Communication scientifique
Séance du 31 mai 2011

Amélioration de la préservation des greffons cardiaques avant transplantation

MOTS-CLÉS : graft survival. heart transplantation. hypothermia
Improving donor heart preservation ex vivo

René Ferrera, Souhila Benhabbouche

Résumé

La pénurie des greffons constitue une cause majeure de mortalité en transplantation cardiaque. Parmi les greffons, a priori disponibles, un certain nombre sont malheureusement perdus car lésés avant la transplantation. En effet, à partir du stade de mort cérébrale jusqu’à la reperfusion, en passant par les différentes phases de cardioplégie, prélèvement et transport hypothermique, les greffons cardiaques (mais il en est de même pour le rein, le poumon ou le foie) subissent des altérations parfois irréversibles, les soustrayant ainsi à la transplantation. Les phénomènes délétères survenant pendant l’ischémie froide et la reperfusion du myocarde sont étudiés depuis plus de quarante ans. On a longtemps pensé que seule l’ischémie était l’étape dommageable, à l’origine de la chute des réserves énergétiques, d’une dysrégulation de l’homéostasie ionique et d’une dérégulation métabolique. C’est ainsi que beaucoup de travaux ont légitimement porté sur l’amélioration des solutions de conservation ainsi que sur les méthodes de perfusion de l’organe en hypothermie. On sait maintenant que la reperfusion, condition salvatrice incontournable, est aussi porteuse d’effets délétères (surcharge calcique, production de radicaux libres, altération de la mitochondrie…). Pour combattre cette cascade de processus délétères, deux manœuvres ont une place à jouer en protégeant le greffon ischémique : le préconditionnement et le postconditionnement.

Summary

There is a shortage of heart donors. Some available organs are lost through deterioration prior to transplantation. Indeed, from the moment of brain death until reperfusion in the recipient, cardiac grafts (and also kidney, lung and liver grafts) can undergo irreversible damage due to cardioplegia, the harvesting procedure, and hypothermic transport. The noxious phenomena occurring during cold ischaemia and myocardial reperfusion have been studied for more than 40 years. It was long believed that only the ischaemic phase was harmful, through depletion of energy stores, ionic imbalance, and metabolic disruption. We now know that the heart graft can also be damaged during the reperfusion phase, through calcium overload, free radical production, and mitochondrial changes. Preconditioning and post-conditioning procedures are being developed to protect the ischemic organ.

INTRODUCTION

La première allotransplantation cardiaque chez l’homme a été réalisée par Christian Barnard, en 1967, au Cap en Afrique du Sud. Le patient greffé, Louis Washkansky, traité avec des immunosuppresseurs décéda d’une pneumonie dix-sept jours après l’opération. Cette transplantation eut un retentissement mondial. Depuis cette date, près de 10 000 transplantations cardiaques ont été réalisées chez l’homme en France.

Toutefois, malgré de considérables progrès techniques et l’avènement de la ciclosporine (premier agent immunosuppresseur), certains problèmes restent entiers, en particulier la pénurie et l’altération du greffon avant transplantation.

En effet, un certain nombre de greffons humains sont malheureusement perdus car lésés avant la transplantation. C’est ainsi qu’à partir du stade de ‘‘ mort cérébrale ’’ jusqu’à la reperfusion, en passant par les différentes phases de cardioplégie, prélèvement et transport hypothermique, les greffons cardiaques (mais il en est de même pour le rein, le poumon ou le foie) subissent des altérations parfois irréversibles , les soustrayant ainsi à la transplantation. La plupart des mécanismes d’altération des greffons sont actuellement méconnus ; c’est pourquoi leur identification constitue un défi du point de vue fondamental tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour pallier la pénurie des greffons.

L’altération du greffon résulte des effets délétères de trois situations distinctes au cours de la procédure de transplantation :

— la phase de mort cérébrale , pendant laquelle le greffon cardiaque est prélevé sur un donneur en situation physiopathologique instable, — la phase de conservation , phase pendant laquelle le greffon est transporté en hypothermie profonde (4° C) et en urgence. Dans cette situation d’ischémie froide, les altérations sont rapides et le myocarde ne peut être préservé avec sécurité au-delà de quatre à six heures : c’est le délai strictement appliqué en clinique. L’amélioration des conditions de viabilité pendant cette phase permettrait d’augmenter la durée de conservation du greffon, autorisant des transports et des échanges à l’échelle européenne, tout en sortant du cadre actuel de l’urgence, — la transplantation chirurgicale proprement dite, pendant la laquelle le greffon subit des dommages par ce que l’on nomme la « reperfusion injury ».

Afin de diminuer la pénurie des greffons cardiaques, plusieurs niveaux d’actions sont donc possibles.

 

Fig. 1. — Les 3 stades de l’altération du greffon Sensibiliser le public sur les conséquences de la pénurie de greffon et diminuer le taux d’opposition de la famille au prélèvement sur les patients en état de mort cérébrale.

Les actions de promotion du prélèvement représentent une des missions de l’Agence de biomédecine.

Augmenter le nombre de prélèvements par l’utilisation des ‘‘ cœurs prélevés arrêtés ’’

Lorsque la mort cérébrale est déclarée, l’activité respiratoire et circulatoire est maintenue artificiellement. Au moment du prélèvement, les organes ne souffrent pas d’ischémie chaude. Cependant, la pénurie de greffon incite les chirurgiens à envisager de transplanter des organes prélevés sur des individus dont le cœur a cessé de battre depuis plusieurs minutes (comme c’est le cas pour le rein).

