Résumé
Les fractures du scaphoïde du carpe, volontiers méconnues, sont souvent examinées au stade de complications. De ce fait, le pronostic est aggravé. La négligence du blessé ou un examen radiologique initial incorrect sont incriminés. En réalité il s’agit souvent de fractures trabéculaires dites occultes, échappant à un examen conventionnel bien réalisé. La tomographie et la tomodensitométrie ont déçu. La radioscintigraphie quantitative (RSQ) est une modification de la scintigraphie, examen très sensible (100 %) mais peu spécifique. La RSQ consiste en premier lieu à quantifier la fixation du traceur du côté blessé par rapport au côté sain. La quantification de la fixation nous a permis de constater qu’un rapport de fixation côté blessé/côté sain supérieur à 2 prouvait l’existence d’une fracture (souvent scaphoï- dienne), la résonance magnétique servant de référence. Le deuxième temps de la RSQ consiste à réaliser une fusion informatique entre l’image scintigraphique et la radiographie puisque la scintigraphie quantitative a la même valeur diagnostique que l’IRM. Cette deuxième phase permet de préciser la situation du foyer de fracture et de conférer une spécificité proche de 100 % à cet examen. Une série prospective de 154 blessés à l’examen conventionnel normal a permis, notamment, de détecter 41 % de fractures du scaphoïde. La fréquence des fractures scaphoïdiennes occultes est donc plus élevée que supposé. Bien plus, des fractures rares des os du carpe ont pu être mises en évidence. Cet examen, dont le coût est acceptable, permet d’éviter l’évolution d’une fracture négligée vers la pseudarthrose et l’arthrose, ce qui devrait avoir des conséquences individuelles, sociales et médico-légales importantes compte-tenu de la fréquence des traumatismes du carpe.
Summary
Fractures of the scaphoid of the wrist are not easily diagnosed and when they are eventually recognized due to late complications, the prognosis is much poorer than it would have been at injury. Medical negligence and poorly-performed or interpreted x-rays are frequently cited as reasons for non-diagnosis. Often these fractures are trabecular, so-called occult, and they cannot be seen on a conventional exam, even if well-performed. Tomography and tomodensitomtry have yielded poor results. Quantitative radioscintigraphy (QRS), the exam we are proposing, is a modification of scintigraphy, which is a very sensitive examen (100 %) but has little specificity. The first step in QRS is to quantify the fixation of the tracer on the injured side and compare it to that of the uninjured side. If the injured side fixation is double that of the uninjured side, a fracture (often scaphoid) is present. MRI is our reference. In the second step in QRS, a computer-assisted fusion is made of the scintigraphic image and the x-ray (quantitative scintigraphy has the same diagnostic value as MRI). The center of the fracture is localized, thus yielding a specificity of nearly 100 % for this exam. Out of a prospective series of 154 patients who had a conventional examination : 41 % were diagnosed to have a scaphoid fracture using QSR, therefore a number higher than supposed. Rare carpal fractures were also detected. The cost of this exam is low. The exam climinates non-diagnosed fractures which can lead to non-union and arthrosis. Due to the frequency of carpal trauma, this exam should have a significant effect on the individual, on social security costs and litigations.
* Correspondant de l’Académie nationale de médecine.
Service de Chirurgie Orthopédique, Traumatologique et Plastique. CHU — Hôpital Jean Minjoz — 25030 Besançon cedex. Tél. 03.81.66.82.42. — Fax : 03.81.66.93.13.
Tirés-à-part : Professeur Philippe VICHARD, à l’adresse ci-dessus.
Article reçu le 6 mars 2001, accepté le 14 mai 2001.
Le diagnostic de fracture du scaphoïde carpien évoqué par l’anamnèse et l’examen clinique, repose sur l’imagerie. Or, dans la pratique courante, on observe souvent des tableaux cliniques correspondant à des lésions anciennes plus difficiles à traiter que les récentes avec des conséquences sociales et médico-légales redoutables. Ces diagnostics tardifs résultent classiquement de la négligence du blessé ou d’un examen initial incorrect. En fait, on peut affirmer aujourd’hui qu’un certain nombre de fractures récentes (dites occultes) échappent à l’examen radiologique conventionnel même bien réalisé. Aussi, afin de faciliter cette prise en charge initiale et d’éviter une évolution sournoise des lésions anatomiques difficiles à traiter, nous avons mis au point la radioscintigraphie quantitative, dont nous voudrions montrer ici l’inté- rêt.
