Communication scientifique
Séance du 8 novembre 2005

Le fer du sol aux produits végétaux

MOTS-CLÉS : fer. graine.. racine plante
Iron from soil to plant products
KEY-WORDS : iron. plant roots. seeds.

Jean-François Briat

Résumé

Parmi les minéraux essentiels, le fer joue un rôle important dans des processus biologiques fondamentaux tels que la photosynthèse, la respiration, la fixation et l’assimilation de l’azote, et la synthèse de l’ADN. De plus, il intervient comme cofacteur de nombreuses enzymes nécessaires à la synthèse d’hormones végétales impliquées dans de nombreuses voies contrôlant certains aspects du développement des végétaux et de leurs réponses adaptatives aux conditions fluctuantes du milieu. La réactivité du fer avec l’oxygène conduit à sa grande insolubilité (responsable de carence) et à une toxicité potentielle, rendant son utilisation difficile par les organismes aérobies. Si les plantes ne disposaient pas au niveau de leurs racines de systèmes actifs pour acquérir le fer du sol, la plupart d’entre elles, présenteraient des symptômes de carence, altérant gravement leur physiologie. A l’opposé, un excès de fer ferreux soluble, rencontré dans des sols acides et en condition d’anoxie, conduit à une toxicité ferreuse due à la réactivité du fer avec les formes réduites de l’oxygène et à la production d’espèces radicalaires. Il existe donc une fenêtre optimale de la concentration en fer pour qu’une plante fonctionne correctement et effectue un développement et une croissance normaux. Cette concentration optimale fait l’objet de nombreuses régulations contrôlant l’acquisition du fer du sol par les racines, ainsi que son transport et sa distribution dans tous les organes de la plante. L’amélioration du contenu en fer des graines est l’un des enjeux biotechnologiques majeurs identifié par l’Organisation Mondiale de la Santé. Par conséquent, il est primordial de comprendre les mécanismes impliqués dans la charge en fer des graines afin de pouvoir l’augmenter. Il existe un contrôle très strict de ce processus, dépendant de la nature de la spéciation du fer dans des chélates spécifiques, et de leur transport.

Summary

As an essential mineral, iron plays an important role in fundamental biological processes such as photosynthesis, respiration, nitrogen fixation and assimilation, and DNA synthesis. Iron is also a co-factor of many enzymes involved in the synthesis of plant hormones. The latter are involved in many pathways controling plant development or adaptative responses to environmental conditions. Iron reactivity with oxygen leads to its insolubility (responsible for deficiency) and potential toxicity, and complicates iron use by aerobic organisms. If plants lacked an active root system with which to acquire iron from the soil, most would experience iron deficiency and show physiological changes. In contrast, an excess of soluble iron, which can occur in flooded acidic soils, can lead to ferrous iron toxicity due to iron reactivity with reduced forms of oxygen and subsequent free radical production. An optimal iron concentration is thus required for a plant to grow and develop normally. This concentration depends on multiple regulatory mechanisms controlling iron uptake from soil by the roots, as well as iron transport and distribution to the various plant organs. Optimized seed iron content is a major biotechnological challenge identified by the World Health Organization, and it is therefore crucial to understand the underlying mechanisms. Iron delivery to seeds is tightly controlled, and depends on the nature of iron speciation in specific chelates, and their transport.

