Discours de Madame Roselyne Bachelot-Narquin
Ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative
Monsieur le Président, cher Marc Gentilini, Monsieur le Secrétaire perpétuel, cher Jacques-Louis Binet, Mesdames et Messieurs les Académiciens, Mesdames et Messieurs, La pérennité des institutions, comme celle des principes, n’implique pas leur désué- tude.
Ni les unes, ni les autres, n’ont été établies pour être abstraitement célébrées. Bien au contraire, la puissance de leur autorité suppose leur effectivité.
Pour vivre, pour susciter l’adhésion, nos principes doivent s’incarner dans la réalité.
Leur simple invocation, malgré l’emphase qu’on peut y mettre, est non seulement insuffisante mais toujours périlleuse.
Liberté, égalité, fraternité, laïcité , ces principes de notre République, pour en soutenir l’essor, doivent gouverner la Cité.
Agir en leur nom , en s’épargnant l’effort de réforme visant à conformer le réel aux principes ainsi invoqués, c’est, renonçant à agir vraiment , favoriser la démonétisation des valeurs que nous proclamons.
De même, aucune institution ne saurait puiser sa crédibilité de sa seule ancienneté .
Le temps, réduit au décompte abstrait des années, ne fait rien à l’affaire. Il s’agit plutôt de durer , c’est-à-dire, au sens où Bergson l’entendait, de vivre , d’être porté par l’élan d’une liberté qui se cherche encore.
Ne voyez pas, Mesdames et Messieurs les Académiciens, dans ces propos liminaires, l’expression d’un goût excessif pour la nouveauté .
Bien au contraire, le modernisme le plus superficiel, oublieux des principes, ignorant des traditions, ne procède pas de cette philosophie du progrès que nous partageons.
Dans cette perspective, il faut oser le dire : les lumières sont encore devant nous.
Ainsi l’idéal de Condorcet qui assignait aux savants l’impérieux devoir de transmettre et d’éclairer, est encore à réaliser .
Je ne doute pas, à cet égard, de la vitalité promise à votre Académie, en ce moment de l’histoire où le perfectionnement de techniques et l’avancée des sciences requiert, pour assurer les conditions d’un progrès général, toujours plus de sagesse et de lumière.
Le désir de renouveau ne se réduit pas au culte de la nouveauté qui traduit, en vérité, un bien étrange attachement à la partie périssable des choses, qui est exactement leur qualité d’être neuves.
C’est « une chose tue » que je voudrai dire ici, reprenant à mon compte ces quelques lignes, tout à fait lumineuses, de Paul Valéry : «
Vous ne savez donc pas qu’il faut donner aux idées les plus nouvelles je ne sais quel air d’être nobles, non hâtées, mais mûries ; non insolites, mais existantes depuis des siècles ; et non faites et trouvées de ce matin, mais seulement oubliées et retrouvées ».
Et de poursuivre : « le goût excessif de la nouveauté marque une dégénérescence de l’esprit critique ».
À l’heure où notre pays doit s’engager dans un effort de modernisation sans précé- dent, où se prépare une réforme d’envergure visant à rénover profondément notre système de santé, je ferai donc ce vœu pour l’Académie nationale de médecine : que cette noble institution puisse devenir une sorte de sénat sanitaire , éclairant et critique, en raison même de la liberté que confère toujours paradoxalement l’expérience et la sagesse.
Ainsi, je compte sur l’Académie nationale de médecine pour participer activement au débat portant sur l’avenir de la santé dans notre pays.
Votre Académie réunit, en effet, les plus éminents spécialistes qui, par les vertus de l’échange, sont naturellement conduits à tisser des liens entre des territoires tenus trop souvent séparés.
Cette mise en relation des savoirs , productrice des liens, d’ intelligence , si l’on en croit l’étymologie, est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.
De même que l’hypertechnicité de la médecine contemporaine exige de libérer du temps médical, du temps pour l’écoute, du temps pour la relation humaine entre soignés et soignants, de même l’hyper spécialisation des disciplines exige de libérer du temps pour penser, du temps pour comprendre .
Aussi, je suis particulièrement fière et heureuse de pouvoir aujourd’hui présenter les grandes lignes de ma réforme, dans cet espace de temps affranchi de toutes contraintes extérieures que constitue cette Académie où vous est donné le loisir de penser.
