Communication scientifique
Séance du 31 mai 2011

Réponse inflammatoire stérile aux lésions d’ischémie reperfusion : conséquences immédiates et à long terme sur la fonction des greffons

MOTS-CLÉS : immunité innée. immunologie en transplantation. inflammation.
Sterile inflammatory response to ischemia-reperfusion injury : immediate and long term consequences on graft function
KEY-WORDS : immunity, innate.. transplantation immunology

Olivier Thaunat *

Résumé

Lors d’une transplantation d’organe, le prélèvement du greffon, son transport, puis sa mise en place chez le receveur, provoquent des phénomènes inévitables d’ischémie-reperfusion. Ils entraînent, au niveau de l’organe transplanté, un stress cellulaire et un certain niveau de nécrose tissulaire qui sont responsables de l’activation du système du complément et de la libération dans l’organisme du receveur d’un ensemble de signaux moléculaires de danger. Ces molécules, en se liant à divers récepteurs à la surface des effecteurs cellulaires du système immunitaire inné (granulocytes, monocytes/macrophages, cellules dendritiques) initient une réponse inflammatoire stérile qui, avec l’activation du complément, amplifie les dégâts tissulaires. D’autre part, au cours de cette réponse inflammatoire stérile, certains effecteurs de l’immunité innée (macrophages et cellules dendritiques notamment) maturent et présentent les antigènes du greffon libérés par la destruction tissulaire, aux lymphocytes du receveur. En initiant la réponse immunitaire adaptative, ils jouent un rôle central dans les phénomènes de rejet responsables de la perte progressive de fonction des organes transplantés. Ainsi, en plus d’améliorer la reprise de fonction immédiate des greffons, les stratégies thérapeutiques ciblant la réponse inflammatoire stérile déclenchée par l’ischémiereperfusion pourraient se révéler également bénéfiques sur la survie au long cours des organes transplantés, un défi majeur en transplantation à l’heure actuelle.

Summary

Solid organs used for transplantation are subjected to ischemia-reperfusion, which induces cellular stress and tissue necrosis. Ischemia-reperfusion injury activates the complement cascade and triggers the release of danger-associated molecular signals. The latter bind to pattern-recognition receptors on innate immune cells, thereby eliciting a sterile inflammatory response that, together with complement activation, increases tissue damage. This sterile inflammatory response also triggers maturation of antigen-presenting cells (macrophages and dendritic cells), enabling them to present donor antigens efficiently to recipient lymphocytes. By initiating adaptive alloimmune responses in the recipient, innate immunity plays a central role in the rejection process, which remains a major cause of late graft failure. Strategies capable of dampening the sterile inflammatory response induced by ischemiareperfusion could therefore be beneficial, both for immediate post-transplantation graft function and for long-term outcome.

INTRODUCTION

En dépit des progrès accomplis ces dernières décennies dans le domaine de la transplantation d’organe, le rythme de la perte des greffons au delà de la première année est resté globalement stable [1]. Il est désormais largement établi que la perte progressive et inéluctable de fonction des organes transplantés résulte principalement de la destruction du greffon par le système immunitaire du receveur. Ces processus de rejets d’allogreffes sont médiés par les effecteurs du système immunitaire adaptatif (les lymphocytes T et B ; cf infra) qui répondent spécifiquement aux alloantigènes portés par le greffon (principalement les molécules HLA mismatchées entre le donneur et le receveur).

Dans le contexte actuel de pénurie d’organe, améliorer notre compréhension de la physiopathologie des rejets d’allogreffes afin de proposer des stratégies thérapeutiques innovantes susceptibles d’accroître la durée de vie des greffons constitue un enjeu majeur qui focalise l’attention des immunologistes. Pourtant, un autre processus, indissociable de la transplantation d’organe implique également le système immunitaire du receveur et joue un rôle important pour la survie du greffon :

l’ischémie-reperfusion.

Ischémie-reperfusion : leçons apprises de l’infarctus du myocarde

La séquence : prélèvement chez le donneur, transport, mise en place du greffon chez le receveur, rend inévitable l’exposition de l’organe transplanté à une phase d’isché- mie suivie d’une reperfusion responsables, en dépit de l’amélioration constante des techniques de conservation, d’un stress cellulaire et d’un certain niveau de nécrose tissulaire.

