Éloge
Séance du 30 mars 2010

Éloge de Bernard Glorion (1928-2007)

Aline Marcelli *

Summary

Éloge de Bernard GLORION (1928-2007)

Aline MARCELLI *

Il est toujours émouvant d’avoir à prononcer l’éloge d’un Membre de cette Académie, alors qu’il ne viendra plus jamais participer à ses séances.

Il est encore plus poignant, pour moi, d’avoir à retracer le caractère et la vie du Professeur Bernard Glorion alors qu’il m’a été donné de me trouver à ses côtés pendant près de vingt ans.

Aujourd’hui encore, il me semble apercevoir, dans la pénombre, sa grande silhouette pénétrer dans cet amphithéâtre et venir occuper la place qui lui était réservée, tant j’avais l’habitude de le voir procéder ainsi au Conseil National de l’Ordre des Médecins.

Mais, hélas, il ne s’agit que d’une illusion et il faut bien revenir à la triste réalité.

Je tiens à ajouter que je considère comme un honneur d’avoir été appelée à faire revivre devant vous, pendant quelques instants, l’œuvre de celui dont j’ai été, pendant huit années, la Vice-présidente puis la première Vice-présidente au Conseil National de l’Ordre des Médecins.

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Il est, dans le département de l’Aisne, une ville dont est originaire le célèbre fabuliste Jean de la Fontaine.

Bernard Glorion est né à Château-Thierry, le 22 septembre 1928.

Il choisit très jeune de suivre l’exemple de son père qui était, lui-même, un chirurgien réputé et qui sera Président du Conseil de l’Ordre des Médecins de l’Aisne.

Après des classes qui le marqueront profondément chez les Oratoriens du Collège de Juilly à Meaux, il vient à Paris pour faire ses études à la Faculté de médecine.

Externe des Hôpitaux de Paris en 1952, il épouse, le 5 septembre 1953, Mademoiselle Françoise Guynet.

Il accomplit en 1956 et 1957 son service militaire, d’abord au Centre d’Instruction de l’Armée à Compiègne, puis comme médecin-chef du service de chirurgie de l’hôpital militaire Scrive à Lille et, enfin, en tant que chirurgien à l’hôpital de Tlemcen en Algérie.

L’année 1957 retrouve Bernard Glorion interne à l’hôpital de Saint-Denis puis, en 1958, il est nommé interne des Hôpitaux de Paris. Il exercera successivement à Broussais, Tenon, Saint-Louis, à l’hôpital Necker-Enfants malades, puis à celui de Vaugirard.

Dans cette période de son existence, il s’est orienté, grâce au Professeur Jean Cauchois qui l’avait accueilli à Saint-Louis en 1959, vers la chirurgie orthopédique à laquelle il consacrera sa vie.

C’est aussi à l’hôpital Saint-Louis qu’il a fait la connaissance du Professeur Jean Bernard dont il a été l’externe et qui l’accompagnera tout au long de sa carrière.

C’est ensuite, auprès des Professeurs Jean Judet et Jean Bertrand qu’il poursuivra la spécialisation qu’il a choisie en orthopédie.

En 1962, il obtient un prix de thèse sur le sujet « Les fractures thalamiques du calcaneum » et devient Chef de clinique chirurgicale à l’hôpital Beaujon dans le service du Professeur Jean-Louis Lortat-Jacob.

Peut-être est-ce déjà là un signe précurseur du destin, car il se trouve que, dans le passé, celui-ci avait eu l’occasion de remplacer le père de Bernard Glorion à Château-Thierry et, dans l’avenir, il sera, lui aussi, élu Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins.

C’est avec sa nomination en 1963 de Professeur agrégé de chirurgie générale, que débute véritablement la carrière professionnelle de Bernard Glorion.

Accompagné par sa famille à Tours, il exercera d’abord dans la clinique SaintGatien puis au CHU de cette ville, auquel il restera fidèle jusqu’à sa mise à la retraite en 1996.

Atteint à la fin de sa vie par une maladie irréversible, il sut l’affronter et la supporter avec le courage dont il avait toujours fait preuve, avec l’aide admirable de sa femme et entouré de ses enfants et de ses petits enfants.

Il est décédé à Paris, le 10 août 2007 à l’âge de 78 ans. Ses obsèques ont eu lieu à l’Église Notre Dame d’Auteuil et il repose, désormais, dans le cimetière de Bois commun, département du Loiret.

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La vie professionnelle de Bernard Glorion comporte deux volets qui sont complé- mentaires et ne sauraient être dissociés : la chirurgie et son activité au sein de l’Ordre des Médecins.