INTRODUCTION

La carence en fer, cause principale de l’anémie chez les humains, constitue le plus important des désordres nutritionnels identifié à ce jour par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (http : //www.who.int/nut/ida.htm). 60 à 80 % de la population mondiale serait carencée en fer, et plus de 30 % serait anémique. Neuf dixième des individus souffrant d’anémie vivent dans des pays en voie de développement. Les conséquences de cette carence sont désastreuses au plan individuel (augmentation de la mortalité infantile et des décès maternels, retard du développement psychomoteur, augmentation de la suceptibilité aux infections, fatigue chronique) et collectif (baisse de la capacité au travail et donc gêne au développement et à la productivité des pays affectés). Une des mesures péconisée par l’OMS suggère une augmentation de la nutrition en fer des populations ne se résumant pas à une supplémentation nutritionnelle ponctuelle et souvent difficile à mettre en œuvre. La proposition d’un enrichissement en fer disponible dans la diète (‘‘ Iron Biofortification ’’) implique une augmentation de la teneur en fer des végétaux. En effet, la ration alimentaire des humains les plus touchés par cette carence est essentiellement composée de produits végétaux, peu riches en fer (100 g de farine contiennent moins de 10 % de l’apport de fer journalier recommandé). Les graines des plantes étant la source principale de nutriments minéraux dans les rations alimentaires des humains, elles constituent donc une cible privilégiée pour l’amélioration du contenu en fer des produits végétaux. Cependant notre ignorance actuelle de la plupart des mécanismes contrôlant l’homéostasie en fer des plantes constitue une barrière pour définir des stratégies d’amélioration du contenu en fer des végétaux consommables. Notre manque de connaissance dans ce domaine constitue également une limite à la mise en culture de sols dont les propriétés sont responsables de carence en fer limitant la production végétale.

L’accumulation du fer dans les différents organes et les différents tissus d’une plante au cours de sa croissance et de son développement résulte d’un processus dynamique. Celui-ci implique des mécanismes intégrant l’acquisition du fer de la rhizosphère par les racines, sa circulation dans la plante et sa distribution tissulaire, cellulaire et sub-cellulaire dans différents organes. Pour que ces évènements aient lieu, le fer doit traverser différentes membranes dans la plante, et la caractérisation moléculaire des transporteurs impliqués a progressé de façon considérable au cours des cinq dernières années.

ACQUISITION DU FER PAR LES RACINES ET SON CONTRÔLE

Chez les plantes, deux modes de prélèvement du fer existent. Chez la majorité des espèces végétales, le fer ferrique est réduit en fer ferreux par une réductase racinaire avant son assimilation par un transporteur spécifique ; simultanément une ATPase excrète des protons à l’extérieur de la racine, améliorant ainsi après acidification la solubilisation du fer dans la rhizosphère. En revanche, les graminées, les céréales notamment, excrètent dans le milieu extérieur un sidérophore, l’acide déoxymuginéique, qui se complexe au fer ferrique et permet son entrée dans la racine grâce à un transporteur membranaire spécifique ; il sera réduit ultérieurement. Chez les graminées, le processus d’acquisition du fer est donc indépendant du pH ; ces plantes sont connues d’ailleurs pour mieux résister généralement à la chlorose ferrique. Une fois entré dans la racine, chez toutes les plantes, le fer complexé à un acide organique, généralement le citrate, est transporté et distribué dans tous les organes de la plante via les vaisseaux conducteurs, xylème et phloème. Les progrès récents de la génomique fonctionnelle ont permis d’améliorer grandement nos connaissances sur les modes d’acquisition du fer mais nos connaissances sur les modes de transport et de distribution au sein de la plante sont encore fragmentaires.

Chez la plante non-graminée modèle Arabidopsis , une carence en fer induit la synthèse de FRO2 [1], une réductase des chélates ferriques conduisant à la production de Fe(II). Le gène FRO2 d’ Arabidopsis a été cloné en utilisant une approche d’amplification PCR à l’aide d’oligonucléotides dégénérés, dérivés de la séquence des gènes de réductase de la famille FRE de Sacharomyces cerevisiae. Ce gène FRO2 est allélique de frd1-1 , un des trois mutants d’ Arabidopsis ne présentant pas d’activation de l’activité réductase ferrique des racines lors de conditions de nutrition en fer limitantes. Ces mutants ont d’autre part permis de confirmer que la réduction du fer ferrique était indispensable et préalable à son transport dans la racine, et que cette réduction était découplée de l’acidification du milieu extérieur dûe à un efflux de protons en réponse à la carence en fer de la plante [2]. FRO2 restaure l’activité Fe(III)-réductase lorsque cette protéine est exprimée dans des plantes transgéniques de fond génétique frd1-1 , et l’abondance du transcrit FRO2 augmente dans des racines de plantes carencées en fer. Le fer ferreux généré par l’activité de FRO2 est ensuite pris en charge par la protéine IRT1 qui est le transporteur majeur de Fe(II)
des racines de non-graminées dans des conditions de nutrition des plantes déficientes en fer. IRT1 est une protéine possèdant huit domaines transmembranaires, et elle est localisée dans le plasmalemme des cellules épidermiques de la racine [3, 4]. C’est le membre fondateur d’une nouvelle famille de transportreurs conservés chez tous les eukaryotes [5]. La caractérisation d’un mutant nul irt1-1 d’ Arabidopsis a démontré que ce gène était essentiel pour la croissance et le développement de la plante [4].

