Communication scientifique
Séance du 30 octobre 2007

Morphologie, biologie et cycle des Plasmodium parasites de l’homme

MOTS-CLÉS : paludisme. recherche biomédicale.. thérapeutique
Morphology, biology and life-cycle of Plasmodium parasites
KEY-WORDS : biomedical research.. malaria. therapeutics

Marcel Hommel

Summary

Laveran first discovered that an infectious agent was responsible for malaria by using a simple microscope, without the assistance of specific stains. Our knowledge of the Plasmodium life cycle and cellular biology has progressed with each technological advance, from Romanovsky staining and histology to electron microscopy, immunocytochemistry, molecular methods and modern imaging techniques. The use of bird, primate and rodent models also made a major contribution, notably in the development of antimalarial drugs that are still in use today.

L’EXPLOIT DE LAVERAN

Le 6 novembre 1880, Charles-Louis-Alphonse Laveran, médecin militaire à Constantine en Algérie, examinait le sang d’un jeune soldat ayant présenté une fièvre intermittente. Pour ce faire, il avait dilué une goutte de sang au tampon physiologique, et l’examinait au microscope, entre lame et lamelle, sans la moindre coloration. Les cellules rondes ou en forme de croissant, présentant des organelles pigmentés et des flagelles d’une grande mobilité, qu’il observe ce jour-là, au milieu des globules rouges, vont complètement changer notre vision du paludisme en lui reconnaissant sa nature de maladie infectieuse [1].

Cette observation fut un exploit si l’on considère que Laveran utilisait un microscope monoculaire avec du sang à l’état frais, sans la moindre coloration, à un grossissement de x400 et sans objectif à immersion. La chance a certainement joué un rôle, car ce qu’il a observé et correctement identifié comme un protozoaire parasite (qu’il appella Oscillaria malariae ), n’était pas un protozoaire tel qu’on le trouve normalement dans le sang, mais une forme de différenciation qui ne survient normalement que dans l’estomac du moustique et qui, pour être visible ex vivo , nécessite que le sang ait été laissé à température ambiante pendant un vingtaine de minutes à un pH optimal. En effet, ce qu’il observait était l’exflagellation de microgamètes à partir d’un gamétocyte mâle, un événement qui nécessite une période préparatoire pendant laquelle le parasite doit d’abord sortir du globule rouge, effectuer trois mitoses successives et développer un flagelle pour chacun des huit microgamètes. Il a été montré depuis que cette différenciation est probablement la séquence de divisions cellulaires la plus rapide jamais décrite chez une cellule eucaryote.

Il faut rappeller qu’en 1880 Laveran était médecin, pas naturaliste, et qu’il ne se considèrera être un naturaliste qu’en 1894, lorsqu’il quitte le service d’hygiène militaire de l’Hôpital du Val-de-Grâce, pour rejoindre l’Institut Pasteur, pour se consacrer à l’étude de la biologie des parasites humains et animaux, dont les leishmanioses et les trypanosomoses.

Entre la découverte du Plasmodium et la compréhension de sa biologie, il a fallu avoir accès à de nouvelles technologies et approches expérimentales : l’objet de cet article est de considérer l’évolution de nos connaissances en plusieurs étapes, chaque étape étant dictée par une avancée technologique significative.

LES COLORANTS DE ROMANOVSKY

La première de ces découvertes cruciales a été faite par un militaire russe, Dimitri Romanovsky, qui, en 1891, a développé une coloration hématologique basée sur un mélange d’éosine et de bleu de méthylène, qui permet de colorer en violet le noyau des parasites, qui n’était possible avec aucune des colorations existantes à l’époque [2].