Mais un cœur arrêté qui a subi une ischémie chaude d’une durée variable n’est à l’heure actuelle, pas prélevé. Cependant, il est possible de récupérer des cœurs ayant eu une courte durée d’ischémie chaude. Ainsi, notre équipe a évalué la survie post-greffe de cœurs de porcs ayant subi des durées variables d’ischémie chaude in situ (0, 10, 20 et 30 minutes) suivi de quatre heures de conservation froide. Après transplantations orthotopiques, les cœurs ayant subi une ischémie chaude de dix minutes (ou moins) étaient de bons candidats pour la greffe (données non publiées).

Les cœurs prélevés arrêtés après de courte durée d’ischémie chaude pourraient donc être des greffons potentiels pour la transplantation. Toutefois, des critères d’évaluation de leur viabilité post-ischémique sont encore nécessaires.

Mieux connaître le potentiel de viabilité des greffons disponibles

Tous les greffons qui sont prélevés ne sont pas transplantés pour différentes raisons :

pathologie du donneur, logistique, cœur douteux .

Les chirurgiens sont souvent conduits à refuser de transplanter des cœurs qui ont subi quelques minutes d’ischémie chaude pendant le prélèvement, ou parce que la durée de conservation hypothermique considérée maximale a été dépassée. Le potentiel de viabilité des greffons étant inconnu, la plupart des chirurgiens préfèrent ne pas risquer la transplantation. Or, parmi les cœurs dont l’état est qualifié de douteux, certains sont certainement capables d’assurer leur fonction. Si le chirurgien possédait des tests fiables et prédictifs (autre que la palpation) de la viabilité du greffon, cela permettrait de pallier partiellement au manque d’organes. Plusieurs critères de viabilité ont été proposés comme la libération de troponine I, la réponse vasculaire, le débit coronaire, la détermination de l’œdème ou l’état du métabolisme énergétique du cœur. Toutefois, à l’heure actuelle, les avis sont partagés et ces critères doivent être validés.

Améliorer la durée de conservation et la viabilité des greffons avant transplantation

En clinique, la durée de préservation du greffon cardiaque est de quatre à six heures maximum , par immersion hypothermique. Prolonger ce temps de conservation permettrait de sortir du cadre actuel de l’urgence tout en autorisant la mise en place de méthodes fiables d’évaluation du greffon. Il existe plusieurs voies de recherches expérimentales qui permettraient d’améliorer la durée de conservation et la qualité des greffons cardiaques :

— avant le prélèvement grâce au préconditionnement ischémique ou pharmacologique, — au moment du prélèvement en ayant recours à une cardioplégie améliorée, — pendant la conservation en utilisant un milieu de conservation amélioré, associé à une technique de préservation optimale différente de l’immersion, — au moment de la reperfusion avec une manœuvre de déclampage ménagé de l’aorte lors de la sortie de CEC (basse pression de reperfusion ou postconditionnement).

Fig. 2. — Les différents niveaux de protection du greffon cardiaque durant l’ischémie froide et la réperfusion ?

Ces quatre voies de protection seront abordées dans les quatre chapitres qui suivent.

 

LES SOLUTIONS DE CONSERVATION DU GREFFON

Les différents types de solution de préservation

Afin de conserver le greffon cardiaque, on dispose de différents milieux de préservation de nature et de composition très variables. En effet, de nombreux milieux ont été testés expérimentalement avec plus ou moins de succès. Certains auteurs, partant d’analyses rétrospectives, estiment même que la composition du milieu n’aurait que peu d’influence sur la qualité de préservation. Nous ne sommes pas de cet avis et une étude réalisée dans notre laboratoire a montré que les agents présents dans le flush coronaire initial, même sur une courte période de temps de l’ordre de la minute, étaient susceptibles d’induire des effets cytoprotecteurs huit heures plus tard au cours de la reperfusion [1]. Quoiqu’il en soit la quête d’une solution de conservation idéale reste présente dans l’imaginaire de nombreux chercheurs.

On peut classer les différents milieux de préservation cardiaque en quatre groupes différents : le sang total ou dilué, le plasma, les milieux synthétiques de composition extracellulaire et les milieux synthétiques de composition intracellulaire .

Comme ces liquides sont très différents et parfois complexes, il est souvent difficile d’attribuer un bénéfice de préservation à tel ou tel composé. D’autant que la température de conservation varie selon les équipes et selon le type de solution utilisée : généralement, plus la solution est pauvre et éloignée du sang, plus la température utilisée est proche de 4° C et inversement.

En fait, du point de vue expérimental, peu d’équipes travaillent sur des solutions de préservation à base de sang ou de plasma. Ils sont en effet coûteux et difficiles à préparer. D’autant que, pour des raisons de stérilisation et de conservation à long terme, des difficultés majeures se posent. La plupart des équipes utilisent donc des solutions salines pour « plégier » et transporter le greffon cardiaque.

Exemples de quelques solutions

On estime qu’il existe plus de cent solutions expérimentales pour environ une dizaine utilisés en clinique. Voici ci-dessous, quelques solutions qui sont proposées pour la clinique. Comme on peut le constater, chaque solution est unique en terme de composition même si on retrouve de grandes rubriques (électrolytes, tampon, imperméants, agents cardioprotecteurs …) permettant d’ajuster les effets souhaités.

