Communication scientifique
Séance du 30 octobre 2007

Les antipaludiques actuels : résistances, nouvelles stratégies

MOTS-CLÉS : antifoliques. artemisinines. chloroquinine. paludisme. plasmodium falciparum. plasmodium vivax. polychimiothérapie. quinine. résistance aux médicaments
Current antimalarial drugs : resistance and new strategies
KEY-WORDS : antifoliques. artemisinins. chloroquine. combination. drug resistance. drug therapy. malaria. plasmodium falciparum. plasmodium vivax. quinine

Pascal Ringwald

Résumé

Le développement et la diffusion de la résistance de Plasmodium falciparum aux médicaments antipaludiques sont l’un des obstacles majeurs qui entrave le contrôle de l’endémie palustre, en particulier en l’absence d’un vaccin disponible dans un avenir proche. La résistance à la chloroquine, le médicament le plus utilisé dans le monde, a été rapportée dans pratiquement tous les pays endémiques. La résistance affecte également la plupart des autres médicaments antipaludiques mais avec une ampleur différente en fonction des antipaludiques. Ce problème est aggravé par le phénomène de résistance croisée entre les médicaments d’une même famille. Au cours des dernières années, des échecs thérapeutiques et prophylactiques à la chloroquine ont été rapportés pour P. vivax principalement en Asie du Sud-est et en Amérique du Sud. La résistance du parasite aux médicaments antipaludiques augmente la morbidité et la mortalité, particulièrement chez les enfants. Par analogie avec le traitement de la tuberculose et de l’infection au VIH, la nouvelle stratégie de traitement du paludisme est basée sur l’utilisation de combinaisons de médicaments afin de surmonter le problème de la multichimiorésistance. Les artémisinines sont des constituants particulièrement intéressants dans le cadre de ces associations.

Summary

The development and spread of antimalarial drug resistance is hindering the control of

Plasmodium falciparum malaria. Unfortunately, a vaccine will not be available for many
years. Resistance to chloroquine, the most commonly used antimalarial drug, has been reported in practically all endemic countries. This resistance also affects most of the other antimalarial drugs, to different degrees. The problem is further aggravated by crossresistance among drugs belonging to the same family. In recent years, failure of chloroquine prophylaxis and treatment of P. vivax infection has been reported in South-East Asia and

South America. Antimalarial drug resistance leads to an increase in morbidity and mortality, especially among children. By analogy with tuberculosis and HIV infection, the accent is currently being placed on the use of antimalarial combinations in order to overcome the problem of multidrug resistance. Artemisinins are particularly good candidates for combination therapy.

INTRODUCTION

Le paludisme est une maladie parasitaire transmise à l’homme par l’anophèle femelle. Parmi les quatre espèces infectant l’homme, Plasmodium falciparum et P.

vivax représentent la majorité des infections. Le fardeau du paludisme demeure l’un des défis les plus importants pour la santé publique dans beaucoup de pays en voie de développement. Plus de trois cent millions de cas dont plus de un million de morts dûs à P. falciparum sont rapportés chaque année, le tribut le plus lourd étant porté par les enfants en Afrique. Le paludisme tue un enfant toutes les trente secondes. Les femmes enceintes, les réfugiés ou les travailleurs se déplaçant d’une zone non endémique vers une zone endémique, mais également les touristes, sont d’autres groupes à haut risque [1]. Tandis que le monde attend un vaccin, les programmes de lutte contre le paludisme doivent combattre les parasites devenus résistants à presque tous les médicaments antipaludiques et les vecteurs, eux aussi, devenus résistants aux insecticides.

