Communication scientifique
Séance du 30 mars 2010

Les matrikines anti-tumorales : intérêt potentiel en cancérologie

MOTS-CLÉS : matrice extracellulaire. protéines de la matrice extracellulaire.
Anti-tumoral matrikines : potential interest in oncology
KEY-WORDS : extracellular matrix. medical oncology. proteins

François-Xavier Maquart

Résumé

Le terme de « matrikine » a été créé pour désigner des peptides provenant de la dégradation partielle des macromolécules de la matrice extracellulaire, possédant des activités modulatrices sur les cellules. Parmi les matrikines, certaines possèdent des propriétés inhibitrices de la progression tumorale et/ou de la néoangiogénèse, ce qui fait d’elles de nouveaux agents anti-tumoraux potentiellement utilisables en thérapeutique anti-cancéreuse. Cette revue fait le point sur les principales matrikines anti-tumorales actuellement décrites, en particulier celles provenant des macromolécules de la membrane basale.

Summary

The word ‘matrikine’ designates certain peptides derived from partial degradation of extracellular matrix macromolecules and capable of modulating cellular activities. Some matrikines have been shown to inhibit tumor progression and/or neo-angiogenesis, suggesting they may have therapeutic potential. This review examines the main matrikines with anti-tumoral properties, and particularly those originating from basement membrane macromolecules. After a brief description of their discovery and main characteristics, we discuss their mode of production, mechanism of anti-tumor action, and therapeutic potential.

INTRODUCTION

La matrice extracellulaire a été longtemps considérée seulement comme un support architectural pour les cellules du tissu conjonctif. Les données récentes publiées par notre laboratoire et d’autres ont toutefois souligné que la matrice extracellulaire est en fait un élément majeur de régulation des activités cellulaires. Ainsi, les différents modules qui composent les principales molécules de la matrice extracellulaire (collagènes, élastine, glycosaminoglycannes et protéoglycannes, glycoprotéines du tissu conjonctif) représentent, par le biais de certains de leurs modules constitutifs, de véritables signaux pour les cellules qui entrent en contact avec eux. Ces signaux sont capables d’activer de nombreuses voies de signalisation intracellulaire, régulant des processus aussi variés que l’adhésion, la migration, la prolifération cellulaire, la synthèse ou la dégradation de macromolécules ou l’apoptose.

Les domaines polypeptidiques doués d’activités biologiques au sein des macromolécules matricielles peuvent être libérés par protéolyse partielle et interagir spécifiquement avec des récepteurs de la surface des cellules voisines pour réguler leur activité. Il y a plusieurs années, nous avons proposé le nom de « Matrikines » pour désigner ces peptides bio-actifs provenant de la matrice extracellulaire [1, 2]. Le système des matrikines constitue ainsi de nouvelles boucles de régulation de l’activité cellulaire au sein des tissus, susceptibles d’être altérées dans de nombreuses pathologies, en particulier le cancer.

La présence de petits peptides bio-actifs dérivés des glycoprotéines du tissu conjonctif a été démontrée dès les années 60 [3]. Des peptides dérivés de la dégradation de l’élastine capables de réguler certaines fonctions cellulaires ont été également observés à cette époque dans la paroi artérielle [4]. Dans notre propre laboratoire, nous avons montré il y a plus de vingt ans qu’une fraction de faible masse moléculaire provenant des glycoprotéines du tissu conjonctif était capable d’inhiber la synthèse de collagène dans des cultures de fibroblastes sclérodermiques [5]. Des éléments plus récents indiquent maintenant que la plupart des macromolécules de la matrice extracellulaire peuvent donner naissance à des matrikines, qui jouent donc probablement un rôle important dans les processus physiopathologiques.

PRODUCTION DE MATRIKINES AU SEIN DES TISSUS

La plupart des cellules de mammifères sont capables de produire de la matrice extracellulaire mais aussi des protéinases, en particulier des métalloprotéinases matricielles et/ou de la plasmine, qui peuvent dégrader les macromolécules matricielles. Les cellules peuvent en même temps produire les activateurs et/ou les inhibiteurs de ces protéinases. Elles peuvent ainsi réguler par elles-même la production de matrikines susceptibles de moduler leur fonctionnement ou celui des cellules voisines (figure 1).