HISTORIQUE-PROBLÉMATIQUE
C’est indiscutablement Destot [1] qui, en 1896, a mis en évidence pour la première fois une fracture du scaphoïde carpien. A cette époque, ces fractures plus ou moins négligées ne consolidaient pas. C’est L. Böhler (1934) [2] avec F. Schnek [3] qui ont préconisé la radiographie de face en extension du poignet de façon à dégager le trait plus facilement identifiable si le rayon incident est perpendiculaire au plan de l’os (Fig. 1). C’est L. Böhler qui le premier a montré que la fracture pouvait consolider
FIG. 1. — Les règles de l’examen radiologique conventionnel, d’après Böhler.
par immobilisation plâtrée. E. Trojan et G. de Mourgues [4] ont insisté sur l’intérêt de 4 incidences minimum. R. Watson Jones [5] a proposé de répéter les clichés de façon à ce que le trait devienne progressivement plus visible grâce à la résorption osseuse. F. Schernberg [6], auteur d’une classification détaillée de ces fractures, a insisté sur l’intérêt des clichés en varus ou valgus forcés. Vu la médiocrité de la définition de l’image, la tomographie et surtout la tomodensitométrie [7] n’ont pas montré leur supériorité sur les clichés de bonne qualité, même sur des clichés à haute définition avec microfoyer. La scintigraphie [8, 9] met en évidence une hyperfixation du carpe comparativement au côté sain mais ne montre pas le trait avec précision.
Cet examen est donc sensible, mais il n’est aucunement spécifique : ainsi des lésions ligamentaires peuvent entraîner une hyperfixation. Seule l’IRM (en pondération T1) fait l’unanimité [10] quant à sa spécificité et sa sensibilité. Mais elle est relativement onéreuse pour l’analyse d’une lésion courante. Et surtout son accès en France reste limité en urgence. À l’inverse, si on n’y recourt pas, on risque de méconnaître un certain nombre de fractures du sujet jeune qui se révéleront avec certitude plus tard à l’occasion de complications. On peut donc en radiologie conventionnelle parler de fractures occultes [10-13] correspondant à des tassements trabéculaires échappant même à un examen respectant les bonnes pratiques. Or Spitz [14] avait déjà montré qu’on pouvait, lors de la scintigraphie, mesurer le degré de fixation du traceur qui ne variait pas avec l’âge ou le sexe mais avec la nature de la pathologie observée et son siège. Spitz avait déjà noté l’intensité particulière de la fixation de l’extrémité inférieure du radius et du scaphoïde. Nous avons pensé que cette scintigraphie rendue quantitative permettrait de sélectionner les cas où l’IRM devrait être
prescrite. De plus, cette scintigraphie quantitative, dans la mesure où elle serait prospective, permettrait de fixer la proportion des fractures occultes du scaphoïde carpien.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Le problème posé fut résolu grâce à un de nos proches collaborateurs, le professeur Patrick Garbuio, qui imagina la technique de la radioscintigraphie quantitative avec le Service de Médecine Nucléaire (professeur G. Cardot) et avec la collaboration du Service de Radiologie B (professeur J.F. Bonneville, docteur M. Runge). De novembre à mars 1999, 154 blessés ont été retenus pour ce travail avec les critères d’inclusion suivants :
— patients valides et coopérants non immobilisés (l’immobilisation préalable perturbant la scintigraphie) ;
— traumatismes récents du poignet ; la scintigraphie pour les 30 premiers cas a été réalisée entre J3 et J5 ;
— clinique évocatrice d’une fracture : traumatisme en hyperextension du poignet fi appuyé, douleur de la tabatière anatomique, douleur à la mise en charge du pouce ;
— bilan radiologique initial complet ; 4 incidences selon Schnek [3] ;
— recul exigé de 4 mois par rapport au traumatisme initial, pour ne pas avoir négligé des clichés conventionnels tardifs révélateurs.
Ont été exclus les allergiques, les femmes enceintes, les blessés présentant une contre-indication à l’IRM.