D’autre part, ce transporteur possède une spécificité de substrat assez large, puisqu’en plus de Fe(II) il transporte également Zn, Cd, Co et Mn, mais pas Cu [3, 4]. A la différence de ce qui est connu du transport du fer chez la levure, le cuivre n’est pas requis pour le transport du fer chez les plantes non-graminées par l’intermé- diaire du système FRO2 / IRT1. Aucune activité cuivre oxydase, du type de celle de FET3p chez la levure, n’est nécessaire pour l’acquisition du fer par les racines d’ Arabidopsis . Cependant, le zinc, comme le fer, est impliqué dans la régulation de l’expression du système IRT1/FRO2 chez

Arabidopsis [6]. La régulation du système

IRT1 / FRO2 de transport haute affinité du fer par des signaux de la plante a été étudiée en analysant l’expression des gènes FRO2 et IRT1 [7]. L’étude de l’expression de ces deux gènes durant la levée de carence par apport de fer au milieu de culture des plantes, ou en modulant la quantité de fer contenu dans les pools de l’apoplasme (paroi pecto-cellulosique des cellules végétales) des racines, indique que le fer lui-même joue un rôle majeur dans la réponse à la carence en fer. Il se comporte comme signal local modulant les quantités accumulées d’ARNm et de protéines du système FRO2/IRT1. L’utilisation d’un système expérimental permettant de nourrir différemment deux parties équivalentes du système racinaire d’une même plante (‘‘ split-root ’’) a par ailleurs permis de mettre en évidence l’existence de signaux systémiques, de nature moléculaire inconnue, produits par les parties aériennes des plantes, et impliqués dans le contrôle de l’expression des gènes IRT1 et

FRO2 au niveau des racines. L’intégration de ces signaux locaux et systémiques permet une régulation stricte de la production des protéines impliquées dans l’acquisition du fer par les racines. Le mutant de tomate fer est déficient dans l’activation des réponses de la plante à la carence en fer, et l’orthologue chez la tomate du gène IRT1 d’ Arabidopsis , LeIRT1 , est réprimé dans le fond génétique fer .

Le gène FER a été identifié par clonage positionnel. Il code un facteur de transcription de la famille des trans -activateurs à hélice-boucle-hélice (bHLH), faisant de

FER le premier régulateur de la nutrition en fer chez les plantes caractérisé molé- culairement [8]. FIT1, l’orthologue de FER chez Arabidopsis a récemment été caractérisé [9]. Les plantes de la famille des légumineuses (pois, haricots…) acquiè- rent également le fer du sol par un processus de réduction du Fe(III) et transport concommitant du Fe(II). Par exemple chez le pois, le gène PsFRO1 code une protéine ayant 55 % d’ identité avec FRO2 d’

Arabidopsis [10] et douée d’une activité réductase des chélates ferriques lorsqu’elle est exprimée chez la levure.

