Résumé
L’ischémie reperfusion (IR) est un épisode délétère, incontournable de la transplantation d’organes. La conservation hypothermique permet de la limiter en réduisant l’activité métabolique des organes conservés. Cependant, la conservation en hypothermie induit un syndrome physiopathologique complexe responsable de plusieurs processus lésionnels. Les conséquences sont importantes sur le devenir à court terme en retardant le fonctionnement des organes greffés et à long terme en participant à l’apparition de lésions chroniques.
Summary
Transplanted organs are inevitably exposed to ischemia-reperfusion injury. Cold preservation is also used to reduced metabolic processes during ex vivo transport but triggers a complex pathophysiological syndrome which is responsible for delayed graft function after reperfusion. Ischemia-reperfusion injury is also associated with chronic graft dysfunction.
INTRODUCTION
La transplantation d’organes représente un traitement de choix des patients présentant des défaillances d’organes arrivés à un stade terminal. La carence d’organe disponible en vue d’une transplantation, constitue actuellement un des problèmes prioritaires en santé publique.
En 2003, 25 000 greffes ont été réalisées aux USA. Le nombre annuel de transplantations est en constante augmentation en France : il est passé de 3 115 en 1998 à 3 945 en 2004, pour atteindre 4 705 en 2010 pour environ 10 000 patients restants en attente (données issues du rapport de l’Agence de Biomédecine ;
www.agence-biomedecine.fr).
Ce constat amène à rechercher de nouvelles possibilités thérapeutiques et d’abord d’autres greffons disponibles : la xéno-transplantation (organes prélevés chez les animaux) et la thérapie cellulaire sont envisageables mais elles ne seront éventuellement disponibles que dans plusieurs années. D’autres possibilités plus accessibles et plus rapides à mettre en place consistent à développer des greffes à partir de donneurs vivants et d’organes de sujets décédés après arrêt cardiaque (DDAC), impliquant une adaptation des méthodes de conservation actuelles.
Plusieurs centres de transplantation sont actuellement impliqués dans de tels programmes. La difficulté est que le développement successif d’une ischémie chaude initiale du greffon prélevé (correspondant à la phase d’absence de circulation efficace) suivie d’une conservation hypothermique puis d’une reperfusion normothermique provoque des altérations morphologiques et fonctionnelles des greffons.
L’optimisation de l’utilisation de ces greffons passe donc obligatoirement par l’utilisation de nouvelles technologies de conservation et par l’utilisation de machines de perfusion.
SITUATION ACTUELLE
Les organes utilisés en transplantation sont soumis obligatoirement à une période de conservation à 4° C (ischémie froide) en attendant d’être attribués à un receveur compatible, puis transplantés. Le processus de l’IR comporte un ensemble de lésions liées à l’hypothermie per se contemporaine de la conservation, mais également liées à l’hypoxie et au réchauffement contemporains de la réoxygénation associée à la reperfusion. Cette situation fait de la transplantation une situation où les organes sont obligatoirement soumis au syndrome d’ischémie/reperfusion (SIR : les principaux mécanismes et leur inter-relations sont présentés dans la figure 1). À cet aspect de la conservation, il faut intégrer la période de la réanimation du donneur avec les lésions liées au passage en mort cérébrale et la période de reperfusion.
DIFFÉRENTS ASPECTS LÉSIONNELS IMPLIQUÉS AU COURS DE LA CONSERVATION
Le prélèvement du donneur en mort cérébrale
Le phénomène d’IR, initialement considéré comme un événement entourant le prélèvement, la conservation et la reperfusion, inclut aujourd’hui plus largement l’état du donneur et donc la qualité du greffon après la période de la mort cérébrale ou celle de l’ischémie chaude dans le cas des organes prélevés à partir de donneurs ayant subi un arrêt cardiaque (donneurs à cœur arrêté).