 

Fig. 1. — Le concept de matrikine : La cellule A produit une matrice extracellulaire mais aussi des protéinases capables de la dégrader, ainsi que leurs activateurs et/ou inhibiteurs. Parmi les peptides libérés, certains, appelés « matrikines » sont capables d’interagir avec des récepteurs situés sur d’autres cellules situées à proximité (cellule B) et de réguler les activités de celles-ci, créant ainsi de véritables boucles de régulation au sein même des tissus.

L’intérêt des matrikines en Cancérologie vient du fait que beaucoup d’entre elles sont capables d’inhiber les protéinases matricielles impliquées dans les phénomènes d’invasion cellulaire. La migration des cellules cancéreuses dans les tissus constitue, en effet, un événement majeur pour la progression tumorale et la formation des métastases [6]. Le franchissement des membranes basales, en particulier épithéliales, est pour la majorité des cancers, indispensable pour l’envahissement des tissus conjonctifs sous-jacents par les cellules tumorales. De la même façon, pour essaimer à distance, les cellules cancéreuses doivent franchir la membrane basale des capillaires à proximité de la tumeur primitive pour passer dans le flux sanguin. Elles doivent ensuite franchir à nouveau la membrane basale vasculaire pour ressortir des vaisseaux et donner naissance à une métastase. Toutes ces étapes font appel à des protéinases de la famille des métalloprotéinases matricielles (Matrix MetalloProteinases, MMPs). L’activité de certaines MMPs est également nécessaire à l’angiogénèse tumorale, indispensable à la progression de la tumeur primaire comme au développement des métastases.

La famille des MMPs comprend au moins vingt-six membres qui peuvent dégrader pratiquement tous les composants de la matrice extracellulaire [7]. De très nombreuses MMPs peuvent être impliquées dans la progression tumorale. Il semble toutefois que les principales soient la MMP-2 (ou gélatinase A) et la MMP-14 (métalloprotéinase membranaire de type 1 ou MT1-MMP) [8]. Cette MMP est le principal activateur spécifique de la MMP-2 mais elle peut, de plus, dégrader par elle-même la matrice extracellulaire et favoriser la progression tumorale. Les MMP-2 et 14 sont exprimées spécifiquement sur la membrane des cellules tumorales invasives et leur inhibition est capable de freiner la progression tumorale.

En sus des MMPs, le système d’activation de la plasmine, enzyme impliquée dans le processus de fibrinolyse, est également capable de dégrader la matrice extracellulaire soit directement, soit en permettant le passage des pro-MMPs inactives en MMPs actives [9], le plasminogène, inactif, est activé en plasmine grâce à des activateurs des protéinases spécifiques, u-PA ( urokinase-type Plasminogen Activator) et t-PA ( tissue-type Plasminogen Activator ). L’action de ces activateurs peut toutefois être bloquée par des inhibiteurs spécifiques, les PAI («

Plasminogen Activator Inhibitor »), en particulier PAI-1. Le système d’activation du plasminogène paraît fortement impliqué dans le processus d’invasion tumorale et les métastases [10].

LES COLLAGÈNES DE MEMBRANE BASALE COMME SOURCE DE MATRIKINES ANTI-TUMORALES

Compte-tenu de l’importance du contrôle de la traversée des membranes basales dans l’invasion tumorale et la dissémination métastatique, notre laboratoire s’est, au cours de ces dernières années, intéressé particulièrement à l’activité anti-tumorale de certaines matrikines dérivées des collagènes associés aux membranes basales. La plupart de nos travaux ont porté sur le collagène de type IV, un des principaux constituants des membranes basales des mammifères.