LA CHIMIORÉSISTANCE DU PALUDISME

Plantes médicinales et médicaments de synthèse

Au cours du siècle dernier, le criblage de plus de 300 000 composés a mené au développement d’un nombre limité de médicaments antipaludiques. Bien que les médicaments antipaludiques soient la plupart du temps des composés de synthèse, deux des médicaments les plus efficaces ont été obtenus à partir de substances naturelles. La quinine a été isolée par deux chimistes français, Pelletier et Caventou, en 1820, mais la vertu de l’écorce des arbres de quinquina était connue depuis le XVIIe siècle en Europe. L’artémisinine a été isolée en Chine dans les années 70 d’une plante, Artemisia annua , utilisée en médecine traditionnelle chinoise pendant plus de deux mille ans pour le traitement de la fièvre. De nombreux dérivés semisynthétiques ayant des profils pharmacologiques ou pharmacocinétiques améliorés sont maintenant disponibles, en particulier la dihydroartémisinine, l’artésunate, l’artéméther et l’artééther. Le traitement et la prophylaxie du paludisme reposent
sur un nombre limité de familles chimiques : amino-4-quinoléines (chloroquine, amodiaquine, pipéraquine, pyronaridine), aminoalcools (quinine, quinidine, méfloquine, halofantrine, luméfantrine), amino-8-quinoléines (primaquine, tafénoquine), sulfamides ou sulfones (sulfadoxine, sulfalène, dapsone), biguanides (proguanil, chlorproguanil), diaminopyrimidine (pyriméthamine), sesquiterpène lactones (artémisinine, dihydroartémisinine, artésunate, artéméther, artééther), naphtoquinones (atovaquone), antibiotiques et substances apparentées (tétracycline, doxycycline, clindamycine, fosmidomycine, azithromycine). Cette liste n’est pas exhaustive [2].

De l’éradication à l’apparition de la résistance aux antipaludiques

La découverte de la chloroquine dans les années 40 et l’introduction du dichlorodiphényle-trichloroéthane (DDT) pour la lutte antivectorielle ont engendré l’espoir de l’éradication du paludisme. La chloroquine était le médicament de choix dans les zones endémiques pour le traitement et la prophylaxie suppressive. Ce médicament était bien toléré et peu coûteux, raison pour laquelle des milliers de tonnes ont été employées dans le monde entier. Malheureusement, cette utilisation massive sur une large échelle a créé une pression médicamenteuse favorisant le développement et la diffusion de parasites résistants à la chloroquine. Le problème de la résistance aux antipaludiques est d’autant plus complexe qu’il existe une résistance croisée entre médicaments appartenant à la même classe chimique ou ayant un mode d’action sensiblement similaire (chloroquine et amodiaquine ; quinine et méfloquine ; pyriméthamine et le cycloguanil, le métabolite majeur du proguanil). Cette résistance existe non seulement parmi les médicaments d’une même famille, mais également entre des médicaments appartenant à des familles différentes (aminoalcools et sesquiterpène lactones) [3, 4].

Définition

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la ‘‘ chimiorésistance ’’ comme ‘‘ l’aptitude d’une souche de parasites du paludisme à survivre ou à se reproduire malgré l’administration et l’absorption d’un médicament employé à des doses égales ou supérieures aux doses ordinairement recommandées mais comprises dans les limites de tolérance du sujet ’’. Cette définition formulée en 1965 et 1973, a été complétée en 1986 suite à une meilleure compréhension du métabolisme des sulfamides chez certains individus, par la phrase ‘‘ la forme active du médicament contre le parasite doit pouvoir accéder au parasite ou à l’intérieur de l’hématie parasitée pendant toute la durée nécessaire à son action normale ’’ [5]. Il faut clairement distinguer un échec thérapeutique, c’est-à-dire l’absence de disparition de parasites ou de la résolution des signes cliniques après un traitement antipaludique, avec une résistance vraie à un médicament antipaludique. Pour certains médicaments qui présentent des grandes variations pharmacocinétiques interindividuelles malgré l’administration d’un dosage correct, l’apparente résistance peut facilement s’expliquer par des concentrations sanguines insuffisantes [6].