On trouverait dans la Thèse de O. Novert [8] et D. Lepage [9] les détails concernant les autres caractéristiques de la série. Les radiographies standards ont été réalisées en 3 séries, la 1ère en urgence vraie ou différée dans un délai moyen de 1,66 jour (0 → 50), la 2e autour du 8e jour : délai moyen de 11,3 jours (1 → 53) et la 3e autour du 21e jour : délai moyen de 23,8 jours (13 → 51). Ces 3 séries ont été analysées par un staff hospitalier dirigé constamment par un praticien senior (ancien chef de Clinique, praticien hospitalier en Chirurgie orthopédique). La scintigraphie a été réalisée à l’hydroxyméthylène diphosphonate (h m dp) marqué au Technécium 99.
L’injection fut de 550 à 925 Mbq selon l’âge et la corpulence. L’enregistrement fut fait à la 3e heure.
Après une scintigraphie jugée positive :
côté blessé 2 rapport de fixation :
supérieur à côté sain 1 dans les 30 premiers cas, le staff chirurgical prenait connaissance de l’IRM, confirmait l’identité scintigraphie quantitative-IRM [8].
Une fusion image scintigraphique-image IRM fut réalisée dans les 60 premiers cas (dans les 30 observations vues ci-dessus et les 30 suivantes), ce qui permettait de faire coïncider le spot avec la fracture (du scaphoïde ou d’un autre os). Le caractère pathognomonique de la scintigraphie étant validé, les derniers cas (du 60e jusqu’au no 154) ont comporté une fusion scintigraphie-radiographie. Cette fusion réalisée chaque fois grâce à un procédé informatique (logiciel élaboré par E. Hartmann au laboratoire du professeur G. Cardot).
RÉSULTATS
Résultats de la scintigraphie quantitative
L’âge des blessés examinés était de 29,3 ans (11 à 74). L’âge des fracturés était de 33,3 (11 à 74). Le délai de mise en œuvre était de 3,1 jours (0-8) pour les 30 premiers cas mais le délai plus long de mise en œuvre n’entraîne pas d’inconvénients car l’examen reste positif beaucoup plus longtemps. Une hyperfixation scintigraphique dans un rapport supérieur à 2/1 (déjà défini plus haut) fut observée chez 61 patients sur 154. Parmi ces 61 blessés : 5 présentaient plusieurs foyers d’hyperfixation dont 4 avec 2 foyers et 1 avec 3 foyers. 67 fractures (43,5 %) ont donc été observées chez 154 blessés pour lesquels les radiographies initiales n’avaient pas été considérées comme démonstratives d’une fracture. Le Tableau 1 précise la répartition des fractures. On notait (Tableau 2) qu’en fait :
• 5 blessés (7,46 %) présentaient des fractures nettes qui avaient échappé à une 1ère analyse du jury chirurgical ;
• sur 21 fractures simplement évoquées mais rejetées (31,34 %), 7 étaient présentes et 14 (20,9 %) correspondaient à des erreurs de localisation ;
• 8 (11, 94 %) fractures étaient secondairement visibles soit après 18,75 jours (6 à 30) ;
• 47 (70,15 %) n’ont jamais été visibles.
Complications éloignées
Par ailleurs, sur les 61 fractures finalement retenues, le traitement orthopédique réalisé (immobilisation plâtrée) n’a entraîné aucune pseudarthrose.
DISCUSSION
Les fractures occultes sont une réalité
Dans notre série, la proportion des faux-négatifs (43,5 %) de la radiologie conventionnelle et les nombreuses références colligées dans les deux thèses déjà citées
TABLEAU 1. — Répartition des fractures découvertes à la scintigraphie.
TABLEAU 2. — Tableau récapitulatif des 61 fractures décelées chez 154 blessés aux radiographies conventionnelles normales.