PsFRO1 est donc un bon candidat pour porter l’activité réductase nécessaire à l’acquisition du fer par les racines de pois. Le Fe(II) produit par cette réductase est vraisemblablement transporté à l’intérieur des racines par le transporteur codé par le gène RIT1 qui code une protéine 63 % identique à IRT1, et dont l’expression est activée en
réponse à la carence en fer. L’expression de PsRIT1 complémente le défaut de croissance des doubles mutants de levure fet3fet4 et zrt1zrt2 affectés respectivement dans le transport du fer et du zinc. Les plantes de la famille des légumineuses ont la faculté de développer une symbiose avec des bactéries du sol, conduisant au développement d’organes particuliers situés au niveau des racines, les nodules, ayant la fonction de fixer l’azote atmosphérique. Ce processus dépend de protéines à fer essentielles comme la nitrogénase et la leghémoglobine [11]. L’acquisition du fer par les bactéroïdes situés à l’intérieur des nodules nécessite trois activités : — le Fe(III) complexé à des acides organiques comme le citrate est transporté à travers la membrane péribactéroïdienne avant de s’accumuler dans l’espace péribactéroïdien [12, 13] où il se lie à des sidérophores de type bactérien [14], — des réductases de chélates de Fe(III) sont actives dans la membrane péribactéroïdienne et l’import de Fe(III) dans des symbiosomes isolés est stimulé par le NADH [12], et — le Fe(II) est également transporté à travers la membrane péribactéroïdienne [15], vraisemblablement par l’action du transporteur GmDMT1 [16] qui appartient à la famille NRAMP, une classe ubiquiste de transporteurs métalliques connus pour être impliqués dans le transport du fer et d’autres métaux chez la levure, les plantes et les mammifères [17, 18, 19, 20].

A la différence des plantes non graminées dont le système d’acquisition du fer par les racines repose sur un système couplant réduction du fer ferrique et transport du fer ferreux, les graminées réalisent cette fonction par un système de chélation du Fe(III). Une carence de fer induit chez les graminées la synthèse d’acides muginéiques (MA). Ceux-ci sont synthétisés à partir de la nicotianamine (NA), un précurseur structuralement proche de MA et présent chez toutes les plantes. NA provient de la condensation de trois molécules de S-adénosyl méthionine [21]. MA une fois sécrété dans la rhizosphère peut lier fortement le Fe(III) qui s’y trouve. Le complexe Fe(III)-MA en résultant est reconnu et transporté à travers la membrane plasmique des cellules de l’épiderme des racines par un système de transport spécifique. Ce système a été caractérisé en utilisant le maïs comme plante modèle. Le mutant ys1 de maïs porte une mutation monogénique récessive responsable d’un défaut de transport du complexe Fe(III)-MA. Chez ce mutant la synthèse et la sécrétion des acides muginéiques sont normales. Le gène YS1 a été cloné [22]. Il a été exprimé dans le mutant de levure fet3fet4 , ainsi que dans des oocytes de xénope, permettant de démontrer son activité de transport et de déterminer ses propriétés [22, 23, 24]. Une observation intriguante résultant de ce travail concerne la mise en évidence dans les bases de données de séquences de huit gènes chez Arabidopsis codant potentiellement des protéines présentant d’importantes similarités avec YS1 de maïs, alors qu’ Arabidopsis ne produit pas de MA.

CIRCULATION ET DISTRIBUTION DU FER À L’INTÉRIEUR DE LA PLANTE

Le fer, une fois pénétré dans les racines, est déchargé dans les vaisseaux du xylème, au centre de cet organe, pour être transporté vers les parties aériennes via le flux de transpiration. Les acides organiques, et surtout le citrate, sont les chélates principaux dans la sève xylémienne [25]. Ce mécanisme implique que des transporteurs actifs achemine le fer des cellules du cortex des racines vers le xylème. Cependant, aucun transporteur d’efflux de fer n’ a encore été caractérisé au niveau moléculaire chez les plantes. Une fois que le Fe(III)-citrate atteint les feuilles il est vraisemblablement le substrat d’une réductase du fer ferrique, puisque l’activité d’une telle enzyme a été mise en évidence dans les cellules du mésophylle foliaire [26]. L’implication des gènes de la famille FRO codant des réductases [1] dans cette activité des feuilles reste à établir. Toutefois, le fait que