L’infarctus du myocarde, une des principales causes de mortalité dans les pays développés, peut être considéré comme l’archétype des pathologies induites par ischémie-reperfusion. L’ischémie myocardique résulte de la survenue brutale d’une thrombose coronaire, tandis que la thrombolyse (ou le geste d’angioplastie), lève l’obstacle luminal et permet la reperfusion du tissu en aval. De nombreux travaux cliniques et expérimentaux ont démontré que la reperfusion du myocarde induisait l’activation de la cascade du complément [2], et des neutrophiles [3]. Cette réponse inflammatoire stérile joue un rôle particulièrement délétère au cours de l’infarctus du myocarde puisqu’elle participe pour au moins 50 % du volume de la nécrose tissulaire finale [4].

Ces travaux pionniers de cardiologie, publiés il y a près de trente ans, suggèrent de s’intéresser au système immunitaire inné du receveur, jusque là relativement négligé en transplantation, puisqu’il semble capable de jouer un rôle néfaste sur la survie du greffon en induisant une inflammation précoce en réponse à l’ischémie-reperfusion.

Le système immunitaire inné

Comparaison immunité adapative/immunité innée

Le système immunitaire des vertébrés est constitué de deux bras, l’immunité innée, et l’immunité adaptative.

La recherche en immunologie a été dominée au cours des dernières décennies par les travaux portant sur la compréhension des mécanismes de l’immunité adaptative. Le rôle des lymphocytes B et des lymphocytes T, et de leurs récepteurs spécifiques a notamment été décrypté. Au cours du développement des lymphocytes, un mécanisme de recombinaison de gènes génère dans chaque lymphocyte un récepteur de l’antigène possédant un site de reconnaissance unique. Si cette spécificité de reconnaissance confère au système immunitaire adaptatif la faculté de réagir de manière plus rapide lors d’une seconde rencontre avec l’antigène, c’est-à-dire « une mémoire immunologique », elle implique en revanche — de faire se rencontrer l’antigène et les quelques clones lymphocytaires qui lui sont spécifiques et — l’expansion sélective des rares clones lymphocytaires spécifiques de l’antigène à combattre.

Ainsi, malgré sa très grande spécificité, le système adaptatif ne permet pas à lui seul de contrôler les infections. En effet, la mise en place des réponses adaptatives prend trois à cinq jours, alors que de nombreux agents infectieux ont des temps de génération qui ne sont que de quelques dizaines de minutes. En outre, l’injection d’un antigène pur ne permet pas d’obtenir une réponse anticorps significative (il est nécessaire de lui adjoindre un adjuvant constitué, le plus souvent, d’un mélange d’extraits microbiens).

En fait, chez tous les vertébrés, l’invasion par des micro-organismes est initialement combattue par des mécanismes de défense innée qui préexistent chez tous les individus. Plus primitif du point de vue de l’évolution, le système immunitaire inné n’a pas de mémoire mais il permet la mise en place immédiate d’une réponse stéréotypée dirigée contre des motifs moléculaires invariables [5].

Description succincte des composants du système immunitaire inné

Le système immunitaire inné est constitué d’un grand nombre de protéines et de plusieurs familles d’effecteurs cellulaires. La description détaillée de ce système biologique complexe dépasse largement l’objet de cet article et nous nous contenterons ici de présenter succinctement les constituants impliqués dans la réponse inflammatoire stérile induite par l’ischémie-reperfusion.

Parmi les effecteurs cellulaires du système immunitaire inné, nous focaliserons notre propos sur les polynucléaires neutrophiles et les phagocytes mononucléaires. Ces deux types de cellules sont capables d’infiltrer les tissus et possèdent des propriétés phagocytaires, c’est-à-dire la capacité d’ingérer l’antigène pour le dégrader. Les neutrophiles représentent la majorité des leucocytes sanguins (50-75 %). Ils quittent la circulation et gagnent le foyer inflammatoire en quelques minutes où ils assurent la phagocytose des particules antigéniques et leur destruction par synthèse de radicaux oxygénés, ou grâce à des enzymes (lysozyme, hydrolase, phosphatase). Ils sont également capables de dégranulation, c’est-à-dire libération dans l’espace extra-cellulaire de protéases. Les polynucléaires ont une demi-vie brève (deux à trois jours) et meurent après avoir exercé leur fonction.

