Communication scientifique
Séance du 27 mai 2008

Le cancer de la prostate, le point sur le dépistage

MOTS-CLÉS : depistage de masse. tumeurs de la prostate
Prostate cancer : update on screening
KEY-WORDS : mass screening. prostatic neoplasms

Pascale Grosclaude

Résumé

L’intérêt du dépistage systématique du cancer de la prostate fait l’objet d’un débat majeur. Il n’existe pas de preuve que le dépistage organisé apporte un bénéfice à la population à laquelle il est proposé. Cependant l’utilisation du PSA dans le cadre d’un dépistage individuel est devenue très fréquente en France comme dans la plupart des pays européens. Cette pratique est à l’origine d’une augmentation majeure de l’incidence du cancer de la prostate qui est devenu en quelques années le cancer le plus fréquent. Le problème du dépistage se pose en termes d’articulation, entre un test ayant des performances médiocres eu égard à l’objectif qu’on lui fixe, à savoir dépister des tumeurs prostatiques agressives, et une prise en charge qui doit être nuancée en fonction de l’agressivité de la tumeur pour ne pas induire dans la population des effets négatifs insupportables. L’utilisation des résultats des essais en cours sur les performances du dépistage par PSA devra prendre en compte l’ensemble de ce problème.

Summary

The value of mass screening for prostate cancer is controversial. There is no evidence that organized prostate cancer screening programs improve survival. However, the use of prostate specific antigen (PSA) assay for individual screening has become very frequent in France, as in most other European countries. The frequent use of PSA is the main cause for the apparent increase in the incidence of prostate cancer, which has become the most frequent male cancer in recent years. The main problem with screening for prostate cancer is that available tests do not have very good sensitivity or specificity for aggressive tumors, while the adverse effects of treatment may be excessive in patients with less aggressive forms. Ongoing randomized clinical trials of PSA assay should help to clarify the situation. L’intérêt du dépistage systématique du cancer de la prostate fait l’objet d’un débat majeur. Il n’existe toujours pas de preuve que le dépistage organisé diminue à terme la mortalité par cancer de la prostate, cependant l’utilisation du PSA dans le cadre d’un dépistage individuel est devenue très fréquente en France comme dans la plupart des pays européens. Cette pratique est à l’origine d’une augmentation majeure de l’incidence du cancer de la prostate qui est devenu en quelques années le cancer le plus fréquent dans la population française. Il est possible de faire le point sur l’état actuel des connaissances en matière de dépistage du cancer de la prostate en reprenant de façon synthétique les critères classiques permettant de recommander un dépistage (table 1). Table 1. — Critères requis pour considérer qu’un dépistage est utile et possible : La maladie — doit être un problème de santé publique — elle doit exister, sous une forme latente avant d’être cliniquement décelable — son histoire naturelle doit être connue Il doit exister un test de dépistage — Simple à réaliser et peu invasif — Acceptable pour la population — Ayant de bonnes performances (sensibilité et spécificité) Il doit exister un traitement — accessible — Apportant un bénéfice supérieur s’il est réalisé à un stade précoce Le programme de dépistage — Doit être proposé à une population cible clairement identifié — Doit avoir fait la preuve (par des essais randomisés) qu’il apporte un bénéfice à cette population (en réduisant la mortalité ou la morbidité). — Que ce bénéfice est supérieur au coût humain lié au dépistage (physique et psychologique) — S’assurer que tous les sujets positifs peuvent bénéficier d’un diagnostic puis si nécessaire d’un traitement adapté.

La maladie

Compte tenu de sa fréquence et de la mortalité qu’il entraîne le cancer de la prostate est un problème de santé publique . En effet en 1985 selon les estimations fournies par les registres de cancer, on aurait diagnostiqué en France environ 14 290 cas de cancer de la prostate tandis que le nombre de décès associés à ce cancer était de 8 022 [1].