Les amino-4-quinoléines

La résistance de

P. falciparum à la chloroquine est apparue presque simultanément dans les années 60 en Colombie et en Asie de Sud-est (sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge). En Afrique, les premiers cas de résistance à la chloroquine ont été rapportés chez des touristes visitant le Kenya en 1978. En moins de dix ans, la résistance de la chloroquine s’est étendue à travers le continent africain jusqu’en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, quelques pays en Amérique Centrale au nord du canal de Panama ainsi qu’Haïti et la République Dominicaine, n’ont pas rapporté de cas de résistance à la chloroquine. Bien qu’il y ait une résistance croisée entre la chloroquine et l’amodiaquine, l’amodiaquine reste efficace dans des zones où il y existe une résistance modérée à la chloroquine [7]. Mais son efficacité tend à décroitre consécutivement à son utilisation accrue en monothérapie ou en combinaison. La chloroquine et l’amodiaquine sont des schizonticides sanguins. Bien que le mode d’action de la chloroquine ne soit pas entièrement élucidé, elle agirait au niveau de la vacuole digestive du parasite où elle interfèrerait avec la polymérisation et la détoxification des molécules d’hème. Les parasites doivent éliminer les molé- cules d’hème libérées pendant la digestion d’hémoglobine en produisant un polymère inerte insoluble connu sous le nom d’hémozoïne. La résistance de chloroquine est accompagnée d’une accumulation réduite de chloroquine dans la vacuole digestive du parasite.

Les bases génétiques de la résistance de la chloroquine sont liées à des mutations survenant au niveau d’un ou plusieurs gènes. Le gène pfcrt (P. falciparum chloroquine—resistance transporter ) est un gène situé sur le chromosome 7 et code pour une protéine de transport au niveau de la membrane vacuolaire [8]. Le remplacement au niveau du codon 76 d’une lysine par une thréonine joue un rôle majeur dans la détermination du phénotype de chloroquino-résistance. Les études cliniques ont confirmé que la mutation Lys76Thr était présente chez tous les isolats de P. falciparum après un échec thérapeutique à la chloroquine [9]. Ces études ont aussi montré que cette mutation pouvait être présente chez des isolats chloroquinosensibles, suggérant que d’autres polymorphismes du gène pfcrt ou des mutations au niveau d’autres gènes sont aussi incriminés [10]. Dans certaines cellules cancéreuses humaines, la surexpression des gènes mdr ( multidrug resistance ) qui codent pour la

P-glycoprotéine est directement liée à un accroissement de l’efflux des anticancéreux hors des cellules résistantes aux médicaments. Par analogie aux mécanismes de résistance des cellules cancéreuses, le gène pfmdr1, situé sur le chromosome 5 et codant pour la protéine P-glycoprotéine homologue 1 (Pgh 1) a également suscité un vif intérêt. La mutation Asn86Tyr au niveau du gène pfmdr1 a été associée à la résistance à la chloroquine mais les études combinées avec des tests in vivo et in vitro ont abouti à des résultats discordants [11].

La description de cas de

P. vivax et P. malariae résistants à la chloroquine est plus récente. Pour

P. vivax , après que les premiers cas aient été rapportés en Papouasie-

Nouvelle Guinée en 1989, plusieurs autres cas d’échecs prophylactiques ou thérapeutiques ont été rapportés en Asie du Sud-est et en Amérique du Sud principale-
ment [12]. Le problème majeur de l’évaluation de l’efficacité de la chloroquine contre P. vivax est l’absence de marqueurs moléculaires pour distinguer une recrudescence due au traitement inefficace d’une rechute provoquée par les hypnozoïtes ou par une réinfection. La définition de la résistance à la chloroquine est basée sur la présence d’une concentration de chloroquine et de son métabolite > 100 ng/ml le jour de l’échec, mais ce seuil demande à être confirmé [13]. Des échecs cliniques ont également été rapportés pour P. malariae en Indonésie [14].

Les aminoalcools

Le mécanisme d’action des aminoalcools serait semblable à celui des amino-4- quinoléines en inhibant la formation de l’hème en hémozoïne. La résistance à la quinine et à la méfloquine est principalement décrite en Asie du Sud-est. Lorsque la diminution de la sensibilité à la quinine est devenue évidente dans la région, la quinine a été associée à des antibiotiques, en particulier les tétracyclines. L’apparition rapide de la résistance à la méfloquine peut s’expliquer par trois facteurs :