Matrikines anti-tumorales dérivées du collagène de type IV

Le collagène de type IV, aussi appelé collagène de membrane basale, est un collagène spécifique de cette structure qui sépare les tissus épithéliaux ou endothéliaux du tissu conjonctif sous-jacent. Il est présent principalement dans la zone opaque aux électrons appelée « lamina densa ». Il est synthétisé par les cellules épithéliales ou endothéliales mais aussi par les fibroblastes au cours du développement embryonnaire ou de la cicatrisation. Comme tous les collagènes, il est formé de trois chaînes α, enroulées en triple hélice sur une majorité de leur longueur. Les chaînes α peuvent être de six types différents, appelés α1(IV), α2(IV), α3(IV), α4(IV), α5(IV) et α6(IV). Sa composition moléculaire peut varier suivant les tissus. Ses chaînes α possèdent du côté N-terminal un domaine appelé domaine 7S, ainsi nommé en raison de sa constante de sédimentation en ultracentrifugation et, du côté C-terminal, un domaine globulaire, non collagénique, appelé NC1 (figure 2). C’est la polymérisation de ce monomère par l’intermédiaire de ces domaines 7S d’une part et NC1 d’autre part qui permet la formation d‘un réseau plan appelé par les auteurs qui l’ont mis en évidence « en grillage de cage à poules ». Plusieurs réseaux plans s’interconnectent ensuite pour former des structures tridimensionnelles complexes.

 

Fig. 2. — Les molécules de collagène de type IV possèdent à leur extrémité C-terminale un domaine non triple hélicoïdal (non collagénique) appelé NC1 qui peut posséder des activités antitumorales et/ou anti-angiogéniques.

Les résultats de notre laboratoire puis d’autres ont montré que les domaines NC1 de nombreuses chaînes α du collagène de type IV possédaient des activités antitumorales et/ou anti-angiogéniques particulièrement intéressantes en cancérologie.

Dès 1997, nous avons montré [11] qu’un petit peptide de 19 acides aminés issu du domaine NC1 de la chaîne α3 du collagène de type IV, [α3(IV) 185-203], était capable d’inhiber la prolifération de diverses lignées de cellules cancéreuses comme les cellules de mélanome, de fibrosarcome, de prostate ou de poumon mais n’avait aucun effet sur la prolifération de fibroblastes normaux.

Des expériences ultérieures, dans lesquelles les cellules tumorales sont déposées sur un filtre recouvert de Matrigel®, un équivalent de membrane basale, nous ont montré que cette séquence peptidique était capable d’inhiber l’invasion des cellules de mélanome humain [12]. Parallèlement à nos travaux, l’équipe de Kalluri, aux États-Unis, démontrait que le domaine NC1 de la chaîne α3(IV) possédait également une activité anti-angiogénique et proposait le nom de Tumstatine (« Tumor Stasis Inducer ») pour le désigner [13]. Pour expliquer l’activité anti-invasive et anti-angiogénique de la tumstatine et des matrikines qui en sont dérivées, nous avons étudié les effets de celles-ci sur les cascades protéolytiques nécessaires à l’invasion et à l’angiogénèse tumorale. Nous avons montré que l’expression de la MT1-MMP (MMP-14) et l’activation de la MMP-2 sur la membrane plasmique des cellules tumorales étaient considérablement réduites en présence de ces effecteurs, ce qui entraînait une forte réduction de leurs capacités invasives. Cette inhibition s’exerçait également sur le système d’activation de la plasmine, entraînant une diminution de l’activité de son activateur tissulaire, le t-PA, et l’augmentation de l’expression de son inhibiteur, PAI-1 [14]. Nous avons également montré que l’inhibition de la migration des cellules de mélanome par le peptide α3(IV) 185-203 s’exerçait par interaction avec une intégrine impliquée dans le processus de migration cellulaire, αvβ3, ce qui induisait un changement de conformation de celle-ci puis l’activation et la phosphorylation précoce de kinases intracellulaires (FAK ou « Focal Adhesion Kinase » et PI3-kinase), ainsi qu’une augmentation des concentrations intracellulaires en calcium et en AMP cyclique. Ces actions entraînent une immobilisation des cellules tumorales, complétant ainsi les effets précédents.