Depuis le risque pour un homme d’avoir un cancer de la prostate diagnostiqué a beaucoup augmenté en 2005 on estime à plus de soixante mille le nombre de nouveaux cas diagnostiqués annuellement et à environ neuf mille deux cents le nombre de décès. Compte tenu du vieillissement de la population, ces chiffres reflètent une augmentation importante du risque d’avoir un cancer diagnostiqué au cours de sa vie et une diminution du risque de décéder à l’instar de ce que l’on observe aux USA et dans d’autre pays d’Europe [2, 3]. Ceci peut aussi être formulé autrement : un homme né en 1910 avait 2,73 % de risque d’avoir un cancer prostatique diagnostiqué avant soixante-quinze ans et 1,36 % de risque de décéder d’un cancer de la prostate avant cet âge, pour un homme né en 1935 ces chiffres étaient respectivement de 7,99 % et 1,09 %. On peut ajouter que la projection de la situation actuelle expose un homme né en 1940 à un risque de 18,63 % d’avoir un cancer de la prostate avant soixante-quinze ans et de 0,85 % d’en mourir avant cet âge. Ces chiffres reflètent la difficulté et l’importance du débat autour du dépistage. Les chiffres de 1985 suffisent à justifier l’intérêt d’un dépistage mais l’augmentation majeure de l’incidence observée depuis, très majoritairement due à l’utilisation du PSA, en fait entrevoir les limites.

L’évolution du cancer de la prostate est lente et il existe une phase latente au cours de laquelle un dépistage peut être pratiqué. Toutefois, si l’histoire naturelle de la maladie est connue, il est difficile de différencier tôt les patients porteur d’une forme d’évolution lente et dont la maladie aurait peu de chance de se manifester avant leur décès de ceux porteur d’un cancer agressif.

Le test de dépistage

Il ne fait aucun doute que le dosage du PSA est actuellement le meilleur test de dépistage pour le cancer de la prostate. Simple à réaliser, peu agressif, peu coûteux il est socialement bien accepté. Ces performances sont toutefois assez médiocres.

Dans le cadre de l’essai de chimio-prévention (Prostate Cancer Prevention Trial), où une très grande proportion des sujets inclus ont eut une biopsie en cours ou en fin d’étude, Thompson [4] a pu fournir une mesure de la sensibilité et de la spécificité du PSA en fonction de différents seuils (figure 1). Pour un seuil à 4ng/ml la sensibilité n’est que de 20,5 % et la spécificité de 93,8 %. Il faut fixer un seuil à 2,5 ng/ml pour avoir une sensibilité à 40 %, mais la spécificité chute alors à 81 % et parmi les cancers dépistés beaucoup sont des tumeurs de petite taille et de faible agressivité qui ne se seraient peut-être pas manifestées du vivant des sujets.

Ce travail montre aussi que les performances du PSA sont meilleures si l’on cherche à détecter les cancers les plus indifférenciés (Gleason > 7 ou 8), mais tout le problème est de bien les identifier parmi l’ensemble des sujets dépistés sans multiplier les biopsies inutiles. Plusieurs tentatives ont été faites pour améliorer les performances du test PSA (utilisation du PSA lié ou de la vélocité du PSA) mais aucune ne donne de résultats probants [5].

 

Fig. 1. — Courbes ROC pour le PSA en fonction de la différenciation du cancer dépisté Les traitements

Dans le cas des cancers de la prostate, il existe plusieurs traitements à visée curative pouvant être proposés à un patient porteur d’un cancer localisé (prostatectomie radicale, radiothérapie curiethérapie). Ils sont encore à ce jour considérés comme équivalents. En France, c’est la chirurgie qui est actuellement la plus spontanément proposée et la fréquence de la prostatectomie radicale avoisine les trente pour cent cas diagnostiqués (chiffre proche de ce que l’on observe au USA). Compte tenu de ses effets secondaires (notamment sur la continence et la fonction érectile) et de la fréquence des cancers peu évolutifs révélés par le dépistage se pose de façon aiguë la question de différer ce traitement pour ne le réaliser que lorsqu’il devient indispensable. C’est dans cet objectif que se développe la stratégie dite de « surveillance active » qui se substitue maintenant au « watchful waiting » dont Bill-Alexson [6] a montré qu’il serait à l’origine d’une perte de chance principalement chez les sujets jeunes.