Ce nouveau colorant a permis d’étudier la morphologie des différents stades de Plasmodium présents dans le sang et, c’est en utilisant cette technique que des biologistes italiens, dont Camillo Golgi, ont pu montrer que la ‘fièvre palustre’ comme l’appelait Laveran, ou mal’aria en Italie, pouvait être causée non par un seul parasite comme le pensait Laveran, mais par au moins trois espèces différentes, identifiées comme Plasmodium falciparum , Plasmodium vivax et Plasmodium malariae . La quatrième espèce touchant l’homme, Plasmodium ovale , qui est beaucoup plus rare et, contrairement aux trois autres, n’était pas endémique sur le pourtour méditerranéen, ne fut identifiée qu’en 1922, chez un soldat revenant d’Afrique de l’Est [3]. Les zoologistes, de leur côté, ont mis à profit ces colorants pour identifier chez l’animal, en particulier chez les oiseaux et les primates, toute une série de parasites apparentés aux Plasmodium humains. Ces études de parasitologie comparée étaient importantes et ont permis la mise au point des premiers modèles animaux et, dans ce contexte, il ne faut pas oublier que c’est à l’utilisation des Plasmodium aviaires, en particulier Plasmodium gallinaceum chez le poulet, que nous devons la découverte d’au moins trois des médicaments synthétiques les plus importants : la chloroquine, l’amodiaquine et la primaquine.

Le colorant de Romanovsky n’était en réalité pas facile à préparer, car très dépendant de la qualité et de l’état de conservation des colorants, et par la suite toutes sortes de variantes ont été mises au point, la plus connue étant celle décrite en 1922 par le chimiste allemand, Gustav Giemsa, et qui reste encore la coloration de choix aujourd’hui. À ces fins du 19ème siècle, l’utilisation de la coloration a permis non seulement de confirmer l’existence de différentes espèces, mais surtout d’en décrire les différents stades de développement présents dans le sang — trophozoite, schizonte et gamétocyte — et, par conséquent de commencer à en comprendre la biologie. Le processus de schizogonie est un mode de division dans lequel le parasite effectue plusieurs divisions du noyau avant la division du cytoplasme, aboutissant ainsi à des cellules pouvant avoir jusqu’à 18 noyaux (appellées ‘rosettes’ ou ‘mérontes’) et pouvant prendre entre 48 et 72 heures pour compléter leur maturation. Cette différence de durée de maturation selon les espèces étant à la base du concept de fièvre tierce ou de fièvre quarte, décrit plus tôt par Golgi.

PREMIERS MODÈLES ANIMAUX ET RÔLE DU MOUSTIQUE

Les modèles animaux ont joué un rôle très important en permettant aux biologistes de comprendre le cycle biologique. En utilisant un modèle de Plasmodium aviaire,

Ronald Ross a pu montrer en 1898 que

Plasmodium relictum , un parasite des moineaux de Calcutta, pouvait être transmis par l’intermédiaire de femelles de moustiques du genre Culex [4]. Laveran avait lui-même, dès 1884, suggéré l’hypothèse d’une transmission par les moustiques, mais c’est finalement les auteurs italiens, en particulier Grassi, qui ont montré que les Plasmodium humains étaient en fait transmis par les moustiques du genre

Anopheles [5]. Tous ces auteurs ont
correctement décrit la présence d’oocystes dans les tissus du moustique et ont identifiés les sporozoites comme les formes infectantes, responsables de la transmission.

C’est également grâce à un modèle aviaire, avec un Haemoproteus du corbeau, que

McCallum a pu expliquer le phénomène d’exflagellation observé par Laveran et identifier l’existence d’un cycle sexué impliquant des gamétocytes mâle et femelle présents dans le sang, une différenciation en gamètes dans le moustique et la formation d’un ‘vermicule’ (aujourd’hui appellé ‘oocinète’) qui envahit les tissus du moustique pour former l’oocyste [6].

À ce stade, seul le mécanisme initial de l’infection restait obscur. Il avait été suggéré en 1903 par Fritz Schaudinn que le sporozoite infectant pénétrait directement dans l’érythrocyte et il faut croire que Schaudinn avait su être très convainquant puisque, bien que personne n’ait jamais pu répéter ses expériences, cette théorie allait continuer à prévaloir jusqu’en 1948.