Le passage à la mort cérébrale entraîne la diminution des principales sécrétions hormonales de l’ADH (hormone anti-diurétique), de l’ACTH ( Adreno CorticoTropic Hormone ), des hormones thyroïdiennes et de la TSH ( Thyroid Stimulating
Hormone ). Ces anomalies s’associent à une instabilité hémodynamique, à une libération de catécholamines et de cytokines, à une réaction inflammatoire et à l’activation du complément [1, 2]. Il s’ensuit des modifications de la volémie, l’installation d’un diabète insipide, pouvant s’accompagner d’une hypoperfusion du rein. L’activation consécutive de l’endothélium vasculaire, associée à un afflux de cellules inflammatoires et à une activation de la coagulation, va avoir des conséquences majeures sur le devenir de l’organe. Des moyens de protection vont cependant se mettre en place par activation de l’hème-oxygénase 1 (HO-1), des heat shock proteins (HSP 70) et de la manganèse superoxyde dismutase (MnSOD) [3, 4]. Dans le cas d’une transplantation à partir de donneur vivant, l’expression d’HO-1 peut être le témoin de la mise en place de moyens de protection tandis que dans celui d’un donneur en mort cérébrale, il peut au contraire être le marqueur des lésions [1, 2].
L’étape suivante est celle du prélèvement. L’organe peut être exposé à l’ischémie chaude, au cours du prélèvement lorsque l’organe n’est plus perfusé par le sang du donneur. C’est une période très mal tolérée et qui ne doit pas dépasser quelques minutes. Les cellules parenchymateuses sont plus sensibles à ce type d’ischémie au cours de laquelle le stress oxydant et la dysfonction mitochondriale prédominent [5, 6]. L’ischémie chaude relative ou « rewarming » est typiquement rencontrée durant la période d’implantation du greffon (exposition à la température corporelle au cours de la reconstruction des anastomoses vasculaires et de la manipulation du greffon). L’impact de cette phase de réchauffement sur l’intégrité structurelle des organes et les mécanismes sous-tendant les lésions induites sont mal appréhendés.
Ces lésions en fonction de leur durée vont s’ajouter à celles de l’ischémie froide.
La conservation hypothermique
À ce jour, le mode de conservation le plus utilisé pour les greffons après leur prélèvement reste la conservation statique dans une solution (mimant la composition des liquides extracellulaires) à 4° C, après que l’organe ait été correctement lavé, le plus souvent avec la même solution de conservation. La gestion des organes est très différente selon qu’il s’agit d’un organe vital comme le cœur, le foie et le poumon, ou le rein pour lequel un retard à la reprise de fonction du greffon est tolérable grâce au recours à l’hémodialyse. Il est admis qu’une durée de conservation trop longue représente une des causes prépondérantes de reprise différée de fonction des greffons, avec une limite ultime pour le rein se situant aux environs de dix-huit heures [7].
L’ischémie froide, pierre angulaire de la conservation du greffon, est associée à des modifications biochimiques majeures comme la diminution de la production d’ATP (Figure 1). La mitochondrie, élément central de la phosphorylation oxydative, joue un rôle majeur dans ce mécanisme par le ralentissement de la synthèse d’ATP [8-10].
La persistance d’une glycolyse anaérobie produit du lactate, générateur d’acidose avec un rendement de production d’énergie médiocre et inadaptée. L’hydrolyse de l’ATP qui lui est associée participe aussi au développement de l’acidose cellulaire qui aurait un rôle protecteur mais limité.
Bien qu’obligatoire, le refroidissement des organes a aussi des conséquences délétè- res pour les tissus, au niveau desquels plusieurs voies métaboliques vont être affectées : inhibition de la pompe Na+/K+ ATPase à l’origine d’œdème cellulaire et interstitiel et de troubles de l’homéostasie du calcium activant les protéases et favorisant des lésions de protéolyse [11].
Les modifications du cytosquelette sont également impliquées dans le syndrome d’IR [11-14]. L’activation de la calpaïne, une protéase dépendante du Ca2+, agit sur l’organisation du cytosquelette en dégradant la spectrine et conduit à la perte de la structure de la cellule, de la polarité cellulaire et des contacts avec les autres cellules [15].
Ces résultats, mis en évidence dans les modèles d’ischémie chaude et qui restent à confirmer dans le cas de l’ischémie froide, ont souligné le rôle de la calpastatine, inhibiteur endogène de la calpaïne. La famille des protéines kinases C (PKC) impliquées dans différentes fonctions cellulaires, dont la régulation du cycle cellulaire, constitue une autre cible potentielle au cours de la phase de réparation [16]. Compte tenu du fait que cette famille de protéines comporte environ une dizaine d’isoenzymes, les rôles des PKC dans l’IR sont parfois opposées. De nouvelles études (utilisant des anticorps spécifiques et des molécules pouvant réguler les effets de ces molécules) permettront de clarifier leur contribution.
