Communication scientifique
Séance du 31 mai 2011

Modification de l’épidémiologie des donneurs d’organes et nouvelles stratégies de préservation des greffons rénaux

MOTS-CLÉS : ischémie. reperfusion. transplantation rénale
Changes in organ donor epidemiology and new strategies for kidney preservation
KEY-WORDS : ischemia. kidney transplantation. reperfusion

Benoît Barrou

Résumé

La modification de l’épidémiologie de la mort encéphalique oblige les transplanteurs à greffer des organes de moins bonne qualité. Les méthodes de préservation utilisées jusqu’à présent avaient le mérite de la simplicité mais ne sont plus suffisantes pour ces greffons porteurs de lésions chroniques, particulièrement sensibles aux lésions d’ischémie reperfusion. De nouvelles méthodes de préservation doivent être développées : mise au point de nouvelles solutions de préservation, recours à la préservation dynamique sur machine, recours à des phases de préservation en normothermie.

Summary

Changes in the epidemiology of brain death are leading the transplant community to use more marginal grafts from so-called extended criteria donors. Current preservation techniques, while simple, are no longer adequate for these organs, which harbor chronic lesions making them very sensitive to ischemia-reperfusion injury. New preservation solutions are needed, along with machine perfusion techniques (dynamic preservation) and normothermic preservation phases. Fig. 1. — (extraite du rapport annuel 2009 de l’Agence de la Biomédecine) : Évolution du nombre de donneurs en état de mort encéphalique prélevés en fonction de l’âge Fig. 2. — (extraite du rapport annuel 2009 de l’Agence de la Biomédecine) : Évolution de la proportion des causes de décès des personnes en état de mort encéphalique recensées.

MODIFICATION DU PROFIL DES DONNEURS

La pénurie d’organe et la modification de l’épidémiologie de la mort encéphalique ont conduit les transplanteurs à prélever des organes d’une part, sur des donneurs décédés par mort encéphalique (DDME) de plus en plus âgés, d’autre part sur des donneurs décédés par arrêt cardiaque (DDAC).

 

De manière évidente, la démographie des donneurs d’organes a évolué vers le vieillissement des patients. Aujourd’hui, le prélèvement est possible à tout âge. S’il est vrai qu’un cœur est rarement prélevé après soixante ans, les reins, le foie ou les cornées peuvent l’être sur des personnes beaucoup plus âgées. Le nombre de donneurs de plus de soixante-cinq ans prélevés en France en 2009 [1] a pratiquement doublé en cinq ans (figure 1). La moyenne d’âge a augmenté de dix ans en dix ans.

Les causes de décès ont évolué de manière cohérente avec le vieillissement de la population des donneurs avec une augmentation très sensible des causes cardiovasculaires de décès (figure 2). Parallèlement, les comorbidités retrouvées chez les donneurs ont augmenté de manière considérable (hypertension artérielle, diabète de type II pour ne citer que les plus fréquentes). Les greffons prélevés aujourd’hui sont donc de bien moindre qualité et beaucoup plus sensibles au lésions d’ischémiereperfusion, un passage malheureusement obligatoire en transplantation (cf. article de T Hauet).

Les techniques de préservation des organes utilisées jusqu’à présent avaient le mérite de la simplicité et étaient suffisamment efficaces pour des greffons de bonne qualité.

Elles reposaient sur le principe de l’hypothermie (la loi de Van t’hoff stipule que la baisse de la température réduit, pour chaque pallier de 10° C, l’activité enzymatique de 50 %). Les greffons étaient conservés de façon statique par immersion dans une solution de préservation à 4° C. Ces techniques sont devenues insuffisantes de nos jours compte tenu de la qualité des greffons disponibles. Il s’agit soit de greffons de donneurs en mort encéphalique âgés, porteurs de lésions chroniques les rendant beaucoup plus sensibles aux lésions d’ischémie reperfusion, soit de greffons prélevés sur DDAC, qui ont par définition subi une ischémie chaude, véritable modèle expérimental de lésions d’ischémie-reperfusion.

Pour faire face à ces modifications profondes, des progrès sont en train d’être réalisés dans le domaine de la préservation. Ils portent sur :

— les solutions de préservation ;

— la mise au point de la préservation dynamique au moyen de machine de perfusion ;

— l’introduction du concept de préservation en normothermie.