l’existence de souches présentant une baisse de sensibilité marquée à la quinine, l’utilisation de la méfloquine à des doses sub-optimales (à 15 mg/kg au lieu de la dose de 25 mg/kg) et la longue demi-vie d’élimination de la méfloquine. Plus tard, le méfloquine a été employée en combinaison avec la sulfadoxine-pyriméthamine mais cette combinaison était inefficace car la résistance à la sulfadoxine-pyriméthamine était déjà répandue en Asie du Sud-est. Des cas sporadiques d’échecs prophylactiques ou thérapeutiques à la méfloquine ont été rapportés chez des voyageurs en Amérique du Sud, dans d’autres pays asiatiques et en Afrique. Plusieurs études ont noté une diminution dans la susceptibilité in vitro à la méfloquine en Afrique sub-saharienne avant même son introduction pour l’usage thérapeutique [15]. La résistance in vivo à la quinine est souvent surestimée car le schéma thérapeutique de 24 mg de quinine base/kg par jour pendant sept jours est rarement respecté et bien toléré. La résistance de la méfloquine est associée à l’augmentation du nombre de copie et l’expression du gène pfmdr1 [16].

Les amino-8-quinoléines

Les amino-8-quinoléines ont été employés essentiellement pour leur activité gamé- tocytocide et pour leur effet contre les hypnozoïtes de P. vivax et de P. ovale . Leur effet sur les stades asexués est faible, excepté pour

P. vivax contre lequel la primaquine exerce une activité synergique avec la chloroquine. Il est difficile de définir la résistance à la primaquine car son efficacité contre les formes hépatiques varie avec l’origine des souches, la posologie et la durée du traitement. L’utilisation de la primaquine est limitée par le déficit en G6PD. La tafénoquine a une demi-vie plus longue que la primaquine et est en cours de développement [17].

Les antifoliques et antifoliniques

Les sulfamides et les sulfones sont habituellement employés en combinaison avec les biguanides ou la pyriméthamine pour le traitement en raison d’un effet syner-
gique très marqué. Ces médicaments agissent en différents points de la même voie métabolique du Plasmodium . Les sulfamides et les sulfones agissent sur la biosynthèse de l’acide folique en inhibant l’activité de l’enzyme dihydroptéroate synthase (dhps) et les biguanides et la pyriméthamine inhibent l’activité de la dihydrofolate réductase (dhfr). La combinaison sulfadoxine-pyriméthamine a été employée pour remplacer la chloroquine quand les taux d’échecs sont devenus trop élevés. Au début des années 80, la combinaison sulfadoxine-pyriméthamine est devenue presque totalement inefficace en Thaïlande et dans les pays voisins. De même, la résistance à cette combinaison s’est étendue rapidement en Amérique du Sud et en Afrique dans les mêmes zones où la résistance à la chloroquine avait déjà été rapportée.

Le phénotype pyriméthamino-résistant de P. falciparum est lié à une mutation ponctuelle du codon 108 du gène dhfr . Il existe une corrélation quasiment parfaite entre la présence du codon muté Ser108Asn et la résistance in vitro à la pyriméthamine [18]. Des mutations ponctuelles supplémentaires en position 51, 59 et/ou 164 augmentent le niveau de résistance. La résistance au cycloguanil, le métabolite actif du proguanil, est associée à la mutation Ser108Thr et à la mutation Ala16Val [19].

Une mutation Ala437Gly du gène dhps est la mutation principale liée à la résistance de la sulfadoxine. Quatre autres mutations, au niveau des codons 436, 540, 581 et 613, ont été également rapportées et ceux-ci augmentent le niveau de la résistance à la sulfadoxine in vitro . En raison de l’effet synergique de la pyriméthamine et de la sulfadoxine, le risque d’échec thérapeutique de la combinaison sulfadoxinepyriméthamine s’accroit avec le nombre de mutations au niveau des deux gènes. Le séquençage de gène dhfr et dhps de P. vivax a permis de mettre en évidence des mutations ponctuelles similaires à celles de