PHYSIOPATHOLOGIE ET PALUDOTHÉRAPIE

Les études cliniques chez l’homme nous ont permis de prendre en compte les notions essentielles en terme de paludisme : — que l’infection n’est pas synonyme de maladie, — que certaines espèces sont plus pathogènes que d’autres ( P. falciparum étant l’espèce la plus dangeureuse et celle responsable de presque toute la mortalité) et — que le paludisme-maladie est une entité complexe, ne correspondant pas forcément à l’image classique du paroxysme avec fièvre intermittente.

Bien qu’il n’ait pas été facile de faire le lien entre ce qui était connu de la biologie du parasite et la symptomatologie clinique, il a été rapidement établi que la crise de paludisme survenait au moment de la rupture des schizontes et la libération des mérozoites, peut être libérant en même temps des ‘toxines’ parasitaires. Le concept de toxine et d’anti-toxines, très en vogue au début du XXe siècle, n’a pas pu être confirmé pour le paludisme à cette époque, mais garde une certaine actualité aujourd’hui. Tous les stades du développement intra-érythrocytaire sont présents dans le sang circulant pour toutes les espèces de Plasmodium , à l’exception de P.

falciparum pour lequel seuls les trophozoites jeunes et les gamétocytes peuvent être trouvés dans le sang. Il s’agit là d’une différence biologique importante et les anatomo-pathologistes italiens avaient, dès 1889, montré que cette différence était dûe à une sequestration des trophozoites mûrs et des schizontes dans les tissus profonds, par exemple dans les capillaires cérébraux lors du neuropaludisme [7].

L’utilisation de la paludothérapie pour le traitement des formes neurologiques tertiaires de la syphilis, introduite en 1917 par Wagner-Jauregg [8], et consistant à infecter les patients à intervalles réguliers pour induire des rémissions de leur maladie, a permis de faire des études cliniques du paludisme hors zone d’endémie.

Ces études ont montré que les malades infectés de façon répétée par le même
parasite étaient capables de monter une immunité protectrice contre ce parasite et que cette immunité était non seulement espèce-spécifique, mais aussi souchespécifique. Les études ont également donné les premières preuves d’une variabilité de susceptibilité individuelle montrant, par exemple, la résistance des patients de race noire à l’infection par P. vivax [9], une résistance génétique en relation avec le groupe sanguin Duffy et confirmée plus tard à l’aide d’une autre forme d’infection expérimentale, celle des prisonniers noirs des pénitenciers américains [10].

Le mystérieux devenir des sporozoites injectés par le moustique ne sera résolu qu’en 1948, non pas chez l’homme, mais en utilisant un modèle primate, le macaque infecté par des sporozoites de Plasmodium cynomolgi : cette expérience a permis de montrer la présence d’un stade nouveau, un schizonte ayant plusieurs milliers de noyaux et localisé à l’intérieur de l’hépatocyte du singe [11]. Il faut dire que le concept d’un stade exo-érythrocytaire n’était pas entièrement nouveau, puisqu’il avait déjà été décrit pour les Plasmodium d’oiseaux [12], mais dans ce cas le modèle aviaire, chez lequel le stade exo-érythrocytaire est localisé dans les cellules réticuloendothéliales circulant dans le sang périphérique, avait produit une fausse piste qui a égaré les chercheurs pendant plus de dix ans.

La description du stade exo-érythrocytaire de P. cynomolgi , confirmée peu après par des infections expérimentales de volontaires humains avec des sporozoites de

P.

vivax , avait une autre implication puisqu’elle fournissait une explication plausible du phénomène de rechutes observé au cours des infections à

P. vivax (et à P. ovale ).

Là encore, les analogies avec les modèles aviaires ont conduit à une interprétation erronée puisque, dans les Plasmodium aviaires, les mérozoites émergents des cellules réticulo-endothéliales étaient capables soit d’infecter les globules rouges, soit de ré-envahir d’autres cellules réticulo-endothéliales. Ce n’est qu’en 1982, que les travaux de Krotoski et coll. ont démontré qu’un cycle exo-érythrocytaire secondaire n’existait pas chez les

Plasmodium de mammifères et, qu’au lieu d’envisager la possibilité de ré-invasion des hépatocytes par des mérozoites, il fallait chercher l’explication des rechutes dans l’existence d’un nouveau stade parasitaire, l’hypnozoite [13].