Au contraire, les phagocytes mononucléaires ont une durée de vie prolongée (plusieurs semaines). Les phagocytes mononucléaires circulants, appelés monocytes, migrent dans les tissus où ils se différentient en macrophages (certains macrophages résident dans les tissus en l’absence d’inflammation). Ils phagocytent l’antigène pour le détruire mais sont aussi capables de présenter les fragments aux lymphocytes et ainsi de faire le lien avec le système immunitaire adaptatif ( cf infra ). Les cellules dendritiques peuvent être considérées comme des macrophages spécialisés dans l’initiation des réponses adaptatives.

En plus des effecteurs cellulaires, le système immunitaire inné compte également diverses familles de protéines : protéines de la phase aiguë de l’inflammation, cytokines…etc. Nous nous attarderons ici sur le système du complément. Il s’agit d’un ensemble de protéines solubles et membranaires assurant plusieurs fonctions cruciales pour la défense de l’organisme : — cytolyse, — attraction des effecteurs immunitaires, — facilitation de la phagocytose par opsonisation, — métabolisme des complexes immuns circulants.

Les composants actifs du complément sont générés à partir de précurseurs inactifs par une cascade de réactions protéolytiques pouvant être déclenchée de trois façons :

— par des facteurs solubles qui reconnaissent et lient certains hydrates de carbone (voie des lectines), — par la liaison d’anticorps à leur antigène (voie classique), et enfin — directement au niveau de certaines surfaces biologiques (voie alterne).

Récepteurs de l’immunité innée : « Pattern recognition receptors (PRR) »

L’activation de la réponse immunitaire innée repose sur un ensemble de récepteurs, non clonaux (c’est-à-dire tous identiques) capables de reconnaître un nombre limité (environ mille) de motifs moléculaires invariables portés par les pathogènes (pathogen-associated antigenic molecular pattern : PAMP) mais absents de la surface des cellules de l’hôte (et donc de discriminer le « soi du non-soi »). Ces récepteurs peuvent être divisés en trois classes fonctionnelles (non-mutuellement exclusives) [6] :

— les PRR secrétés, notamment les peptides anti-microbiens (defensines…etc), et les protéines de la phase aigue de l’inflammation : CRP, collectines (dont la mannose-binding lectin [MBL]) ou ficolines. MBL et ficolines reconnaissent certains hydrates de carbone contenus dans les parois bactériennes et activent la voie des lectines du complément ;

— les PRR endocytiques, dont les C-type lectin receptors (CLR), les récepteurs du complément et les récepteurs scavengers (récepteurs poubelles) sont les principaux représentants ;

— les PRR de signalisation, eux-mêmes divisés en quatre familles : CLR, Toll-like receptors (TLR), NOD-like receptors (NLR) et RIG-like receptors (RLR). Les PRR de signalisation sont exprimés par les effecteurs cellulaires du système immunitaire inné, mais aussi par certaines cellules stromales et vasculaires.

Certains PRR, exprimés à la surface de la cellule, surveillent le milieu extra cellulaire et sont impliqués dans la reconnaissance des composants de la paroi des agents infectieux (CLR et certains TLR). C’est notamment le cas du TLR4, dont nous reparlerons plus loin. D’autres TLR sont situés au niveau des endosomes et reconnaissent les composants viraux et bactériens, surtout les acides nucléiques. Les récepteurs des deux dernières familles sont cytoplasmiques et interviennent dans reconnaissance de composants intracellulaires viraux (RLR) et bactériens (NLR).

Le rôle de ces PRR de signalisation est d’activer, via diverses cascades de signalisation, la transcription de multiples gènes en réponse à la reconnaissance du PAMP pour lequel ils sont spécifiques.

Activation du complément par l’ischémie-reperfusion

L’activation du complément par ischémie-reperfusion est un phénomène complexe qui reste imparfaitement compris. Des travaux expérimentaux réalisés dans un modèle d’ischémie-reperfusion rénale chez la souris ont mis en évidence l’importance de la voie alterne [7] dont l’activation n’est plus contrôlée efficacement par les cellules stressées. Plus récemment, d’autres auteurs utilisant le même modèle murin, ont rapporté la présence de dépôts de mannose-binding lectin (MBL) suggérant que la voie des lectines pourrait également être impliquée à la phase précoce de la reperfusion [8].