Les effets bénéfiques des solutions de conservation et difficultés d’interprétation

Les solutions de cardioplégie et de préservation du greffon cardiaque peuvent exercer leurs effets bénéfiques à travers une variété de mécanismes :

 

Fig. 3. — Quelques exemples de compositions de solutions à usage clinique EC : Solution Euro-Collins®, STF : Solution de Stanford, ST-1 : Solution Saint Thomas No 1 encore nommée plégisol, ST-2 : Solution Saint Thomas No 2 (ou SLF 103), UW : Solution Université Wisconsin (ou Viaspan®), IGL-1 : Solution de l’Institut Gustave Lopez®), HTK :

Solution de Bretschneider (ou Custodiol®), LYPS : LYon Preservative Solution.

— en accélérant l’arrêt électromécanique, le plus souvent induit par l’hypothermie et l’addition de potassium et/ou de magnésium ;

— en conservant ou en augmentant la quantité d’énergie dans le myocarde ;

— en protégeant les cellules contre les effets indésirables du calcium, des radicauxlibres, de l’œdème ;

— en stabilisant les membranes cellulaires ou en favorisant l’oxygénation du tissu.

Il est difficile de tirer des conclusions générales concernant les milieux de préservation, car plusieurs difficultés gênent les études comparatives :

— il existe actuellement une course à la meilleure solution de conservation du greffon. Les études comparatives sont souvent partielles et chacun valorise sa propre solution, en choisissant soigneusement les paramètres d’évaluation appropriés. Il s’en suit une confusion et d’apparentes contradictions dans la littérature ;

— certaines études sont réalisées avec des cœurs isolés de porc, d’autres sur des cardiomyocytes de rat, d’autres encore sur des cellules endothéliales de cœurs de bovin. Il en résulte certaines contradictions entre les effets observés sur les cœurs entiers et sur les cellules isolées. La dernière difficulté étant toujours la transposition au greffon cardiaque humain.

En résumé le choix d’un milieu de conservation dépend de trois facteurs qui sont :

— la technique de conservation (immersion : choix d’une solution de type intracellulaire, versus, perfusion : choix d’une solution de type extracellulaire) ;

— la température de conservation : hypothermie modérée (environ 32° C) : choix d’un milieu riche, sang ou plasma, versus, hypothermie profonde (4-10° C) : un milieu synthétique suffit du fait du métabolisme très ralenti ;

— la durée de conservation : choix d’un milieu plus ou moins riche énergétiquement.

Fig. 4. — Les divers rôles attribués ou recherchés par les agents contenus dans les milieux de préservation du greffon cardiaque.

Des rôles variés sont attendus par les divers composés contenus dans les solutés de préservation.

De manière arbitraire, on peut distinguer les effets permettant un arrêt rapide des contractions cardiaques, et les effets cytoprotecteurs défendant le greffon contre les conséquences délétères de l’hypothermie profonde et de l’ischémie-reperf(usion. (Sigles utilisés. AGL : acides gras libres, ATP : adénosine triphosphate, PTP : pore de transition de perméabilité).

 

LES TECHNIQUES DE PRÉSERVATION DU GREFFON

Afin de conserver en hypothermie un organe en survie in vitro , on dispose de deux techniques : l’immersion simple et la perfusion.

L’immersion simple

C’est la technique utilisée en routine en transplantation cardiaque chez l’homme. Le cœur à greffer est directement plongé dans un milieu de conservation à 0-4° C, sans circulation tissulaire, hormis la cardioplégie induisant le lavage initial. C’est également souvent la méthode de choix utilisée pour d’autres organes : foie, rein, pancréas.

Avantages : il s’agit d’une technique simple et reproductible donc sans risque pour le greffon.

Limites : il est difficile d’envisager une évaluation de la viabilité du greffon (pas de suivi de paramètres). Par ailleurs, la durée maximale de conservation dans le temps est limitée (quatre à six heures).

Paradoxalement, il s’agit d’une méthode controversée. Ainsi, quelques rares travaux indiquent qu’il est possible de préserver le cœur sur de longues durées en immersion froide. C’est le cas de l’équipe de Toledo-Pereyra qui, en 1977 réussi à conserver en immersion des cœurs de chien durant quarante-huit heures à 4° C, par l’utilisation d’une solution de type intracellulaire colloïdale [2]. Cet exploit n’a cependant jamais été renouvelé. Signalons également la performance de l’équipe de Dureau qui, en 1997, fut la première à transplanter avec succès, des greffons humains préservés entre douze et quatorze heures par immersion simple [3]. Le soluté utilisé était le St.

Thomas dont la composition ionique est de type extracellulaire avec cependant une forte concentration en potassium nécessaire à l’induction de la cardioplégie (20 mEq).

La perfusion hypo ou normothermique

Cette technique est utilisée par la plupart des équipes de recherche pour l’amélioration et l’extension de la durée de conservation du greffon cardiaque. Le cœur est maintenu dans une solution de conservation, en hypothermie modérée (environ 30° C) ou profonde (4-10° C), avec une circulation tissulaire.

Avantages : la perfusion continue du myocarde induit un lavage du réseau coronaire assurant une élimination des éléments vasoactifs ou délétères (prostaglandines, radicaux libres, acide lactique …) et un apport d’éventuels métabolites présents dans la solution de conservation.