Au total : à la révision des radiographies des 61 patients fracturés (67 fractures en tout) :
sur les radiographies initiales :
5 (7,46 %) fractures évidentes 21 fractures suspectées (31,34 %) dont 7 (10,44 %) étaient réellement présentes et 14 (20,9 %) correspondaient à des erreurs diagnostiques de localisation 8 (11,94 %) fractures visibles secondairement dans un délai de 18,75 jours (6-30) 47 (70,15 %) fractures n’ont jamais été visibles [10-13] sont là pour le prouver. On s’explique ainsi l’histoire naturelle proposée par des auteurs français [15, 16] et étrangers. À la suite d’un traumatisme banal certains blessés font état de fractures de toute évidence anciennes, de pseudarthroses, avec ou sans nécrose du fragment proximal, d’arthroses radio-carpiennes ou intracarpiennes, alors que le traumatisme initial a été volontiers oublié, confondu avec un autre, compte-tenu de l’ancienneté ou du caractère banal de l’accident. Les fractures occultes correspondent à des tassements trabéculaires sans trait net, d’où une image conventionnelle normale ou subnormale (dans la mesure où l’examen a été réalisé selon les bonnes pratiques). Ces lésions trabéculaires occultes sont bien connues chez les sportifs (fracture du scaphoïde tarsien et des différents os du pied, du col fémoral, chez les marathoniens) ou chez des patients présentant des troubles statiques ouvrant la voie à des fractures de fatigue. Malgré le caractère rétrospectif des séries publiées [15, 16] on peut reconstituer le déroulement des faits. Le traitement initial adéquat (une simple immobilisation plâtrée dans la plupart des cas) ayant fait défaut, le blessé évolue volontiers vers la pseudarthrose, dans certains cas favorisée par l’ischémie du fragment proximal. L’os étant déformé au stade de pseudarthrose (notamment tassé), le carpe perd sa forme et ses dimensions globales (sa cohérence spatiale [17]), notamment sa hauteur, c’est le collapsus carpien chiffré par divers indices dont celui de Mac Murtry [18] (Fig. 2). Deuxième conséquence : le scaphoïde s’étant déformé et rompu, les os du carpe se déplacent les uns par rapport aux autres [19]. L’ensemble de ces modifications a été appelé instabilité carpienne d’adaptation.
Parfois même des lésions ligamentaires accompagnent la fracture d’emblée et s’aggravent secondairement par distension. C’est l’instabilité ligamentaire qui pourrait être isolée mais qui, ici, se surajoute à l’instabilité carpienne d’adaptation. On admet [15, 16] que l’arthrose radiocarpienne et intracarpienne est inéluctable après pseudarthrose scaphoïdienne négligée, dans un délai d’environ 10 ans. Il est difficile
FIG. 2. – L’indice de Mac Murtry : prouve et mesure le collapsus carpien.
L2 = 0,54 fi 0,03 L1 (constant dans les poignets normaux).
de chiffrer avec plus de précision, vu l’épisode initial douteux. L’arthrose est d’autant plus rapide et grave qu’une instabilité carpienne est surajoutée. Ainsi sournoisement se déroule un processus qui est la conséquence d’un défaut initial d’analyse.
L’examen clinique d’une fracture récente n’est absolument pas discriminant. Il en est de même des radiographies simples. Il suffit de constater les avis divergents du jury à leur lecture.
Quant à la scanographie , ses performances médiocres ont déjà été évoquées. La littérature l’a rarement retenue [7].
La scintigraphie simple non quantitative est elle-même prise en défaut. Dans notre série, si on ne prend plus en compte le rapport de fixation de 2/1, la scintigraphie n’a plus aucune spécificité et les faux-positifs se multiplient.
L’examen radiologique itératif . Notre statistique confirme que les radiographies tardives de R. Watson Jones [5] sont de peu d’intérêt a posteriori ; un peu plus de 10 % des fractures sont décelées après un délai moyen de 18,75 jours !
Les fractures des autres os du carpe [20]. Une moisson inattendue de fractures des autres os du carpe fut une constatation très instructive. Elle ouvre la voie à un interrogatoire itératif, à des incidences spécifiques lesquels ne peuvent être réalisés d’emblée sans risque d’erreur compte tenu du caractère assez exceptionnel de certaines lésions.
LES CONSÉQUENCES PRATIQUES
Les conséquences individuelles (les 3 stades ; Fig. 3, 4, 5 et 6)
Pour un blessé l’itinéraire clinique et d’imagerie devient simple, rapide. La radioscintigraphie quantitative est sensible, spécifique de toutes les fractures régionales (carpe et extrémité inférieure des 2 os de l’avant-bras). Il faut opposer 3 stades où les écueils se déplacent :
Le stade de la fracture occulte (Fig. 3 et 4)
Le diagnostic difficile bénéficie de la radioscintigraphie. Le traitement (immobilisation plâtrée ++) est simple. Le pronostic excellent (plus de 90 % de consolidation) [4].