La nature du tissu exposé à l’ischémie-reperfusion semble influencer considérablement les mécanismes d’activation du complément puisque dans le cœur, l’intestin et le muscle, cette dernière paraît dépendre principalement de la voie classique, activée par la fixation d’IgM naturels dirigés contre des antigènes intracellulaires exposés lors de l’ischémie [9]. Ces anticorps naturels, par opposition aux anticorps générés par le système immunitaire adaptatif en réponse à un antigène, sont présents dans le sérum de tous les patients. Ils sont produits par un type particulier de lymphocytes B (les lymphocytes B1) dont le répertoire BCR est restreint, qui proviennent du foie fœtal, résident dans les cavités péritonéale et pleurale et fonctionnent de façon indépendante des lymphocytes T. Cette immunité humorale singulière présente donc des caractéristiques la situant entre l’immunité innée et l’immunité adaptative.

L’implication de la voie classique, contestée dans le modèle d’ischémie-reperfusion rénale chez la souris, a été récemment validée dans un modèle in vitro utilisant des cellules épithéliales tubulaires rénales humaines [10]. Ceci suggère, qu’en plus de la nature du tissu, l’espèce est également importante et doit nous rendre prudent lorsque nous tentons d’extrapoler en clinique les observations faites dans les modè- les animaux.

Enfin, il faut se souvenir que si la plus grosse partie des protéines du complément est synthétisée par le foie, les cellules endothéliales et musculaires lisses rénales peuvent produire localement du C3. L’importance de cette synthèse locale dans les phénomènes de rejet a été clairement mis en évidence par la démonstration que les greffons rénaux provenant d’animaux C3-/- présentaient une survie prolongée chez des receveurs C3+/+, expliquée par une modulation négative de la réponse lymphocytaire T du receveur [11]. Ces données illustrent la relation étroite entre les bras inné et adaptatif de la réponse immune dont nous reparlerons un peu plus loin ( cf infra ).

Réponse inflammatoire stérile cellulaire

Théorie du danger : des PAMP aux DAMP

En 1994 Polly Matzinger [12] proposa de revisiter le concept en place depuis les années 50 selon lequel le système immunitaire discriminait le soi du non-soi. En se basant notamment sur l’observation que le système immunitaire rejette les greffons et les tumeurs, elle propose que les PRR, plutôt que des motifs moléculaires spécifiques aux pathogènes (PAMP = non-soi), reconnaissent en fait des motifs moléculaires associés à une situation de « danger immunologique » (dangerassociated antigenic molecular pattern, DAMP), que ces motifs proviennent d’un pathogène (non-soi) lors d’une infection ou d’un tissu stressé (soi modifié).

Cette révolution conceptuelle est au centre de l’implication du système immunitaire inné dans la réponse inflammatoire à l’ischémie-reperfusion. En effet, de nombreux travaux ont depuis validé la théorie du danger en identifiant divers ligands de PRR libérés par les tissus soumis à une agression telle que l’ischémie-reperfusion (Tableau 1). Ces DAMP proviennent — de la fragmentation de protéines de la matrice extra-cellulaire — de la nécrose cellulaire qui libère dans le milieu extra cellulaire certains constituants nucléaires (High Mobility Group Box-1, [HMGβ, acides nucléiques) ou cytoplasmique (Heat Shock Protein [HSP]), ou — sont

Tableau 1. — Liste des DAMP libérés par l’ischémie-reperfusion et leurs PRR DAMP

PRR

Lésions tissulaires

Fragments d’acide hyaluronique TLR4 ARN TLR3 ADN TLR9 Nécrose cellulaire

Acide urique NALP3 ATP NALP3 (libération passive)

HMGB1 TLR2/TLR4 IL1 IL1R HSP TLR4 Stress cellulaire

HMGB1 TLR2/TLR4 (sécrétion active)

Protéines de la famille S100 TLR4 activement sécrétés par les cellules sous l’effet du stress (HMGB1, protéines de la famille S100). Parmi les PRR capables de répondre aux DAMP (Tableau 1) nous focaliserons notre attention sur TLR4 et NALP3.

TLR4

TLR4 appartient à la famille des Toll-like receptors membranaire, il est impliqué dans la reconnaissance des Lipo Polysaccharides (LPS, endotoxines présentes au niveau des bactéries Gram négatif) mais reconnaît également de nombreux DAMP (Tableau 1). Son expression ubiquitaire est constitutive et stimulée par l’hypoxie. Les souris déficientes pour TLR4 présentent un volume de nécrose final diminué dans les modèles d’infarctus du myocarde [13], d’ischémie-reperfusion rénale [14], et d’AVC [15]. L’étude de souris chimériques a permis de confirmer que l’expression de TLR4 sur le stroma [16] et les effecteurs du système immunitaire inné [14, 17] était toutes les deux importantes dans la physiopathologie des lésions d’ischémiereperfusion [18].

