Communication scientifique
Séance du 30 octobre 2007

Situation actuelle et perspectives de la prophylaxie du paludisme chez le voyageur et dans les forces armées

MOTS-CLÉS : chimioprévention. paludisme. plasmodium falciparum.. voyage
Current situation and future perspectives for malaria prophylaxis among travellers and military personnel
KEY-WORDS : chimioprevention. malaria. plasmodium falciparum.. travel

Jean-Étienne Touze, Jean-Marc Debonne, Jean-Paul Boutin

Résumé

Le paludisme constitue une priorité sanitaire pour le voyageur et pour les armées françaises qui déploient chaque année plus de 40 000 hommes dans des régions de forte transmission. Les données épidémiologiques montrent que le paludisme d’importation (PI) est en augmentation chez les migrants chez qui surviennent plus de 60 % des cas de paludisme déclarés chaque année en France. Dans les armées, cette augmentation du PI est liée à une moindre observance de la chimioprophylaxie au retour, à la répétition des missions de courte durée et à de nombreuses infections plasmodiales à P.vivax et P.ovale. Dans ce contexte, le choix d’une chimioprophylaxie dépend du pays visité et du niveau de chloroquino-résistance des souches plasmodiales. Parmi les molécules disponibles, l’association atovaquone-proguanil recommandée pour les pays du groupe 2 et 3 est séduisante pour le voyageur pour sa tolérance et une prise au retour limitée à sept jours. Dans les armées françaises, le monohydrate de doxycycline constitue une alternative moins onéreuse et mieux tolérée que la méfloquine. Toutefois, sa courte demi-vie implique une parfaite observance. La prophylaxie du paludisme ne saurait être efficace sans l’association d’une lutte antivectorielle, des mesures de protection individuelle (moustiquaires de lit imprégnées d’insecticides, insectifuges, port de vêtements protecteurs, insecticides en aérosol). Ces mesures doivent être complétées par une parfaite information sanitaire délivrée avant le départ, pendant et après le séjour.

Summary

Malaria remains a major public health problem, both for travellers and for the 40 000 French soldiers deployed each year to endemic areas. Epidemiological data show that imported malaria (IM) is on the increase, and that migrants account for more than 60 % of malaria cases notified each year in France. The increase in IM among French military personnel is explained by prematurely terminated chemoprophylaxis on return, repeated short missions, and more cases of P. vivax and P. ovale infection. The choice of chemoprophylaxis depends mainly on the level of chloroquine resistance in the country visited. The atovaquoneproguanil combination is well tolerated and only requires 7 days of intake on return from the endemic area. Doxycycline monohydrate is cheaper and better-tolerated than mefloquine, and is thus preferred for French military personnel. However, its short half-life necessitates very good compliance. Chemoprophylaxis should be combined with vector control measures and with personal protection (impregnated bednets, protective clothing, repellents, and indoor insecticide spraying). The need for these measures should be clearly explained before departure, during the stay, and after return.

Plus de 40 % de la population mondiale est exposée à des degrés divers au risque malarique dans plus de cent pays concernés. Pour les voyageurs se rendant dans ces régions, le risque de contracter un paludisme est considérable. Il en est de même pour les militaires chez qui le risque palustre s’accompagne d’une indisponibilité opérationnelle inacceptable. Dans ce contexte, la prévention du paludisme rencontre de nombreux écueils : la résistance des souches plasmodiales, les résistances anophéliennes, l’application des mesures de lutte antivectorielle, et le choix d’une chimioprophylaxie efficace et bien tolérée. Les données du Centre National de Référence de l’épidémiologie du paludisme d’importation et autochtone montrent que la chimioprophylaxie est dans la majorité des cas inadaptée ou non suivie. Elles nous apprennent aussi que le paludisme d’importation (PI) survient le plus souvent chez des sujets originaires d’Afrique et résidant en France. Dans les armées, bien que le taux d’attaque du paludisme ait été significativement réduit ces dernières années, l’observance de la chimioprophylaxie et l’application de la lutte antivectorielle sont loin d’être satisfaisantes. En l’absence de nouvelles molécules disponibles en chimioprophylaxie, la réponse à ce challenge passe par une approche épidémiologique précise du lieu de séjour et par une optimisation de nos moyens de lutte.