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La pratique de la chirurgie remonte à ses débuts à Tours.

Attaché en 1964 au service d’orthopédie du CHU de cette ville, il est en 1966 attaché consultant du service de chirurgie pédiatrique.

En 1977, il est nommé Professeur des Universités-Praticien hospitalier, Chef du département de chirurgie pédiatrique puis promu, en tant que responsable de l’Unité d’orthopédie pédiatrique, Professeur à titre personnel en 1981 puis Professeur de classe exceptionnelle en 1992.

Dans cette unité d’orthopédie pédiatrique, il a regroupé, progressivement, toutes les spécialités de la chirurgie de l’enfant : chirurgie néonatale, viscérale, urologique, neurochirurgie, ORL et chirurgie maxillo-faciale, chirurgie orthopédique et traumatologique.

Parallèlement, il met en place des traitements innovants de la scoliose et il contribue à l’amélioration de la prise en charge des enfants atteints de myopathie.

De même, la chirurgie cardiaque sera développée à partir d’une extension du plateau technique qui comportera une unité d’anesthésie-réanimation chirurgicale pédiatrique.

Au sein de cette structure pluridisciplinaire à laquelle était rattaché un service d’accueil des urgences, il devenait possible de participer à des plateaux techniques de consultation, tout en conservant à chaque unité d’hospitalisation sa spécificité avec une équipe soignante autonome et spécialisée.

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Le Professeur Bernard Glorion eut, aussi, une activité d’enseignement particulièrement importante.

Il assure, d’abord, l’enseignement de l’orthopédie traumatologique dans le programme de pathologie chirurgicale puis dans le certificat intégré de l’appareil locomoteur.

À partir de 1968, il prend même en charge la totalité de l’enseignement de l’orthopédie pédiatrique dans le cadre du certificat de pathologie de l’appareil locomoteur, au sein des certificats de pédiatrie médicale et chirurgicale.

Il dispense, enfin, un enseignement clinique dans le but de permettre aux candidats au DES d’orthopédie et au DES de chirurgie pédiatrique de bénéficier d’une formation polyvalente dans ces deux disciplines.

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Une telle somme de travaux suffirait déjà à occuper une vie bien remplie.

Et pourtant, combien de personnes savent, car sa discrétion était grande, que dans les années 1970, il leur ajoutait d’autres activités ?

Accompagné par son épouse Françoise, qui est elle-même médecin pédopsychiatre, il a pris part à trois missions de l’Association « Frères des hommes ».

Sacrifiant leurs congés, ils se sont tous deux rendus au Burkina-Faso où ils ont apporté, bénévolement, une aide inestimable à l’hôpital d’une localité pratiquement ignorée du monde entier : Fada N’Gourma.

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Il serait fastidieux d’énumérer, ici, les vingt-deux villes dans lesquelles il a participé à des congrès internationaux.

Il peut, cependant, être relevé les noms de quelques-unes d’entre elles, qui témoignent de leur diversité et qui se situent de Québec à Munich, sans oublier Tunis, Athènes, Prague, Tel Aviv, Mexico et bien d’autres encore.

Il a pris part, également, à plus de vingt congrès où réunions scientifiques à l’échelon régional ou national, au cours desquels il a fait de très nombreuses communications sur des thèmes se rapportant à sa spécialité.

Il faut indiquer, aussi, qu’il était membre de neuf sociétés savantes, parmi lesquelles la société française d’orthopédie traumatologique dont il était membre d’honneur et ancien Président, ainsi que le groupe français d’étude en orthopédie pédiatrique dont il était Président d’Honneur et membre fondateur.

Enfin, le 5 décembre 2000, il était élu membre de l’Académie nationale de médecine, dans la section Médecine sociale et membres libres de la 4ème Division.

En outre, il avait été appelé, par la Ministre des Affaires Sociales, de l’époque, Madame Élisabeth Guigou, à faire partie d’un « Comité des Sages » chargé de réfléchir à la rénovation des soins de ville.

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À la carrière et aux travaux professionnels du Professeur Glorion s’ajoute un second volet non moins important que le premier : son activité prodigieuse dans les organismes ordinaux.

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Inspiré par l’exemple de son père qui, je l’ai rappelé, avait été Président du Conseil de l’Ordre des Médecins de l’Aisne, le Professeur Glorion a été, très vite, attiré par les fonctions ordinales.

En 1975, il est élu membre titulaire du Conseil départemental d’Indre et Loire.

En 1977, membre de la Commission nationale permanente.

En 1981, il devient Conseiller national.

En 1987, il est élu Vice-président et, enfin, en 1993, Président de ce Conseil national, poste dans lequel il succède au Docteur Louis René.