La liaison des DAMP au TLR4 induit une cascade de signalisation menant à l’activation des facteurs de transcription NF-κB et AP1. Le domaine TIR du récepteur joue un rôle critique en permettant le recrutement d’une molécule adaptatrice cytoplasmique MyD88. Via un domaine de mort (DD : Death domain) aminoterminal, MyD88 interagit avec les sérine-thréonine kinases à domaine DD IRAK4. Cette kinase s’autophosphoryle en réponse à l’activation des TLR, ce qui induit sa libération du complexe récepteur, et lui permet de venir interagir avec le facteur TRAF6 dont elle catalyse la polyubiquitination. La polyubiquitination de TRAF6 lui permet d’interagir à son tour et d’activer la sérine-thréonine kinase TAK1. Celle-ci phosphoryle alors et active les kinases IKKβ et MKK6. IKKβ fait partie d’un complexe de haut poids moléculaire qui contient également la sous-unité régulatrice essentielle IKKγ ou NEMO. Cette kinase phosphoryle IκB, l’inhibiteur cytoplasmique de NF-κB, permettant ainsi le relargage du facteur de transcription et sa translocation nucléaire. MKK6 phosphoryle quant à elle la kinase JNK, qui active AP1.

Les facteurs de transcription NF-κB et AP1 vont assurer la transcription de diverses familles de gènes impliqués dans la mise en place de la réponse inflammatoire notamment : — des cytokines inflammatoires (IL1, IL6, IL17, TNFα), — des chémokines (IL8 attirant les neutrophiles et MCP1 attirant les phagocytes mononuclées), — des molécules d’adhésion au niveau des cellules endothéliales favorisant l’émigration des effecteurs immunitaires.

NALP3 et la voie de l’inflammasome

NALP3 est un récepteur de la famille des NLR, un groupe de PRR cytoplasmiques exprimés par les cellules épithéliales, stromales et les effecteurs du système immunitaire. Des travaux récents ont démontré l’importance de cette voie dans la physiopathologie de l’ischémie-reperfusion myocardique [19].

NALP3 est activé par une grande variété de stimuli : notamment l’ATP extracellulaire et l’acide urique, deux DAMP associés respectivement au stress et à la nécrose cellulaire qui accompagne l’ischémie-reperfusion. Compte tenu — du caractère extra-cellulaire et — de la diversité des stimuli activant NALP3, il est vraisemblable que ces derniers n’interagissent pas directement avec lui. Ces stimuli semblent plutôt, via différents récepteurs, provoquer une augmentation des « reactive oxygen species » et une chute de la concentration de K+ cytoplasmique qui semblent être les signaux activant NALP3.

NALP3 appartient à la sous-famille des NLR la plus importante : les NALP qui comptent 14 gènes chez l’homme et qui sont caractérisés par la présence d’un domaine pyrine (PYD) en position N terminale. Après activation NALP3 recrute, via une interaction PYD-PYD, la protéine adaptatrice cytoplasmique ASC (apoptosis-associated speck-like protein) permettant la liaison de la procaspase 1 inactive via une interaction CARD-CARD. Ce complexe moléculaire constitue l’inflammasome et assure l’activation de la caspase 1 qui à son tour est responsable du clivage de la pro-IL1β cytoplasmique inactive en IL1β sécrétée [20, 21]. Il faut noter le caractère collaboratif et le potentiel d’amplification des différentes voies de signalisation des PRR : la synthèse de pro-IL1β est en effet stimulée par l’activation des TLR via NF-κB tandis que le récepteur de l’IL1 stimule la voie NF-κB.