Limites : la perfusion hypothermique d’un greffon arrêté induit généralement la formation d’un œdème variant de 20 à 80 %, dont la conséquence délétère fait l’objet de controverses entre les équipes. Cet œdème est cependant évitable par l’utilisation de perfusats hyperosmolaires et/ou contenant des macromolécules osmotiquement actives. Mais le point le plus important concerne l’exigence d’une machine de perfusion . Cette machine est par définition complexe et doit répondre à un certain nombre de revendications : simplicité et fiabilité, transportabilité et stérilité (d’autant plus difficile à obtenir que l’appareillage est complexe).

D’où le coût élevé d’une conservation par perfusion, et les complications de manipulation (complications évidemment non soulevées lors d’une immersion simple).

Fig. 5. — Avantages et inconvénients de l’immersion et de la perfusion pour la conservation des greffons.

LE PRÉCONDITIONNEMENT

Le concept de préconditionnement (PC)

En 1986, l’équipe de Reimer a observé que, chez le chien, quatre occlusions coronaires successives de dix minutes n’entraînent pas de nécrose, encore moins une déplétion en ATP, alors que quarante minutes d’ischémie s’accompagnaient à la fois d’une nécrose étendue et d’une déplétion sévère en ATP [4] (Reimer et al 1986). Ce concept a été élargi au sein de la même équipe par Murry et al . qui fit une observation étonnante : des occlusions coronaires brèves chez le chien, d’une durée trop courte pour provoquer une nécrose myocytaire, pouvaient réduire de façon importante (environ 50 à 75 %) la taille d’infarctus obtenu suite à une ischémie longue [5] . Ce phénomène de tolérance endogène du myocarde à l’ischémie a alors été dénommé « preconditioning with ischemia », traduit en français par le préconditionnement ischémique (PC). Tout se passe comme si le fait de rendre le myocarde ischémique pendant une courte période induisait une protection endogène qui ne s’exprime que lors d’une ischémie prolongée consécutive.

Effets protecteurs du PC

Depuis ces travaux, près de vingt-cinq ans de recherches expérimentales ont été consacrés à la connaissance des déterminants et des mécanismes d’action du PC. Ce véritable « traitement préventif » de l’ischémie demeure à ce jour le plus puissant mécanisme capable de diminuer la taille de l’infarctus.

La cardioprotection induite par le PC a été mise en évidence chez toutes les espèces animales étudiées au laboratoire : le chien, le porc, le mouton, le lapin, le rat, la souris, et même le poulet. De plus, le PC décrit dans le myocarde a été mis en évidence dans d’autres organes : le muscle squelettique, le cerveau, le foie, l’intestin grêle ou le poumon.

La phase d’induction du PC consiste en la succession d’un ou plusieurs épisodes brefs d’ischémie entrecoupés d’une reperfusion brève, à laquelle fait suite une ischémie prolongée suivie d’une reperfusion longue nécessaire pour créer l’infarctus, et révéler ainsi l’effet du PC. Dans la description princeps du phénomène, les auteurs ont utilisé quatre séquences inductrices du PC qui consistaient en cinq minutes d’ischémie suivie de cinq minutes de reperfusion chez le chien, et ont observé l’effet bénéfique en terme de taille d’infarctus après quarante minutes d’occlusion coronaire (Figure 6). Différents protocoles ont, par la suite, utilisé une unique séquence ou plusieurs cycles d’ischémie-reperfusion.

Même si l’ischémie/reperfusion (régionale ou globale) demeure l’inducteur classique du PC, il n’en est pas moins vrai que d’autres interventions expérimentales telles que l’hypoxie, l’étirement myocardique (stretching), la tachycardie (pacing), l’hyperthermie (42° C, 5 min), l’ischémie d’un autre territoire coronaire voire d’un autre organe (PC à distance), peuvent induire la même cardioprotection.

Le PC précose et tardif

Kuzuya et al. en 1993, ont montré que la protection induite par une séquence d’ischémie-reperfusion brève était biphasique [6] :

— une première phase immédiate correspondant au PC conventionnel (que l’on vient de définir), — une seconde phase, tardive, survenant après une période réfractaire d’environ vingt-quatre heures qui s’exprime également par une limitation de la taille de l’infarctus.

 

Fig. 6. — Principe du préconditionnement Le préconditionnement consiste en l’application de brèves séquences d’ischémie-reperfusion avant une occlusion coronaire prolongée suivie d’une reperfusion. Il retarde la survenue de l’infarctus en décalant vers la droite la courbe de la cinétique d’apparition de la nécrose.

En pratique, si plus de trois heures s’écoulent entre l’épisode ischémique initial et l’occlusion coronaire prolongée, il n’y a plus de limitation de taille de l’infarctus.

Mais si l’on attend vingt-quatre heures pour réaliser une occlusion coronaire prolongée, on voit réapparaître un effet protecteur de l’ischémie inductrice initiale sous la forme d’une limitation de la taille de l’infarctus. Cette protection retardée a été nommée « préconditionnement tardif ou seconde fenêtre de protection ».