MÉCANISMES CELLULAIRES ET MOLÉCULAIRES DE LA RÉPERFUSION
Les lésions inflammatoires générées au cours de la reperfusion
Les événements impliqués dans ce processus lésionnel s’expriment en deux phases distinctes : une phase précoce caractérisée par l’activation de cellules résidentes et une phase plus tardive qui se manifeste essentiellement par l’activation des polynucléaires neutrophiles et la libération des protéases et lipases dans les cellules parenchymateuses conduisant ensuite à la mort cellulaire.
Fig. 1. — Inter-relations entre les différents mécanismes impliqués dans les lésions d’ischémie/ reperfusion du greffon Les cellules de Kupffer dans le foie et les cellules dendritiques au niveau du rein ont été impliquées dans le SIR. Ces cellules résidentes activées dans les premières heures de la reperfusion, vont participer d’une part à la libération d’espèces réactives de l’oxygène (ERO) dans l’espace intravasculaire et, d’autre part, à la production de cytokines pro-inflammatoires, en particulier du TNF-α, et de l’IL-1 [17, 18]. La libération des cytokines entraîne dans le même temps une augmentation de l’expression des molécules d’adhésion par les cellules endothéliales et stimule également la production de chimiokines, réactions qui vont déclencher le recrutement massif de cellules circulantes.
Les lésions des mitochondries et leur rôle dans les mécanismes de mort cellulaire
Il est bien établi que l’IR entraîne la mort cellulaire par nécrose et par apoptose. La première est irréversible, la seconde reste réversible pendant un temps limité avant de devenir irréversible.Toutes deux sont des conséquences d’une détérioration des fonctions cellulaires et principalement des fonctions mitochondriales. Leurs trois fonctions majeures, synthèse d’ATP, limitation de la production d’ERO et homéostasie calcique conditionnent la survie cellulaire. À un stade précoce de l’IR ou mieux encore à titre préventif, la préservation des fonctions mitochondriales assure la cytoprotection. La trimétazidine et la ranolazine développent de tels effets [19]. Elles agissent en restaurant l’utilisation préférentielle du glucose, en inhibant l’accumulation d’AcylCoA toxiques, en limitant l’acidose, ces effets préservant la synthèse d’ATP.
À un stade ultérieur, si la préservation des fonctions mitochondriales n’est plus assurée, la mort cellulaire survient soit par nécrose, soit par apoptose. La première peut être limitée par différentes manipulations préventives de pré-conditionnement, elles sont encore expérimentales.
La seconde s’observe surtout lors de la reperfusion et paraît plus facilement modulable. Plusieurs voies apoptotiques sont activées dans l’IR, les mitochondries y occupent un rôle central. Un des des mécanismes suspectés est l’ouverture pathologique du pore de transition de perméabilité (mPTP) qui entraîne l’efflux du contenu matriciel dans le cytoplasme et l’activation des protéases qu’il contient.
Le cytochrome C, maillon mobile de la chaîne respiratoire, situé dans l’espace intermembranaire, est alors exclu de cette chaîne et libéré dans le cytoplasme, la synthèse d’ATP mitochondrial est supprimée, la mort cellulaire programmée survient.
L’inhibition de l’apoptose mitochondriale est un moyen de s’opposer à la mort cellulaire. Elle suppose de s’opposer à la formation du pore. Celui-ci associe dans un processus pathologique, plusieurs protéines physiologiques dont l’assemblage forme le pore.
Plusieurs d’entre elles semblent accessibles à une intervention pharmacologique : la cyclophilineD (CyP-D) via une activité isomérase et celle du transporteur phosphate mitochondrial [10]. L’ Adenine Nucleotide Translocator (ANT) semble avoir un rôle régulateur [10], le
Voltage Dependent Anion Channel (VDAC) par contre n’a pas de rôle évident. On retrouve aussi les protéines impliquées dans l’apoptose (Bax, Bcl-2) et le récepteur périphérique aux benzodiazepines (PBR ou TSPO, translocator protein), la créatine kinase (CK) et l’hexokinase (HK) mais dont le rôle est à préciser [10, 21].
L’activation de la voie apoptotique est marquée par une translocation du cytochrome C, ainsi qu’une augmentation du ratio Bax/Bcl-2 avec une activation de la caspase 3 au moment de la reperfusion [8, 13]. À l’état normal, le ratio Bcl-2 sur Bax est en faveur de Bcl-2 et donc orienté vers l’état anti-apoptotique.