IL1 et infiltration neutrophilique

Des travaux expérimentaux menés chez les souris déficientes en récepteur de l’IL1 ont clairement démontré le rôle central de cette cytokine dans le recrutement des neutrophiles en réponse aux DAMP issus de la nécrose cellulaire [22]. Il est vraisemblable que l’initiation de la réponse inflammatoire stérile repose sur la libération d’IL1 par deux sources distinctes dont le rôle varie selon la nature du tissu, le stimulus…etc. Les cellules stromales nécrotiques libèrent dans l’espace extracellulaire les stocks cytoplasmiques de pro-IL1 qui peuvent être transformés en IL1 active par l’action des protéases extracellulaires. L’autre source importante semble être les macrophages (CD11b+) résidents dans le tissu stressé [21]. L’IL1 se fixe sur les récepteurs à l’IL1, présents à la surface des cellules stromales et endothéliales et provoque : — la synthèse de chémokines (notamment l’IL8), — l’augmentation de la perméabilité vasculaire et l’expression de molécules d’adhésion favorisant l’extravasation des effecteurs immunitaires. Finalement quelques minutes suffisent pour que les neutrophiles envahissent le tissu stressé où ils amplifient les dégâts tissulaires.

Ils sont suivis par un afflux de phagocytes mononucléaires qui assurent la transition entre immunité innée et adaptative.

L’immunité innée initie la réponse adaptative allogènique

Des travaux menés chez des souris dépourvues de lymphocytes (RAG-/-) ont demontré l’implication de la réponse adaptative dans la physiopathologie des lésions d’ischémie-reperfusion. En effet, si lors de la phase suivant immédiatement la reperfusion d’un greffon cardiaque allogènique, peu de différences étaient notées entre les souris contrôles et les RAG-/- (confirmant que cette phase initiale dépend principalement de l’immunité innée). En revanche, à un temps plus tardif, les souris RAG-/- présentaient moins d’inflammation suggérant que l’immunité adaptative, stimulée par l’immunité innée, intervient dans l’amplification et le maintien de la réponse du receveur au greffon [23].

La réponse immunitaire adaptative

Nous avons vu plus haut que l’immunité adaptative reposait sur les lymphocytes T et B. Chaque clone lymphocytaire étant spécifique d’une cible antigénique précise, il ne peut coexister dans l’organisme plus de quelques représentants pour un clone donné. En conséquence, l’activation de ce clone dépend de la possibilité de rassembler en un site unique les quelques lymphocytes spécifiques de la cible antigénique et les cellules capables de leur la présenter (c’est-à-dire les cellules présentatrices de l’antigène : macrophages et cellules dendritiques). Cette contrainte a été résolue par l’évolution en stockant dans des organes spécifiques (les organes lymphoïdes secondaires : rate, ganglions lymphatiques) les clones lymphocytaires au repos. Ce sont les cellules présentatrices de l’antigène qui circulent dans l’organisme en permanence et échantillonnent l’environnement antigénique grâce à leurs capacités phagocytaires.

Contrairement aux neutrophiles, elles ne détruisent pas complètement ce qu’elles ingèrent mais découpent les protéines en fragments qui sont ensuite chargés dans les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) et présentés à leur surface. Les complexes CMH+antigène sont reconnus par le récepteur spécifique des lymphocytes T conduisant à leur activation. Ces derniers prolifèrent rapidement et acquièrent leurs propriétés effectrices spécifiques dans l’organe lymphoïde secondaire puis migrent, via la circulation, dans le tissu où doit se faire la réponse.

On distingue donc traditionnellement deux bras à la réponse immune adaptatrice :

— le bras afférent, qui correspond à la maturation de la cellule présentatrice de l’anti- gène en périphérie et sa migration centripète vers l’organe lymphoïde secondaire où elle assure l’activation du clone lymphocytaire, et — le bras efférent, qui correspond à l’expansion du clone T, sa différentiation et sa migration centrifuge vers le tissu.

L’ischémie-reperfusion stimule le bras afférent de la réponse adaptative

Les macrophages et les cellules dendritiques (résidents ou attirés dans le tissu), comme les autres effecteurs de l’immunité innée, portent des PRR à leur surface leur permettant de sentir les signaux de danger. Des travaux expérimentaux ont montré que les fragments d’acide hyaluronique (un DAMP issu de la dégradation de la matrice extra-cellulaire), étaient capables de se lier au TLR4. Cette liaison provoque la maturation des cellules dendritiques, c’est à dire l’expression à la surface — des complexes MHC+antigène phagocyté dans le tissu, — de molécules de costimulation, — d’un répertoire différent de récepteurs aux chémokines leur permettant de migrer vers les organes lymphoïdes secondaires [24].