NOUVELLES SOLUTIONS DE PRÉSERVATION

La première solution de préservation d’organes a été mise au point en 1969 (Collins). Elle avait une composition ionique de type intracellulaire (riche en K+, pauvre en Na+) et ne comportait pas de colloïde mais du glucose. En 1987 est apparue la solution de Belzer (encore appelée solution de l’université de Wisconsin (UW), beaucoup plus sophistiquée, permettant une meilleure préservation mais ayant encore une composition ionique intracellulaire et un colloïde, l’hydroxy-ethylamidon à forte concentration lui conférant une viscosité et une osmolarité élevées.

 

Tableau 1. — Paramètres de reprise précoce de fonction des greffons rénaux prélevés sur des donneurs décédés après arrêt cardiaque soit après une période de reperfusion en normothermie (CRN, n=13) soit après refroidissement immédiat (Gillot, n=14). Expérience du GH Pitié Salpêtrière.

CRN Gillot p Jour de reprise de diurèse 0 4.1 fi 5.1 <0,05 Nombre de séances d’hémodialyse 0.3 fi 0.5 3.8 fi 3.1 0,006 Délai jusqu’à créatininémie < 300 μmol/l 13.5 fi 6.2 jours 27.3 fi 13.8 jours 0,016 Créatininémie à 1 mois 143 μmol/l fi 55 245 μmol/l fi 102 0,027 Durée de l’hospitalisation initiale 19.8 fi 6.8 jours 28.4 fi 9.14 jours 0,045 Elle a longtemps été considérée comme la solution de référence mais est en train de perdre ce statut.

Durant les années quatre-vingt dix, deux solutions de préservation cardiaque — HTK (ou Custodiol®) mis au point par Breitschneider et Celsior®, et par P.

Menasche — ont été étendues à la préservation des organes abdominaux. Durant les années 2 000 ont été mises au point par des équipes françaises deux solutions de préservation dites de quatrième génération SCOT 15® et IGL1®. Travaillant au sein de l’unité Inserm U 927 ayant mise au point la solution SCOT15®, je concentrerai l’exposé sur les données expérimentales ayant permis cette mise au point.

Deux concepts principaux ont dirigé Michel Eugène [2, 3], inventeur de cette solution : la nécessité d’opter pour une concentration ionique de type extracellulaire, les propriétés remarquables des polyéthylène glycols (PEG) comme agent colloïde et antiradicalaire.

Pourquoi une concentration ionique de type extracellulaire ?

Les solutions mises au point dans les années soixante-dix et quatre-vingt ont une composition intracellulaire (riches en K+, pauvres en Na+). L’idée était de limiter les échanges ioniques passifs à travers des membranes cellulaires lésées. L’effet obtenu est en fait délétère car les pompes à NA+/K+, ATP dépendante, étant programmées pour maintenir des concentrations intra et extracellulaire très diffé- rentes, sont fortement stimulées pour tenter de maintenir le gradient, et augmentent leur consommation en ATP, réduisant encore les stocks intracellulaires. L’effet obtenu est donc inverse de celui recherché en matière de préservation d’organe. Par ailleurs, une concentration importante en potassium induit une dépolarisation des cellules, activent les canaux calciques voltage-dépendants et plus important encore entraînent une vasoconstriction au sein de l’organe [3].

Quelles sont les propriétés des PEG ?

Les PEG sont des chaînes polymères d’oxyde éthylène terminées par un radical hydroxyle. La longueur de chaîne peut être très variable, conférant des propriétés

Fig. 3. — Propriétés d’immunomasquage de SCOT : prolongation d’une allogreffe d’ilots pancréatiques dans une combinaison fortement immunogénique (donneur C3H, receveur Balb/c) ou extrêmement immunogénique (combinaison d’animaux transgéniques, les donneurs exprimant l’antigène HA sur les îlots, les receveurs ayant 98 % des récepteurs T de leurs lymphocytes spécifiques de ce même antigène). Dans les eux cas la prolongation de survie est de 10 jours alors que les receveurs ne reçoivent aucun traitement immunosuppresseur.