La situation épidémiologique en 2006

Les données épidémiologiques fournies par les centres nationaux de référence montrent que la France est la nation européenne qui a enregistré le plus grand nombre de cas de paludisme d’importation. En 2005, 5 300 cas ont été déclarés avec cent neuf formes graves et une vingtaine de décès. Les patients étaient dans 65 % des cas originaires d’une zone d’endémie (en majorité l’Afrique). P.falciparum était incriminé dans 80 % des cas, la chimioprophylaxie avait été suivie dans 40 % des cas, mais seulement 20 % des patients prétendaient l’avoir suivie régulièrement.

Au sein des armées françaises, l’incidence annuelle a connu au cours des vingt dernières années de grandes variations. Après un pic en 1989 correspondant à plus de 1 300 cas déclarés, l’incidence annuelle a régulièrement diminué grâce à une lutte antivectorielle renforcée et le recours en chimioprophylaxie à des molécules actives sur des souches chloroquino-résistantes (association chloroquine-proguanil, doxycycline). Cette stratégie a permis de réduire en 2006 le nombre de cas déclarés (557 cas déclarés dont quatorze formes graves déclarées et un décès) pour un effectif de plus de 40 000 militaires déployés en zone impaludée de façon permanente ou temporaire. Cette diminution du taux d’incidence a toutefois été contemporaine d’un renouveau épidémiologique caractérisé par une diminution importante du nombre de cas de paludisme durant le séjour et une augmentation du nombre de cas déclarés au retour. La proportion de PI est ainsi passée de 13,6 % en 1996 à 49,7 % en 2006. Plusieurs explications peuvent être données à ce changement épidémiologique :

— les séjours courts, de quelques mois, sont devenus plus fréquents. Ils sont passés de 37 à 78 % en cinq ans et sont directement corrélés à la survenue du PI. Leur fréquence a été favorisée par l’augmentation régulière des missions extérieures impliquant des unités insuffisamment sensibilisées au risque tropical et soumises à des rotations trop rapides.

— l’évolution des espèces plasmodiales est aussi en partie responsable de l’augmentation du PI. En effet, P.vivax et P.ovale sont en augmentation constante depuis quelques années. Ils sont responsables d’accès de reviviscences chez de nombreux patients et commencent à devenir résistants à la chloroquine dans quelques pays de la zone intertropicale.

— le défaut d’observance de la chimioprophylaxie au retour est la troisième explication à cette augmentation. Il est lié à une information sanitaire insuffisante au retour, à l’inévitable relâchement qui suit la fin d’une mission opérationnelle et peut-être aussi à des facteurs sociaux et comportementaux conduisant certains sujets à rejeter le principe de l’observance de la chimioprophylaxie.

LA STRATÉGIE DE PRÉVENTION

Avant de proposer une stratégie de prévention, il est indispensable de prendre en compte plusieurs paramètres.

Les conditions du séjour

La prévention du paludisme est conditionnée par la durée du séjour, la zone d’endémie traversée, la personne ou la collectivité socio-professionnelle concernée (militaires en particulier), l’existence d’antécédents pathologiques ou d’une grossesse en cours. Dans toutes ces situations, la molécule antipaludique choisie doit être à la fois bien tolérée, adaptée et active sur les souches plasmodiales chloroquino-
résistantes dont le niveau et la répartition est différente selon les pays. Le Conseil supérieur d’hygiène publique individualise ainsi, les pays du groupe 1 où aucune souche chimiorésistante n’a été identifiée (Proche et Moyen Orient, Maghreb, Maurice, Asie centrale), les pays du groupe 2 où il existe des souches résistantes à la chloroquine (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Mauritanie, Madagascar, Vanuatu) et les pays du groupe 3 où le taux de souches résistantes est très élevé avec une extension de la résistance à plusieurs anti-malariques. C’est le cas de la majorité des pays d’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud-Est et de zones d’Amérique centrale et du Sud. Dans toutes ces régions, il convient avant le départ d’évaluer le risque de transmission anophélienne qui est largement conditionné par les modalités de séjour (rural ou urbain) et le faciès géo-climatique rencontré [1]. On distingue ainsi :

— des pays où la transmission est brève (un à deux mois par an) lors des courtes saisons des pluies annuelles. Ce sont essentiellement les pays du Sahel (Tchad, Mauritanie, Niger, …) et de la Corne de l’Afrique (Soudan, Somalie, Djibouti…) — des régions à transmission permanente avec une recrudescence saisonnière. Ce sont les pays de savane de l’Afrique Sub-Saharienne (Burkina Faso, Sénégal, Mali…).

