (à l’exception des mouvements oculo-moteurs incessants).
La survenue simultanée de cauchemars en l’absence pathologique d’atonie musculaire détermine les troubles du comportement du sommeil paradoxal. Le patient « participe activement » à son rêve, souvent le même, effrayant, entraî- nant : vocalisation, agitation des membres, déambulation, chutes, violences verbales et physiques voire agression. Il ne laisse que peu de souvenirs et ce sont les conjoints parfois effrayés qui en rapportent le contenu : vol, agression, crime, scènes de guerre … Ils doivent être recherchés de parti pris et une question au conjoint s’impose : « Faites-vous chambre à part, depuis quand et pourquoi ? ».
Ces troubles peuvent précéder de plusieurs années et même s’amender avant la survenue d’autres symptômes. Non spécifiques de la DCL puisqu’ils se rencontrent aussi dans d’autres syndromes parkinsoniens, ils constituent néanmoins un excellent signe d’orientation [11] et peuvent répondre aux inhibiteurs de l’acétylcholine estérase ou au clonazepam.
— La sensibilité aux neuroleptiques correspond à la survenue ou à l’exacerbation soudaine de symptômes parkinsoniens, de troubles du comportement, d’une somnolence, d’une confusion, d’un coma. Le risque de mortalité est élevé même après la prise de quelques gouttes de neuroleptique y compris de neuroleptiques qualifiés d’atypiques. Cette intolérance aux neuroleptiques n’est pas constante ;
il ne s’agit donc pas d’un critère d’exclusion diagnostique.
— Le « DAT-SCAN. » dernier des critères suggestifs est paraclinique. L’image fonctionnelle, par un radiomarqueur monophotonique (123I-FP-CIT), de la captation striatale d’un transporteur pré-synaptique de la dopamine (DAT) est un reflet de l’intégrité du système dopaminergique ou de sa dégénérescence neuronale pré-synaptique. Cette technique permet des mesures semi quantitatives. La diminution, symétrique ou non, de l’activité DAT striatale n’est pas spécifique à la DCL et se rencontre également dans la maladie de Parkinson, les atrophies multisystématisées, la paralysie supranucléaire progressive ou l’atrophie cortico-basale [12]. En revanche l’activité striatale est préservée dans la MA [13] ou dans les syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques. La contribution de cet examen est déterminante lorsqu’il n’y a pas encore de symptômes parkinsoniens ou que ceux-ci sont ténus.
La DCL est potentiellement d’une grande richesse clinique et rassemble d’autres symptômes évocateurs, fréquents mais peu spécifiques qui, tous, peuvent constituer un mode d’entrée dans la maladie. Nous insisterons particulièrement sur les troubles végétatifs, hypotension orthostatique plus rarement incontinence, les chutes répé- tées, les malaises, les pertes de connaissance et les syncopes non expliquées. La dépression est habituelle (50 %) parfois sévère et inaugurale. Des hallucinations autres que visuelles ou un délire systématisé sont assez fréquents au cours de la maladie.
Examens paracliniques
Trois examens isotopiques comportent un intérêt diagnostique particulier. La mesure de la captation du transporteur de la dopamine (DAT Scan) a déjà été traitée et son importance soulignée dans le chapitre précédent (critères diagnostiques). La scintigraphie au meta-iodobenzylguanidine marqué à l’iode 123 (MIBG), mesurant la densité de l’innervation sympathique du myocarde peut révéler une perte complète de cette innervation y compris aux stades les plus précoces de la DCL [14] ce qui constitue un critère spécifique et discriminant par rapport à d’autres pathologies notamment l’atrophie multisystématisée. Enfin, l’examen du métabolisme cérébral par tomographie à émission de positon (TEP-FDG) ou du débit sanguin cérébral par technique monophotonique (SPECT) peut montrer une altération fonctionnelle des régions occipitales [15].