Fig. 4. — Survie du greffon rénal et fonction rénale sur un modèle d’allotransplantation de rein chez le porc, les receveurs ne recevant aucun traitement immunosuppresseur. La seule différence entre les groupes est la solution de préservation utilisée (Scot 15®, Igl1® ou UW). Les greffons préservés avec SCOT ont une survie et une fonction significativement meilleures.

très différentes si bien qu’il est important de préciser le poids moléculaire du PEG utilisé. Dans la solution SCOT 15®, le PEG a un poids moléculaire de 20 kD.

Différents PEG sont utilisés dans l’industrie alimentaire, les cosmétiques, l’industrie pharmaceutique.

Une des propriétés remarquable des PEG est leur capacité à structurer les molécules d’eau à leur contact. Ainsi, pour le PEG 20 kD, une molécule est capable de structurer autour d’elle huit à dix mille molécules d’eau qui ont ainsi une mobilité réduite et qui se présentent dans un état hautement structuré, intermédiaire entre la glace et l’eau. Ces molécules d’eau définissent une zone d’exclusion dans laquelle ne peuvent approcher d’autres molécules. On comprend ainsi que les molécules de PEG s’adsorbant à la surface de la membrane cellulaire (et notamment des cellules endothéliales) aient un rôle protecteur de ces membranes pendant la phase d’isché- mie reperfusion. Il découle de cette propriété une capacité d’immuno-masquage particulièrement intéressante dans le domaine de l’allotransplantation. Elles ont été suggérées par Collins et Wicomb [4] en 1991, lorsque, ajoutant 50 grammes de PG 20 kD dans la solution UW, ils ont constaté un taux de rejet moindre dans le groupe de transplantés cardiaques que dans le groupe PEG.

Nous avons pu montré de notre côté [5] que la préparation d’ilots pancréatiques avec la solution SCOT 15® permettait de prolonger la survie d’une allogreffe d’îlots pancréatiques chez la souris et ce, quelque soit le nombre d’effecteurs, sans aucun traitement immunosuppresseur du receveur (figure 3). Nous avons également pu démontrer sur un modèle d’allotransplantation rénale chez le porc [6], que la préservation du greffon avec Scot15® permettait de prolonger la survie de l’allogreffe de manière significative par rapport aux solutions UW et IGL 1®, alors que les receveurs ne reçoivent pas de traitement immunosuppresseur (figure 4).

Ces propriétés d’immunomasquage sont particulièrement importantes car elles représentent les premières tentatives de prévention et de traitement des lésions et conséquences immunologiques des phénomènes d’ischémie reperfusion dont on n’a eu longtemps qu’une lecture immunologique.

LES MACHINES DE PRÉSERVATION

Historique

Les premières machines sont apparues dans les années 1970 mais leur emploi est resté très confidentiel du fait de leur complexité, de leur coût et de l’absence de preuve bien établie de leur intérêt, en partie car les greffons d’alors étaient de bien meilleure qualité. Plusieurs études prospectives ou rétrospectives publiées à la fin des années quatre-vingt-dix ont posé les bases de l’utilisation des machines en particulier pour les reins marginaux ou provenant de donneurs décédés par arrêt cardiaque, et actuellement la plupart des institutions utilisent les machines de perfusion aux US [7], conformément aux recommandations rédigées par l’UNOS (United Network for Organ Sharing).

En Europe, l’utilisation des machines reste encore assez confidentielle mais la publication récente d’une étude européenne randomisée, utilisant la machine Lifeport® (ORS, USA), marque un virage dans le développement des machines de perfusion et devrait probablement aider à la diffusion du concept de préservation dynamique des greffons rénaux [8].

Les preuves d’efficacité dans la littérature

Pendant de nombreuses années, seule la machine de perfusion produite par la société Waters (WMS puis RM3) était disponible. La machine LifePort®, plus compacte et très facilement transportable, n’est largement utilisée que depuis quelques années si bien que l’on dispose de moins de données cliniques à son sujet.

 

Approximativement, près de 45 000 greffons ont été perfusés sur des machines WMS avant d’être transplantés chez l’homme. De multiples séries rétrospectives et quelques études prospectives non randomisées ont été publiées jusqu’à ce jour et concernent essentiellement l’utilisation des machines pulsatiles Waters (bien que des séries mélangent quelquefois l’utilisation de la RM3® et de la LifePort® sans stratifier les résultats pour les deux machines).