Durant la conservation, ce ratio est inversé en faveur de Bax et donc d’un état proapoptotique [22]. Une autre étude a montré que les voies mitochondriales de l’apoptose jouaient un rôle primordial au cours de l’IR chez les patients greffés avec un rein provenant d’un donneur en mort cérébrale [23]. Sous l’effet de différents facteurs liés à la reperfusion, comme la production d’ERO, le Ca2+ ou à la mauvaise conservation du greffon, la mitochondrie va libérer le cytochrome C. L’association du cytochrome C avec d’autres protéines pro-apoptotiques va conduire à la formation d’un complexe (appelé apoptosome) auquel se lient l’ATP et la pro-caspase 9.
Ce complexe va permettre le recrutement d’autres caspases (1, 2, 3 et 4) et l’activation de l’effecteur final, la caspase 3. Une des particularités de ce mPTP est d’être modulé par différents facteurs comme le Ca2+ et les ERO qui favorisent son ouverture ou la ciclosporine A, fixée par la CyP-D, qui l’empêche.
Durant la conservation du greffon rénal, il a été mis en évidence dans les cellules tubulaires rénales humaines des modifications du mPTP ainsi qu’un œdème mitochondrial [22]. Ces effets sont dûs à la libération du cytochrome C et aux modifications du ratio de Bax et Bcl-2. La phase finale caractérisée par l’activation de la caspase 3 survient durant le réchauffement.
En ce qui concerne les autres modalités de mise en œuvre de l’apoptose, la voie extrinsèque liée à Fas et à ses ligands, semble être impliquée dans l’infarctus du [24].
Un rôle pour CD95/Fas/Apo 1 et le facteur de nécrose tissulaire TNF-α ( Tumor Necrosis Factor α) a été suggéré dans un modèle de cœur isolé de rat [25]. D’autres récepteurs comme les
Tumor necrosis factor-Related Apoptosis-Inducing Ligand receptors 1 and 2 (TRAIL R-1/2, induits par la voie TNF liée à l’apoptose) et le récepteur de Tweak sont autant de récepteurs membranaires impliqués. Ils constituent la voie extrinsèque de l’apoptose [26]. La liaison des ligands à ces récepteurs entraîne leur trimérisation et le recrutement d’une protéine adaptatrice permettant d’enclencher le clivage protéolytique des pro-caspases 8, 10 et 2 qui conduit à l’activation des pro-caspases 3, 6 et 7. Le complexe Fas/Apo-1/CD95 est impliqué à la fois dans l’apoptose et la réaction inflammatoire. Le rôle de cette voie extrinsèque reste à clarifier pour les organes autres que le cœur. Des travaux récents ont démontré le rôle de certaines cellules rénales dans la sécrétion de TNF au cours de la phase très précoce de l’IR. Ces résultats replacent le rôle de TNF dans le contexte de l’IR [17]. Il faut souligner que les modèles utilisés sont majoritairement des modèles d’ischémie chaude.
Une augmentation de l’activité de la caspase 3 a été mise en évidence de façon régulière après l’IR suggérant que la voie Fas ou mitochondriale pourrait initier l’apoptose après l’IR. D’autres voies induites par le stress comme la voie NF-κB/Ikk et la voie p53 ont aussi été identifiées et pourraient jouer un rôle important dans l’IR [27, 28].
Les rôles des espèces réactives de l’oxygène et du fer
Les ERO sont des médiateurs importants de l’IR au cours de la reperfusion. Leur rôle au cours de la conservation est moins évident car l’hypothermie semble plutôt limiter le métabolisme de la cellule et ralentir ainsi tout processus de synthèse délétère de ERO. Des travaux récents ont permis de mettre en évidence le rôle des ERO durant cette phase [29]. L’idée d’ajouter des anti-oxydants dans une solution de conservation débute avec Belzer [11, 14]. Elle doit maintenant prendre en compte les connaissances récentes sur les mécanismes majoritaires de production de ces ERO pour adapter les options thérapeutiques. Certaines études ont mis en évidence une augmentation de production de l’ARN messager de la manganèse superoxyde dismutase (MnSOD) au cours de la conservation [29].