Le stade de la pseudarthrose avec ou sans instabilité (Fig. 5)
Le diagnostic est devenu évident. Le traitement chirurgical est impératif chez un blessé encore jeune (de 30 à 40 ans) quels que soient les signes fonctionnels car l’arthrose est inéluctable dans les 10 ans qui suivent [15, 16]. Le pronostic est d’autant plus réservé qu’il existe une instabilité surajoutée à la pseudarthrose.
a b c FIG. 3. — 1er exemple de fracture occulte a) examen radiologique normal b) scintigraphie quantitative > 0 c) superposition radio-scintigraphie d) localisation du foyer de fracture ;
ici ==> fracture du scaphoïde carpien
a b c FIG. 4. — 2ème exemple de fracture occulte a) examen radiologique normal b) scintigraphie quantitative > 0 c) superposition radio-scintigraphie d) localisation du foyer de fracture ;
ici ==> fracture du corps du grand os d
FIG. 5. — Garçon boucher, 18 ans, consulte pour la 1ère fois. Pas de radiographie antérieure : dossier radiologique actuel révélant une pseudarthrose du scaphoïde carpien avec nécrose du fragment proximal avec ébauche du collapsus carpien de profil (instabilité d’adaptation).
Le stade de l’arthrose radiocarpienne et intracarpienne (Fig. 6)
Les lésions sont devenues spectaculaires sur les radiographies simples. Le traitement est aléatoire, l’indication chirurgicale donc discutable, d’autant que le blessé a vieilli (il a maintenant 40 à 50 ans) se trouve parfois à la fin de sa vie professionnelle.
Quoiqu’il arrive le blessé devra souvent renoncer à toute activité professionnelle (s’il est manuel) et sportive. Il prétendra donc éventuellement à des indemnités.
Conséquences sociales
Ici encore, une mauvaise orientation diagnostique initiale a des conséquences fâcheuses pour la collectivité. Nous avons donc établi le tableau comparatif du prix des examens (Tableau 3). Il n’y a pas de différence de coût très sensible. Et surtout ce prix n’est pas le plus important. Il faut prendre en compte la durée de l’arrêt de travail, souvent en AT, le nombre des rechutes, le caractère itératif de l’examen clinique et des examens complémentaires. Il faut surtout prendre en considération la situation délicate créée par les complications ultérieures facilement identifiées mais
FIG. 6. — Mécanicien, 51 ans, a consulté pour la 1ère fois, il y a 20 ans : fracture méconnue du scaphoïde carpien. Se présente à 51 ans avec une arthrose évoluée : raideur, douleurs développée sur pseudarthrose et collapsus carpien ; gêne professionnelle importante.
TABLEAU 3. — Tableau récapitulatif du coût des examens.
Radiographies de poignet face + profil + incidences de 740,00 F scaphoïde IRM du poignet 2 300,00 F TDM du poignet 1 080,00 F Radioscintigraphie quantitative du poignet 1 890,50 F difficiles et parfois impossibles à traiter efficacement. Enfin, il ne faut pas oublier que chez des ouvriers manuels le poignet très altéré handicape la main correspondante, qu’il oriente au point de provoquer un arrêt de l’activité professionnelle (mise en retraite anticipée, etc.) et bien sûr sportive.
Les conséquences médico-légales [21]
Il deviendra très difficile pour un expert à distance de l’accident initial, méconnu ou mal analysé, de préciser le traumatisme responsable. De plus, l’indemnisation variera selon que l’accident sera régi par le droit commun ou les accidents du travail (AT). La législation des AT protégeant spécialement la victime, le risque est donc surtout de faire couvrir par les accidents du travail (si le 2e accident est un AT) un traumatisme initial dont les circonstances n’ont rien de professionnel. Il est certain qu’un examen clinique initial judicieux suivi d’un examen complémentaire sensible et spécifique comme la radioscintigraphie quantitative sont un gage contre de telles difficultés.