L’électro-encéphalogramme, de pratique courante, peut révéler une activité lente [9] mais ne présente d’intérêt que dans les formes sévères d’évolution rapide dans le cadre du diagnostic différentiel avec une maladie de Creutzfeld-Jakob [16]. L’IRM cérébrale dont la réalisation en l’absence de contre-indication doit être systématique, n’apporte pas non plus de réel argument diagnostique. Elle permet surtout de vérifier l’absence d’atrophie hippocampique et pariéto-temporo-occipitale ou frontale habituelles respectivement dans la MA et la démence fronto-temporale ; les lésions vasculaires, qu’elles soient diffuses (leucopathie) ou focales, ne sont pas non plus fréquentes contrairement à la MA. La présence de plaques amyloïdes et la charge amyloïde globale et régionale peut être déterminée en TEP en utilisant le PIB (11C-Pittsburgh Compound B) [15, 17] mais cette mesure n’est pas discriminante puisqu’un radiomarquage positif par le PIB se rencontre également dans la MA et parfois chez des sujets parkinsoniens ou âgés sains sans trouble cognitif [18]. Enfin, hors du champ de la démarche diagnostique, des explorations très récentes ont été effectuées en IRM de tenseur de diffusion pour l’exploration du cingulum [19] et en IRM fonctionnelle au repos [20]. Il s’agit de techniques exploratoires susceptibles de contribuer à la compréhension de la physiopathologie de la DCL. L’IRM fonctionnelle au repos s’avère particulièrement intéressante en révélant la modification de la connectivité fonctionnelle de régions corticales différentes dans la MA et la DCL [20].
Traitement
L’évolution de la DCL n’est pas aussi régulière que celle de la MA et l’adjectif imprévisible ou capricieuse pourrait la caractériser. Les fluctuations en sont en grande partie responsables. Certains patients bénéficient d’améliorations spectaculaires, les symptômes moteurs peuvent s’améliorer, les hallucinations disparaître.
Des aggravations rapides, transitoires, prolongées ou définitives peuvent leur succé- der sans facteurs déclenchants apparents en dehors éventuellement de prescriptions inadaptées.
Etablir le diagnostic d’une DCL revêt donc une grande importance en raison des conséquences thérapeutiques [21]. L’altération du noyau basal de Meynert et des noyaux du septum entraîne un déficit cholinergique équivalent voire supérieur à celui de la MA. En conséquence, les inhibiteurs de l’acétyl-choline estérase qui corrigent le déficit cholinergique (Rivastigmine, Donépézil, Galantamine) doivent être prescrits ; le bénéfice est parfois beaucoup plus net que dans la MA. Même si leur effet est transitoire, ils peuvent améliorer les hallucinations visuelles, le comportement nocturne, le niveau d’éveil diurne, les fluctuations cognitives. Seule la Rivastigmine (Exelon*) a reçu une AMM avec pour indication : « démence parkinsonienne ». Des études thérapeutiques récentes suggèrent également un bénéfice de l’utilisation de la Mémantine (Ebixa*) [21]. Le syndrome parkinsonien doit être traité classiquement en recourant à la L DOPA. En revanche les agonistes dopaminergiques doivent être évités car ils peuvent majorer, ou induire confusion, hallucinations et délire. Bien entendu, si le diagnostic de démence à CL est suspecté, a fortiori s’il est établi, le recours aux neuroleptiques est formellement proscrit, à l’exception de faibles doses de Clozapine.
CONCLUSION
La DCL comporte un certain nombre de signes cliniques très caractéristiques qui en rendent le diagnostic relativement aisé. Les difficultés surviennent dans les formes paucisymptomatiques débutantes ou les formes atypiques, hybrides ou transitionnelles soit que la maladie se confonde avec une maladie de Parkinson classique soit qu’elle prenne, par ses troubles cognitifs, l’aspect d’une MA. Globalement, la physiopathologie de la DCL n’est connue que de façon très parcellaire alors que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, cliniquement mieux définies, plus « monolithiques » et plus fréquentes sont mieux étudiées. Les processus fondamentaux qui président au développement de la DCL sont incompris et les questions concernant la prépondérance, selon les individus, des symptômes moteurs ou cognitifs et la nature du lien entre CL et plaques amyloïdes n’ont actuellement pas de réponse. Sur le plan pratique le diagnostic de DCL ne doit pas être ignoré. Toute consultation au motif de troubles cognitifs ou d’un syndrome parkinsonien ne doit pas manquer la recherche insistante d’hallucinations visuelles, de troubles du comportement nocturne et de fluctuations de l’état cognitif, de l’attention et de la vigilance dont l’existence doit attirer l’attention sur un diagnostic potentiel de DCL.
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DISCUSSION
M. Georges SERRATRICE
Vous avez fait allusion à une forme dysautonomique pure. La séméiologie est-elle constamment isolée ou s’intégre-t-elle dans un tableau parkinsonien ultérieur ? Les lésions du tractus intermédio-latéral sont-elles constantes ?