PsFRO1 soit exprimé dans les feuilles chez le pois [10] en fait un bon candidat pour assurer la fonction de réduction du fer dans cet organe. Récemment, AtYSL2 , un des homologues d’ YS1 de maïs (voir plus haut) a été caractérisé [27]. Des données contradictoires concernant la capacité d’AtYSL2 à transporter la nicotianamine complexée avec du fer ou d’autres métaux ont été publiées [27, 28]. AtYSL2 est exprimé dans les vaisseaux des racines et des feuilles, au niveau des cellules associées au xylème, et la quantité de son transcrit diminue en réponse à une carence en fer. Sur la base d’images de fluorescence de la ‘‘ green fluorescent protein ’’ (GFP) produite en fusion avec AtYSL2 dans des plantes d’ Arabidopsis transgéniques, la localisation de ce transporteur a été affectée à la membrane plasmique des cellules du parenchyme xylémien, exclusivement sur les côtés de ces cellules, et pas à leurs pôles basal où apical [27]. Une telle localisation suggère qu’AtYSL2 pourrait transporter le complexe Fe(II)-NA latéralement à l’intérieur des veines des racines et des feuilles. Ces résultats ont conduit certains auteurs à formuler l’hypothèse que le rôle physiologique principal d’AtYSL2 serait de prendre en charge le fer arrivant dans les tissus via la sève xylémienne, pour le décharger des vaisseaux du xylème [27]. AtYSL2 pourrait également être impliqué dans le transport du zinc [28].

La mobilité du fer des tissus sources (feuilles) vers les tissus puits (graines) via la sève phloèmienne est peu documentée. Il est toutefois bien établi que la sève du phloème contient du fer [29] provenant en partie de sa mobilisation à partir des organes sources [30]. Une des molécules identifiée comme potentiellement circulante dans le phloème sous forme complexée à des métaux est la niocotianamine [31]. Le gènome du riz contient 18 gènes OsYSL putatifs, et il a récemment été montré que l’expression du gène OsYSL2 était induite dans les feuilles en réponse à une carence en fer, au niveau des vaisseaux du phloème [32]. OsYSL2 fusionnée à la GFP se localise dans la membrane plasmique, et exprimée dans des oocytes de xénope est capable de transporter des complexes Fe(II)-NA mais pas Fe(III)-NA où Fe(III) deoxyMA.

OsYSL2 pourrait donc être impliquée dans la transport longue distance du com-
plexe Fe(II)-NA dans le phloème. Le fer pourrait également circuler dans la sève du phloème de Ricinus communis sous la forme d’un complexe de fer ferrique d’une masse moléculaire de 2,4 kDa [33]. En fait, une protéine identifiée dans la sève du phloème de Ricinus communis , appelée ITP, a récemment été purifiée. ITP peut complexer Fe(III) mais pas Fe(II). Un ADNc codant ITP a été cloné permettant de déterminer que cette protéine de 96 acides aminés appartient à la famille des protéines ‘‘ Late Embryogenesis Abundant ’’ (LEA) [34]. La préférence d’ITP pour complexer Fe(III) est en accord avec l’observation que seulement 4 % du fer contenu dans les exsudats phloèmiens de jeunes plantes de Ricinus communis se trouvent sous forme de fer ferreux [35]. Bien que la constante d’affinité de la nicotianamine soit de 20,6 pour Fe(III) et seulement de 12,8 pour Fe(II), le complexe Fe(II)-NA possède une cinétique de stabilité inhabituelle, expliquant pourquoi NA est trouvé complexé à Fe(II) dans la sève du phloème, et pas à Fe(III) [21]. Puisqu’il existe à l’équilibre une faible concentration significative de Fe(II) dans le phloème [33], dans lequel l’essentiel du fer est complexé sous forme ferrique à la protéine ITP [34], nous pouvons spéculer que la nicotianamine puisse jouer un rôle de navette avec ITP. NA pourrait chélater du Fe(II) provenant ou allant à ITP pendant les évènements de chargement ou de déchargement en fer du phloème. La réalité d’une telle hypothèse supposerait l’existence d’un système rédox situé dans le phloème afin d’assurer le cycle Fe(III) / Fe(II) qui spécifie la nature du fer complexé respectivement à NA ou à ITP.