L’ischémie-reperfusion stimule le bras efférent de la réponse adaptative

De nombreux travaux ont démontré que les lésions d’ischémie-reperfusion induisaient une infiltration au long cours du greffon par des lymphocytes [25]. Dans, un intéressant travail, l’équipe de Fadi Lakkis a comparé le devenir de greffons cardiaques allogéniques mis en place chez des souris dépourvues de système immunitaire adaptatif et reconstituées avec des lymphocytes activés transférés immédiatement (greffon avec lésions d’ischémie reperfusion fraîches) ou à distance (lésions cicatrisées) de la transplantation [26]. Seule la reconstitution immédiate était suivie du rejet aigu des greffons. En fait lorsque les lymphocytes activés étaient transférés à distance, ils ne parvenaient pas à infiltrer les greffons qui avaient cicatrisés des lésions d’ischémie-reperfusion. Ces données démontrent que la réponse inflammatoire stérile du système immunitaire inné aux lésions d’ischémie-reperfusion aide le bras efférent de la réponse adaptative en favorisant le homing des lymphocytes effecteurs dans le greffon.

De manière intéressante, notre équipe a récemment rapporté l’organisation progressive, au sein du greffon, des infiltrats inflammatoires chroniques en un tissu lymphoïde tertiaire capable d’abriter le développement d’une réponse allogénique locale autonome (processus appelé néogenèse lymphoïde) [27-29]. Fait notable, la néogenèse lymphoïde semble favorisée par le microenvironement inflammatoire (notamment Th17) [30], et accélère le rejet chronique [31].

CONCLUSION

La transplantation d’organe est indissociable de l’ischémie-reperfusion. Ce stress imposé au greffon, provoque la libération de DAMP qui sont reconnus par les PRR et conduisent à l’activation du système immunitaire inné du receveur. Cascade du complément et effecteurs cellulaires collaborent pour mettre en place une réponse inflammatoire stérile, qui — amplifie les dégâts tissulaires liés à l’ischémiereperfusion et menace la reprise de fonction immédiate du greffon, mais aussi — initie la réponse immunitaire adaptative responsable des phénomènes de rejets limitant la survie à long-terme de l’organe.

Au vue de cette séquence et des données cliniques rapportant une association entre le temps d’ischémie et le risque de développer des épisodes de rejet aigu [32], des anticorps anti-HLA [33] et finalement une survie raccourcie du greffon [32], il paraît prometteur, d’étudier l’efficacité de stratégies d’immuno-intervention ciblant le système immunitaire inné, jusque là relativement négligé par les immunologistes de la transplantation.

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DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

Dans l’immunité adaptative qui intervient très vite au moment du rejet, quels sont les polynucléaires actifs, neutrophiles, éosinophiles, basophiles ?

Jusqu’à présent, l’écrasante majorité des travaux consacrés au rôle des polynucléaires dans la physiopathologie des lésions d’ischémie-reperfusion (en transplantation d’organes et dans d’autres situations pathologiques : infarctus du myocarde, etc.) a portée sur les polynucléaires neutrophiles. Ces derniers, qui représentent la principale population de leucocytes circulants, sont recrutés dans le tissu inflammé en réponse à la production locale d’IL-1 et d’IL-8 et contribuent à l’amplification des dégâts tissulaires en libérant les protéases contenues dans leurs granules. Il existe beaucoup moins de données étudiant le rôle des polynucléaires éosinophiles, même si leur implication reste théoriquement possible. Concernant les polynucléaires basophiles la situation est plus « intéressante ».

Aucun travail ne démontre leur rôle directement, en revanche de nombreuses publications soulignent l’importance de leurs « cousins germains » : les mastocytes tissulaires (notamment dans les tissus possédant une muqueuse dans laquelle ils résident en nombre : poumons et tube digestif. Les mastocytes semblent responsables d’une amplification de la réponse inflammatoire stérile aux DAMPs libérés par les dégâts tissulaires initiaux et à l’activation du complément. Leur action serait médiée par la libération massive de cytokines inflammatoires préformées (notamment l’IL-6 et le TNF-α ) et de protéases contenus dans leurs granules

<p>* Immunologie clinique et transplantation rénale, Hôpital Edouard Herriot, 5 place d’Arsonval, 69437 Lyon, et Inserm U851, e-mail : olivier.thaunatpast@free.fr Tirés à part : Olivier Thaunat, même adresse Article reçu le 11 mai 2011, accepté le 16 mai 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 847-859, séance du 31 mai 2011