Communication scientifique
Séance du 7 février 2006

Le réseau TELIF à l’Assistance Publique — Hôpitaux de Paris

MOTS-CLÉS : moyens communication et information. télémédecine
The TELIF Network of Paris-area public hospitals (AP-HP)
KEY-WORDS : communication media.. telemedecine

Claude Marsault, Gilles Choupot, Gilles Branche, Elisabeth FeryLemonnier, Catherine Viens-Bitker**

Résumé

Après une étude portant sur l’intérêt et la faisabilité de la mise en place d’un réseau dans le cadre de la grande garde de neurochirurgie de la Région Ile-de-France, le réseau TELIF a été créé en novembre 1994. Encore aujourd’hui, sa principale activité concerne la prise en charge des urgences neurochirurgicales en Ile-de-France. Le bilan du réseau est très positif ayant atteint son objectif de réduction de plus de 70 % des transports inutiles de patients entre hôpitaux. Si le réseau TELIF n’a pas été très utilisé dans le cadre de la télé-expertise, il apporte une aide très importante aux hôpitaux de gériatrie dans l’interprétation et le décloisonnement des activités d’imagerie. Ce réseau a été exemplaire, puisqu’il a été le premier réseau ayant comporté une évaluation annuelle de son activité. Aujourd’hui, la technologie qu’il utilise est obsolète et il devrait rapidement évoluer, en utilisant les technologies modernes, dans le cadre d’une intégration dans le dossier du patient informatisé, en conservant ses activités importantes (neurochirurgie et gériatrie) et en s’ouvrant non seulement vers l’ensemble des hôpitaux publics de la région Ile-de-France, comme c’est le cas aujourd’hui, mais également vers les différentes modalités de prise en charge des patients en ville.

Summary

After a feasibility study, the TELIF network (neurosurgical emergencies in the Paris region) was created in November 1994.The goal was to reduce the number of patient transfers among the different hospitals, by teletransmission of computed tomography images between computers located in the emergency departments of general hospitals and the neurosurgery department.The initial goal has been reached, with a 70 % reduction in the number of patient transfers.The network is also being used with success for teleinterpretation of standard radiographs in gerontology.Today the network’s technology is obsolete, and it will now be integrated into the new medical record system, using web-based technology for secure and confidential teletransmission.

Le réseau de télémédecine TELIF a été créé en novembre 1994, sur l’initiative de l’AP-HP, pour améliorer le fonctionnement de la grande garde de neurochirurgie de la Région Ile-de-France . Sa création a été précédée par une enquête portant sur la recevabilité de l’utilisation de la télémédecine par l’ensemble des acteurs (urgentistes, neurochirurgiens et neuroradiologues) et par une enquête sur les transports inutiles, voire nuisibles, pour le patient, dans la prise en charge des urgences neurochirurgicales.

Le principal objectif a été d’améliorer la qualité des relations entre les services d’urgence de première intention et l’accueil de neurochirurgie, en essayant de diminuer les transports aller-retour des patients non admis en neurochirurgie. Outre les problèmes de confidentialité et de sécurité informatique (TELIF utilise le réseau téléphonique de France Télécom), le mode d’utilisation a privilégié la conservation des anciennes et très bonnes habitudes, comme le contact téléphonique systématique entre les équipes médicales et chirurgicales, ainsi que la qualité de la prise en charge des patients avec obligation de transmettre des informations cliniques de qualité, associées à l’ensemble des images scanner, pour éviter des erreurs potentielles. De plus, pour la première fois, un réseau de télémédecine a vu son activité évaluée par une équipe du siège de l’AP-HP, ainsi qu’un suivi quotidien des éventuelles difficultés de fonctionnement. Le résultat a été particulièrement positif, puisque le nombre de transports inutiles a été réduit de plus de 70 % et que, aujourd’hui, les différentes équipes de grande garde de neurochirurgie ne peuvent plus se passer de ce réseau, en demandant systématiquement la transmission des informations cliniques et des images scanner. Un autre effet bénéfique a été l’ouverture 24 h/24 de tous les scanners des hôpitaux accueillant les urgences, résultat obtenu en moins de six mois après l’ouverture du réseau [1].

Après maintenant plus de dix ans de fonctionnement, ce réseau est indispensable pour l’activité de grande garde de neurochirurgie et plusieurs autres régions de France, sous différentes modalités, ont mis en place un réseau pour mieux assurer les urgences neurochirurgicales [2].

Dans le cadre de cette activité de grande garde de neurochirurgie, il est important de constater que les délais de réponse, y compris par voie informatique, sont en moyenne d’un peu plus d’une heure seulement, en se rappelant que les anciennes habitudes téléphoniques perdurent, en particulier lorsque l’urgence est extrême.