Ce syndrome recouvre en partie ce qui était qualifié autrefois de syndrome de ShyDrager. Nous avons connu une patiente décédée à soixante-cinq ans après avoir souffert pendant vingt ans d’une hypotension orthostatique devenant progressivement gravissime, associée à des troubles sphinctériens, une fréquence cardiaque quasiment invariable. Décès après des AVC ischémiques postérieurs bilatéraux en rapport avec des variations tensionnelles extrêmes (Systolique supérieure à 250 mmHg en décubitus inférieure à 40 mmHg assise). Il n’y avait pas de trouble cognitif (avant les AVC) ni de syndrome parkinsonien. A l’autopsie, corps de Lewy et neurites de Lewy innombrables dans le système nerveux autonome central (colonne intermédiolatérale de la moelle cervicale, thoracique et sacrée, noyau dorsal du X , noyau pupillaire du III et noyau du faisceau solitaire) et le système autonome périphérique (ganglions péri-aortiques du système sympathique, plexus des parois de la vessie, de l’œsophage et des intestins). Au niveau central quelques corps de Lewy dans le locus niger, le locus coeruleus, le noyau basal de Meynert et l’hypothalamus avec une discrète dépopulation neuronale. Exceptionnels corps de Lewy dans l’amygdale temporale. Rien dans le cortex. Si cette patiente avait vécue, peut être aurait-elle développé un syndrome parkinsonien mais la discrétion de la dépopulation neuronale dans le locus niger lors de son décès indique qu’elle était « encore très loin d’un stade symptomatique ». Cette observation n’a pas été publiée mais il existe quelques observations semblables.
M. Christian NEZELOF
Existe-t-il des corps de Lewy dans les syndromes de Parkinson survenant chez les anciens boxeurs ? Les corps de Lewy sont-ils visibles dans les plexus mésentériques ?
A ma connaissance les syndromes parkinsoniens des boxeurs sont liés aux microtraumatismes répétés et aux lésions vasculaires de petite taille associées. Donc il ne doit pas y avoir de corps de Lewy mais des lésions pour l’essentiel situées dans le striatum. Les corps de Lewy sont repérables et visibles dans les plexus mésentériques. Des publications récentes les mentionnent également dans les terminaisons nerveuses « sudoripares et vaso-motrices » de la peau : un siège biopsique possible et aisé pour le diagnostic de maladie de Parkinson ou de la maladie à corps de Lewy. Des projets de recherche ont été déposés dans cette perspective.
M. Jean CAMBIER
La Dame de fer n’a-t-elle pas une démence à corps de Lewy ?
La dame de fer du film « The Iron Lady » pourrait avoir une démence à corps de Lewy :
hallucinations visuelles répétées, d’un personnage connu (décédé et aimé), s’intégrant au décor, suffisamment précises pour être crédibles mais néanmoins en partie critiquées.
Pour autant « l’hallucination » parle parfois et même un dialogue peut s’instaurer entre « l’hallucination et l’hallucinée ». Notre dame de fer marche comme une vieille dame et ne semble guère avoir de syndrome parkinsonien ; elle signe plusieurs fois sans trop d’hésitation ni micrographie. Bien entendu il aurait été instructif d’ajouter quelques gouttes de neuroleptiques à son nuage de lait mais le scénariste n’y a visiblement pas pensé. D’après les médias la vraie « baronne Thatcher de Kesteven » aurait plutôt eu plusieurs « attaques cérébrales » et souffrirait d’une maladie d’Alzheimer ; peut être souffre-t-elle alors d’une démence mixte, une perspective peu plaisante pour une personnalité aussi radicale.
M. André VACHERON
Quelle est la nature des corps de Lewy ?
Pour l’essentiel les corps de Lewy sont constitués par l’agrégation d’alpha-synucléine (protéine constitutive des neurones, présente dans le noyau, les mitochondries et les prolongements axonaux) qui s’accumule sous une forme anormale de fibrilles insolubles.
M. Jean-Luc de GENNES
Y a-t-il une piste de transmission génétique dans la maladie des corps de Lewy ?
L’alpha-synucléine est un produit du gène SNCA situé sur le chromosome 4 (4q21). Les mutations du gène SNCA (trois sites répertoriés) sont exceptionnelles et responsables de maladies de Parkinson juvéniles ou de DCL. Les duplications ou triplications du gène pourraient également induire une DCL.
Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 2, 445-457, séance du 21 février 2012