Il n’est pas surprenant que le stade hypnozoite ait été méconnu si longtemps puisqu’il a fallu avoir recours à des méthodes immunocytologiques fines pour le visualiser. En bref, en fonction de la souche de P. vivax , le sporozoite infectant envahit une cellule hépatique et soit commence immédiatement à se diviser et former un schizonte hépatique, soit reste à l’état dormant pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, expliquant ainsi l’occurrence de vagues successives de parasitémie. À l’extrême, l’hypnozoite peut rester dormant pendant un an, permettant une transmission dans des conditions climatiques tempérées ou froides, où la transmission ne peut se faire qu’à certaines périodes de l’année : c’est le concept des formes dites de P. vivax hibernans , qui expliqueraient les épidémies passées de paludisme en Russie et dans le Nord de l’Europe. Une étude historique récente en Finlande a suggéré, qu’au contraire des hypothèses classiques, la transmission en Europe au XVIe et XVIIe siècle se faisait très probablement en automne plutôt qu’en été, puisqu’à cette
période animaux, humains et moustiques s’abritent à l’intérieur des maisons et des granges, facilitant l’infection et rendant possible le développement du parasite dans le moustique (les températures intradomiciliaires dans ces conditions étant plus favorables au développement du parasite que les températures externes, même en période estivale) [14].

MODÈLES MURINS ET IMMUNITÉ

Ce n’est qu’en 1948 que des

Plasmodium ont été identifiés chez des rongeurs africains et leur adaptation à la souris a fourni un modèle expérimental bien plus pratique que les modèles aviaires utilisés jusque-là. Une dizaine d’espèces ont été décrites, mais c’est Plasmodium berghei qui est, encore maintenant, l’espèce la plus utilisée au laboratoire [15]. L’utilisation de souris inbred a permis de confirmer les notions de susceptibilité génétique à l’infection et de disséquer les mécanismes immunitaires. Lorsqu’une résistance aux antimalariques est apparue au décours de la guerre du Vietnam, le Walter Reed Army Research Institute aux Etats units s’est servi de ce modèle murin pour effectuer une impressionante recherche de médicament avec plus de 300 000 produits testés et une poignée de nouveaux médicaments identifiés (y compris la méfloquine, l’halofantrine et la tafénoquine), ainsi que l’identification d’intéressantes synergies (par exemple entre les sulfonamides et la pyriméthamine) [16].

Même les meilleurs modèles expérimentaux ne sont pas parfaits et l’immunité chez le rongeur et chez l’humain, bien qu’ayant des points communs, ne sont pas entièrement comparables. Les phénomènes de tolérance clinique et de prémunition, des concepts introduits par les frères Sergent pour décrire l’immunité partielle observée lors d’études épidémiologiques [17], n’a jamais été reproduit dans aucun modèle expérimental (et il n’existe d’ailleurs aucun test biologique pour mesurer cette prémunition).

Une immunité antipalustre effective met longtemps à se déveloper, même chez des individus vivant en zone endémique et qui sont fréquemment réinfectés. Les diffé- rents stades de l’immunité, telle qu’elle se développe chez un enfant africain, peuvent être décrits de la façon suivante [18] : — un enfant né de mère immune est protégé pendant les premiers mois de sa vie, par transfert passif de l’immunité maternelle ; — l’enfant est exposé à l’infection et commence à développer sa propre immunité, un processus qui prendra plusieurs années et, durant cette période, lorsque l’immunité maternelle commence à s’affaiblir, chaque infection donnera lieu à un accès palustre clinique avec risque de mortalité ; — une fois que l’enfant atteint l’âge scolaire, les accès palustres vont progressivement diminuer de fréquence et de gravité : c’est le stade de la tolérance clinique, durant lequel l’enfant continue à être infecté, pouvant développer des taux de parasitémie extrèmement élevés, tout en ne présentant que des signes cliniques modérés ; — éventuellement, l’enfant atteint un stade de prémunition, lorsque qu’il possède non seulement une tolérance clinique,
mais ne présente plus que des accès cliniques de courte durée et à faible parasitémie ;