 

Le mécanisme du PC

On estime que le mécanisme d’action du PC est complexe et incomplètement élucidé à ce jour. Il est classiquement admis que des inducteurs, encore nommés « triggers », entraînent des modifications intracellulaires « les médiateurs », aboutissant à des cibles pharmacologiques « les effecteurs » qui induisent la cardioprotection. Ainsi, le prétraitement avec de l’adénosine se fixant sélectivement sur les récepteurs A1 peut induire une protection similaire au PC ischémique. Ceci explique que certaines équipes ont choisi de rajouter l’adénosine directement dans le liquide de conservation afin d’induire un PC pharmacologique.

Par la suite, de nombreuses études expérimentales, pharmacologiques, ont été réalisées pour caractériser les médiateurs, récepteurs, seconds messagers et effecteurs qui peuvent être impliqués dans les voies de signalisation du PC ischémique précoce et tardif.

 

Nous avons tenté d’établir un schéma théorique du PC précoce et tardif (Figure 7).

Des médiateurs endogènes libérés localement au cours de l’induction du PC (isché- mie brève) ou des agonistes pharmacologiques, stimulent des récepteurs membranaires des myocytes couplés à des protéines G (adénosine, noradrénaline, acétylcholine, bradykinine, endothéline, angiotensine II et opioïdes) et des récepteurs à activité tyrosine kinase. La stimulation de ces récepteurs conduit à l’activation intracellulaire de protéines kinases : les protéines kinases C activées par le diacylglycérol et les MAP Kinases activées par les protéines, cytosoliques ou membranaires, à activité tyrosine kinase. Par la suite de nombreuses protéines, dont l’effecteur final, vont être phosphorylées.

Fig. 7. — Signalisation cellulaire du préconditionnement (PC) Parmi les inducteurs du PC précoce, on trouve les récepteurs (R) couplés à des protéines Gi et les récepteurs tyrosine kinase (RTK), susceptibles d’être activés par de nombreux agents extracellulaires (adénosine, opioïdes …). D’autres inducteurs ne passent pas par des récepteurs : c’est le cas des ROS, du calcium, et du NO, trois agents ambivalents, capable d’induire des effets cytotoxique ou des effets préconditionnant selon leur fenêtre d’action et leur concentration.

D’autres stress sont aussi capables d’induire le PC, comme le « pacing », le « streching », ou l’hyperthermie. Les médiateurs identifiés sont essentiellement ceux de la voie RISK, avec l’activation de la PKC, de l’Akt et/ou des MAP-kinases (p38MAPK, JNK, ERK). Quant aux effecteurs du PC, l’ouverture des canaux K-ATP sarcolemmaux (et peut-être mitochondriaux) et l’inhibition du PTP semblent être les plaques tournantes de la cardioprotection.

Le PC tardif quant à lui impliquerait la synthèse de protéines cardioprotectrices comme les heat shock proteins (Hsp) ou la NO synthase.

 

En ce qui concerne le PC précoce, il y a un consensus pour dire que l’effecteur final pourrait être les canaux K+-ATP. En effet, la protéine kinase C activée permettrait l’ouverture de canaux K+-ATP de surface et/ou mitochondriaux.

La raison exacte pour laquelle l’ouverture de ces canaux conduit à un effet protecteur n’est pas connue, mais semble impliquer une augmentation de l’efflux de potassium avec une modification du potentiel de membrane, une moindre accumulation d’ions calcium et une meilleure préservation des réserves énergétiques.

Le mécanisme du PC tardif, quant à lui, est plus mal connu. Le délai d’apparition de cette protection retardée évoque la nécessité d’une synthèse protéique. Les protéines kinases C et MAP Kinases permettraient l’activation de facteurs de transcriptions (NF-kB, c-fos, c-myc) et engageraient la synthèse de nouvelles protéines. Plusieurs protéines ont été proposées : des protéines chaperonnes de stress thermique (HSP), la NO synthéase et/ou des protéines antioxydantes (catalase, glutathione réductase/ peroxydase…).

Trois possibilités d’envisager le PC en transplantation d’organes

Le PC, malgré sa capacité remarquable à protéger le myocarde soumis à une séquence d’ischémie-reperfusion, a finalement été très peu utilisé en clinique humaine. Pourquoi ? Tout simplement car l’infarctus est, par principe, imprévisible.

Tout est différent dans le cadre de la protection du greffon cardiaque avant transplantation. Dans ce contexte, l’ischémie-reperfusion est pour ainsi dire programmée. C’est pourquoi on peut théoriquement envisager trois possibilités d’utilisation du PC.

Induction du PC pendant la mort cérébrale

Notre équipe a en effet été la première à montrer expérimentalement que le myocarde était « préconditionnable » durant les premières heures de mort céré- brale, en choisissant un agent anesthésique comme l’isoflurane, très utilisé en clinique [7].

Prélèvement du greffon tardivement pendant la mort cérébrale

On peut imaginer réaliser un PC pharmacologique et prélever le greffon à 24 heures de mort cérébrale pour se retrouver dans la fenêtre temporelle de PC tardif.

Induction du PC au moment du prélèvement

Plusieurs équipes ont tenté de préconditionner le greffon au moment du prélèvement. Toutefois, les résultats restent mitigés [8, 9].

 

LE POSTCONDITIONNEMENT

La reperfusion, une arme à double tranchant

La reperfusion coronaire est le moyen le plus puissant connu jusqu’à présent pour réduire la taille de la lésion ischémique, à condition d’intervenir suffisamment tôt.