Pour démontrer la réalité de l’effet anti-tumoral in vivo , nous avons utilisé un modèle expérimental de mélanome chez la souris. Dans ce modèle, des cellules B16F1 transfectées ou non par un plasmide entraînant l’expression de la tumstatine sont injectées en sous-cutané au jour 0 sous la peau de souris syngéniques C57BL6. La croissance de la tumeur peut alors être mesurée régulièrement, puis celle-ci être collectée pour analyses après la durée souhaitée. Dans ce modèle, nous avons montré que la croissance tumorale était diminuée d’environ 60 % avec les cellules de mélanome exprimant la tumstatine par rapport aux cellules tumorales non transfectées. L’analyse des tumeurs a montré que l’effet inhibiteur était associé à une diminution de la prolifération cellulaire et à une diminution de la production et/ou de l’activation de la MT1-MMP (MMP-14), mais aussi de la MMP-2, de la MMP-9 et de la MMP-13, toutes les trois impliquées dans la progression tumorale. La diminution du système d’activation de la plasmine était également observée dans les tumeurs. Dans le même modèle, nous avons pu ultérieurement montrer que la croissance du mélanome in vivo était fortement inhibée par simple injection intrapéritonéale du peptide α3(IV)185-203, ce qui démontre que cette matrikine peut être efficace quand elle est administrée par voie systémique. Nous avons également utilisé un modèle de métastases expérimentales en injectant des cellules tumorales dans la veine caudale de la souris à J0, puis en sacrifiant les souris et en prélevant les poumons à J21. Nous avons montré que le nombre de métastases pulmonaires était très significativement réduit lorsque les cellules tumorales étaient transfectées pour exprimer la tumstatine [16].

Par des études histochimiques et immuno-histochimiques, nous avons observé que, dans les tumeurs sur-exprimant la tumstatine, la diminution de la croissance tumorale s’accompagnait d’une diminution de l’angiogénèse tumorale, avec un nombre de capillaires irriguant la tumeur très significativement réduit par rapport aux tumeurs contrôles. Dans un modèle in vitro , nous avons pu confirmer l’activité anti-angiogénique de la tumstatine et des matrikines qui en sont dérivées en montrant, par exemple, que celles-ci inhibent la formation de tubes pseudo-capillaires lorsque des cellules endothéliales humaines sont cultivées sur du Matrigel®.

L’ensemble de ces résultats expérimentaux est à rapprocher de plusieurs études cliniques effectuées précédemment. Ainsi, Polette et al. [17, 18] ont montré que la tumstatine est normalement absente dans le poumon sain mais qu’elle est fortement exprimée en périphérie des carcinomes broncho-alvéolaires et des carcinomes à cellules squameuses pulmonaires, suggérant que l’expression de tumstatine pourrait être un moyen de défense du parenchyme pulmonaire normal contre l’invasion tumorale. De la même façon, Caudroy et al. [19] ont montré que l’expression de tumstatine est inversement corrélée avec la vascularisation de la tumeur dans des carcinomes pulmonaires. Là encore, ce résultat observé chez des malades suggère que la tumstatine pourrait exercer un effet anti-angiogénique dans les tumeurs.

Par des études de modélisation moléculaire [20] nous avons montré que le peptide α3(IV) 185-203 adoptait une structure en coude β et que le maintien de cette structure tridimensionnelle caractéristique était indispensable pour exercer son activité anti-tumorale. Au vu de ces résultats, nous avons synthétisé un analogue cyclopeptidique contenant la séquence minimale d’acides aminés biologiquement

Fig. 3. — La séquence d’acides aminés 185-203 du domaine NC1 de la chaîne α3 du collagène de type IV possède une structure en coude β (A) indispensable à son activité anti-tumorale. Le cyclopeptide YSNSG conserve cette structure en coude β (B), avec toute l’activité anti-tumorale de la séquence complète mais une plus grande stabilité dans les liquides biologiques.

active : YSNSG (tyrosine-sérine-arginine-sérine-glycine). Ce cyclopeptide reproduit la structure en coude β nécessaire à l’activité biologique du peptide α3(IV) 185-203 (figure 2). Il conserve la totalité des effets anti-tumoraux de la tumstatine tout en étant plus stable dans les liquides biologiques [21, 22]. Il est donc susceptible d’être développé pour donner naissance à de nouveaux médicaments anti-cancéreux.