Il a été montré dans ces séries, avec les réserves faites aux études rétrospectives et prospectives sans randomisation, que l’utilisation des machines permet de diminuer significativement le taux de reprise retardée de fonction des greffons [9-12], la fonction rénale des greffons à deux ans [13] et leur survie à cinq ans [14]. La seule étude randomisée prospective que la communauté des transplanteurs attendait, comparant machine de perfusion et incubation statique, a été réalisée très récemment par Eurotransplant et publiée en janvier 2009 [8] mais n’a intéressé que la machine LifePort®. Elle démontre de façon indiscutable que la préservation rénale dynamique par perfusion sur machine a un effet significativement favorable pour la conservation des reins par rapport à l’incubation statistique en terme de reprise précoce de fonction rénale : le taux de reprise retardée de fonction (RRF) a été de 20,8 % dans le groupe machine et de 26,5 % dans le groupe statique (p<0,05) ; la cinétique de récupération de la fonction rénale a été significativement plus rapide dans le groupe machine (p<0,03), et donc le délai de sevrage de la dialyse plus court (dix versus treize jours dans le groupe statique, p<0,04).

Cette étude démontre également et surtout que la survie des greffons préservés sur machine est significativement meilleure à un an (94 %) que celle des reins préservés de manière statique (90 %), p. = 0,04. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que tous les donneurs ont été inclus (et pas seulement ceux à risque de RRF) et que la durée d’ischémie froide a été courte (quinze heures en moyenne). Il n’est pas impossible que l’effet bénéfique des machines de perfusion soit encore plus net pour des ischémies froides plus longues et pour des greffons à risque de RRF.

Comment ça marche ?

On dispose donc désormais de preuves formelles cliniques de ‘‘ l’effet machine ’’.

Mais à quoi est-il dû ? Les mécanismes d’action sont probablement multifactoriels et il faut revenir aux travaux expérimentaux pour les analyser. On peut retenir sché- matiquement six hypothèses :

— maintien de l’intégrité et de la fonction des cellules endothéliales ;

— fonction de lavage : élimination des déchets toxiques ;

— apport d’oxygène ;

— diminution de l’expression de certaines molécules de surface ;

— effets à long terme : diminution de la fibrose ;

— effet de sélection des greffons ;

 

Maintien de l’intégrité et de la fonction des cellules endothéliales

C’est probablement le mécanisme d’action le plus important. Il existe de nombreux travaux démontrant l’importance du shear stress (forces de cisaillement) sur la survie et la fonction des cellules endothéliales in vitro . Ainsi, des cellules endothé- liales en l’absence de flux donc de shear stress entrent en apoptose, alors que, soumises à un flux laminaire, elles poursuivent leur croissance [15]. Leur morphologie se modifie sous l’effet du flux comme cela a été démontré en microscopie électronique sur des cellules endothéliales de reins humains [16, 17].

On s’intéresse de plus en plus au rôle des intégrines à la surface des cellules endothéliales, véritables mécanorécepteurs capables de transformer un signal mécanique, le shear stress , en un message biochimique conduisant à l’apoptose ou la survie des cellules [18]. La simple perfusion de la microcirculation du greffon a donc probablement un effet positif sur la survie des cellules endothéliales pendant la période d’ischémie froide. Cet effet a été montré sur un modèle d’autotransplantation rénale chez le porc [19]. La qualité du flux érythrocytaire cortical du greffon rénal, dix minutes après déclampage, mesurée par laser doppler, dépend directement de la perfusion pendant la période de préservation : elle est de 85 (plus ou moins 8 %) par rapport au rein normal en cas de préservation statique, de 130 (plus ou moins 10 %) en cas de perfusion à basse pression mais de 109 (plus ou moins 4 %) en cas de perfusion à haute pression. Il faut donc probablement soumettre les cellules endothéliales à un flux mais qui doit être contrôlé car des pressions trop élevées sont probablement délétères.

Fonction de lavage des déchets

Cette hypothèse est l’une des plus intuitive mais reste très peu étudiée dans la littérature. On sait que le métabolisme anaérobie produit un grand nombre de métabolites toxiques et des ligands endogènes de l’immunité innée. Dans quelle mesure un flux permanent permet-il ou non de limiter leurs effets ? La question reste sans réponse actuellement.