P. falciparum à l’origine de la résistance de

P. vivax à la sulfadoxine et la pyriméthamine [20].

Les sesquiterpène lactones

L’artémisinine et ses dérivés (dans le texte il sera fait référence aux artémisinines) sont des sesquiterpène lactones contenant un noyau trioxane. Le pont endoperoxyde est essentiel pour leur activité antipaludique. En présence de fer, les peroxydes se décomposent en radicaux libres qui sont toxiques pour les parasites. In vitro, les artémisinines présentent à la fois une résistance croisée mais aussi une action synergique avec les aminoalcools ce qui suggère des mécanismes semblables de pénétrations dans le parasite ou de résistance. L’activité des artémisinines se manifeste extrêmement rapidement et la plupart des malades sont guéris en un à trois jours. Ils ont un spectre d’activité très large sur le cycle parasitaire asexué et inhibe la production de gamétocytes. Au cours du traitement, la masse parasitaire est réduite de 104 par cycle parasitaire mais pour qu’un traitement en monothérapie soit efficace, il doit être administré sur sept jours au moins. Des traitements en monothérapie sur une durée de trois à cinq jours entraînent un taux très élevé de recrudescences et l’adhérence à des traitements de sept jours est rarement respectée dans les conditions de terrain. Afin d’éviter l’apparition de résistance, l’OMS a
appelé à l’arrêt de l’utilisation des artémisinines en monothérapie pour le traitement de l’accès palustre non compliqué [21].

Les naphtoquinones

L’atovaquone est un analogue de l’ubiquinone et inhibe spécifiquement la chaîne de transport d’électron au niveau du cytochrome bc1 de la mitochondrie. L’administration de l’atovaquone en monothérapie a très rapidement été associée à des taux élevés d’échecs avec une susceptibilité in vitro à l’atovaquone diminuée de vingt-cinq à dix-mille fois pour les isolats recrudescents. Le proguanil est l’un des antipaludiques qui présente in vitro une synergie avec l’atovaquone et a été choisi pour une combinaison. Dans cette combinaison, le proguanil agit sur la mitochondrie, et non pas sur la dhfr après transformation en cycloguanil. Plusieurs études cliniques ont montré l’efficacité de cette combinaison pour le traitement et la prophylaxie de paludisme. Les cas d’échecs thérapeutiques sont limités. La résistance à l’atovaquone est associée à la mutation sur le gène du cytochrome b au niveau du codon 268 [22].

LES NOUVELLES STRATÉGIES

Combinaisons d’antipaludiques

La piqûre de moustique inocule un mélange de parasites avec différentes caractéristiques biologiques. La résistance aux médicaments antipaludiques se développe suite à des mutations spontanées de certains parasites. Sous la pression médicamenteuse, les parasites susceptibles seront éliminés tandis que les isolats résistants survivront et se propageront. Par exemple, la résistance à l’atovaquone se produit dans approximativement 1 pour 108-1013 parasites in vivo [23]. Plusieurs formes de pression médicamenteuses ont été probablement impliquées dans la sélection de la résistance mais l’administration de masse de médicaments antipaludiques a probablement eu le plus grand impact [24].

Par analogie avec le traitement de la tuberculose et de l’infection VIH, la nouvelle stratégie du traitement antipaludique pour surmonter les multichimiorésistances est l’utilisation de combinaisons médicamenteuses. Les combinaisons sont définies par l’association simultanée d’au moins deux médicaments antipaludiques schizonticides. Le concept de l’association est basé sur l’administration simultanée de deux médicaments avec des modes d’action indépendants afin d’améliorer l’efficacité thérapeutique et de retarder le développement de la résistance aux différents composants de la combinaison. En effet, les combinaisons sont plus efficaces que les monothérapies (probabilité moindre que les parasites soient résistants simultané- ment aux deux médicaments antipaludiques) et elles empêchent, ou du moins retardent, l’émergence de résistance. La probabilité qu’un parasite résistant aux deux médicaments antipaludiques avec des modes d’action différents émerge, est réduite de 1 sur 109 à 1 sur 1018 quand une combinaison est utilisée. Les artémisini-
nes sont des constituants particulièrement intéressants à employer en association.