Cette reperfusion est néanmoins une « épée à double tranchant » puisque des lésions apparaissent spécifiquement lors de cette phase . La reperfusion s’accompagne d’une accélération du processus nécrotique commencé lors de l’ischémie. Expé- rimentalement, sur un modèle de cœur de rat isolé-perfusé, la réoxygénation du myocarde s’accompagne de dommages cellulaires beaucoup plus importants que si l’ischémie avait été maintenue. Les mécanismes sont probablement multiples et comportent notamment un largage massif d’espèces réactives de l’oxygènes (ROS), une surcharge calcique intracellulaire, des altérations du métabolisme myocardique et une dysfonction endothéliale. Il existe quatre formes de lésions de reperfusion : les arythmies, la sidération ( stunning ), les dommages vasculaires ou no-reflow , enfin la nécrose de reperfusion.

La nécrose de reperfusion

C’est Jennings et son équipe qui firent les premières observations montrant que la reperfusion post-ischémique était associée à des dommages myocardiques [10]. Ces auteurs réalisèrent des occlusions coronaires de différentes durées sur des chiens, suivies ou non de reperfusion. Ils montrèrent alors que les dommages histologiques apparaissant après trente à soixante minutes d’ischémie suivie de reperfusion étaient comparables à ceux révélés après une ischémie seule de vingt-quatre heures d’occlusion coronaire permanente mais sans reperfusion. Malgré cette évidence, les effets délétères de la reperfusion demeurèrent un sujet de débat pendant longtemps. En 1985, Braunwald et Kloner proposèrent dans un éditorial resté célèbre que la reperfusion pouvait être une « épée à double tranchant » [11].

En effet, la reperfusion constitue l’intervention nécessaire et évidente pour sauver le myocarde ischémique. Paradoxalement, bien qu’ayant un rôle salvateur, la reperfusion est également responsable de la survenue de la mort cellulaire par nécrose et par apoptose. L’existence de cette nécrose de reperfusion est aujourd’hui admise du fait de la possibilité de diminuer la taille d’infarctus du myocarde par des interventions ayant lieu uniquement à la reperfusion comme le postconditionnement ischémique ou l’utilisation d’une reperfusion contrôlée.

Le concept de postconditionnement

Alors que le pré-conditionnement ischémique est induit par une intervention qui précède l’ischémie prolongée, l’équipe de Zhao en 2003, a eu l’idée de réaliser de

Fig. 8. — Progression de l’infarctus au cours de l’ischémie et de la reperfusion En absence de reperfusion et sur un temps long (plusieurs heures), l’infarctus va gagner l’ensemble de la zone à risque (courbe 1 du haut). Si la reperfusion, opérée suffisamment tôt, n’était que salvatrice, on devrait observer un arrêt de la progression de la nécrose (courbe 2 du bas). En réalité, la reperfusion est elle-même une source de dommages supplémentaires qui viennent se rajouter aux dommages propres à l’ischémie (courbe 3).

brèves séquences d’ischémie-reperfusion, au moment de la reperfusion postischémique . De façon très surprenante, ils ont montré que cette manœuvre permettait une réduction de la taille d’infarctus comparable à celle du préconditionnement : ils ont appelé cette manœuvre « postconditioning » [12].

Fig. 9. — Principe du postconditionnement Les Travaux expérimentaux de Zhao dans un modèle d’infarctus de lapin ont montré que le préconditionnement (PC) comme le postconditionnement (PostC) diminuaient de moitié la taille de l’infarctus par rapport aux cœurs contrôles [12].

 

Le mécanisme du postconditionnement

Le mécanisme d’action du postconditionnement n’est pas encore élucidé. Les connaissances actuelles suggèrent qu’il utilise les mêmes voies de signalisation que celles du préconditionnement, à savoir la voie RISK (reperfusion injury survival kinase) après activation de récepteurs membranaires couplés à des protéines Gi ou des récepteurs tyrosine kinase. Un des effecteurs finaux essentiel du postconditionement semble être l’inhibition de l’ouverture du pore de transition de perméabilité de la mitochondrie ( PTP mitochondrial ).

Lors de la reperfusion post-ischémique, la surcharge matricielle en Ca++, les radicaux libres en excès (ROS) et le retour au pH physiologique sont autant d’éléments inducteurs de l’ouverture du PTP. Le postconditionement agirait en limitant l’action de ces trois évènements délétères.

Par ailleurs, un des modulateurs du PTP est la cyclophiline D (CypD). Ainsi, lors d’une séquence d’ischémie-reperfusion, la CypD se transloquerait à la membrane interne mitochondriale et favoriserait l’ouverture du PTP conduisant à la mort cellulaire. Une des stratégies pour limiter l’action de la CypD est donc d’utiliser des bloqueurs de cette CypD. La ciclosporine A est capable de se lier spécifiquement à la CypD et retarder ainsi l’ouverture du PTP, résultant expérimentalement en une cardioprotection pharmacologique .

 

Le postconditionnement expérimental après ischémie froide

L’efficacité du postconditionnement au cours de la séquence ischémie froidereperfusion a été vérifiée par notre équipe, dans un modèle de cœur de rat isolé, soumis à huit heures de conservation hypothermique. La manœuvre de postconditionnement a consisté à appliquer deux séquences brèves d’une minute d’ischémiereperfusion, à l’initiation de la reperfusion. Une moindre nécrose accompagnée d’un gain de fonction fut observée (Figure 10) confirmant l’intérêt du postconditionnement [13] . Les travaux de l’équipe de Rochette parvinrent à la même conclusion en pratiquant une ischémie froide de plus courte durée (quatre heures) [14].