Apport d’oxygène

La pression partielle en oxygène est faible en préservation statique. Le liquide de préservation est au contraire à l’équilibre avec l’air ambiant en cas de préservation dynamique, c’est-à-dire aux alentours de 21 %. Cet apport d’oxygène est bénéfique alors que l’on pouvait craindre que l’apport d’oxygène à 4° C sur une chaîne respiratoire mitochondriale découplée ne soit délétère en apportant de quoi augmenter la production d’espèces radicalaires. Il permet probablement de limiter la perte des réserves en ATP, objectif fondamental en préservation d’organes [20]. Des travaux non encore publiés réalisés dans notre laboratoire (Inserm U 927) montrent l’effet bénéfique de l’apport d’oxygène lors de la perfusion du rein avant autotransplantation chez le porc.

 

Diminution de l’expression de molécules de surface

On connaît bien désormais les conséquences des lésions d’ischémie reperfusion sur l’immunité innée puis acquise. Il a été montré que l’expression de molécules d’adhé- sion comme ICAM1 ou les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I et II était significativement diminuée en cas de perfusion hépatique comparée à la préservation statique [21]. Ce type d’observation a déjà été fait au cours d’études expérimentales sur les liquides de préservation [22, 23], permettant d’accumuler les preuves que la qualité de la préservation a des conséquences directes sur le degré d’activation de l’immunité innée et acquise.

Diminution de la fibrose

Nous avons pu montrer [23] sur un modèle d’auto transplantation rénale chez le porc mimant la situation d’un donneur décédé après arrêt cardiaque (greffon soumis à soixante minutes ischémie chaude puis vingt-quatre heures d’ischémie froide) que la préservation dynamique des greffons réduisait très significativement la fibrose interstitielle des greffons sur des biopsies à trois mois (figure 5). Cette observation est probablement liée aux précédentes et pourrait expliquer que l’essai d’Eurotransplant ait pu mettre en évidence une augmentation significative de survie des greffons à un an, grâce à la perfusion sur machine [8].

Effet de sélection des greffons

Il est probable que la perfusion des greffons nous permettra de disposer de critères d’acceptation ou de rejet des greffons marginaux ou ayant subi une ischémie chaude prolongée. Plusieurs études suggèrent cette approche sans la démontrer [24]. La plupart des équipes utilisent les critères de perfusion des greffons rénaux, essentiellement l’évolution des résistances intravasculaires. Ces critères ne sont toutefois pas formellement établis contrairement à une idée trop répandue. La meilleure preuve est que les critères de perfusion des greffons de l’essai d’Eurotransplant n’ont pas été utilisés pour décider de greffer ou non. Ils ont même été maintenus confidentiels.

Leur analyse secondaire a montré que les paramètres de perfusion avaient une valeur fiable prédictive et qu’ils ne permettaient notamment pas de prévoir la non fonction primaire du greffon qui reste la seule vraie question que se pose le clinicien au moment de prendre la décision d’utiliser ou non le rein. Certaines équipes utilisent des paramètres biochimiques comme le dosage de l’alpha Gluthation S Transférase, qui ne font toutefois pas l’unanimité [24].

Quels liquides de préservation sur machine ?

Tous les liquides ne sont pas bons à utiliser sur machine. Il faut proscrire les liquides de préservation à composition intracellulaire car leur forte teneur en potassium entraîne une vasoconstriction qui ferme le lit vasculaire, nécessitant d’augmenter les pressions de perfusion dont on connaît maintenant les effets potentiellement délé

Fig. 5. — Démonstration de l’effet bénéfique de la machine de perfusion Lifeport® sur un modèle d’autotransplantation rénale chez le porc. Les reins sont soumis à soixante minutes d’ischémie chaude suivie de vingt heures de préservation à 4° C soit statique avec la solution UW (groupe UW CS) ou avec la solution KPS (groupe KPS CS) soit sur machine de perfusion avec la solution UW (groupe UW MP) ou avec la solution KPS (groupe UW KPS). La solution KPS est la solution adaptée à la machine. Les meilleurs résultats sont obtenus par la perfusion sur machine avec la solution KPS que ce soit en terme de survie des animaux (A) de niveau de fonction rénale (B), de protéinurie (C), d’aspect histologique (D à G) et de fibrose (H). Ces résultats démontrent l’intérêt combiné de la machine de perfusion et de la solution de préservation.

tères. Il faut également proscrire les liquides contenant du Polyethylène Glycol (PEG) à forte concentration comme agent colloïde.