— des pays où la transmission est permanente et régulière toute l’année. Ce faciès s’observe dans les pays équatoriaux et d’Afrique de l’Est où la densité anophé- lienne est élevée. Dans ces régions, le paludisme explique la majorité des accès fébriles et les populations acquièrent dans l’enfance (entre cinq et dix ans) une immunité de prémunition. Dans les villes, la transmission est moindre qu’en zone rurale, elle est surtout importante dans les quartiers sub-urbains.

En Amérique Latine et en Asie du Sud Est, la transmission existe seulement dans des foyers situés en zone rurale. C’est le cas des régions forestières situées à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, des foyers Amazoniens et des zones de Guyane situées le long des fleuves Maroni et Oyapock où les forces françaises sont impliquées dans des opérations de maintien de l’ordre. Dans toutes ces parties du monde la situation du paludisme est en perpétuel changement et les schémas de chimioprophylaxie sont régulièrement revus et modifiés.

L’individualisation du risque

La prévention antipaludique doit être adaptée au voyageur et plus particulièrement aux sujets chez lesquels l’infection plasmodiale représente un risque majoré. Il s’agit des enfants chez qui le risque de neuropaludisme est plus fréquent, des femmes enceintes et de sujets ayant de lourds antécédents pathologiques. C’est le cas notamment des sujets âgés porteurs d’une affection cardiovasculaire, rénale ou suivant un traitement pouvant potentialiser la toxicité de certains antipaludiques (diurétiques, antiarythmiques, antihypertenseurs…). Dans les armées où le séjour en
zone tropicale est assorti d’une sélection et d’une aptitude médicale, ce problème ne se pose pas. En revanche, la personnalisation de la prescription, recommandée chez le voyageur, ne peut s’appliquer aussi strictement au sein d’une collectivité militaire, surtout si elle est en situation opérationnelle car elle alors est un facteur prouvé de non-observance. C’est pour cette raison que les protocoles de chimioprophylaxie ont été uniformisés sur tous les théâtres d’opérations extérieures et supervisés par le commandement.

Les modalités de la prophylaxie antipaludique

La prophylaxie du paludisme repose sur un ensemble de mesures associant une protection contre les moustiques, une chimioprophylaxie, un traitement présomptif des accès fébriles et l’indispensable éducation à la santé [1, 2].

La protection vis-à-vis des piqûres anophéliennes constitue la première ligne de défense contre le paludisme. Elle repose sur le port de vêtements longs le soir, l’usage de moustiquaires imprégnées de pyréthrénoïdes (deltamethrine ou permethrine), et d’insectifuges. Il faut associer à ces mesures une protection peri-domiciliaire en éliminant les gîtes larvaires autours des habitations (boites de conserve, vieux pneus, assèchement des collections d’eau…), et en préconisant des moustiquaires grillagées aux ouvertures (fenêtres et toutes autres issues). Il a été longtemps difficile d’appré- cier la part respective de toutes ces mesures dans la prévention des accès palustres.

Les études menées par le Service de santé des armées dans le cadre du programme Impact Vector ont permis d’apporter quelques éléments de réponse [3, 4]. Le premier constat est que lorsque les militaires étaient soumis à une exposition anophélienne importante, moins de 10% des piqûres par des anophèles infectées aboutissaient à une infection palustre (mesurée sur la réponse anticorps contre les stades pré-érythrocytaires de P.falciparum ). Le deuxième constat est que l’efficacité est liée essentiellement aux moustiquaires imprégnées et au port de vêtements longs.

Enfin, les études menées au sein des forces françaises dans divers pays d’Afrique (Côte-d’Ivoire, Sénégal, Tchad, Djibouti) ont montré le peu d’efficacité des répulsifs dans la prévention de l’infection plasmodiale et l’absence d’impact des pulvérisations d’insecticides sur la faune anophélienne [5].