— dans la plupart des cas, un stade d’immunité complète et stérile ne sera jamais atteint, même chez les adultes n’ayant jamais quitté la zone d’endémie, mais cette immunité partielle est néanmoins solide, bien qu’elle nécessite une réinfection fréquente pour rester protectrice.

MICROSCOPIE ÉLECTRONIQUE

Il a fallu attendre la possibilité d’observer le parasite en microscopie électronique pour mieux comprendre sa biologie. Les études ultrastructurales ont montré : — que le parasite est intracellulaire et localisé dans une vacuole parasitophore pendant la plus grande partie de son cycle chez le mammifère (que ce soit à l’intérieur du globule rouge ou de l’hépatocyte) ; — que les trois stades invasifs — sporozoite, mérozoite et oocinète — présentent des organelles de différenciation spécialisés dans l’attachement aux cellules cibles et leur invasion, et situées au niveau du complexe apical (rhoptries, micronèmes) ; — que le parasite se développe dans le globule rouge en digérant l’hémoglobine et en accumulant un matériel indigeste, sous forme de cristal d’hémozoine ; — que le développement du parasite à l’intérieur du globule rouge induit des modifications importantes au niveau de la membrane érythrocytaire (protrubérances électron-dense ou ‘knobs’ dans le cas de P. falciparum et de P.

malariae , intussusceptions membranaires ou cavéoles dans le cas de P. vivax ou P.

ovale ) [19].

Ces descriptions ultrastructurales permettent ainsi de comprendre la proximité phylogénétique des Plasmodium et d’autres protozoaires parasites, comme les piroplasmes ou les toxoplasmes, tous possédant des complexes apicaux impliqués dans l’invasion cellulaire et tous faisant partie du groupe des Apicomplexa. Trois critères morphologiques très utilisés par les microscopistes classiques pour faire un diagnostic d’espèce — le pigment, les taches de Maurer et les grains de Schüffner — trouvent ainsi des explications rationnelles [20]. Le pigment est une structure réfringente puisqu’il s’agit d’un cristal d’hémozoine, les taches de Maurer sont des expansions de la vacuole parasitophore qui, sur les frottis de sang fixés, a une tendance a acculer le colorant, les grains de Schüffner sont les cavéoles présentes à la surface des réticulocytes infectés par P. vivax ou P. ovale et qui fixent l’éosine du colorant.

Les altérations structurales à la surface du globule rouge infecté par

P. falciparum , y compris les knobs, expliquent la séquestration de ces parasites dans les capillaires profonds, par cytoadhérence aux cellules endothéliales [21].

L’ensemble du cycle sexué de Plasmodium , dans l’estomac du moustique, avait déjà été identifié dans ses grandes lignes par Grassi et les parasitologues italiens, quelques années seulement après la découverte de Laveran, mais il fallut attendre la microscopie électronique pour mieux en visualiser les détails. Le processus d’exflagellation décrit par Laveran se poursuit par libération de microgamètes et la fécondation des macrogamètes. Le zygote/oocinète qui résulte de cette fécondation
est le seul stade diploide du parasite, mais la méiose qui a lieu à ce stade n’a été observée que rarement et seulement chez P. berghei [22]. La digestion du repas sanguin par le moustique, processus fondamental pour la maturation des œufs de l’insecte, se fait par formation d’une membrane péritrophique autour du sang ingéré et par secrétion d’enzymes protéolytiques. En quelques heures l’environnement devient très hostile au parasite et l’oocinète doit s’en échapper en traversant l’épithélium gastrique. Une fois installé sur la paroi externe de l’estomac, l’oocinète se transforme en oocyste et commence sa division par schizogonie qui aboutit en quelques jours à la formation d’un syncytium avec une dizaine de milliers de noyaux.