L’intérêt majeur du PEG a été démontré en préservation statique [2, 3, 5, 6] et ce sont justement ces qualités de fixation et de protections des membranes cellulaires qui en empêchent l’emploi en préservation dynamique. Cette constatation a été faite lors du travail de Mastère de C Billaud au sein du groupe FLIRT (manuscrit en cours de rédaction). L’hypothèse est que le PEG, recirculant, finit par obstruer la microcirculation.

En pratique, deux solutions de préservation sont utilisables sur machine KPS® et MPS®. Il s’agit en fait de la même solution dérivée de la solution de Belzer et commercialisée sous deux noms différents. Les principales modifications apportées sont la diminution de la concentration de K+ et la modification de l’imperméant (gluconate ou lieu du lactobionate).

LA PRÉSERVATION NORMOTHERMIQUE

Les organes prélevés sur donneurs décédés par arrêt cardiaque (DDAC) ont souffert d’ischémie chaude et en présentent toutes les lésions. Deux approches différentes s’offrent au transplanteur :

— les limiter en descendant la température le plus vite possible, appliquant le principe de base de la préservation d’organes ;

— tenter de reconditionner les organes avant de les mettre en hypothermie. L’objectif n’est plus de simplement limiter les lésions d’ischémie reperfusion mais bien de les corriger au moins partiellement avant de ‘‘ figer ’’ la situation par l’hypothermie dont les effets délétères propres sont maintenant bien connus.

Dans tous les cas, il faut mettre en place aussi vite que possible (et toujours dans un délai de 150 minutes après l’effondrement) des canules dans les vaisseaux fémoraux au triangle de Scarpa.

Dans la première approche, il est monté dans l’aorte une sonde à double ballonnet et triple lumière (sonde de Gillot) par laquelle sont infusés des quantités importantes (une vingtaine de litres) de liquide de préservation à 4° C.

Dans la seconde approche, une circulation extracorporelle est mise en place en utilisant le matériel utilisé par les chirurgiens cardiaques pour les assistances circulatoires périphériques (Extracorporeal membranous oygenation ou ECMO). C’est le sang du patient qui est donc utilisé comme liquide de préservation en normothermie et dans des conditions subnormales d’oxygénation. Cette circulation extracorporelle est limitée à l’abdomen, si bien que le terme qui doit être employé est celui de circulation régionale normothermique (CRN) pour bien faire la différence entre l’ECMO qui est du domaine du thérapeutique pour un patient qui n’est pas un donneur d’organes et la CRN qui est du domaine de la préservation d’organes chez un donneur dont le décès a été déclaré.

Quels sont les mécanismes par lesquels la CRN aurait cet effet bénéfique sur la préservation d’organes ?

Ils sont probablement multiples, certains sont démontrés, d’autres sont encore au stade d’hypothèse. On peut retenir :

— un meilleur contrôle de l’efficacité de la perfusion grâce à la CEC ;

— l’emploi du sang du patient qui reste probablement la meilleure solution de préservation, apportant nutriments, substrats énergétiques et surtout transporteurs d’oxygène et oxygène, même s’il peut également véhiculer des produits toxiques générés lors de la phase d’arrêt cardiaque ;

— mais surtout le recours à la normothermie qui permet d’entrer dans le domaine de la préservation active et de la réparation cellulaire. Les travaux démontrant l’intérêt d’une phase de normothermie en préservation d’organes sont maintenant nombreux. Il peut s’agir de perfusion normothermique d’organes ex vivo (notamment de reins) avec une solution de préservation acellulaire mais comportant de l’oxygène et ses transporteurs [25] ou de travaux portant sur la CRN en transplantation hépatique [26-28].

La démonstration formelle est faite d’un point de vue expérimental, in vitro et in vivo , que la perfusion normothermique oxygénée permet d’améliorer le statut énergétique des organes et améliore la reprise de fonction ainsi que la survie des greffons en transplantation rénale et hépatique.

Expérience de la Pitié

Convaincus par l’expérience de l’équipe de Barcelone et les travaux expérimentaux de préservation d’organes en normothermie (et impliqués nous mêmes dans un programme de recherche sur l’ischémie reperfusion), nous avons souhaité d’emblée débuter le programme de transplantation d’organes à partir de DDAC en recourant aussi souvent que possible à la CRN.