Quoi qu’il en soit en cas de lésion ancienne, le chirurgien tenant compte des acquisitions sur les fractures occultes, devra faire comprendre au blessé (ce qui est parfois difficile) tous les détails de la situation médico-légale et surtout ne jamais entreprendre le traitement, souvent aléatoire, qu’après avoir fait admettre formellement au blessé les conditions de prise en charge.
CONCLUSION
Il ne faudrait pas croire que l’utilisation abusive de la radioscintigraphie quantitative résoudra toutes les difficultés. La banalité des traumatismes du carpe, leur bénignité apparente, ne doivent pas dispenser d’un interrogatoire et d’un examen clinique rigoureux. À ce propos, on ne peut s’empêcher d’insister sur le bien-fondé de la prise en charge de ce qu’on appelle indûment la petite traumatologie par un chirurgien qualifié en première intention.
Enfin, il ne faut pas penser pour autant que le problème diagnostique est réglé définitivement. Il est très probable que dans l’avenir l’accès plus facile à la résonance magnétique atténuera l’intérêt de la radioscintigraphie quantitative. Cependant les possibilités de cette dernière étant connues, il sera toujours possible de l’utiliser à défaut de l’IRM dans la panoplie des techniques mises à notre disposition, notamment en cas de contre-indication.
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DISCUSSION
M. André SICARD
Vous venez d’attirer l’attention sur ce petit os du carpe qui, à l’exclusion des sésamoïdes, est, avec le semi-lunaire, le plus petit de notre squelette. Sa fracture, fréquemment méconnue, a été l’objet de multiples recherches thérapeutiques dont les résultats ont été d’autant plus décevants que le diagnostic en est souvent tardif. La radiographie est en effet parfois difficile à interpréter. Il en est de même des tomographies. Votre mérite est d’avoir mis au point un procédé d’imagerie qui consiste en une fusion informatique entre la scintigraphie et la radiographie, procédé ingénieux qui permet d’espérer que les fractures méconnues trouveront un pronostic meilleur en évitant les séquelles qui peuvent aboutir à l’arthrose du poignet avec ses conséquences fonctionnelles plus invalidantes qu’on ne le suppose. Reste à savoir s’il faut généraliser, après tout traumatisme du poignet, ce procédé et à quels cas difficiles à interpréter il faut le réserver ?
Il s’agit d’un examen complémentaire très utile pour détecter les fractures occultes qui, par définition, échappent à un examen respectant les bonnes pratiques. C’est dire qu’un examen clinique soigneux préalable, suivi des clichés retenus par le bilan conventionnel, est rigoureusement indispensable. D’ailleurs si on ne respectait pas cette règle, compte tenu de la banalité des traumatismes du poignet, il se produirait une inflation intolérable des radioscintigraphies quantitatives.
M. Paul DOURY
On peut rapprocher ces fractures occultes traumatiques du scaphoïde carpien décelables grâce à la scintigraphie des fractures dites de fatigue du scaphoïde carpien survenant à la suite de micro-traumatismes répétés qui posent le même problème difficile du diagnostic précoce. Dans ces fractures, dites de fatigue du scaphoïde carpien, la scintigraphie osseuse a aussi une très grande valeur pour suspecter le diagnostic avant l’apparition des signes radiologiques et orienter un éventuel examen IRM. Ce diagnostic précoce a le même intérêt : permettre d’immobiliser le poignet et éviter la survenue d’une fracture vraie.
Je partage votre opinion sur l’identité des lésions responsables des fractures de fatigue et de celles qui correspondent aux fractures occultes du scaphoïde carpien. Il s’agit, dans les deux cas, de tassements trabéculaires du tissu spongieux, où une sensibilité égale à la scintigraphie.
M. Louis AUQUIER
Sans contester l’intérêt du travail expérimental qui nous a été présenté sur un sujet difficile et important en pratique, je poserai les deux questions suivantes : l’utilisation de la radioscintigraphie quantitative n’est-elle pas un processus compliqué qui gagnerait a être remplacé, comme vous l’avez souligné, par l’IRM (sous réserve de disposer de cette technique) ? Sur le plan financier, cela représenterait-il une économie qui mériterait d’être prise en compte dans la décision ?