Dans les combinaisons médicamenteuses à base d’artémisinine (ACTs), les artémisinines sont administrées sur trois jours. En raison d’une demi-vie très courte, la présence dans le sang ne couvre que deux cycles parasitaires, mais est suffisante pour réduire significativement la masse parasitaire. La destruction des parasites résiduels sera assurée par le médicament partenaire dont la demi-vie devra être plus longue afin d’assurer des concentrations sanguines efficaces sur une période suffisamment prolongée. À la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar, l’efficacité de la méfloquine a diminué considérablement après plusieurs années d’utilisation intensive, mais la combinaison artésunate-méfloquine s’est avérée efficace à plus de 95 % [25]. Des études en Afrique ont évalué l’efficacité et la tolérance de l’artésunate en combinaison avec la chloroquine, l’amodiaquine et la sulfadoxine-pyriméthamine [26]. Les combinaisons ont été systématiquement plus efficaces et le portage gamé- tocytaire moindre par rapport aux monothérapies.

L’adhérence du patient au traitement est un des facteurs majeurs qui conditionne le succès thérapeutique. La plupart des traitements sont administrés à la maison sans surveillance médicale. Des études ont montré que l’adhérence aux ACTs administrés sur trois jours est élevée [27]. Ces combinaisons de médicaments sont disponibles soit séparément mais dans le même emballage (présentation co-blister), ou sous forme d’un même comprimé (présentation co-formulée). La mise à disposition de présentation co-formulée va probablement augmenter l’adhérence.

Les combinaisons suivantes (par ordre alphabétique) sont recommandées par les directives pour le traitement du paludisme de l’OMS mais cette liste est régulièrement mise à jour : artéméther-luméfantrine, artésunate-amodiaquine, artésunateméfloquine, artésunate-sulfadoxine-pyriméthamine. Beaucoup d’autres combinaisons ont été étudiées, ou sont en cours ou en fin de développement, ou sont déjà enregistrées auprès d’autorités réglementaires et il n’est pas possible de donner une liste exhaustive. Par conte, des ACTs avec des posologies d’artémisinines administrées sur un à deux jours ne sont pas recommandés pour l’instant [28].

Deux classes des médicaments sont actuellement disponibles pour le traitement parentéral du paludisme sévère ou grave : les alcaloïdes de quinquina (quinine et quinidine) et les artémisinines. Après un traitement parentéral initial, une fois que le patient peut tolérer une thérapie par voie orale, il est essentiel de prendre le relais par un traitement efficace. Etant donné que le risque de décès par paludisme grave est le plus élevé dans les vingt-quatre premières heures, il est recommandé d’administrer pendant l’intervalle de temps nécessaire pour le transfert dans les structures sanitaires appropriées, la première dose du traitement par voie intraveineuse, intramusculaire ou intrarectale [28].

Echecs aux ACTs et risque de développement de la résistance aux artémisinines.

L’utilisation de médicaments antipaludiques en monothérapie a systématiquement conduit à l’apparition de résistance. Le spectre du développement de la résistance
aux artémisinines est omniprésent en raison de leur utilisation massive en monothé- rapie. Des échecs aux ACTs ont été rapportés mais ces échecs sont vraisemblablement liés au médicament antipaludique partenaire soit en raison d’un problème de résistance soit d’un problème de variation pharmacocinétique interindividuelle.

Une diminution de la sensibilité in vitro aux artémisinines a été rapportée en Chine et au Viet Nam à la fin des années 90 [29, 30]. Cependant les échecs rapportés à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge sont très préoccupants [31-33]. Non seulement le taux d’échecs est parfois élevé, mais en outre, le temps de clearance parasitaire est augmentée, ce qui pourrait signifier une efficacité diminuée des artémisinines. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’échec thérapeutique lié à une résistance aux artémisinines bien documenté mais l’OMS coordonne plusieurs études à ce sujet.