Une fois mûr, l’oocyste éclate et libère les sporozoites qui vont migrer vers les glandes salivaires de l’insecte. Chaque moustique infecté peut être porteur de plusieurs centaines d’oocystes, mais la sporogonie est un épisode biologique qui présente beaucoup de pertes, puisqu’il a été calculé que le taux de conversion gamétocyte à oocyste était entre 1 : 40 et 1 : 4 000. La susceptibilité relative de différentes espèces de moustiques au développement du parasite est l’un des facteurs affectant ce taux de conversion, mais l’environnement, particulièrement la tempé- rature externe et l’humidité, jouent également un rôle. Chez l’anophèle résistant, le développement peut être interrompu soit précocément, soit au stade oocyste qui, dans ces cas, est mélanisé et forme ces ‘corps noirs’, qu’avaient déjà identifiés Ross.

Les glandes salivaires d’un moustique infecté peuvent contenir entre 10 000 et 200 000 sporozoites, mais la piqûre infectante d’un moustique ne contient rarement plus de cinq à cent sporozoites, quantité bien suffisante pour induire une infection.

La pénétration du mérozoite a pu être élucidée par des observations en microscopie électronique : après le contact initial avec le globule, le mérozoite se reoriente mettant son pôle apical en contact étroit avec la membrane de la cellule-hôte, puis par secrétion du contenu des corpuscules apicaux induit la formation d’une vacuole dans laquelle va se glisser le mérozoite [23]. Une fois à l’intérieur de la cellule, le parasite se dé-différencie, perdant complexe apical et microbules sous-pelliculaires — microtubules dont la contraction/décontraction avait permis au mérozoite de se déplacer.

PCR ET MARQUEURS MOLÉCULAIRES

Le parasite est haploïde pour la plus grande partie de son cycle ; il n’est diploïde qu’aux stades zygote/oocinète, stade durant lequel ont lieu les recombinaisons génétiques. Les chromosomes du parasite sont difficiles à visualiser en utilisant les techniques cytologiques classiques, car ils ne se condensent pas de la même façon que les chromosomes des Eukaryotes supérieurs. Nous savons néanmoins que les Plasmodium possèdent 14 chromosomes, démontrés par les études d’électrophorèse en champs pulsés et par l’analyse ultrastructurale des cellules en mitose (en comptant 14 pairs de cinétochores) [24]. Outre ses chromosomes, le Plasmodium possède
aussi des structures ADN extra-nucléaires, y compris un ADN mitochondrial et une structure apparentée au chloroplaste (l’apicoplaste). Pour qu’il y ait recombinaison, il faut que l’hôte vertébré soit infecté par plusieurs populations parasitaires diffé- rentes et surtout, que le sang contienne, au moment de la piqure du moustique, des gamétocytes mâles et femelles mûrs représentant les différentes populations parasitaires.

Laveran avait cru à tort, pendant près de vingt ans après sa découverte, qu’il n’existait qu’une seule espèce de Plasmodium capable d’infecter l’homme : il y a non seulement plusieurs espèces, mais chaque espèce consiste en un grand nombre de populations différentes. Si les études immunologiques, y compris les infections humaines pratiquées pour paludothérapie, avaient déjà identifié l’existence de différentes souches (et l’absence d’immunité croisée entre ces souches), c’est l’identification de marqueurs génétiques qui a vraiment permis de comprendre l’étendue de cette biodiversité. La technique de ‘polymerase chain reaction’ (PCR) a facilité un tel typage en utilisant des marqueurs de polymorphisme, par exemple des séquences de gènes ayant de nombreux allèles différents, comme msp1 , msp2 ou glurp . L’utilisation des techniques PCR nous a permis de combler certaines des lacunes restantes dans notre compréhension de la biologie du Plasmodium , mais elles ont surtout des applications pour les études épidémiologiques (par exemple, la surveillance des résistances aux antimalariques). Dans les zones où plus d’une espèce de Plasmodium est prévalente, il est souvent difficile de détecter les infections mixtes, dans lesquelles l’espèce mineure est difficile à démontrer, étant donné l’abondance de parasites de l’espèce dominante. Des techniques PCR ont été développées qui permettent de différencier ces infections mixes. L’identification de telles infections mixtes peut avoir d’importantes conséquences : par exemple, il a été montré que les infections à P. vivax à Vanuatu [25] ou à P. malariae en Côte d’Ivoire pouvaient réduire la gravité des infections à