La radioscintigraphie quantitative (RSQ) est un examen au moins aussi simple que l’IRM. Mais c’est un examen de remplacement qui s’impose du fait des longs délais imposés pour l’obtention d’une IRM (45 jours environ), alors que la RSQ peut être obtenue dans un délai de 72 heures (justifié par la physiologie). D’autre part, la RSQ est moins coûteuse que l’IRM.
M. Jean-Daniel PICARD
Étant donné le coût et la difficulté d’obtenir les 2 examens de référence cités, n’a-t-on pas envisagé d’étudier les traumatismes du poignet par l’échographie ? Les progrès de cette technique devraient permettre de réaliser un tri parmi les traumatisés des poignets en reconnaissant, j’imagine, ceux qui devraient bénéficier d’un examen plus complexe et plus cher ?
En ce qui concerne l’échographie, je n’ai pas la notion bibliographique que cet examen se soit imposé.
M. Pierre GODEAU
Quelle est la durée d’immobilisation ? Est-elle différente en cas de fracture avérée et de fracture occulte ? Au stade « chronique », avez-vous constaté ou dépisté par la scintigraphie des syndromes algodystrophiques à côté des lésions localisées au scaphoïde ? Si oui, quelle était leur fréquence ?
Une fracture non déplacée (occulte ou non) du scaphoïde carpien doit faire l’objet d’une première immobilisation de 45 jours (coude exclu, en prenant la colonne du pouce). Cette immobilisation doit être prolongée si la consolidation n’est pas acquise après 45 jours.
D’autre part, on observe peu d’algodystrophie après ce type de fracture, beaucoup moins qu’après fracture de l’extrémité inférieure du radius où le taux de cette complication atteint plus de 20 % dans certaines statistiques.
M. Jean MINÉ
Il convient de vous remercier de nous aider à résoudre un problème dont on connaît la fréquence et la gravité des conséquences lorsqu’il n’est pas résolu à temps. Aussi deux méthodes de référence : l’IRM et la radioscintigraphie quantitative. Le choix étant fait en fonction des difficultés ou des circonstances mais il se peut qu’elles soient difficiles à réaliser (inaccessibilité et complexité représentées par l’utilisation d’un marqueur). Sans doute alors la tomodensitométrie, y compris en 3 D, pourrait être d’une certaine utilité même si elle est considérée comme moins performante. Qu’en pensez-vous ? D’autre part, à propos des deux méthodes de référence, la précocité des images probantes est-elle identique ?
Vous avez tout à fait raison. La tomodensitométrie peut être utile dans certains cas, mais pour nous, elle n’intervient pas systématiquement dans la recherche d’une fracture occulte, les deux examens de choix restant l’IRM et la RSQ. D’autre part, la précocité des images IRM et scintigraphiques est à 24 heures près identique.
M. Jean PAOLAGGI
Avez-vous chiffré la spécificité de votre méthode ?
Nous avons comparé l’IRM (examen de référence) et la RSQ chez 60 blessés. Les résultats ont été strictement identiques. On peut donc parler de sensibilité à 100 %. Comme il n’y a pas plus de faux-positifs par la RSQ que par l’IRM, on peut parler de spécificités identiques. Cependant, les résultats obtenus avec la RSQ sont moins précis : on constate qu’une fracture s’est produite dans une zone osseuse donnée qui est donc sûrement pathologique. Mais on ne voit pas le trait, ni sa disposition, alors que l’IRM permet de classer la fracture et de mieux fixer le pronostic.
M. Maurice GUÉNIOT
Cette communication est particulièrement importante, notamment en ce qui concerne l’incidence médico-légale. En effet si la fixation de l’IPP dans les accidents de la main est maintenant satisfaisante, notamment grâce au professeur Jean Gosset qui a été le rédacteur de cette partie du barème ministériel concernant la main, la commission de révision de ce barème que j’avais présidée à l’époque s’était heurtée à beaucoup de difficultés en ce qui concerne le poignet. Vos travaux apportent des éléments d’appréciation essentiels pour le diagnostic précoce des fractures méconnues du scaphoïde et devraient permettre d’éviter les fâcheuses invalidités consécutives tardives.
Vous avez mis le doigt sur l’importance médico-légale d’un diagnostic exact précoce. Je vous remercie de votre approbation mais aussi de votre indulgence.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 8, 1399-1416, séance du 6 novembre 2001