Le Président Glorion n’aura de cesse de faire évoluer l’Ordre des Médecins pour le moderniser tout en rapprochant la médecine et les médecins des grands sujets qui préoccupent nos concitoyens.

Dès lors, son œuvre va être immense et s’exercera dans tous les domaines.

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Sa plus importante contribution à l’instauration d’une médecine moderne fut la part considérable qu’il prit et le concours précieux qu’il apportera à l’élaboration de la loi du 4 mars 2002, dite loi des droits des malades, en partenariat avec le Ministre chargé de la santé en 2001 et en 2002, Bernard Kouchner.

Celui-ci écrira dans le dernier Bulletin du Conseil National de l’Ordre qui parut sous la présidence de Bernard Glorion : « Tout ce qui touche à la société et à ses évolutions l’intéresse et le pousse à l’action. L’aléa thérapeutique, le dossier médical, l’informatique, le dopage, la responsabilité médicale, le secret professionnel, les droits du malade, les soins palliatifs … Nous sommes presque d’accord sur tout ».

Précisément le Président Glorion n’a pas hésité, non plus, à prendre position sur la question des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie.

Défavorable à une législation plus permissive, il estimait, cependant, qu’une prohibition de l’euthanasie active n’interdisait pas pour autant aux médecins de multiplier les soins afin d’adoucir une fin de vie, voire même d’interrompre tout acharnement thérapeutique.

Il avait également rapidement compris que la transparence, le dialogue, l’information, la compassion étaient nécessaires, tout à la fois, à la médecine et à l’orientation qu’il voulait donner à l’Ordre.

Il a été l’initiateur de l’Assemblée générale annuelle de l’Ordre des Médecins puis des « jeudis de l’Ordre », n’hésitant jamais à rencontrer les représentants de la société civile ou les journalistes.

C’est dans cet esprit qu’il a réussi à imposer la publicité des débats des instances disciplinaires, tant à l’échelon national que régional et qui seront présidés par un magistrat.

C’est toujours guidé par cet instinct bien souvent visionnaire, dans le meilleur sens du terme, qu’il a considéré comme un devoir indispensable de mémoire de faire, à l’instar du pouvoir politique, acte de repentance pour l’application par le Conseil supérieur de la médecine créé à l’époque et supprimé dès la Libération, des lois promulguées sous l’occupation.

Ce faisant, il n’a pas, pour autant, oublié de mentionner, ce qui est tout à l’honneur du corps médical, l’attitude courageuse du Président d’alors, Louis Portes.

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À côté des grands axes de son action, rien de ce qui concerne la médecine n’est étranger au Président Glorion ni n’échappe à son attention.

Je citerai seulement, mais la liste n’est pas exhaustive :

— les propositions pour familiariser les étudiants avec la déontologie, gardienne de l’éthique médicale.

— le projet de réforme concernant les études médicales.

— l’instauration d’une formation continue post-universitaire.

— le rapprochement avec les associations de patients.

— la mise en place d’un Conseil de l’Ordre au Cambodge.

— la création d’un séminaire annuel, organisme de réflexion collective, réunissant tous les membres du Conseil National.

Ce séminaire se tenait, chaque fois, dans une ville différente.

Voici un souvenir photographique de celui qui a eu lieu au Château de la Bourdaisière, dans la commune de Montlouis, près de Tours.

Vous pouvez d’ailleurs m’y reconnaître à sa gauche ……….

Les questions matérielles n’échappent pas davantage à sa vigilance :

— la mise en ligne sur le site Internet de l’annuaire des médecins inscrits au tableau, — le changement du siège du Conseil National qui quitte le boulevard de la Tour Maubourg, devenu trop exigu, pour l’immeuble actuel, plus fonctionnel, du 180 boulevard Haussmann.

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Arrivant au terme de cette rétrospective de l’œuvre du Président Glorion, quel regard pouvons-nous porter sur lui ?

Au physique, chacun s’en souvient, il est grand, très grand même, 1,98 m je crois. Sa carrure bien équilibrée faisait impression et sa voix forte devenait vibrante quand il le voulait. Moralement, l’opinion de tous ceux qui l’ont connu est unanime. Tous se plaisent à louer sa simplicité et sa bonté qui lui ont permis de donner l’exemple d’une vie professionnelle et sociale d’une parfaite probité et d’une profonde générosité.

L’exercice de ses fonctions l’avait obligatoirement amené à nouer des relations suivies avec les milieux parlementaires ainsi qu’avec les pouvoirs publics dont il était devenu, du point de vue médical, l’un des partenaires privilégiés.