La chimioprophylaxie doit être adaptée au sujet, aux conditions du séjour et au pays de destination. Ainsi, elle peut être inutile dans le cas d’un séjour de courte durée en milieu urbain strict ou dans un pays où la transmission est essentiellement localisée à certains foyers ruraux (Asie du Sud Est, Amérique du Sud). En revanche, son observance doit être rigoureuse dans une région où la transmission est permanente, et tout particulièrement chez les sujets à risque (enfants, femmes enceintes, patients porteurs de tares viscérales). Ses modalités étaient définies chaque année par le Conseil Supérieur d’Hygiène publique de France, auquel succède en 2007 le Haut Conseil de la santé publique [6]. Elles prennent en compte la durée du séjour et le niveau de résistance connu du pays de destination. Dans les pays du groupe 2, les associations chloroquine-proguanil ou atovaquone-proguanil restent recomman-
dées. En revanche, la première est à proscrire lorsqu’il existe une chloroquinorésistance élevée et ceci quel que soit le continent considéré. Dans cette situation (pays du groupe 3), le choix se porte sur trois molécules : la méfloquine, l’association atovaquone-proguanil et le monohydrate de doxycycline. La méfloquine garde toujours une bonne efficacité en Afrique et en Amérique du Sud. Elle est en revanche moins efficace en Asie du Sud Est où de nombreuses zones de résistances plasmodiales ont été décrites : zones forestières de la Thaïlande et du Cambodge, Myanmar (ex-Birmanie), Laos et Timor Oriental. Son emploi est surtout limité par la fré- quence des effets indésirables, en particulier neuropsychiatriques qui restreignent son utilisation dans certaines catégories professionnelles (pilotes, militaires en opération) [7]. Elle est contre indiquée chez les femmes enceintes, les enfants de moins de quinze ans et chez les sujets ayant des antécédents psychiatriques et de convulsions. Dans ces situations, l’association atovaquone-proguanil peut être pré- conisée en particulier chez la femme enceinte, mais en l’absence de recul suffisant dans cette indication, la durée d’administration devra être limitée à trois mois. Cet antipaludique a l’avantage d’être actif sur les formes hépatiques de P.falciparum , ce qui permet son arrêt sept jours après le retour. Il est mieux toléré que la méfloquine, en particulier sur le plan neuropsychiatrique et digestif. Son emploi en chimioprophylaxie reste toutefois limité par une biodisponibilité inconstante, l’absence de recul suffisant en traitement prolongé et un coût élevé [8, 9]. C’est pour ces raisons que cet antipaludique n’est pour le moment pas retenu pour la prévention du paludisme chez les militaires appelés à servir en zone d’endémie palustre.

Le monohydrate de doxycycline (100mg/j chez le sujet > 40 ans, 50 mg/j si le poids est inférieur à 40 kg et chez l’enfant > 8 ans) est une molécule bien tolérée et efficace en chimioprophylaxie [10, 11]. Toutefois, sa biodisponibilité et sa courte demi-vie (< 22h) imposent une observance parfaite tant pendant le séjour que lors des quatre semaines qui suivent le retour.

Dans l’armée française, la stratégie actuelle de chimioprophylaxie repose sur le monohydrate de doxycycline dans les pays du groupe 3 et sur l’association chloroquine-proguanil dans les pays du groupe 2. La doxycycline induit peu d’effets indésirables lorsqu’elle est utilisée au long cours (0,6/10 000 traitements) [12, 13].

Toutefois, lors d’une enquête récente non publiée, elle pourrait intervenir dans la sélection de souches de staphylocoques dorés résistants à la doxycycline et porteurs de facteurs de virulence (toxine PVL 1). Son utilisation en chimioprophylaxie est actuellement discutée pour deux raisons. La première tient à son inefficacité sur les formes pré-érythrocytraires de P.vivax et P.ovale dont on a vu la fréquence augmenter ces dernières années dans les cas déclarés au retour. La seconde, est qu’il est difficile d’obtenir une parfaite observance avec cette molécule à demi-vie courte. Ces limites expliquent en partie l’augmentation des cas de PI observés dans l’armée française et le choix de la méfloquine par l’armée italienne à l’issue de sa mission au Timor Oriental [14]. L’absence de consensus au sein des armées sur une stratégie 1. Toxine PVL : leucocidine de Panton et Valentine.

antipaludique pousse la réflexion vers d’autres chimioprophylaxies. Plusieurs stratégies sont actuellement discutées : recours à d’autres molécules (association atovaquone-proguanil, primaquine, tafénoquine) ou d’autres schémas combinant plusieurs antipaludiques : association chloroquine (100mg)-doxycycline (100mg), combinaisons séquentielles de plusieurs molécules (doxycycline pendant le séjour et prophylaxie terminale par atovaquone-proguanil ou primaquine) pour prévenir la survenue d’accès palustres au retour. Parmi toutes ces alternatives, les amino-8- quinoléines (primaquine, tafenoquine) en agissant à la fois sur les stades érythrocytaires et hépatiques de l’infection plasmodiale offrent des perspectives intéressantes.

