Résumé
L’échinococcose alvéolaire, due au développement de la larve du taenia « Echinococcus multilocularis », touche le foie dans 97 % des cas. L’évolution se fait à bas bruit pendant de nombreuses années à la manière d’un cancer du foie, avec envahissement de proche en proche du parenchyme hépatique, des vaisseaux et des voies biliaires. L’intense réaction granulomateuse péri-parasitaire et la fibrose extensive qui lui succède, contribuent, tout autant que le développement du tissu parasitaire, à la gravité de cette infection. Des progressions de contiguïté avec envahissement des organes de voisinage, un essaimage à distance par voie hématogène peuvent aussi être observés. Les formes d’échinococcose alvéolaire purement extra-hépatiques sont exceptionnelles mais les praticiens exerçant en région d’endémie doivent être sensibilisés à ces formes cliniques particulières, dont la méconnaissance peut retarder considèrablement le diagnostic. Les circonstances de découverte se sont clairement modifiées au cours des vingt dernières années. Par le passé, l’affection se présentait cliniquement comme une affection néoplasique : ictère d’aggravation progressive, traduisant l’envahissement de la convergence biliaire, hépatomégalie d’allure pseudo-tumorale, dure, irrégulière en rapport avec une volumineuse lésion parasitaire, syndrome de Budd-Chiari chronique par atteinte des veines sus-hépatiques. Actuellement, du fait de la généralisation de l’échographie, il est fréquent de repérer cette parasitose à un stade asymptomatique. C’est au radiologue, devant la découverte fortuite d’une « tumeur hépatique » de savoir évoquer le diagnostic d’échinococcose alvéolaire. L’affection peut aussi se révéler par des complications : épisodes angiocholitiques liés à la mise en communication de la lésion avec la lumière des voies biliaires, ou à la présence de calculs pigmentaires en amont d’une sténose biliaire parasitaire, tableaux d’abcès hépatique par nécrose centro-parasitaire, hématémèse par rupture de varices oesophagiennes en cas d’extension parasitaire au niveau de la veine porte. Les métastases, essentiellement pulmonaires peuvent être révélatrices de l’affection dans 5 % des cas.
Summary
Alveolar echinococcosis, a parasitic disease due to the larval stage of the cestode Echinococcus multilocularis, is initially located in the liver in 97 % of cases. Progression is very slow and the disease remains silent for many years. The developing larva behaves like a slow-growing liver tumor that gradually invades the liver parenchyma, vessels and bile ducts. Marked granulomatosis around the larva, and the subsequent strong reactive fibrosis, contribute to the severity of the disease. Gradual extension to adjacent organs and distant metastases due to haematogenous spread can also occur. Purely extrahepatic alveolar echinococcosis is rare, but physicians in endemic areas should be aware of this possibility. Diagnostic methods have dramatically improved over the past twenty years. The clinical presentation used to be similar to that of liver cancer, with slowly progressive jaundice (due to involvement of the hilum), huge, hard and irregular hepatomegaly, and a chronic Budd-Chiari syndrome due to hepatic vein involvement. Currently, with extensive use of abdominal ultrasonography, alveolar echinococcosis is commonly diagnosed when still asymptomatic. Alveolar echinococcosis may also be revealed by a complication, such as cholangitis due to communication between the parasite mass and the lumen of a bile duct or to pigment stones accumulating above a parasitic biliary stenosis ; liver abscess related to centro-parasitic necrosis ; or hematemesis due to esophagal varices in case of portal vein involvement. Metastases, especially in the lungs, reveal the disease in 5 % of cases.
L’échinococcose alvéolaire (EA) est une cestodose larvaire qui se développe dans le foie dans 97 % des cas. Alors que l’échinococcose kystique est comparée à une tumeur bénigne du foie, l’EA, heureusement beaucoup plus rare, se comporte comme un cancer d’évolution très lente, envahissant de proche en proche les axes vasculaires et biliaires ainsi que les organes de voisinages [1-8]. Des localisations à distance, par diffusion hématogène, principalement pulmonaires, peuvent également être observées, parfois révélatrice de l’affection.
L’ATTEINTE HEPATIQUE
Macroscopiquement, la masse parasitaire peut se présenter en surface sous une forme nodulaire pseudo-métastatique, avec des structures nodulaires dures, blanchâtres, apparemment isolées les unes des autres, mais ne comportant pas en leur centre d’ombilication, contrairement aux métastases cancéreuses hépatiques. Plus
Fig. 5 : tomodensitométrie abdominale montrant une lésion d’échinococcose alvéolaire du foie droit (flèche grasse) associée à de multiples localisations péritonéales calcifiées (flèches fines) sténose parasitaire. Dans les cas d’obstruction progressive des voies biliaires intrahépatiques, le prurit peut précéder l’ictère de plusieurs mois. La nécrose centrale de la masse parasitaire peut être à l’origine de tableaux d’abcès hépatiques par surinfection bactérienne et/ou fungique. Les compressions (ou l’envahissement) vasculaires peuvent aussi être un mode de révélation. Selon la localisation de la lésion, il peut s’agir d’un syndrome de Budd Chiari chronique par atteinte des veines sushépatiques, ou d’un tableau d’hypertension portale ou cave. Le mode de progression extrêmement lent du métacestode permet, dans ces formes « vasculaires » d’EA, le développement de réseaux de veines collatérales souvent très impressionnantes (figure 4), qui selon le siège de l’obstacle fibro-parasitaire, correspondent à des anastomoses veineuses porto-sus-hépatiques, des varices pariétales abdominales et thoraciques, des voies de dérivations par le système lombo-azygos ou un cavernome portal.