Particulière, parce que située dans un seul hôpital (Necker — Enfants Malades), l’activité de TELIF dans le domaine de la neurochirurgie pédiatrique a aussi beaucoup augmenté, puisqu’elle a triplé en cinq ans (un peu plus de deux cents télétransmissions par an aujourd’hui).

Après la consolidation de cette activité de neurochirurgie, le réseau TELIF s’est ouvert sur d’autres activités. Certaines ont été un demi-échec, d’autres un très grand succès.

Parmi les demi-échecs, citons l’activité de télé-expertise , avec demande d’interpré- tation à des centres experts comme par exemple en radiologie ostéo-articulaire ou digestive ou thoracique. Les seules activités qui ont pu se développer dans ce cadre sont celles, qui pré-existaient avec déjà auparavant une bonne connaissance et une bonne qualité des relations entre les équipes. Seules les équipes qui avaient déjà l’habitude de travailler ensemble ont pu bénéficier de l’amélioration apportée par la télémédecine, en particulier la rapidité du temps de transfert associée, bien sûr, à la rapidité de la réponse [3].

Une station de télémédecine a été installée dans l’unité de consultations et soins ambulatoires de la prison de la Santé : télémédecine et détenus . Cette station communique uniquement avec l’hôpital Cochin. Malgré l’intérêt potentiel très important d’une telle transmission, le nombre de dossiers échangés est toujours resté faible. Cela provient probablement de l’équipement radiologique moins bien adapté au niveau de la prison de la Santé.

Parmi les très grands succès, citons l’aide apportée aux hôpitaux de gériatrie et en particulier dans l’interprétation et le décloisonnement des activités d’imagerie dans ce type d’hôpitaux. Aujourd’hui, la plupart des hôpitaux de gériatrie de l’AP-HP sont reliés, préférentiellement, à un hôpital d’aigus pour pouvoir interpréter plus vite les clichés faits chez leurs malades et ainsi améliorer de façon importante la qualité de la prise en charge des patients âgés.

Mise en place en 1999, cette télé-interprétation en gérontologie a obtenu un succès immédiat et a représenté jusqu’à plus d’un tiers du volume total des échanges sur le réseau TELIF. Comme pour la grande garde de neurochirurgie, elle est considérée comme indispensable et devra obligatoirement trouver une solution lors des évolutions technologiques prévisibles du réseau TELIF.

Comme les autres réseaux de télétransmission d’images, le succès et l’apport du réseau à la qualité des soins sont toujours plus importants dans le cadre des urgences . Citons l’expérience des urgences neuro-vasculaires de l’hôpital Bichat, où la télétransmission a d’emblée été un succès, en associant la transmission vidéo de l’examen neurologique du patient par une Web-Cam [4].

Plusieurs questions se sont posées sur le mode de fonctionnement de cette télémé- decine. Concernant la responsabilité médicale , celle-ci est double avec une responsabilité de la part du demandeur (qualité de la demande et bien sûr qualité de la transmission) et une responsabilité de l’expert (qualité de la réponse, associée bien sûr à la rapidité de cette réponse). Ce type de responsabilité a été parfaitement défini par l’Ordre National des Médecins. Par contre, la reconnaissance de la surcharge de travail en terme d’activité n’a encore aujourd’hui pas trouvé de solution. Or, la télémédecine consomme beaucoup de temps médecin.

Et si le fait d’adresser le patient le plus rapidement possible et le plus directement possible vers l’unité de soins la mieux adaptée à son état constitue une amélioration de la qualité des soins , le réseau TELIF a participé à cette amélioration. Ainsi, au cours de l’année 2002, dernière année d’évaluation précise du fonctionnement du réseau, 965 transports inutiles ont été évités, 419 transferts du patient vers la neurochirurgie ont été conseillés en urgence, 123 changements de prise en charge ont été conseillés et 42 transferts non urgents ont été proposés.

Aujourd’hui, le réseau TELIF n’a plus de capacité d’évolution et donc de réponse nouvelle aux questions actuelles.

En effet, les défauts du réseau sont de plus en plus gênants :

— lien dit point à point entre les consoles du réseau, ne permettant pas l’ouverture facile vers d’autres utilisateurs, — le fournisseur du système est unique donc propriétaire, et c’est lui qui développe les éventuelles améliorations du logiciel, ne permettant pas de faire jouer la concurrence, — la masse actuelle des images d’un seul examen est à l’origine de temps de transmission de plus en plus longs, si les images significatives ne sont pas choisies, — le passage obligé actuel par un opérateur téléphonique est à l’origine d’un important surcoût.

Des nouvelles qualités sont maintenant demandées à un tel réseau :

— lien facile avec l’informatique hospitalière, — ouverture vers l’ensemble des utilisateurs potentiels, — temps de transmission satisfaisants, — conservation d’une confidentialité absolue.