Si nous voulons éviter de confondre vitesse et précipitation, il faut bien admettre, alors, que ce loisir n’est pas un luxe mais plutôt un impératif, un impératif pour tous ceux qui prétendent agir , c’est-à-dire, au sens le plus noble du terme, exercer une fonction politique.
La politique de santé que je veux conduire, en ce sens, n’est pas une politique d’annonces. C’est une politique normée par l’exigence du dialogue permettant de s’accorder sur les fins.
Raisonnablement, personne ne peut remettre en cause les fondements même de notre organisation sanitaire.
Raisonnablement, personne ne peut, non plus, laisser, par défaut de vigilance, se dégrader les soubassements de notre maison commune.
Parce que nous ne voulons pas changer de modèle hospitalier, nous devons changer l’hôpital.
Parce que nous ne pouvons pas faire payer aux générations futures les conséquences de notre inertie, parce que nous ne voulons pas leur laisser une dette impossible à régler, nous devons rénover en profondeur notre organisation sanitaire.
Cette politique, tout en intégrant les contraintes de l’efficience, en raison même du principe de solidarité entre les générations, est d’abord une politique de justice . Elle ne saurait, en aucun cas, procéder d’une vision strictement utilitariste.
Cette nécessaire réforme est déterminée par une seule finalité : garantir dans l’avenir, sur tout le territoire, l’accès à des soins de qualité , en sachant susciter la responsabilité de chacun.
Cette politique de justice obéit clairement à trois exigences : l’exigence d’ égalité , l’exigence de responsabilité individuelle et l’exigence de responsabilité collective, autrement dit de « solidarité ».
L’égalité, doit être assurée concrètement dans l’accès aux soins. Non pas une égalité abstraite, incantatoire, mais une égalité effective qui suppose, d’abord, de considérer chaque patient, non pas comme un malade parmi d’autres, mais comme un être social , saisi dans sa globalité.
C’est dans cette optique que je veux construire la loi
Patient, santé, territoires que je porterai à l’automne devant le Parlement.
Être égaux, ce n’est pas être identiques.
Ainsi, nous ne pourrons assurer concrètement et améliorer pour chacun les conditions de l’accès aux soins, qu’en tirant les conséquences nécessaires de la gradation des besoins de santé .
La gradation des besoins appelle une gradation des soins qui appelle elle-même une gradation des structures . L’adaptation de l’offre des soins aux besoins suppose ainsi de redéfinir les conditions d’une plus juste répartition des structures de soins sur le territoire .
Je ne défendrai donc pas abstraitement le principe d’une égale proximité de toutes les structures.
Ceux qui défendent ainsi cette pseudo proximité au nom d’un principe d’égalité purement incantatoire, participent au contraire au maintien et au renforcement de l’inégalité réelle.
Les individus les mieux informés sauront toujours éviter, en effet, de déterminer leurs choix en fonction d’un critère de proximité en l’occurrence inadapté à leurs besoins.
En revanche, dans l’urgence, chacun se trouve à égalité .
C’est pourquoi, je veux, conformément au principe de justice qui doit déterminer une politique de santé responsable , favoriser l’accès de tous aux services d’urgence répondant à un besoin réel de proximité.
Les SMUR héliportés et les outils de télésanté devront, en ce sens, être intégrés dans les schémas des urgences.
De même que l’invocation abstraite de l’impératif de proximité est inopérante, de même il est illusoire de penser qu’un établissement puisse tout faire tout seul.
La complémentarité vaut effectivement toujours mieux que l’exhaustivité . Il faut, en ce sens, que les établissements soient complémentaires et développent, chacun, des pôles d’excellence .
En aucun cas, il ne faut laisser, comme à l’état de nature, les gros poissons manger les petits. C’est pourquoi je souhaite que les établissements travaillent ensemble pour analyser les besoins et proposer une réponse graduée à la population.
Améliorer les conditions d’accès aux soins, c’est aussi, bien entendu, assurer plus également le principe de leur permanence sur le territoire.
La signature de l’avenant 27 à la convention médicale à d’ores et déjà permis au dispositif de permanence des soins de s’étendre à l’ensemble des horaires de fermeture des cabinets médicaux.
De nombreux départements ont, par ailleurs, fortement réorganisé la permanence de soins en s’appuyant sur les médecins généralistes, bien sûr, mais aussi sur les SAMU, les centres 15, des associations de régulation libérale, des maisons médicales de gardes et les établissements de santé. Des solutions pragmatiques partenariales ont pu être trouvées grâce à l’investissement de tous.