Aussi, dès l’annonce de sa disparition, plusieurs ministres se sont empressés d’exprimer leur tristesse et leurs regrets.

Ainsi, Philippe Douste-Blazy, qui fut Ministre délégué à la Santé, se souvient :

« Lorsque j’étais maire de Lourdes, je l’ai souvent rencontré faisant des pèlerinages.

J’avais beaucoup d’admiration pour l’homme, le médecin et le président qu’il était et de l’admiration pour sa droiture et sa probité. C’était véritablement un homme bon ».

Bernard Kouchner tient à redire : « J’avais énormément d’affection pour lui ainsi que pour sa femme Françoise qui s’occupe de près des associations de malades.

Glorion, c’était un vrai médecin, un catholique de progrès et de combat, un Monsieur qui savait ce que veulent dire des mots comme engagement et droiture ».

Madame Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, écrit à Madame Glorion : « J’ai eu la chance de rencontrer votre mari à plusieurs reprises. Je peux vous assurer que nous garderons tous de lui l’image d’un homme d’une grande intégrité, dévoué à sa profession et au progrès de la science dans le respect des traditions ».

Madame Bachelot-Narquin, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, déclare dans un communiqué : « La médecine française perd l’une de ses grandes figures. Le Professeur Bernard Glorion restera dans les mémoires un éminent chirurgien et un grand humaniste ».

Peu de praticiens ont reçu un tel ensemble d’hommages.

De leur coté, les diverses compagnies dont il faisait partie ont également tenu à saluer sa mémoire.

Le Professeur Pierre Ambroise-Thomas, Président de l’Académie nationale de médecine, s’exprimait ainsi dans une lettre adressée à Madame Glorion : « A ses qualités professionnelles et morales, notre confrère savait associer toutes les qualités humaines indispensables à sa spécialité et ce géant savait s’adresser à ses petits malades avec toute la gentillesse et toute la patience du monde ».

L’Académie devait saluer sa mémoire dans sa séance du 2 octobre 2007.

Le Docteur Michel Legmann, Président en exercice du Conseil National de l’Ordre des Médecins tenait à écrire à Madame Glorion : « Ayant été son Vice-président durant trois de ses mandats, j’ai mesuré à quel point il s’était investi corps et âme sur quantité de dossiers relatifs aux droits des malades et à la qualité du système de soins. Nous lui en sommes infiniment reconnaissants et à vous également, qui avait été si présente à ses cotés ».

L’ensemble de la presse tant nationale que locale devait, elle aussi, dans de nombreux articles qu’elle a consacrés au Président Glorion, déplorer la perte de celui qu’elle décrivait comme un chirurgien hors normes, humaniste et réformateur de l’Ordre des Médecins.

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De réputation internationale, le Professeur Glorion avait publié, en mars 2000, un livre intitulé « Quelle médecine pour le xxie siècle ? Il est temps d’en parler ».

Il était :

— Chevalier de la Légion d’honneur — Officier de l’Ordre national du mérite — Officier des Palmes académiques — Titulaire de la médaille commémorative de l’Algérie Dans sa vie privée, il se comportait comme un homme simple, vivant en étroite union avec sa famille qui était sa fierté : d’abord avec son épouse Françoise qui a exercé, elle aussi, au CHU de Tours. Elle a toujours partagé les engagements de son mari et elle est, par ailleurs, l’auteur d’un livre « Il n’est jamais trop tard pour vivre avec la mort ».

Et, ensuite, avec cette merveilleuse famille composée de :

— six enfants, dont deux sont médecins : Christophe, chirurgien à l’Hôpital Necker-enfants malades et Véronique, anesthésiste à Tours.

— quatorze petits-enfants, dont deux sont également médecins : Antoine comme pédiatre et Mathieu qui est interne en chirurgie.

Nous n’avons donc pas à nous inquiéter : la relève est assurée.

Il y aurait encore beaucoup à dire mais le temps me manque, malheureusement, pour saluer, notamment, la présence des autres membres de cette famille. Je ne puis que leur demander d’avoir la bienveillance de m’en excuser.

Bernard Glorion a été apprécié de tous par sa stature gaullienne, sa voix et sa chaleur communicative. Il était aimé de ses petits patients et de leurs familles. Il a insufflé, dans tous les postes qu’il a occupés, élan et dynamisme.

Il restera, pour nous tous, un souvenir vivant de la médecine et nous n’oublierons pas cette phrase qu’il aimait répéter : « Rien de grand ne se fait dans la vie sans passion ».

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, aline.marcelli.75@gmail.com</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 3, 473-480, séance du 30 mars 2010