Ainsi, les services de radiologie des hôpitaux de l’AP-HP s’équipent de réseaux d’images , qui permettent l’archivage des examens radiologiques et qui, surtout, vont pouvoir assurer la diffusion d’un certain nombre d’images vers les services cliniques à l’intérieur de l’hôpital, mais aussi vers la ville. Parallèlement, les examens scanographiques réalisés en 1995, au début du réseau TELIF, ne comportaient qu’un nombre restreint d’images (entre 20 et 40 pour l’exploration de l’encéphale, une centaine maximum pour les autres explorations). Aujourd’hui, le nombre d’images par examen est de plusieurs centaines, voire parfois de quelques milliers. On comprend la nécessité d’une transformation totale des modalités de fonctionnement du réseau, surtout si l’on considère que la machine, certes, produit plusieurs centaines d’images, mais que la qualité de la prise en charge du patient va dépendre du bon choix des quelques images probantes ou significatives. Les futurs réseaux de communication inter-hospitaliers, comme TELIF, vont donc faire partie des réseaux d’images des services d’imagerie ou plutôt une fonction de ces réseaux d’images devra permettre d’assurer l’ensemble des fonctionnalités apportées par un réseau comme TELIF.

Par ailleurs, alors que cela n’était pas le cas en 1995, il existe aujourd’hui une compatibilité informatique des réseaux entre eux, puisque la norme DICOM est utilisée tant au niveau de la production des machines d’imagerie, qu’au niveau de l’archivage et même bien sûr de la transmission des images à l’intérieur des réseaux.

De plus, les centaines d’images produites par chaque machine ne sont plus reproduites sur films radiographiques et l’on a même pour objectif de supprimer le film.

De ce fait, la visualisation des examens va se faire essentiellement à partir des images dites significatives ou probantes qui formeront une planche résumé que l’on visualise sur des ordinateurs. Il est possible que cette planche résumé fasse partie du dossier médical personnel ou partagé et donc informatique, qu’elle soit l’élément essentiel transmis au niveau des services cliniques et qu’elle constitue ainsi ce qui sera transmis par la télémédecine.

Ces évolutions techniques qui permettront une transmission rapide, performante, d’images déjà pré-sélectionnées et de plus intégrées dans le dossier médical du patient, ne devront jamais faire oublier les conditions essentielles de la télémédecine.

Ces deux conditions sont la confidentialité qui devra être garantie par un niveau suffisant de cryptage. La deuxième condition concerne ce que l’on peut appeler la sécurité informatique , c’est-à-dire la certitude qu’il s’agit du bon dossier, du bon malade et qu’il n’y a, par exemple, pas eu d’erreur dans l’identification. L’autre erreur possible concerne la déconnexion entre l’identification et le dossier du patient au cours de la télétransmission. Le respect absolu de ces deux conditions sera le garant de l’évolution future de la télétransmission.

Conclusion

Après avoir rendu des services importants dans le cadre de la grande garde de neurochirurgie de la Région Ile-de-France, en particulier en évitant un grand nombre de transports inutiles, le réseau TELIF s’est développé autour d’autres services rendus, comme la télé-interprétation en gérontologie ou dans l’amélioration des modalités de prise en charge des détenus. Les changements technologiques vont lui permettre de mieux assurer encore ses premières missions, et surtout d’être véritablement intégré dans le dossier informatisé du patient aussi bien dans son utilisation intra, et inter-hospitalière, mais aussi dans les relations ville — hôpital.

BIBLIOGRAPHIE [1] FERY LEMONNIER E., FAY A.F., CHARPENTIER E., DAVID P., MARSAULT C., VIENS BITKER C., and the HERMES Group. — Impact of interhospital transmission of radiological images in the context of neurosurgical emergencies. In Computer Assisted Radiology, Editions Scientifiques et

Médicales Elsevier Amsterdam, 1996, 558-564.

[2] BRANCHE G., VIENS BITKER C., CHARPENTIER E., SOUAG A., MARSAULT C., DAVID P. — Évolution de l’usage et de l’économie d’un réseau de télémédecine : réseau TELIF (1994-2000).

Journées Françaises de Radiologie, 2001 — Paris.

[3] FAY A.F., FERY LEMONNIER E., DAVID P., MARSAULT C., VIENS BITKER C. and HERMES Group. — Setting and evaluating and interhospital network : a user’s perspective. In Medical Informatics in Europ’96 . Vol 34, Par IOS Press — Amsterdam, 1996, 334-338.

[4] AMARENCO P. — Réseau TELE-AVC. 1ère journée de télémédecine : téléneurologie. 15 décembre 2004 — Paris.

DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

La télémédecine est évidemment un très gros progrès en neurochirurgie. Qu’en est-il de l’évaluation des ‘‘ experts ’’ dont il est possible, dans des circonstances certes exceptionnelles, de se poser des questions sur la qualité ? Comment y remédier ? La garde unique ?

Les « experts » de télémédecine dans le cadre de la grande garde de neurochirurgie sont les chirurgiens de garde et la question aborde ainsi le problème de l’évaluation des tous les médecins de garde. L’interlocuteur de télémédecine est le même interlocuteur que celui qui répondait au téléphone dans le fonctionnement de la grande garde de neurochirurgie.

Aujourd’hui, la seniorisation réelle des médecins de garde a permis une amélioration importante de la qualité des intervenants.

M. Jacques PHILIPPON

Malgré l’intérêt de la transmission d’images en pathologie d’urgence neurochirurgicale, un certain nombre d’hôpitaux (y compris de l’Assistance Publique) n’utilisent pas cette méthode. Y a-t-il insuffisance de moyens ou de personnel qualifié ? L’image transmise est immédiate et souvent non répétée. Cela ne donne-t-il pas une impression de fausse sécurité, d’autant qu’on est parfois à distance de l’évolution clinique.

Les habitudes de transmission ou de non transmission des images par les sites d’urgence vers les sites neurochirurgicaux ont été adoptées dans les semaines qui ont suivi l’ouverture du réseau TELIF. Très peu de sites AP-HP n’ont pas pris effectivement cette habitude. Ce sont les quelques très rares hôpitaux qui avaient refusé l’ouverture 24 h / 24 des scanners aux urgences. Dans certains sites, la transmission des images a été protocolée et est réalisée par les manipulateurs de radiologie. La deuxième question concernant l’éventuelle non répétition du scanner chez un traumatisé crânien, permet d’insister sur la primauté de la clinique sur les images (c’est un radiologue qui vous le dit, mais la radiologie est une discipline clinique). Toute modification ou aggravation de l’état clinique d’un traumatisé crânien nécessite la répétition d’une exploration scanner, comme par exemple à la recherche d’un hématome extra dural non encore visible sur le premier scanner, car celui-ci a été réalisé très précocement.

M. Jean-Luc de GENNES

A côté des relations bien organisées que vous nous avez montrées, quelles sont les relations de télémédecine organisées avec les centres d’urgences cérébrovasculaires ?

Les urgences cérébrovasculaires n’entrent pas aujourd’hui dans le cadre de fonctionnement du réseau TELIF. L’objectif majeur de ces urgences extrêmes est d’essayer d’ame-
ner les patients le plus vite possible et le plus directement possible dans les unités d’urgences neurovasculaires. Cependant, et il convient de valider cette modalité de prise en charge, il existe à l’hôpital Bichat, sous la direction de Pierre Amarenco, un réseau reliant l’hôpital Bichat à des services d’accueil des urgences, permettant de transmettre des images radiologiques, mais également de filmer l’examen neurologique du patient par l’intermédiaire d’une caméra web. Ainsi, le neurologue vasculaire de Bichat peut proposer ou non la thrombolyse chez un patient encore pris en charge dans un autre hôpital et qui sera transféré, thrombolyse faite, à Bichat. Ceci permet de gagner beaucoup de temps et favorise le dialogue et la formation aux indications de la thrombolyse entre urgentistes et neurologues vasculaires.

M. Jean CIVATTE

Peut-il y avoir obligation, pour le médecin, de proposer l’usage de la télémédecine si celle-ci est possible ? Si un acte de télémédecine est réalisé, doit-il donner lieu à un enregistrement ?

Si oui, qui le conservera ? En cas de désaccord sur la qualité des images transmises entre le télé-expert et le demandeur, qui tranchera ? des experts officiels ?

La télémédecine est un moyen d’aide à la communication entre médecins et équipes médicales. Il est probablement souhaitable de convaincre les intervenants de santé de son intérêt et il ne paraît pas envisageable de rendre obligatoire son usage pour telle ou telle circonstance. Par contre, les actes de télémédecine, comme c’est le cas dans le réseau TELIF, devraient être systématiquement archivés, avec les questions, les images et les réponses (l’archivage électronique reste relativement facile et peu coûteux aujourd’hui).

Si l’« expert » n’est pas satisfait de la qualité des images transmises, il a parfaitement le droit d’en refuser l’interprétation et d’indiquer, dans sa réponse, les raisons de ce refus.

En terme de responsabilité, c’est l’appelant qui est responsable de la qualité de l’information transmise.


* Service de Radiologie — Hôpital Tenon — 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex. ** Assistance Publique de Paris — 3 avenue Victoria — 75004 Paris. Tirés à part : professeur Claude MARSAULT, même adresse. Article reçu et accepté le 6 février 2006 .

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 2, 349-355, séance du 7 février 2006