À côté de la tumstatine, d’autres séquences peptidiques anti-tumorales du collagène de type IV ont été caractérisées. L’arrestène est un inhibiteur de l’angiogénèse issu du domaine NC1 de la chaîne α1 du collagène de type IV [23]. Son effet paraît spécifique des cellules endothéliales et il semble n’exercer aucun effet direct sur les cellules tumorales. La canstatine [24] correspond au domaine NC1 de la chaîne α2(IV). Elle aussi possède des propriétés anti-angiogéniques et est capable d’inhiber la croissance tumorale dans des modèles de mélanome et de fibrosarcome.

Le domaine NC1 de la chaîne α6(IV), enfin, paraît également capable d’inhiber l’angiogénèse in vivo ainsi que la croissance des tumeurs dans un modèle de mélanome [25].

Autres matrikines anti-tumorales dérivées de collagènes associés aux membranes basales

Plusieurs matrikines dérivées d’autres collagènes associés à la zone des membranes basales ont été décrites :

la plus anciennement connue est un fragment du collagène de type XVIII appelée endostatine [26] . Elle est générée in vitro par clivage protéolytique du domaine

C-terminal du collagène XVIII, réalisé par de nombreuses protéases comme la cathepsine L, l’élastase ou de nombreuses MMP et peut circuler dans le sérum humain. Son effet principal est d’inhiber l’angiogénèse tumorale.

la restine est une matrikine issue du clivage protéolytique du domaine non- collagénique No 10 du collagène de type XV . Elle exerce également des activités anti-angiogéniques et anti-tumorales [27]. Comme dans les cas précédents, la restine est présente en faible concentration dans le sérum humain ce qui suggère qu’elle peut jouer un rôle physiologique [28].

dans notre laboratoire, nous avons récemment caractérisé une matrikine provenant d’un autre collagène présent dans la zone des membranes basales, le collagène XIX .

Ce peptide, NC1(XIX), est présent à l’extrémité C-terminale du collagène XIX.

De petite taille (19 acides aminés seulement), il est capable d’inhiber la progression tumorale dans notre modèle de mélanome expérimental chez la souris, après injection par voie intra-péritonéale [29]. Nous avons ainsi observé une réduction de 70 % du volume des tumeurs chez les souris traitées par NC1(XIX).

L’examen histologique a également montré une diminution importante de leur vascularisation. In vitro , nous avons montré que NC1 (XIX) inhibe la capacité de migration des cellules tumorales et leur capacité d’invasion de la matrice extracellulaire. Il diminue également la capacité des cellules endothéliales humaines HMEC-1 à former des pseudo-tubes capillaires. Cet effet s’accompagne d’une forte inhibition de deux facteurs essentiels pour la néoangiogénèse : la MT1-MMP (MMP-14) et le facteur de croissance endothélial vasculaire (Vascular Endothelial Growth Factor, VEGF). Les propriétés antitumorales et anti-angiogéniques de NC1 (XIX) sont particulièrement intéressantes puisque le collagène XIX est exprimé en particulier dans les membranes basales des vaisseaux et des tissus épithéliaux [30, 31], plaçant celui-ci en première ligne pour s’opposer à la dissémination tumorale. Des travaux complé- mentaires sont en cours dans notre équipe pour caractériser la séquence minimale active susceptible de donner naissance à de nouveaux médicaments.

