Communication scientifique
Séance du 27 mai 2008

Les traitements du cancer localisé de la prostate

MOTS-CLÉS : thérapeutique. tumeurs de la prostate
Treatment of localized prostate cancer
KEY-WORDS : prostatic neoplasms. therapeutics

Guy Vallancien, Xavier Cathelineau, François Rozet et Éric Barret

Résumé

Les différents traitements validés et opposables au cancer localisé de la prostate sont la prostatectomie radicale, la radiothérapie externe, la curiethérapie et les ultrasons focalisés. Les résultats oncologiques varient de 85 à 30 % de survie sans récidive biologique à dix ans. Les résultats fonctionnels varient selon les techniques proposées. Les risques sexuels à type d’impuissance varient de 20 à 60 % et les risques urinaires de 10 à 30 %. Le choix du traitement dépend, avant tout, de l’état général du malade, des données des biopsies et de l’imagerie. Une information claire sur les choix thérapeutiques et leurs risques doit être fournie aux patients. La surveillance armée est une option possible qui demande à être validée. Dans certaines circonstances, comme chez les hommes très âgés, un traitement hormonal intermittent est un compromis qui assure une bonne qualité de vie. L’avenir est aux traitements focalisés qui pourront détruire les seules cellules cancéreuses détectées par les biopsies à la condition d’améliorer l’imagerie diagnostique

Summary

Treatments for localized prostate cancer include radical prostatectomy, brachytherapy, conformal external beam irradiation, and focused ultrasound. This paper describes the oncologic and functional results of each approach. The treatment choice depends on the patient’s general status and on the results of biopsy and imaging studies. Watchful waiting and hormone therapy are other options for elderly patients.

INTRODUCTION

Autant la question du diagnostic précoce du cancer de la prostate semble plus philosophique que véritablement médicale, autant la question de savoir s’il faut traiter un cancer de la prostate a un sens.

Les outils diagnostiques

Les outils diagnostiques, tel que le toucher rectal et surtout le PSA [1] qui huit fois sur dix alertent l’urologue sur un risque de cancer et la réalisation des biopsies à la consultation permettent de confirmer le diagnostic et décider de la bonne attitude thérapeutique. C’est en fonction des éléments du compte rendu anatomopathologique et des éventuels examens d’imagerie que le choix se fera basé sur le nombre de biopsies positives, la localisation de ces biopsies, le pourcentage de lésion découverte sur la carotte de biopsies et élément le plus fondamental, le score de Gleason avec ses deux composantes et son total. L’imagerie intervient peu au stade de cancer localisé.

La classification de D’Amico [2] répartit en trois groupes les malades atteints de cancer de la prostate. Ceux avec un bon pronostic (ceux avec PSA <10, Gleason<7, stade clinique : de T1a à T1c) et le groupe des moyens risques (PSA>10, Gleason 7, stade : T2a et plus) et le groupe de mauvais pronostic (Gleason 8 ou supérieur, stade : T3).

La répartition de ces groupes est actuellement d’environ 50 % à faible risque d’évolution, lors de la découverte, 30 % de risque moyen et 20 % de haut risque, mais ces données doivent être interprétées avec précaution car la sous stadification est fréquente (35 %) lorsque l’on compare le résultat des biopsies et celui de l’examen final de la pièce opératoire.

Quelles armes thérapeutiques proposer lorsque le cancer de la prostate est à priori localisé ?

Nous ne décrirons que les techniques aujourd’hui validées, ne parlant pas de la cryothérapie, ni de la photothérapie dynamique. Il existe en France, quatre techniques possibles : la chirurgie par prostatectomie radicale avec ou sans curage ganglionnaire ilio-obturateur, la radiothérapie externe, la curiethérapie et les ultrasons focalisés. L’autre option est celle de la surveillance armée basée sur la répétition du taux de PSA tous les quatre mois la première année puis deux fois par an pendant deux ans et en l’absence d‘évolution une fois par an [3]. Enfin la prescription d’un traitement hormonal notamment intermittent est un option raisonnable chez les hommes très âgés en bon état général pour lesquels les thérapies physiques ou chirurgicales sont trop lourdes si l’on veut bien considérer le rapport quantité/ qualité de vie

L’âge du malade, ses co-morbidités éventuelles, la classification de D’Amico et le désir propre du patient entrent largement en ligne de compte dans le choix thérapeutique.

Les résultats

Carcinologiques

Dans les cas de cancer à faible risque, les résultats sont identiques sur le plan oncologique pour la chirurgie [4-9] et la curiethérapie [10-12], avec une survie spécifique sans récidive biologique de 75 à 85 % à dix ans et une survie globale de 98 %. Dans les formes de risque moyen la survie spécifique est de 65 à 75 % après chirurgie alors que la curiethérapie n’est guère plus indiquée car nettement moins efficace sauf à la combiner à une irradiation externe. Dans les formes à haut risque la chirurgie donne environ 35 % à 40 % de bons résultats carcinologiques à elle seule.

Ces résultats sont un peu moins bons après irradiation externe [13, 14] et traitement par ultrasons focalisés [15-18] (65 % d’absence de récidive biologique).

Fonctionnels

Sur le plan fonctionnel, les complications et effets secondaires varient selon les techniques.