Le programme de dépistage

Comme dans la plupart des cas le dépistage cible les sujets en fonction de leur âge (cinquante-soixante dix ans) en excluant les sujets à haut risque relevant d’une surveillance spécifique. Il n’existe pas encore de preuve que le dépistage du cancer de la prostate apporte un bénéfice à cette population (en réduisant la mortalité ou la morbidité). Il fait actuellement l’objet de deux très grands essais randomisés, l’un aux Etats-Unis (The Prostate Lung Colorectal and Ovary Cancer, PLCO trial [7] l’autre en Europe (European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer, ERSPC) [8]. L’essai américain, qui n’est pas centré uniquement sur le cancer de la prostate, a débuté en 1993 et inclus plus de 75 000 hommes âgés de cinquante-cinq à soixante-quinze ans. L’essai Européen a inclus de 1993 à 2002 plus de dix neuf mille trois cents hommes âgés de cinquante à soixante-quinze ans, issu de huit pays.

Ces deux études n’ont publié à ce jour que des résultats intermédiaires mais aucune n’a encore montré un impact du dépistage sur la mortalité. Leurs résultats, attendus initialement pour fin 2008 ne seront probablement pas disponibles avant 2010 notamment pour compenser la baisse de puissance liée à la fois à la diminution globale de la mortalité et à la forte contamination par le dépistage spontané.

Les premiers résultats publiés mettent en évidence le principal problème du dépistage par PSA qui est sa difficulté à sélectionner une population à haut risque de mortalité (voire de morbidité) par cancer de la prostate [9] pour laquelle il existe un bénéfice au dépistage. Les conditions actuelles de prise en charge qui répondaient bien à la situation passée (diagnostic surtout clinique) où les cancers agressifs étaient fréquents, ne sont pas adaptées à l’augmentation des formes de faible évolutivité mise en évidence par le dépistage. Ainsi, le dépistage apporte un bénéfice à une partie de la population, mais il est probablement très délétère pour une autre partie du fait d’un sur-traitement et de ces séquelles. C’est du poids donné à chacun de ces deux résultats que viennent les différences d’appréciation dans l’intérêt du dépistage et la polémique qui en résulte. La solution la plus évidente serait d’être capable de proposer un traitement adapté à chacune de ces populations.

Cela implique :

— d’être capable de distinguer ces deux populations de la façon la moins invasive possible — de leur proposer ensuite à chacune une prise en charge adaptée.

Plusieurs solutions sont envisagées pour distinguer les formes agressives de cancer des autres.

— Plusieurs équipes développent des nomogrames permettant de prédire l’évolutivité d’une tumeur. Basés sur des données d’anamnèse, ils ont avant tout pour but de déterminer si des biopsies doivent être réalisés à la suite d’un résultat positif au dépistage [10-12] et donc de diminuer dès l’étape de la vérification diagnostique le caractère invasif du processus enclenché par le dépistage (dépistage-diagnostic-traitement). L’utilisation d’informations issues de la génétique est aussi envisagée et des résultats récents montrent une évolution rapide des connaissances dans ce domaine [13].

— Quant à la proposition d’un traitement adapté, la réponse passe par des protocoles prospectifs randomisés permettant d’évaluer la stratégie de surveillance active vs les stratégies actuelles avec traitement immédiat (pour les différents types de traitement actuellement reconnus). En termes d’acceptabilité pour la population de ces stratégies complexes, il ne faut pas négliger la grande difficulté à justifier une attitude non-interventionniste chez des patients se sachant atteints d’un cancer.

Le problème du dépistage se pose donc en termes d’articulation entre, un test ayant des performances médiocres eu égard à l’objectif qu’on lui fixe, à savoir dépister des tumeurs prostatiques agressives, et une prise en charge qui doit être nuancée en fonction de l’agressivité de la tumeur pour ne pas induire dans la population des effets négatifs insupportables. L’utilisation des résultats des essais en cours sur les performances du dépistage par PSA devra prendre en compte l’ensemble de ce problème.

BIBLIOGRAPHIE [1] Bellot A., Grosclaude P., Bossard N. et al . — Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005.