Le postconditionnement ayant pour cible l’inhibition du PTP, on peut s’attendre à avoir un effet bénéfique de la cicloporine A directement à la reperfusion après ischémie froide. C’est ce que notre équipe a vérifié en la rajoutant au milieu de conservation du greffon cardiaque (données non publiées).

Le postconditionnement chez l’homme

Chez l’homme, l’équipe de Michel Ovize a pu montrer la véracité du postconditionement chez les sujets coronariens. Cette étude a montré une nette diminution des CPK chez les sujets ayant reçu un postconditionnement au cours d’une angioplastie par ballonnet [15].

 

Fig. 10. — Effet du postconditionnement après ischémie froide Des cœurs isolés de rat ont été soumis à 8 heures d’immersion froide à 4° C dans la solution Celsior, suivie d’une heure de reperfusion en mode Langendorff. La manœuvre de postconditionnement (Post-C) appliquée à l’initiation de la reperfusion a permis un meilleure retour fonctionnel (RPP = rate pressure product).

Plus récemment, la même équipe a démontré que la ciclosporine A utilisé au moment de la reperfusion post-ischémique réduisait la taille de l’infarctus de manière significative [16].

Ces résultats cliniques sont de première importance car ils ouvrent de réelles perspectives quant à l’amélioration de la survie des patients. Par ailleurs, les phénomènes protecteurs mis en œuvre lors du postconditionnement du myocarde sont probablement ubiquitaires et laissent entrevoir une utilisation cytoprotectrice pour d’autres organes subissant les effets de l’ischémie-reperfusion.

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[16] Piot C., Croisille P., Staat P., Thibault H., Rioufol G., Mewton N., Elbelghiti R., Cung T.T., Bonnefoy E., Angoulvant D., Macia C., Raczka F., Sportouch C., Gahide G., Finet G., André-Fouët X., Revel D., Kirkorian G., Monassier J.P., Derumeaux G., Ovize M. — Effect of cyclosporine on reperfusion injury in acute myocardial infarction. N Engl J Med . 2008, 359(5) , 473-81.

 

DISCUSSION

M. André-Laurent PARODI

Au début de votre exposé vous avez présenté des pourcentages d’échec survenant aux différents temps (ischémie froide, ischémie chaude). Comment ces pourcentages, ont-ils été établis ?

 

Les chiffres donnés en début d’exposé sont issus des synthèses réalisées par l’Agence de biomédecine. Ainsi en 2010, 4 708 greffes d’organes ont été réalisées, ce qui n’a évidemment pas permis de répondre aux besoins croissants du nombre de malades en attente de greffons, soit 15 613 pour l’année 2010. Cette pénurie de greffon est essentiellement due à une opposition des familles au prélèvement (32 % en 2010, chiffre en hausse) et se traduit par le fait que, malheureusement, seulement un patient sur trois est greffé dans l’année, tandis que deux patients sur trois restent sur liste d’attente. C’est pourquoi on peut considérer que la première cause de mortalité en transplantation, en particulier en transplantation cardiaque, est l’attente du patient receveur. A cela, il convient de rajouter toutes les altérations qui surviennent entre le prélèvement et la greffe et qui constituent un pourcentage non négligeable de greffons perdus et de patients non sauvés. Ainsi, parmi les patients en mort cérébrale, il y a eu 3 049 donneurs recensés en 2010. Mais seuls 1 476 d’entre eux ont fait l’objet d’un prélèvement au final, ce qui signifie qu’environ la moitié des organes a été écartée pour des causes diverses : opposition au prélèvement, antécé- dents médicaux, infections, défaillance multi-viscérale, arrêt cardiaque avant le prélèvement…. Concernant les pourcentages de pertes de greffons aux autres stades de la transplantation, il n’existe pas, à notre connaissance, d’analyse nationale. Chaque centre ou région possède cependant son expérience. Dans le cas de la transplantation cardiaque dans la région Est, nous avons pu mettre en évidence que sur 290 prélèvements, quatorze cœurs (soit environ 5 %) n’ont pas été greffés après ischémie froide car ils furent considérés comme de mauvais greffons ou il y eut un problème de transport (conditions météo) ou encore l’absence de receveur en France. Enfin, au moment de la reperfusion, la défaillance primaire du greffon correspondant à la première cause de mortalité post-greffe à trente jours et l’une des causes de cette défaillance étant le « stone heart » ou « cœur de pierre ».

M. Daniel LOISANCE

Comment transférer, en clinique humaine, les progrès considérables réalisés dans la connaissance des lésions cellulaires accompagnant le prélèvement d’organes ?

Il s’agit d’une vaste question car la transposition des résultats expérimentaux à la clinique se heurte à mon sens à trois difficultés. — Les procédures cliniques actuelles fonctionnent. Elles ne sont sans doute pas optimales mais elles fonctionnent et chaque année des milliers de greffons sont transplantés avec succès dans le monde. Une modification, même bénéfique des pratiques, peut entraîner la complexification des procédures et par là-même conduire à un accroissement du risque. Si on prend l’exemple de la perfusion des organes pendant l’hypothermie (qui peut, comme on le sait, avantageusement remplacer la simple immersion), on se trouve face à une alternative : d’un côté, l’amélioration de la survie du greffon grâce à la perfusion, d’un autre côté, l’intrusion de nouveaux risques, en particulier septique et embolique. — L’absence de consensus n’incite pas au changement.