Cette enzyme a été retrouvée diminuée qualitativement et quantitativement dans d’autres études [30]. Des lésions mitochondriales associées à la conservation ont également été décrites [22, 31]. Ces données indiquent que le découplage mitochondrial et la perturbation de la tétraréduction de l’oxygène au cours de l’IR et de la conservation sont probablement à l’origine de la petite quantité d’ERO produite à cette étape.
La production sera ensuite majorée au cours de la reperfusion (figure 2). La production d’ERO durant l’IR peut se faire à plusieurs niveaux : l’activation de la xanthine oxydase qui produit des ions superoxyde lors de la reperfusion en métabolisant en acide urique l’adénosine libérée du fait de la dégradation de l’ATP pendant l’isché- mie ; l’activation de la voie de la cyclo-oxygénase du métabolisme de l’acide arachidonique ; l’activation de la chaîne de transport des électrons de la mitochondrie pendant l’ischémie ; la libération de NO par les cellules endothéliales et l’activation des polynucléaires neutrophiles pendant la reperfusion. Le fer, ion métal, joue un rôle dans la production des ERO en participant au cycle de Haber Weiss [32].
Fig. 2.
À l’ischémie : fuite d’électrons (e-) et possiblement monoréduction pouvant produire les espèces réactives de l’oxygène (O °- : anion superoxyde ; H O : peroxyde d’hydrogène et OH° : radical 2 2 2 hydroxyle). L’ARN messager de la MnSOD est augmenté et le fer (Fe) est libéré de ses protéines de stockage dans le milieu cellulaire.
À la reperfusion : il se produit des monoréductions massivement car la chaîne respiratoire reste désynchronisée. La MnSOD diminue au niveau protéique. I, II, III, IV : différents complexes de la chaîne respiratoire pour le transport des électrons (e-) ; V : ATP synthase pour la synthèse d’ATP ; ANT : Adenine Nucleotide Translocator ; MnSOD : manganèse superoxyde dismutase
Au cours de la production d’ERO par la mitochondrie, le superoxyde (O °-) peut 2 réagir avec le peroxyde d’hydrogène, pour donner le radical hydroxyle hautement réactif, qui peut être à l’origine de l’oxydation des constituants cellulaires. Cette réaction est catalysée par des ions de certains métaux de transition, tels que le fer ou le cuivre. La première étape est la réduction de l’ion ferrique en ion ferreux suivie de la réaction de Fenton et production de OH°. Il a été récemment mis en évidence la libération de fer libre à partir des protéines de stockage durant la conservation [33].
Ces résultats ont servi de base à l’utilisation de chélateurs du fer comme la déféroxamine dans les solutions de conservation. Cependant, son utilisation en clinique reste limitée.
Les autres facteurs physiopathologiques
On retrouve dans ces nouveaux facteurs, les F2-isoprostanes qui sont issues du métabolisme des prostaglandines. Formées lors de la péroxydation lipidique, elles sont vasoconstrictrices et pourraient jouer un rôle majeur dans la dysfonction du greffon en particulier du greffon rénal [34-37]. D’autres acteurs potentiels ont été décrits dans l’IR, et plus particulièrement dans l’ischémie chaude, comme la stathmine intervenant dans le cycle cellulaire ou l’EphA2 appartenant à la famille des récepteurs à tyrosine kinases ainsi que le ligand Ephrin [38].
De manière récente, l’enzyme nucléaire poly (ADP-ribose) polymérase (PARP) a été impliquée dans l’IR normothermique. Son rôle dans la conservation à 4° C a aussi été mis en évidence avec possiblement un rôle protecteur qui reste à préciser.
D’autres mécanismes font actuellement l’objet d’investigations. L’ Hypoxia Inducible Factor (HIF-1α) en activant la transcription de gènes comme le VEGF, l’érythropoïétine (EPO) ou HO-1 constitue un moyen de protection face à l’hypoxie. Le rôle de HIF-1α dans le contexte de l’IR en transplantation demande à être évalué de manière précise afin de déterminer quel est son rôle protecteur à court terme et son influence sur le développement de lésions chroniques sachant que ce facteur peut moduler la production du Connective Tissue Growth Factor (CTGF) et du Plasminogen Activator Inhibitor 1 (PAI-1) [39, 40]. L’hypoxie a été impliquée dans la maturation des cellules dendritiques. Pour le rein, les études se sont focalisées sur la sensibilité du tubule proximal au cours de l’IR. Cependant, la cellule endothéliale reste une des premières cibles compte tenu des mécanismes mis en jeu comme la production de NO, la présence de cellules inflammatoires participant au phénomène de « no reflow », la production de médiateurs venant du métabolisme des prostaglandines et ayant un effet vasoconstricteur [37].