Les systèmes ambulatoires et hospitaliers sont interdépendants. Leur collaboration est, à cet égard, nécessaire.
Les gains d’efficience recherchés par toutes ces réformes ne sont pas une fin en soi.
Nous ne poursuivons qu’un seul but : redonner toute sa substance au principe d’égalité , impliquant pour chaque Français la possibilité de bénéficier de soins de qualité.
Je pense aux plus démunis , bien sûr, qui seraient les premières victimes de la dégradation d’un système de santé, négligeant d’assurer l’effectivité des principes qui le régissent depuis 1945.
A cet égard, il faut tout faire pour lutter contre la pratique scandaleuse, insupportable, du refus de soins . Mon projet de loi, santé, patient et territoire , que je veux inscrire dans la lignée des pères fondateurs de 1945, incorpore cette exigence, cet impératif irréfragable.
Mais je pense aussi à tous ces Français qui, dans les zones périurbaines ou rurales, ne sauraient être exposés au risque de la désertification médicale.
Je n’ai pas attendu de pouvoir légiférer pour demander, dans le cadre des négociations conventionnelles, la mise en œuvre de mesures désincitatives à l’installation dans les zones favorisées . Trouver un médecin près de chez soi, ça ne peut pas devenir un luxe .
La santé n’est pas un privilège.
La santé est un droit qu’il nous revient de garantir par un effort de modernisation sans précédent .
Je conduirai donc une politique ambitieuse qui ne se réduise pas à une énième réforme, une réforme sans âme et sans épiderme, technocratique et comptable .
C’est à nos concitoyens que je pense qui savent ce que signifie « ne pas trouver un médecin près de chez soi en cas d’urgence », « s’inquiéter du vieillissement, de l’isolement », et qui ne savent plus à qui s’adresser pour répondre à leur problème de santé, à tous ceux qui se sentent un peu perdus dans les méandres d’un parcours de soins, parfois redondant, souvent peu compréhensible.
La question de la démographie médicale, en ce sens, n’est pas un sujet de spéculation abstraite.
Près de quatre millions de Français éprouvent de réelles difficultés à trouver un médecin, alors même que la densité de médecins par habitant est l’une des plus élevées de l’OCDE.
Doit-on laisser, sans rien faire, se perpétuer une telle aberration ?
C’est en ce sens qu’il faut optimiser l’organisation du travail de ces professionnels pour libérer du temps médical . Non pas pour faire renaître de leurs cendres ces « officiers de santé » décrits par Flaubert, mais pour tirer vers le haut les compétences de chacun .
La nouvelle organisation suppose le développement de collaborations entre professionnels, notamment au sein des maisons de santé dont l’instauration est plébiscité par ces derniers.
Des mesures plus macroscopiques, comme la modulation du numerus clausus ou une meilleure répartition du nombre des médecins en formation sur le territoire, par spécialités, en fonction des besoins de la population, seront prises afin d’anticiper et d’accompagner les évolutions à venir de la démographie médicale.
La qualité n’est pas qu’une abstraction. Elle est aussi, et surtout, l’effet de la pratique quotidienne des personnels médicaux et paramédicaux. La qualité du service rendu dépend d’abord, très concrètement, de l’organisation globale de ressources.
Ainsi, il est indispensable de desserrer les contraintes auxquelles médecins et soignants sont trop souvent assujettis pour permettre à chacun de mieux satisfaire les exigences spécifiques à ses missions .
Dans notre monde hyper-technique, le geste soignant , admirable entrelacs d’humanité et de compétences, a vocation à recouvrer toute sa dignité.
Dans cette optique, le projet de loi que je porterai, dès l’automne, devant le Parlement, accordera la place qu’elle mérite à la question du partage des compé- tences.
Il faut tirer vers le haut les compétences de chacun.
Dans cette perspective, il est grand temps de rénover la formation des paramédicaux. Cette formation, en effet, doit être mieux adaptée à l’exercice actuel de leurs fonctions et leur permettre d’accomplir des tâches dont les médecins peuvent être affranchis.
Il faut, dans le même esprit, repenser la formation médicale continue et l’évaluation des pratiques professionnelles . Je souhaite ainsi transformer l’obligation de formation médicale continue qui est aujourd’hui une obligation de moyens en obligation de résultat .