Ainsi, dans le cas des solutions de conservation, on n’en dénombre plus de cent en expérimental, rien que pour le cœur, et environ une dizaine qui sont employées quotidiennement en clinique. Cependant, en regardant la littérature avec attention, on s’aperçoit que beaucoup de controverses persistent dans le domaine expérimental et qu’aucune étude clinique n’a, à ce jour, démontré la supériorité d’une solution par rapport à une autre. Cette situation n’incite pas au changement. — Des concepts récents de cytoprotection sont parfois difficiles à mettre en œuvre. Ainsi, le postconditionnement qui consiste à réaliser de courtes séquences d’ischémie chaude au moment du déclampage de l’aorte, nécessite encore des évaluations expérimentales, car peu d’équipes, à ce jour, ont œuvrées à démontrer l’efficacité d’une telle technique.

 

M. Yves LOGEAIS

Je me félicite de voir que vous validez le concept de basse pression lors de la reperfusion.

Concernant la contracture ischémique du muscle cardiaque désignée sous le terme de « cœur de pierre » (stone heart), situation d’échec irréversible, que conseillez-vous dans cette situation ?

Le « cœur de pierre », communément appelé « stone heart » est une situation postischémique qui survient lors des premières minutes de reperfusion du greffon. Le cœur devient rapidement œdémateux, rigide au toucher et la perfusion coronaire est abolie. En principe, le processus est irréversible et aucun moyen validé n’est à même de récupérer ce type de greffon. La physiopathologie de ce processus n’est pas clairement définie mais on estime que trois phénomènes concourent à cette altération : la production de radicaux libres, la baisse excessive de l’ATP cellulaire et la surcharge calcique des cardiomyocytes.

Afin de résoudre l’apparition de ces effets délétères, nous avons, dans notre laboratoire, testé l’hypothèse d’une protection induite par une basse pression (ou un bas débit) de reperfusion. Nos données montrent que le débit de reperfusion des cœurs ischémiques doit être adapté à l’état du cœur : ainsi, un haut débit, nécessaire pour un cœur sain, apparaît délétère pour le cœur ischémique, tandis qu’un bas débit, protecteur envers les cœurs ischémiques, semble délétère pour les cœurs sains. Au final, plus le cœur est altéré par l’ischémie, plus les précautions à prendre en début de reperfusion doivent être grandes, en particulier en baissant le débit ou la pression pendant les quinze premières minutes de reperfusion.

Mme Monique ADOLPHE

Quel est le mécanisme d’action de l’amélioration de la préservation des greffons cardiaques lors du préconditionnement ?

On estime que le mécanisme d’action du préconditionnement (PC) est complexe et incomplètement élucidé. Il est admis que des inducteurs, encore nommés « triggers », entraînent des modifications intracellulaires passant par des « médiateurs », et aboutissant à des cibles cellulaires « les effecteurs » à l’origine de la cardioprotection. Il est ainsi possible de mimer le PC et donc de limiter la taille finale de l’infarctus en prétraitant les cœurs avec des agents pharmacologiques, comme l’adénosine. Inversement, le PC isché- mique peut être aboli par administration d’antagonistes du récepteur A1 à adénosine. En fait, depuis plus de vingt ans, de nombreuses études expérimentales ont été réalisées pour caractériser les médiateurs, les récepteurs, les seconds messagers et les effecteurs qui peuvent être impliqués dans les voies de signalisation du PC. Des médiateurs endogènes libérés localement au cours de l’induction du PC ischémique ou des agonistes pharmacologiques (adénosine, noradrénaline, acétylcholine, bradykinine, endothéline, angiotensine et opioïdes), stimulent des récepteurs membranaires des myocytes couplés à des protéines G et des récepteurs à activité tyrosine kinase. La stimulation de ces récepteurs conduit à l’activation intracellulaire de protéines kinases : les protéines kinases C activées par le diacylglycérol, les protéines kinases B et les MAP Kinases. Par la suite de nombreuses protéines effectrices sont phosphorylées. Dans le cas du PC, il y a un consensus pour dire que l’effecteur final pourrait être les canaux K+-ATP. En effet, la protéine kinase C activée permettrait l’ouverture de canaux K+-ATP de surface (et/ou mitochondriaux). La raison exacte pour laquelle l’ouverture de ces canaux conduit à un effet protecteur n’est pas connue, mais semble impliquer une augmentation de l’efflux de potassium avec une modification du potentiel de membrane, une moindre accumulation d’ions calcium et une meilleure préservation des réserves énergétiques. Une autre voie, mitochondriale également, est l’inhibition du pore de transition de perméabilité, qui protégerait la mitochondrie et donc la cellule contre la nécrose et l’apoptose postischémique.

 

<p>* Lyon University, Inserm U1060 Carmen, University Lyon 1, F 69008 France, e-mail : rene.ferrera@univ-lyon1.fr Tirés à part : Professeur René Ferrera, même adresse Article reçu le 9 mai 2011, accepté le 16 mai 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 861-881, séance du 31 mai 2011