La primaquine à la dose journalière de 30 mg est bien tolérée et efficace [15]. La tafénoquine, proche sur le plan structural, présente l’avantage d’avoir une longue demi-vie d’élimination permettant des prises hebdomadaires (200mg) ou mensuelles (400mg), ce qui permettrait de résoudre la problématique de l’observance rencontrée avec les autres antipaludiques [16]. Malheureusement, ces deux molécules induisent des hémolyses sévères en cas de déficit en G6-PD.

Le recours à une cure radicale au retour pourrait résoudre le problème de la chimioprophylaxie au retour. Elle permet après un séjour en zone d’endémie d’éradiquer les formes érythrocytaires et selon la molécule utilisée de prévenir les reviviscences de P.vivax et P.ovale. Les données sur cette stratégie sont fragmentaires et limitées à la seule étude conduite avec l’halofantrine par l’armée française au début de la précédente décennie. Les résultats obtenus avaient été spectaculaires avec une quasi disparition du PI dans la cohorte étudiée [17]. Ce choix a du être abandonné avec la connaissance des effets pro-arrythmiques de l’halofantrine [18, 19]. Actuellement, la cure radicale au retour pour prévenir le PI au sein des forces françaises n’est pas retenue pour plusieurs raisons : manque de données disponibles, date du début de la cure radicale décalée par rapport au retour (plus de sept jours après le retour), difficulté à maintenir sous surveillance médicale des sujets non malades et retrouvant leurs foyers après une longue absence, impossibilité d’écarter avec certitude les sujets non infectés.

Le traitement présomptif des accès fébriles

Chez les sujets effectuant un séjour long, la survenue d’un accès fébrile peut conduire, en l’absence de prise en charge médicale dans les douze heures, à un traitement présomptif sans attendre les résultats de l’identification plasmodiale. Ce traitement de secours ne doit être envisagé que dans des situations d’isolement médical total et après une information médicale préalable sur les enjeux et les risques d’un auto traitement. Dans cette éventualité, l’antimalarique retenu doit être efficace contre une éventuelle souche chloroquino-résistante et dénué d’effets adverses graves. Les molécules pouvant être retenues dans cette indication sont la quinine orale, l’association atovaquone-proguanil ou artemether-luméfantrine. L’halofantrine en raison de sa cardiotoxicité potentielle doit être prohibée. Ce traitement présomptif ne doit en aucun cas être pris au retour en France sans avis médical et sans examen sanguin préalable.

L’éducation à la prophylaxie

Aucune stratégie de prophylaxie du paludisme destinée aux voyageurs civils comme aux militaires en mission ne peut être valablement mise en œuvre si elle n’est pas précédée et accompagnée d’une forte action éducative. Toutes les études civiles et militaires, françaises et étrangères, montrent la médiocre compliance des voyageurs aux moyens de lutte antivectorielle et à la chimioprophylaxie. De nombreuses raisons peuvent être évoquées : défaut de prise de conscience du risque, défaut de demande d’information, défaut d’accès aux avis spécialisés, défaut de formation des omnipraticiens, diversité voire contradiction des avis médicaux délivrés en France et en zone impaludée, coût des mesures, non remboursement des prescriptions, réticences à la prise de médicament des personnes saines, astreinte des prises, nonorganisation de la prise, critique négative des autochtones et résidents à l’égard des voyageurs, absence d’information de l’entourage familial au retour de voyage, sentiment d’invulnérabilité, lassitude etc. Mais très peu d’études ont été conduites dans le champ de la psychologie comportementale et de l’anthropologie pour comprendre un phénomène qui ne peut être résolu par les seules mesures d’autorité.

Dans les armées françaises des données préliminaires permettent de définir un profil de risque [20] de non observance pendant le séjour (perception pénible de la chimioprophylaxie, confiance dans la moustiquaire, activités militaires renforcées, isolement en dehors du groupe, militaires les moins gradés avec antécédents de séjours en zone impaludée, tabagisme) et au retour (jeunesse, célibat, antécédents de séjours, absence de soutien familial, pénibilité de la prise, perception du risque, fatigue psychologique en fin de séjour). L’éducation à la santé est donc une activité consubstantielle de la prescription des moyens de prophylaxie, exigeant une approche globale du sujet prenant en compte ses antécédents de séjours en zone impaludée, sa perception du risque, les messages portés par son entourage familial et professionnel, afin de potentialiser sa compréhension du risque et encore plus sa motivation à adhérer au projet préventif. Le Service de santé des armées attache une importance toute particulière à développer une culture de l’éducation pour la santé parmi les médecins et infirmiers des unités militaires qui est seule garante d’une meilleure adhésion aux stratégies de prophylaxie du paludisme.