L’EXTENSION AU-DELA DU FOIE
Elle est d’observation plus rare actuellement en raison, d’une part, d’une plus grande fréquence des formes diagnostiquées à un stade « précoce », accessible à un geste chirurgical limité et curateur et, d’autre part, aux progrès acquis en matière de prise en charge médicale des malades présentant des lésions d’emblée inextirpables au moment du diagnostic.
Progression de contiguïté
En fonction de la localisation de la masse parasitaire, des progressions de voisinage peuvent être observées le long du pédicule hépatique, parfois jusque dans le rétropéritoine. Le tronc coeliaque peut être englobé dans le tissu parasitaire. La paroi diaphragmatique peut être également infiltrée, et au-delà, parfois la base pulmonaire droite, le péricarde, la paroi de l’oreillette droite. Des bourgeons parasitaires peuvent faire effraction dans la lumière de la veine cave inférieure et progresser jusque dans la lumière de l’oreillette droite. L’extension parasitaire peut également concerner les glandes surrénales, les reins, la paroi gastrique, le péritoine (figure 5)…[10-12]. Le tissu parasitaire peut aussi progresser dans les tissus mous et les masses musculaires de voisinage. Il peut exceptionnellement provoquer des lésions inflammatoires, indurées, au niveau de la paroi abdominales, par progression de contiguité le long du ligament rond. Ces lésions peuvent constituer le mode de révélation de l’EA. Il est important, en région d’endémie, d’en avoir connaissance et d’envisager sans délai la réalisation d’une biopsie qui permettra d’éviter des retards diagnostiques [13].
Métastases
Des métastases pulmonaires sont identifiées dans 20 % des cas lors de l’évaluation initiale d’extension [14] ; elles révèlent l’infection dans 5 % des cas. Elles peuvent se présenter sous l’aspect d’un « lâcher de ballon » pulmonaire ou sous forme de lésions uni ou pauci-nodulaires, généralement périphériques, contenant parfois des calcifications. Les métastases cérébrales sont exceptionnelles, observées dans 1 % des cas et concernant essentiellement des patients présentant aussi des métastases pulmonaires, ou sous traitement immunosupresseur [15, 16]. D’autres localisations ont été exceptionnellement rapportées : os, rate, thyroïde, glandes lacrymales….
FORMES PUREMENT EXTRA-HEPATIQUES
Des formes purement pancréatiques ont été rapportées [17]. D’exceptionnelles formes ganglionnaires parfois graves et mutilantes ont été également décrites [18]. Il
Fig. 5. — Syndrome cave inférieure avec importante circulation collatérale pariétale abdominale chez un patient atteint d’une échinococcose alvéolaire inextirpable, ayant envahi les veines sus-hépatiques droite et gauche et la veine cave inférieure.
s’agissait dans ce cas d’un mode de contamination très particulier, extra-digestif, secondaire à une morsure par un mammifère infecté. La progression s’était faite par la circulation lymphatique jusqu’au relais ganglionnaires. Les praticiens des régions d’endémie méritent d’être sensibilisés à ces formes cliniques particulières d’EA.
Leur méconnaissance peut en effet être à l’origine de retard parfois considérable au diagnostic, alors qu’à l’inverse, sa seule évocation permet la réalisation des tests sérologiques spécifiques et /ou d’examens anatomo-pathologiques orientés permettant rapidement d’affirmer le diagnostic.
CONCLUSION
L’échinococcose alvéolaire est caractérisée par une localisation hépatique très préférentielle, une phase de latence clinique très longue, des modes de révélation variés. L’hépatomégalie d’allure pseudo-tumorale et l’ictère nu ou d’angiocholite, symptômes révélateurs habituels juqu’à il y a une vingtaine d’années, et traduction d’une maladie souvent évoluée, sont aujourd’hui moins fréquents au moment du diagnostic. En effet, cette parasitose est actuellement repérée plus précocemment du fait de la généralisation de l’échographie et de la sensibilisation des médecins exerçant en zone d’endémie. La découverte fortuite d’une « tumeur hépatique » par l’échographie est désormais une circonstance non rare de diagnostic de cette parasitose, avec pour corollaire une amélioration nette du pronostic.
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DISCUSSION
M. André-Laurent PARODI
Existe-t-il une éosinophilie sanguine dans l’EA ? Si oui, peut-elle orienter vers un diagnostic ?
Une hyperéosinophilie sanguine n’est pas habituelle au cours de l’échinococcose alvéolaire : une hyperéosinophilie supérieure à 7 % est retrouvée chez environ 10 % des malades. Une hyperéosinophilie marquée de l’ordre de 30 à 60 % n’a été observée que trois fois dans notre série de près de trois cents patients, pris en charge au CHU de Besançon au cours des trente dernières années. Elle était contemporaine d’embolie pulmonaire parasitaire à répétition, et dans un cas, elle s’accompagnait de manifestations anaphylactiques. Une observation similaire au CHU de Dijon nous a confirmé récemment qu’une hyperéosinophilie importante chez un patient atteint d’EA devait faire rechercher une dissémination métastatique par thrombus parasitaires en cours de constitution.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 6, 1131-1139, séance du 17 juin 2008