Après chirurgie, le taux d’incontinence urinaire d’effort varie de 8 % à 35 %, le taux de sténose de l’anastomose vesico-uretrale varie de 1 à 10 % et le taux d’impuissance de 20 à 50 % selon l’état antérieur du malade et la conservation ou non des bandelettes vasculo-nerveuses. Après curiethérapie, le risque de rétention urinaire aiguë varie de 4 à 13 % et le taux de troubles mictionnels persistant de 40 à 65 % sous forme d’impériosité gênante les premiers mois et qui se tasse lentement sans souvent disparaître. Une dysérection ou une impuissance surviennent plus tardivement qu’après la chirurgie où elle est immédiate et survient dans 15 à 40 % des cas. Les risques de rectite radique sont rares.

Après irradiation externe les risques sont urinaires : cystite radique et intestinaux :

rectite. Les sténoses de l’urètre surviennent dans 4 % des cas. Les dilatations du haut appareil urinaire surviennent dans 5 % des cas et à distance. L’impuissance est observée dans 50 % des cas et en cas de traitement hormonal associé, quasi constante.

Le risque de décès au cours de ces traitements est voisin de 0 % (0,04 % après chirurgie). Le traitement hormonal montre dans les études réalisées sur plus de dix ans une bonne acceptabilité et des résultats intéressants sur le plan du contrôle du psa.

 

Les indications

Lorsque l’on a affaire à un homme jeune, de moins de soixante ans en excellent état général, deux techniques prédominent : la chirurgie et la curiethérapie. Les résultats doivent être évalués à trois ans tant sur le plan oncologique que fonctionnel. A cette date le risque oncologique devient minimal et les résultats fonctionnels sont stabilisés. La curiethérapie seule ne doit pas être indiquée dans les formes à risque élevé sauf à la combiner avec une radiothérapie externe de complément.

Lorsque le malade est plus âgé les deux techniques restent tout-à-fait licites jusqu’ à soixante-dix voire soixante-quinze ans.

Le traitement par irradiation est proposé chez les malades à partir de soixante-dix ans ainsi que le traitement par ultrasons focalisés. Dans les formes à moyen ou à haut risque les deux traitements de choix sont la chirurgie radicale avec curage ganglionnaire ilio-obturateur et la radiothérapie externe éventuellement précédée d’un curage ilio-obturateur par coelioscopie associée à une hormonothérapie d’aumoins deux ans. Les résultats sont dans ces cas à risques de 20 à 50 % de survie sans récidive biologique à dix ans.

Le traitement hormonal intermittent est une option valable chez les hommes très âgés et en bon état général. Le recul de quinze ans est suffisant pour le proposer en sachant que la qualité de vie est préservée. Le suivi effectué par le dosage du psa et de sa courbe d’ascension montre que les risques de complications inhérents à ce cancer sont nuls tant que le psa reste en-dessous de 20 ng/ml.

Enfin l’avenir sera aux traitements focalisés, visant à ne détruire que les foyers cancéreux détectés par les biopsies. Les agents physiques comme les ultrasons, la cryothérapie, les radiofréquences in situ joueront probablement un rôle de plus en plus grand dans la prise en charge des malades atteints d’un cancer de la prostate.

Toute la question reste celle de l’amélioration de l’imagerie diagnostique qui reste encore entachée d’un taux d’erreurs important dans la ciblage exact des foyers tumoraux.

CONCLUSION

Les résultats des traitements du cancer de la prostate sont d’autant meilleurs que le cancer est localisé. Le choix d’une thérapie doit être expliqué au malade en lui indiquant les risques oncologiques et fonctionnels, ce qui implique dans l’idéal de concentrer les techniques diverses dans des centres équipés ayant des spécialistes rodés. Le traitement hormonal a sa place dans certaines indications, en particulier chez les hommes très âgés en bon état général. L’avenir est au traitement focalisé en utilisant les agents physiques sur les zones de biopsies positives. L’imagerie diagnostique doit progresser pour optimiser la destruction des seules cellules tumorales intra prostatiques.

 

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DISCUSSION

M. Pierre GODEAU

La limite de 40 g ou 50 g autorisant certains traitements (ultrasons et curiethérapie) ne peut-elle pas être acquise par une hormonothérapie préalable de trois mois ? La position de la tumeur par rapport à la capsule n’est-elle pas aussi importante que le poids global de la prostate ?

Tout à fait, si la prostate fait soixante grammes, il est toujours possible d’envisager une réduction de son volume par une hormonothérapie de trois ou six mois afin d’obtenir une cible facilement accessible.

M. Jacques ROUËSSÉ

Quelle est la place de la TEP dans la détection des cancers de la prostate ?

Pour le moment la TEP n’a pas de place dan le diagnostic des cancers de la prostate localisés. L’IRM est plus performante, notamment après injection de gadolinium.

M. Guy de THÉ

Lors de votre dernière communication sur le cancer de la prostate, vous aviez indiqué que 15 % des cancers prostatiques avaient des taux de PSA très bas. Aucune mention n’en a été faite aujourd’hui. Pourriez-vous indiquer ce qu’il en est ?

Vous avez tout à fait raison d’évoquer cette question. Il existe des cancers de la prostate avec des taux de psa à 0,5 ou 1 ng/ml. Ce sont parfois les plus dangereux car indifférenciés dont la sécrétion en psa est faible. En pratique, il n’y a pas de seuil objectif et en France l’attitude qui consiste à retenir le chiffre de 4 ng/ml évite la détection des très petits cancers qui ne sont pas à risque, sauf pour le très petit groupe de malades (1 %) dont le cancer est très indifférencié (score de Gleason à 9 ou 10).

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Urologie, Institut Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 — Paris Tirés à part : Professeur Guy Vallancien, même adresse Article reçu le 3 mai 2008, accepté le 19 mai 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 1021-1026, séance du 27 mai 2008