En définitive, la prophylaxie du paludisme chez le voyageur et dans les forces armées est largement conditionnée par l’extension de la chimiorésistance de Plasmodium falciparum . Elle repose sur un ensemble de mesures où la protection antivectorielle occupe une place importante. Le succès de la prévention antipaludique passe aussi par une personnalisation et une adaptation de la chimioprophylaxie du voyageur au type de voyage et au lieu de destination. Il n’en est pas de même pour les militaires en situation opérationnelle où le schéma prophylactique doit être univoque, suivi et si possible contrôlé. Dans cette catégorie le profil épidémiologique s’est modifié ces dernières années avec la multiplicité des opérations extérieures impliquant des rotations fréquentes et de nombreux séjours courts. Les conséquences ont été l’augmentation importante du paludisme d’importation et du nombre d’accès
palustres à

P.vivax et P.ovale . Dans ce nouveau contexte et dans l’attente de nouvelles molécules permettant une meilleure observance, il importe de rappeler qu’il n’existe aucun moyen de prévention susceptible d’assurer une parfaite protection, qu’il est possible de développer un paludisme maladie malgré une chimioprophylaxie bien conduite, et que la chimiorésistance de P.falciparum peut favoriser l’apparition de formes atypiques (fièvre modérée, asthénie, état pseudo grippal, cytopénies isolées) pouvant survenir plus de deux mois après le retour. Ces tableaux trompeurs, méconnus par de nombreux omnipraticiens sont la source d’erreurs diagnostiques lourdes de conséquences. C’est dire toute l’importance de l’information sanitaire délivrée au départ et au retour et d’une lutte antipaludique bien conduite sur le terrain.

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DISCUSSION

M. Jean DUPOUY-CAMET (Parasitologie Cochin)

La doxycycline est efficace sur de multiples autres bactéries (peste, choléra…), son utilisation prolongée en prophylaxie du paludisme ne risque-t-elle pas de modifier l’écologie bactérienne locale ?

Nous avons constaté, chez les militaires suivant une chimioprophylaxie prolongée par doxycycline, l’émergence de souches de staphylocoques auréus résistants porteurs de facteurs de virulence (toxine PVL). Pour le moment aucune conséquence clinique n’a été constatée. Au-delà de la chimioprophylaxie antipaludique avec cette molécule se pose aussi le problème de son utilisation prolongée en dermatologie pour le traitement de l’acné. Il ne semble pas que, dans cette indication où le traitement est effectué pendant plusieurs mois, il y ait de conséquences sur l’écologie bactérienne locale.

M. Bernard CHARPENTIER

Quelle est la charge budgétaire prise en compte par le service de santé pour la chimioprophylaxie du paludisme aux armées ? Les sept morts concernent-ils le service de santé ?

Les sept morts rapportés concernent les patients répertoriés par le Centre de référence des maladies d’importation. Le chiffre réel est plus proche de quinze à vingt décès annuels. Pour le service de santé des armées, un décès a été noté en 2006.

M. Pierre MARTY (Nice)

Peut-on connaître les différences entre les doxycyclines au plan de l’efficacité ?

Deux formulations sont disponibles dans le commerce : l’hyclate de doxycycline et le monohydrate de doxycycycline. Cette dernière est constituée de microgranules rapidement dispersées dans le tractus digestif. Elle est à ce titre, mieux tolérée avec moins d’intolérance gastro-œsophagienne (nausées, épigastralgies…). L’observance est aussi meilleure au long cours. C’est pour cette raison que cette formulation a été retenue en chimioprophylaxie antipaludique.

M. Airezki IZRI (Parasilogie, entomologie, Université Paris 13)

Quels répulsifs avez-vous évalués ? Et dans quelles conditions ?

La prophylaxie d’exposition fait appel à la deltametrine appartenant à la famille des pyrethrinoides. Les insecticides sont utilisés en imprégnation dans les moustiquaires de lits et dans les vêtements portés par nos militaires en opération. On obtient ainsi un effet répulsif vis-à-vis des agressions anophéliennes. Cette protection individuelle est complé- tée par une lutte antivectorielle domiciliaire et péri-domicilaire utilisant les mêmes répulsifs.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. ** Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des armées, Le Pharo, BP : 46, 13998- Marseille armées. Tirés-à-part : Médecin Général inspecteur TOUZE, École du Val-de-Grâce, 1 place A. Laveran, 75005, Paris.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1293-1303, séance du 30 octobre 2007