AUTRES MATRIKINES À ACTIVITÉ ANTI-TUMORALE

D’autres macromolécules du tissu conjonctif possèdent également des activités anti-tumorales potentiellement intéressantes en thérapeutique. Ainsi, un domaine de la fibronectine, appelée anastéline [32], correspondant à un peptide de 76 acides aminés dérivé d’un des domaines répétitifs de type III, est capable d’inhiber la croissance et l’angiogénèse tumorale, ainsi que la formation des métastases chez la souris. Ce peptide paraît, toutefois, trop long pour pouvoir être utilisé comme médicament anti-tumoral. En revanche, des peptides de courte taille (6 à 8 acides aminés) dérivés de la thrombospondine possèdent des propriétés anti-angiogé- niques [33] qui pourraient trouver des applications intéressantes en matière de thérapeutique. Enfin, un peptide de 5 à 6 acides aminés isolé de la chaîne β1 de la laminine, protéine majeure, avec le collagène de type IV, des membranes basales est capable d’inhiber la croissance tumorale et la formation des métastases dans un modèle expérimental de souris [34].

 

Certains domaines des protéines-cœur des protéoglycannes sont capables d’inhiber la progression tumorale. Ainsi, l’endorépelline, domaine C-terminal du perlecanne, un gros protéoglycanne à héparane-sulfate présent dans les membranes basales, inhibe l’angiogénèse tumorale et la croissance des tumeurs in vivo [35]. Dans notre laboratoire, nous avons montré que la protéine-cœur du lumicanne, un membre de la famille des petits protéoglycannes riches en leucine (Small Leucine-Rich Proteoglycans, SLRP), abondant dans le derme et le stroma péritumoral des tumeurs, est capable de s’opposer à la progression du mélanome [36], et à la formation des métastases pulmonaires dans un modèle expérimental chez la souris [37]. Nous avons pu caractériser, au sein de cette protéine-cœur, un petit peptide, que nous avons appelé « Lumcorine » qui reproduit certain des effets anti-tumoraux du lumicanne complet [38]. Les protéoglycannes, composants pour lesquels l’intérêt s’accroît rapidement en raison de leurs multiples fonctions biologiques, peuvent donc également jouer un rôle déterminant dans le contrôle de l’invasion tumorale.

CONTRÔLE DE L’INVASION TUMORALE PAR LES MATRIKINES : VERS UNE APPROCHE PHARMACOLOGIQUE ?

Les résultats présentés ci-dessus montrent que de nombreuses matrikines sont capables de moduler la progression tumorale, en particulier les capacités d’invasion et de métastases des tumeurs. Certaines d’entre elles, par exemple le domaine NC1 de la chaîne α3(IV) du collagène de type IV dans notre laboratoire, ont pu donner naissance à des analogues structuraux conservant la totalité des propriétés antitumorales de la molécule d’origine mais possédant des caractères de stabilité susceptibles d’en faire de nouveaux agents anti-tumoraux utilisables en thérapeutique, seuls ou en combinaison avec les chimiothérapies classiques.

Quelques matrikines ont déjà fait l’objet d’essais cliniques. Ainsi, des études de phases I et II ont été menées avec un peptide inhibiteur de l’angiogénèse tumorale dérivé de la thrombospondine [39]. Ceux-ci n’ont toutefois pas montré d’efficacité clinique. De même, des études de phases I et II menées aux USA ont été réalisées pour tester les effets de l’endostatine, domaine C-terminal du collagène XVIII, chez des patients atteints de tumeurs endocrines. L’étude a toutefois été arrêtée en phase II en raison de l’absence d’effets significatifs [40], Par contre, une endostatine modifiée à son extrémité N-terminale, appelée « Endostar », a été approuvée pour le traitement de certains cancers du poumon en Chine [41]. Son efficacité pourrait être augmentée par combinaison avec des traitements conventionnels tels que la chimiothérapie, la radiothérapie ou les nouvelles biothérapies [42].