Un dernier aspect à noter est l’influence du sexe sur l’IR et ses complications. Les hormones sexuelles semblent agir sur les Mitogen Activated Proteins Kinase (MAPK), la synthèse du NO, la Na+/K+ ATPase, l’endothéline, l’adénosine et les canaux potassiques sensibles à l’ATP, les acteurs de l’apoptose. Il s’agit là d’autant de facteurs dont il importe de comprendre les relations et les effets. Les quelques études moléculaires sur l’expression de gènes durant l’IR se sont focalisées sur la phase de reperfusion. Elles ont mis en évidence le rôle de certaines voies de signalisation telles que les voies pro ou anti-apoptotiques, celle de HIF ( hypoxia inducible factor ) ou de l’hème-oxygenase 1.
Les avancées récentes dans la compréhension de l’IR soulignent le rôle prépondé- rant de la production d’espèces radicalaires (y compris au moment de la conservation), et de l’inflammation probablement responsable de l’aggravation mais surtout de la persistance de cette pathologie. L’IR est également impliquée dans le lien entre les lésions qu’elle génère et l’immunité innée via la maturation des cellules dendritiques et la voie des Toll-like récepteurs. Parmi les cibles physiopathologiques récemment identifiées, le reticulum endoplasmique (RE) soumis à l’IR et au stress, semble avoir un rôle important. Le stress du réticulum endoplasmique est produit par l’accumulation de protéines mal conformées dans le réticulum endoplasmique et conduit à l’activation d’une réponse adaptative, la réponse UPR ( unfolded protein response ). Le stress du RE est impliqué dans de nombreuses pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, l’athérosclérose, les diabètes de types 1 et 2 ou certaines maladies inflammatoires du tube digestif.
Des données expérimentales récentes suggèrent son implication en transplantation d’organe solide [41]. La modulation de la réponse UPR au cours du stress du RE en transplantation d’organe solide pourrait constituer une cible thérapeutique prometteuse à la fois par la mise en évidence de marqueurs du stress dans les biopsies de greffon qui pourrait permettre la détection précoce d’un processus pathologique en cours avant que les lésions histologiques ne soient définitivement établies. L’autre enjeu serait de trouver une stratégie pour bloquer la mort cellulaire causée par le stress du RE, ce qui fournit un champ d’investigation passionnant pour de futurs traitements protecteurs.
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DISCUSSION
M. Roger NORDMANN
De nombreuses études ont établi que la production d’espèces réactives responsables du stress oxydant est limitée au cours de la phase ischémique, étant secondaire à la voie de la xanthine oxydase, voie que vous avez parfaitement exposée dans votre excellent schéma. L’essentiel de la production de radicaux libres se produit, par contre, lors de la réoxygénation, surtout si celle-ci est brutale. Pour limiter au maximum l’intensité du stress oxydant et les lésions en résultant, les greffons en attente de transplantation sont-ils soumis à une réoxygénation lente et progressive et non totale et brutale ?
La période de l’ischémie est une phase où les mécanismes mis en œuvre représentent essentiellement des moyens de défense pour la cellule. Dans la mitochondrie, une fuite naturelle de petites quantités d’électrons de la chaîne respiratoire vers la matrice mitochondriale entraîne la réduction partielle de l’oxygène en anion superoxyde (O ), 2.- rapidement éliminé par la superoxyde dismutase (SOD). Dans des situations d’hypoxie, ce phénomène s’accentue et surpasse les capacités de la SOD, provoquant une formation excessive d’O . Durant la conservation, le découplage de la chaîne respiratoire impli2.- quée dans le transfert des électrons va être à l’origine de cette fuite d’électrons surtout au niveau des différents complexes et cytochromes constituant cette chaîne, débutant une production d’O , en particulier pour les périodes de conservation qui se prolongent.