La mise en route de cette activité est complexe et nécessite une très bonne coordination entre les équipes. Nous avons la chance de bénéficier de la grande expertise de l’équipe de chirurgie cardiaque de la Pitié et de l’unité mobile d’assistance circulatoire périphérique (UMAC) qu’elle a mise en place, de la coordination de prélèvement d’organes et de la SSPI, rendant possible cette approche.

Nous avons récemment comparé la cinétique de reprise de fonction des greffons entre deux groupes, l’un de treize préservés par CRN (Maquet, France), l’autre de quatorze préservés par perfusion hypothermique in situ (sonde de Gillot). Les résultats sont indiqués dans le tableau 1 et confirment que les meilleures reprises de fonction sont obtenues par le recours à une phase initiale de normothermie.

CONCLUSION

Le champ de la préservation d’organes est en pleine évolution pour répondre à des exigences plus importantes que durant les décennies précédentes. Les progrès portent sur la mise au point de nouvelles solutions de préservation dont certaines permettent une prise en charge des conséquences immunologiques de l’ischémie reperfusion, sur le développement de la préservation dynamique sur machine dont le principal effet est une bien meilleure préservation des cellules endothéliales, et enfin sur le recours à des phases de normothermie durant la préservation, dont la place et la durée devront être précisées.

De nombreuses avancées sont à portée de main, avec, dans un avenir très proche, la possibilité d’oxygéner les greffons de manière active, d’utiliser des additifs dans les solutions de préservation comme des transporteurs d’oxygène, des vasodilatateurs, des inhibiteurs de thrombine, des agents antioxydants pour ne citer que les plus étudiés.

Ce champ d’investigation représente un besoin majeur en transplantation pour limiter les lésions d’ischémie reperfusion possiblement réversibles qui viennent s’ajouter aux lésions chroniques, elles irréversibles, dont sont porteurs de plus en plus de greffons utilisés actuellement.

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DISCUSSION

Mme Monique ADOLPHE

Je suis étonnée de voir que les solutions de préservation n’ont pas copié les milieux de culture qui existent depuis 1955 et sont améliorées depuis avec d’excellents résultats sur la conservation des cellules. Quel est votre avis ?

 

Les besoins de cellules à 37° C et 5 % de CO2 sont probablement très différents de ceux d’un organe entier conservé à 4° C. Les volumes utilisés sont également très différents.

Cependant, je pense comme vous que l’on a toujours intérêt à s’intéresser à ce que font les collègues dans d’autres domaines. On apprend beaucoup et l’on gagne du temps. Le rapprochement des milieux de culture va certainement devenir indispensable si l’on envisage de reperfuser les organes en normothermie ou subnomothermie.

M. Daniel LOISANCE

Les machines à perfuser constituent un formidable banc d’essai pour évaluer la valeur fonctionnelle du greffon. Quel test fonctionnel utilisez-vous aujourd’hui avant de déclarer le greffon bon pour la greffe ?

Aucun test n’a pour le moment fait la preuve de son pouvoir discriminant. Les critères les plus utilisés sont les paramètres de perfusion du rein. Ils ne sont prédictifs que de la survenue d’une reprise retardée de fonction mais en aucun cas de non fonction primaire.

Ils ne sont donc que de peu d’utilité car c’est bien ce dernier risque que l’on voudrait être capable de prédire. Une seule équipe utilise un paramètre biochimique, le dosage de la GST. La mise en évidence de paramètres de prédiction de fonction représente un objectif majeur des équipes de recherche dans ce domaine. Il est possible qu’il faille recourir à des molécules « diagnostiques » et peut-être reperfuser l’organe à une température supé- rieure à 4° C au moins pendant un temps.

 

<p>* Urologie, GH Pitié Salpêtrière, Faculté de Médecine, Université Paris VI, Inserm U 927 — Poitiers, Plateforme IBISA INRA Surgères. Groupe de recherche Flirt, e-mail : benoit.barrou@psl.aphp.fr Tirés à part : Professeur Benoît Barrou, même adresse Article reçu le 8 mai 2011, accepté le 16 mai 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 883-897, séance du 31 mai 2011