 

CONCLUSION

Les matrikines à activité anti-tumorale, capables d’inhiber l’expression et/ou l’activité de protéinases telles que la MMP-2 ou la MMP-14, directement impliquées dans l’invasion tumorale, voire de bloquer des intégrines telles que αvβ3, qui permet la migration des cellules tumorales au sein des tissus, ou bien encore d’inhiber l’angiogénèse tumorale, ouvrent de nouvelles perspectives en matière de stratégies thérapeutiques anti-cancéreuses. Même si les premiers essais cliniques ont pu être décevants, les résultats récents, en particulier les études combinant l’utilisation de certaines matrikines anti-angiogéniques à des traitements plus conventionnels ouvrent des perspectives encourageantes. Ils justifieraient pleinement le lancement de nouvelles investigations cliniques de grande ampleur.

REMERCIEMENTS

L’auteur exprime ses plus vifs remerciements à l’ensemble de ses collègues du laboratoire ayant contribué à ces travaux, en particulier les Drs J.C. Monboisse, S. Brassart-Pasco, W. Hornebeck, Y. Wegrowski et S. Brézillon ainsi que les doctorants successifs ;

Mme S. Etienne est vivement remerciée pour la préparation du manuscrit.

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DISCUSSION

M. Jacques ROUËSSE

Qu’apportent les matrikines par rapport aux antiangiogéniques actuels ?

Les anti-angiogéniques actuels sont essentiellement des inhibiteurs de tyrosine-kinases qui bloquent les effets des facteurs de croissance angiogéniques en particulier VEGF, FGF2 ou PDGF. Les matrikines, celles dérivées des collagènes de membrane basale en particulier, paraissent exercer leurs effets plus en amont, notamment en inhibant l’expression de ces facteurs. Nous avons, par exemple, montré que le peptide NC1(XIX), dérivé du domaine C-terminal du collagène de type XIX, inhibe l’expression du VEGF dans les tumeurs expérimentales de la souris. De même, le cyclopeptide YSNSG, dérivé du domaine C-terminal de la chaîne α3 du collagène de type IV, inhibe la migration des cellules endothéliales, bloquant ainsi l’angiogenèse tumorale, en diminuant l’expression et/ou l’activité de protéinases indispensables à la formation des nouveaux vaisseaux (MMP-14, plasmine).

M. Raymond ARDAILLOU

Quelles sont les enzymes agissant en fin de chaîne pour formation des matrikines ? Sontelles des aminopeptidases ou des carboxypeptidases spécifiques ou d’action plus générale ?

Les voies enzymatiques de production des matrikines au sein des tissus sont encore très mal connues. Les étapes initiales font, dans la plupart des cas, intervenir les métalloprotéinases matricielles MMP-9 et/ou MMP-2. Il est toutefois probable que d’autres protéinases, en particulier des sérine-protéinases, doivent ensuite intervenir pour libérer les peptides de faible masse moléculaire. Nous ne disposons pas malheureusement à l’heure actuelle d’éléments de réponse précis à cette question.

M. Christian NEZELOF

On connait un certain nombre de maladies caractérisées par une atteinte de la membrane basale, connaît-on des mutations des gènes codant pour les différentes matrikines ?

Il existe, effectivement, des maladies caractérisées par une atteinte des gènes codant les protéines de la membrane basale. Je citerai, par exemple, le syndrome d’Alport, dû à des mutations de la chaîne α3 du collagène de type IV. On pourrait envisager que de telles mutations puissent empêcher la libération de matrikines anti-tumorales (la tumstatine dans le cas de la chaîne α3 (IV)) et favorisent donc la survenue de cancers chez les sujets atteints. À notre connaissance, toutefois, aucune étude systématique n’a été effectuée à ce jour pour rechercher une fréquence des cancers plus élevée chez ces malades.

 

<p>* Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire, CNRS UMR 6237, Université de Reims Champagne-Ardenne, CHU de Reims, 51 rue Cognac Jay — 51095 Reims cedex. e mail : fmaquart@chu-reims.fr Tirés à part : Professeur François Xavier Maquart, même adresse. Article reçu le 20 janvier 2010, accepté le 22 février 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 3, 633-646, séance du 30 mars 2010