2.- Effectivement, l’essentiel de la production des espèces réactives oxygénées a lieu au cours de la reperfusion. Actuellement, les greffons sont retransplantés dans la majorité des cas après la phase de conservation, avec le souci de réaliser rapidement cette retransplantation, afin de limiter le réchauffement chez le receveur. Certaines équipes ont envisagé ce processus de réoxygénation « contrôlée », mais sa réalisation n’est pas évidente. Il faudrait disposer de système ex vivo permettant une réoxygénation progressive et un réchauffement progressif. Cela est une excellente suggestion et correspond à l’esprit d’un reconditionnement de l’organe.
M. Pierre GODEAU
Les enseignements résultant de l’étude de la conservation des greffons ont-ils des applications en médecine courante comme, c’est par exemple, le cas de la Trimetazidine utilisable lors de l’angioplastie coronaire pour limiter les effets de l’ischémie reperfusion illustrée par la diminution du relargage du CPK ? Je suppose que d’autres molécules ont un champ d’efficacité en cours d’évaluation ?
La transplantation est un « modèle » pour l’ischémie reperfusion et il est évident que les mécanismes mis en avant sont de cibles d’intérêt pour d’autres pathologies partageant des processus physiopathologiques. De même, des molécules peuvent avoir des effets intéressants dans ce contexte et être transposées à d’autres pathologies. À l’inverse des médicaments ayant des effets dans certaines situations peuvent avoir un intérêt dans la conservation. La Trimetazidine a été largement étudiée dans différents modèles cellulaires et in vivo . Nous l’avons évalué, pour notre part, durant la conservation hypothermique, dans différentes solutions et pour des durées de conservation variable avec des résultats positifs. Nous avons également évalué cette molécule durant la conservation avec les machines de perfusion. Les propriétés de cette molécule en font un candidat intéressant pour la protection des organes compte tenu du fait qu’elle cible la mitochondrie. D’autres molécules ont leur place dans cet arsenal, comme les molécules agissant sur la cascade de coagulation, en particulier dans le contexte des donneurs décédés après arrêt cardiaque, où l’ischémie chaude, l’asystolie peuvent être associées à la formation de microthrombi au niveau du lit vasculaire. L’hémoglobine du ver marin Arénicole a également un intérêt. Cette hémoglobine est compatible avec les différents groupes sanguins, elle est fonctionnelle à 4° C et extracellulaire. Ce qui la rend fort intéressante pour la conservation des organes. Pour ce qui est des molécules anti-oxydantes, le choix est plus délicat. En effet, il faut disposer de molécules pouvant agir au niveau des sites de production, à 4° C dans le cadre de la prévention durant la conservation. Au cours de la reperfusion, les produits proposés vont souvent agir pour neutraliser les espèces réactives de façon stœchiométrique (c’est-à-dire mole à mole). Ce qui signifie que ces produits vont devenir elle-même des espèces réactives en s’appropriant l’électron célibataire. Enfin, il faut préciser que des solutions de conservation mises au point par notre équipe sont actuellement utilisées en clinique avec des résultats convaincants.
M. Jacques CAEN
Pour éviter l’évolution de la coagulation, quelles molécules préconisez-vous antiXa (ou même anti IIa) et quelle solubilité ? Avez-vous utilisé des cellules mésenchymateuses primitives, cellules du cordon ou du placenta, en particulier amniotiques, dénuées semble-t-il d’antigènes d’histocompatibilité ?