Stratégies pour empêcher ou maîtriser la survenue de résistance

Des ACTs de bonne qualité doivent être accessibles et doivent être correctement utilisés, particulièrement dans le secteur privé. Ceci implique la formation des personnels de santé, une augmentation de l’adhérence au traitement par l’usage de présentations co-blisters ou co-formulées, un meilleur diagnostic de la maladie pour éviter une utilisation irrationnelle des médicaments antipaludiques et une lutte contre les médicaments de mauvaise qualité. La prévention du paludisme va réduire le fardeau de la maladie et par conséquent l’utilisation massive des médicaments antipaludiques qui est un des composants de l’émergence de la résistance. Mis à part le vaccin non disponible pour l’instant, la prévention repose sur la lutte antivectorielle incluant la pulvérisation intra-domiciliaire et l’utilisation de moustiquaires imprégnées. Un impact significatif sur la réduction de la morbidité et de la mortalité à l’échelle d’un pays a été obtenu quand les ACTs et la lutte antivectorielle ont été associés en Afrique du Sud [34]. La réduction du portage des gamétocytes (responsable de la dissémination de la résistance) peut être obtenue en améliorant la prise en charge des malades par un diagnostic et un traitement efficace précoces et l’usage de médicaments gamétocytocides. Les pays doivent surveiller étroitement l’efficacité des médicaments recommandés par les directives nationales pour le traitement du paludisme et rapidement changer de politique de traitement si les traitements deviennent inefficaces afin d’éviter l’émergence de souches multichimiorésistantes.

En conclusion, les ACTs sont, à l’heure actuelle, les traitements les plus efficaces contre le paludisme. Les monothérapies pour le traitement de l’accès palustre non compliqué doivent être évitées. Une surveillance continue de l’efficacité de ces combinaisons est nécessaire et cruciale. Il est important de développer des combinaisons avec des médicaments non disponibles en monothérapie et dont les modes d’action sont différents.

REMERCIEMENTS

L’auteur tient à remercier Léonardo Basco pour ses commentaires. L’auteur est un membre du personnel de l’Organisation Mondiale de la Santé. Les opinions exprimées dans la présente publication n’engagent que lui et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique officielle ou les opinions de l’Organisation Mondiale de la Santé.

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DISCUSSION

M. Dominique RICHARD-LENOBLE

Devant les difficultés d’accès économique et géographique aux soins les plus efficaces, que penser des médecines ‘‘ économiquement ’’ douces et de la dispersion des faux médicaments dans les pays en développement ?

Les faux médicaments peuvent être à l’origine de décès en particulier lorsqu’il n’y a aucun principe actif dans le comprimé. En outre, des comprimés sous dosés en principe actif conduisent à des échecs thérapeutiques ainsi qu’à une sélection de parasites présentant une baisse de la sensibilité. Actuellement les contrefaçons touchent de très nombreux dérivés de l’artémisinine et on commence à voir apparaître des contrefaçons de combinaisons à base d’artémisinine.

M. Charles HAAS

Les phtisiologues (je pense à Georges Brouet et à Jean Marche) savent depuis 1952 qu’une monothérapie antituberculeuse tue, en trois mois, 99 % des BK, mais que le 1 % restant est devenu 100 % résistant à cet antituberculeux. L’OMS propose aujourd’hui les bithérapies antipalustres dont vous avez souligné les limites. Pourquoi pas des trithérapies ? Dans les pays qui ont cessé d’utiliser la chloroquine depuis longtemps, observe-t-on le retour de la sensibilité des plasmodiums à cette molécule ?

Avec l’extension de la résistance, on ne peut pas exclure que le traitement du paludisme soit un jour basé sur la trithérapie. La chloroquine a été complètement retirée du marché au Malawi après le changement de politique du traitement du paludisme. Plusieurs années plus tard, on a pu observer une baisse de la prévalence des marqueurs moléculaires de la résistance à la chloroquine, une diminution de la résistance in vitro et une augmentation de l’efficacité in vivo de la chloroquine. Des données similaires ont été rapportées en Chine. Avec des techniques de biologie moléculaire très sophistiquées et très sensibles, il a cependant été possible de mettre en évidence chez les malades des clones minoritaires porteurs du gène de résistance à la chloroquine. Il n’est pas possible de dire en combien de temps la chloroquine perdrait son efficacité si elle était réutilisée à large échelle.


* Organisation Mondiale de la Santé, Programme mondial de lutte antipaludique, 1211 Genève 27, Suisse. Tirés-à-part : Docteur Pascal RINGWALD, même adresse.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1273-1284, séance du 30 octobre 2007