Il faut en appeler davantage à la responsabilité de chacun.
Des cadres supérieurs peuvent se former toute leur vie, en empruntant les voies qu’ils jugent les mieux adaptées à leurs pratiques.
Ils peuvent ainsi, par exemple, juger plus efficace et utile de puiser leurs informations à des sources variées, comprenant les multimédias, plutôt que d’assister à tel ou tel congrès.
C’est dans cet esprit de responsabilité que je souhaite placer la question de la formation des cadres de santé au cœur de ma réforme.
De même, le nécessaire renforcement des liens entre la ville et l’hôpital implique une évolution des pratiques, une plus grande porosité entre les cultures hospitalières et ambulatoires. Ville et hôpital ne sont pas deux mondes séparés, destinés à s’ignorer.
La rénovation de nos pratiques, la modernisation de nos structures, dont dépendent la qualité et la sécurité des soins, reposent sur notre volonté commune d’agir sans tarder pour que notre système de soins conserve la réputation d’excellence qui fonde la confiance qu’il inspire.
Les Français ont confiance en leur hôpital. L’hôpital doit avoir confiance en lui-même, en sa capacité de répondre au défi de la modernisation.
La responsabilisation de tous est le juste corollaire de la confiance suscitée.
Cette philosophie de la responsabilité détermine l’esprit de notre réforme.
Si j’en appelle à la responsabilité, en effet, c’est au nom de l’exigence supérieure de justice, au nom du principe de solidarité qui doit continuer à soutenir notre édifice de soins.
C’est en ce sens que je veux faire évoluer la tarification à l’activité instaurée depuis 2005 .
Sans doute, ce dispositif, en mettant fin à la logique d’enveloppe, constitue un progrès indéniable du mode de financement des hôpitaux.
Cependant, dans un esprit d’équité, je souhaite au moins introduire deux inflexions visant à mieux prendre en compte la situation de précarité de certains patients et à mieux assurer la rémunération des prises en charge les plus lourdes qui peuvent toucher tout un chacun.
Le modèle actuel de tarification à l’activité ne tient pas compte de la situation sociale de patients. Or, un grand nombre d’études mettent en évidence que la durée de séjour de ces patients est supérieure à la moyenne, toutes catégories sociales confondues.
Il faut veiller à ce que le modèle de financement ne dissuade pas l’établissement hospitalier d’accueillir certaines catégories de la population, ce qui serait contraire aux principes de solidarité qui sont les nôtres !
Aussi, je veux accroître les ressources allouées aux établissements ayant une proportion importante de patients en situation de précarité.
Poursuivant un même objectif de justice dans le financement, j’ai décidé de faire évoluer la tarification des prestations. Une nouvelle version, dite version 11 , prévoit l’introduction de niveaux de sévérité qui permettront de mieux rémunérer les prises en charges les plus lourdes.
Le retour à l’équilibre financier des hôpitaux est une priorité. Cet objectif ne répond pas à une stricte logique comptable. Il répond à une exigence plus haute.
Mon ambition pour l’hôpital est de garantir sa pérennité, conformément au principe supérieur de justice qui doit guider tous nos choix !
La finalité générale de cette loi est d’assurer à chacun comme à tous des prestations — de prévention comme de soins — de la meilleure qualité, sans faire porter le poids d’une dette incontrôlée aux générations futures.
Les deux lignes de force de ce projet ambitieux sont la territorialisation et la responsabilisation des acteurs qu’implique l’exigence de solidarité nationale. Il déclinera le plan d’actions dans différents champs (médecine ambulatoire, hôpital, santé publique). La création des agences régionales de santé en constituera un des volets essentiels.
La création des agences régionales de santé permettra de renforcer résolument le pilotage territorial, au plus près des besoins de la population .
Les ARS, malgré la technicité apparente de leur conception, tirent leur raison d’être de la nécessité d’assurer à tous nos concitoyens, sur tout le territoire, l’accès à des soins de qualité.
Pour répondre aux grands enjeux de santé de notre pays, il fallait une réforme globale et ambitieuse.
Cette réforme doit se faire. Elle se fera.
La philosophie du pacte de 1945 en détermine clairement l’inflexion.
Les idéaux de la République constituent, en effet, l’horizon indépassable de notre action.
Restons d’abord, pour changer , fidèles à nous-mêmes !
Je vous remercie.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 853-860, séance du 27 mai 2008