Des travaux préliminaires ont été faits avec l’héparine non fractionnée et les héparines de bas poids moléculaire (HBPM). Leur utilité reste discutée et leur efficacité à 4° C n’a pas été vraiment établie. Ce type de produits est prescrit dans ce contexte à titre préventif mais sans réel rationnel ciblé. Effectivement leur utilisation durant la conservation implique de disposer de molécules solubles dans les milieux aqueux que sont les solutions de conservation. Leur efficacité à 4° C doit être établie. Nous avons dans notre modèle d’autotransplantation rénale évalué des molécules appartenant aux nouveaux médicaments de la coagulation, le mélagatran inactive et la thrombine activée. Il bloque ainsi l’action de la thrombine sur le fibrinogène et la formation de fibrine. Son évaluation pour la forme injectable a été déterminante mettant en évidence une efficacité dans la situation reproduisant celles des donneurs décédés après arrêt cardiaque (comportant une heure d’ischémie chaude avant conservation hypothermique). Nous avons ainsi apporté la preuve de concept de l’intérêt de telles substances. Nous avons également utilisé le Fondaparinux. Il se fixe au site de liaison spécifique de l’antithrombine entraînant une modification conformationnelle de la molécule permettant de fixer le Xa. Celui-ci lié à l’AT n’est pas disponible pour effectuer la transformation de la prothrombine (II) en thrombine (IIa), et le fondaparinux se détache du site de liaison spécifique de l’AT pour se lier à un nouveau site pentasaccharidique d’une autre molécule d’antithrombine, multipliant ainsi son activité. Des effets bénéfiques ont également été observés. Il reste à établir le mécanisme d’action dans ce contexte de la conservation. Pour ce qui est des cellules mésenchymateuses, nous avons comme objectif d’essayer de mettre au point des lignées porcines pour leur utilisation durant la conservation. Les cellules de sang de cordon pourraient également être des candidates intéressantes. A ce jour, dans nos programmes de recherche, nous avons avancé sur l’utilisation des cellules amniotiques dans un modèle d’autotransplantation. Les cellules sont prélevées avant la naissance des porcelets, cultivées et réutilisées chez le même animal trois mois plus tard après l’autotransplantation rénale. Nous menons en parallèle des études in vitro pour caractériser ces cellules et leur tolérance à l’ischémie reperfusion. L’absence d’expression de molécules d’histocompatibilité est un enjeu important. Il s’agit de programmes innovants ouvrant des perspectives de premier plan.
M. Yves LOGEAIS
La conservation des organes aux fins de transplantation constitue un sujet central dans le domaine de l’ischémie-reperfusion. La question est aussi posée en chirurgie cardiaque conventionnelle, par exemple, dans le remplacement de la valve aortique. En fin d’intervention, le déclampage aortique entraîne la reperfusion coronaire et myocardique. Il a été considéré utile de diminuer la pression de la reperfusion en diminuant quelques minutes le débit de circulation extra-corporelle. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Il s’agit d’une observation essentielle. On retrouve la notion de conditionnement de l’organe, et cela rejoint la problématique de la réoxygéntion massive des organes au cours de la reperfusion.
M. Daniel LOISANCE
Les machines à perfuser constituent un formidable banc d’essai pour évaluer la valeur fonctionnelle du greffon. Quel test fonctionnel utilisez-vous aujourd’hui avant de déclarer le greffon bon pour la greffe ?
Les machines de perfusion et le moment de la conservation des organes avec de tels outils est à la fois un temps d’évaluation mais de réparation. Il y a dans ce domaine des perspectives de recherche prioritaires. Nous avons au niveau de notre unité initié des programmes utilisant des outils comme la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire. Il n’y a pour le moment que les paramètres utilisés pendant la perfusion comme le débit, les index de résistance mais qui n’ont pas démontré réellement un pouvoir discriminant. Il faut disposer de marqueurs facilement et rapidement mesurables dans le milieu de perfusion. Il y a des candidats qui sont des marqueurs de lésions spécifiques de certaines zones du rein, particulièrement exposées aux lésions d’ischémie reperfusion, comme le tubule proximale.
M. Jean-Yves LE GALL
Dans la composition du SCOT 15, pourquoi utilisez-vous du raffinose plutôt qu’un autre ose ou holoside ?
Il est classique de diviser les molécules limitant l’œdème en deux familles : — les imperméants qui sont, soit des sucres (raffinose, sucrose, mannitol, glucose, …) qui limitent, par la pression osmotique qu’ils exercent dans le compartiment vasculaire, la formation de l’œdème intracellulaire, soit des anions tels que le citrate, le gluconate ou l’acide lactobionique qui présentent par ailleurs un effet protecteur de membrane.
L’efficacité de ces derniers est liée à leur poids moléculaire et à leur charge ; — les colloïdes (hydroxy-éthyl amidon, polyéthylèneglycol, albumine, dextran …) qui ne peuvent pas passer la membrane cellulaire et qui préviennent, par la pression oncotique qu’ils exercent, la constitution d’un œdème interstitiel. Leur utilisation semble bénéfique en particulier pour des temps d’ischémie longs ; — le fait que les solutions de conservation doivent, au moins, être pourvues d’un imperméant ou d’un colloïde est acquis.
Cependant, la mise en évidence du rôle du glucose passant la membrane cellulaire et pouvant être une source de lactate durant l’ischémie a rendu son utilisation à des concentrations élevées difficile.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 831-845, séance du 31 mai 2011