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The Lancet , 2008, 2045 , on line DOI 10.1016/S1470.

[3] Kvåle R., Auvinen A., Adami H-O, et al — Interpreting Trends in Prostate Cancer Incidence and Mortality in the Five Nordic Countries.

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[4] Thompson I M., Pauler D K., Chi C. et al — Operating characteristics of prostate-specific

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[7] Andriole G L., Levin D L., Crawford ED. et al — Prostate Cancer Screening in the Prostate,

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[8] Postma R., Schroder F.H. — Screening for prostate cancer.

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[10] Draisma G., Postma R., Schroder F H. et al . — Gleason score, age and screening : Modeling dedifferentiation in prostate cancer.

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[13] Zheng L., Sun J., Wiklund F. et al . — Cumulative Association of Five Genetic Variants with

Prostate Cancer.

NEJM, 2008, 358 , 910-919.

 

DISCUSSION

M. Pierre GODEAU

Vous nous avez montré les avantages et insuffisances des PSA dans une étude statistique transversale. Vos conclusions sont-elles transposables aux études longitudinales comportant en outre un contrôle des PSA libre et confirmé. Ne peut-on pas espérer de ces données évolutives une meilleure spécificité ?

Plusieurs publications récentes soulignent en effet l’intérêt de la vélocité du PSA (PASV) comme facteur pronostique indépendant des cancers traités (notamment par chirurgie) mais aussi la forte association positive entre PSAV et agressivité de la tumeur mesurée par le score de Gleason. En revanche dans les résultats issus de l’essai « Prostate cancer prevention Trial » (PCPT) le PASV n’avait pas une meilleure valeur qu’un simple test PSA pour le dépistage (Thompson 2006). Les résultats de cette étude sont particulièrement importants dans le débat sur le dépistage du cancer de la prostate, car comme une très grande proportion des sujets inclus ont eu une biopsie, la branche témoin fourni des seules données prospectives permettant de calculer correctement les performances du test (sensibilité et spécificité). Analysant ces résultats R Etzioni propose une explication à cette apparente contradiction et je reprendrais ici ses arguments. « — Si la mesure de la vélocité PASV est exprimée en ng/ml d’augmentation annuelle, comme c’est le cas dans plusieurs publications, il existe une confusion entre gravité initiale de la maladie et PSAV car l’augmentation exprimée ainsi est d’autant plus forte que la valeur initiale du PSA est forte. Ceci explique que la valeur du PSAV disparaissent après ajustement sur le PSA initial. Quand pour exprimer différemment cette vélocité on utilise une modélisation permettant d’avoir soit le temps de doublement, soit le pourcentage d’augmentation on constate que le calcul fait uniquement sur les deux derniers dosages donne en moyenne des résultats plus élevés que le calcul fait sur un plus grand nombre de test successifs. Or les séries publiées montrant des résultats positifs utilisent des informations rétrospectives avec moins de dosages que les séries prospective. Une association fut elle très forte entre le résultat d’un test et la gravité de la maladie exprimée par un risque relatif ou un odds ratio élevé n’est pas synonyme de sensibilité ou spécificité élevée. Ceci explique notamment les résultats de P Pinsky (Pinsky 2007) sur PLCO cancer trial où malgré une association positive entre PASV et score de Gleason, l’AUC (aire sous la courbe ROC) qui permet de comparer deux test de dépistage n’est pas bien meilleure en ajoutant le PSAV (0,626 vs 0,646) ». Elle n’en conclut pas que le PSAV n’a aucun intérêt en termes de dépistage, mais que l’on ne peut pas inférer directement d’observations faites dans des séries cliniques pour affirmer que le PSAV est meilleur que le PSA seul et qu’il faut attendre des résultats d’études construites dans cet objectif pour avoir une réponse.

 

<p>* Registre des cancers du Tarn, BP 37, Albi 81001 cedex ; e-mail : grosclau@cict.fr Tirés à part : Docteur Pascale Grosclaude, même adresse Article reçu le 6 mai 2008, accepté le 19 mai 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 1013-1019, séance du 27 mai 2008