P. falciparum [26].

Des études PCR récentes de cas de paludisme en Malaisie et à Singapour ont montré qu’un nombre non-négligeable de ces infections, certaines graves, sont causées non pas par l’un des quatre parasites humains connus, mais à Plasmodium knowlesi , normalement un parasite du macaque [27]. Ce parasite est connu depuis longtemps comme pouvant infecter l’homme : il avait été utilisé pendant près de trente ans, et jusqu’en 1963 en Roumanie, pour la paludothérapie, car il avait l’avantage de causer des fièvres quotidiennes, puisqu’il a un cycle de seulement 24 heures, mais avait le désavantage de causer quelquefois des parasitémies massives (de part les subinoculations en série d’homme à homme). L’émergence de P. knowlesi comme le ‘cinquième

Plasmodium humain’ remet au goût du jour le débat sur les relations phylogénétiques entre parasites humains et parasites de primates : combien sont capables de passer de l’un à l’autre, si les conditions de transmission le permettent ?

IMAGERIE MODERNE

Si une grande partie du cycle était effectivement connue, dans ses grandes lignes, quelques années après la découverte de Laveran, il reste encore bien des lacunes à combler. Les techniques modernes d’imagerie, utilisant par exemple l’insertion dans le parasite de gènes fluorescents pour suivre sa migration dans les tissus à l’aide d’un microscope confocal vont très probablement nous permettre de combler certaines de ces lacunes. Des résultats impressionnants ont déjà été obtenus au cours des deux dernières années par Robert Ménard et son équipe à l’Institut Pasteur, pour suivre la migration de sporozoites fluorescents de P. berghei depuis la rupture de l’oocyste des sporozoites, à travers l’hémocèle du moustique pour arriver aux glandes salivaires, puis depuis le derme de la souris vers le tissu hépatique, pour finalement pénétrer dans l’hépatocyte [29].

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DISCUSSION

M. Jacques BATTIN

Laveran, dans son traité du paludisme de 1907, parle de flagelles et de fécondation. Avait-il vu juste puisque vous avez dit que le génome du parasite est haploïde ?

Lorsque Laveran a décrit la présence d’un protozoaire flagellé dans le sang de patients en 1880, il n’avait pas compris que ce qu’il observait était en fait l’exflagellation du gamétocyte mâle. Cette différenciation, qui ne se fait normalement pas dans le sang
circulant mais dans l’estomac du moustique aboutit, à la formation de huit gamètes mâles qui vont trouver des gamètes femelles et les féconder. On doit l’explication de ce phénomène à McCallum qui, en 1898, en a fait description détaillée chez une hémosporidie du corbeau (un parasite proche du Plasmodium ) : il est donc normal que Laveran ait ajusté son interprétation du phénomène pour l’édition de 1907 de son livre. Le génome du Plasmodium est effectivement haploïde pour la plus grande partie du cycle biologique, sauf pendant une courte période immédiatement après la fécondation (le stade zygote, chez lequel se fait la méïose réductrice).


* Direction médicale, Institut Pasteur, 25-28, rue du Docteur Roux, 75724 Paris cedex. Tirés-à-part : Docteur Marcel HOMMEL, même adresse et mhommel@pasteur.fr

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1235-1246, séance du 30 octobre 2007