STOCKAGE DU FER DANS LES GRAINES

Il existe une variabilité naturelle importante dans le contenu en fer des graines d’espèces de plantes différentes. Par exemple, il est bien connu que les céréales ont une concentration en fer dans leurs graines plus faible que celle mesurée dans des graines de légumineuses [36, 37]. Une telle variabilité existe également à l’intérieur de la même espèce. Par exemple, chez le haricot la concentration moyenne de fer des graines est de 55 mg/kg, mais certaines variétes identifiées par le Centre International d’Agriculture Tropicale (CIAT) dépassent 100 mg/kg. La quantité importante de fer stockée dans les graines de légumineuses comparativement aux autres familles de plantes est corrélée avec une augmentation de la capacité d’acquisition du fer par les racines de ces plantes aux stades précoces de développment des graines [38].

Cependant, le fer peut aussi être remobilisé des organes végétatifs vers les graines.

Par exemple, 20 à 30 % du fer des feuilles peut se retrouver dans les graines de pois [39, 40]. De plus, chez le soja, 40 à 60 % du fer des graines pourrait provenir des nodosités [41]. Les nodosités des racines de légumineuses ont une concentration en fer plus élevée que les autres organes végétatifs d’une plante. De ce fait, une remobilisation active du fer des nodosités vers les graines pourrait expliquer pourquoi le contenu en fer des graines de cette famille de plante est plus important que celui des autres plantes. Dans les graines, le fer se trouve principalement dans la
ferritine, une protéine de stockage du fer. Cette observation a conduit plusieurs laboratoires à surexprimer cette protéine de manière ectopique [42] ou sous le contrôle de promoteurs spécifiant une expression dans les graines [43] afin de tenter d’obtenir une augmentation de la quantité de fer dans les graines. Cette approche a effectivement permis d’obtenir une telle augmentation mais jamais d’un facteur supérieur à deux ou trois fois la quantité de fer mesurée dans des plantes témoins. De plus ce facteur d’augmentation s’est avéré être très dépendant de la nature du sol utilisé pour cultiver ces plantes [44]. En fait, chez les mutants brz et dgl de pois, une augmentation d’un facteur 50 de la quantité de fer dans les feuilles par rapport à des plantes sauvages est observée, mais la quantité de fer des graines est inchangée [45].

Ceci indique clairement qu’un contrôle de la livraison du fer aux graines doit exister, et qu’il est vraisemblablement un facteur limitant de la quantité de fer des graines.

Le transporteur de Fe-NA OsYSL2 est exprimé dans les organes reproducteurs, comme la graine, chez le riz, et il pourrait jouer un rôle dans l’accumulation du fer dans le grain [32]. La récente mise en évidence qu’AtYSL1 est nécessaire pour déterminer la quantité de fer et de NA dans les graines d’ Arabidopsis , et l’impossibilité de restaurer le contenu en fer des graines d’un mutant nul ysl1 en le traitant avec des quantités importantes de Fe(III)-EDDHA, renforce l’idée que la nature de la spéciation du fer dans des chélates spécifiques est un paramètre important de la charge en fer des graines [46].

CONCLUSION

Au cours de cette dernière décennie d’énormes progrès dans le domaine de la caractérisation moléculaire des cibles primaires impliquées dans l’accumulation du fer dans les différents organes d’une plante ont été réalisés. Le transfert de ces connaissances vers des approches biotechnologiques ayant pour objectif d’amé- liorer le contenu en fer des végétaux cultivés, à la base de l’alimentation animale et humaine, a également été entrepris. Ceci a permis d’ouvrir des pistes intéressantes pour améliorer la nutrition en fer de populations carencées, pour certaines à l’état chronique. Toutefois, la validation de ces approches de « biofortification minérale » va nécessiter des études pluridisciplinaires intégrant des recherches de physiologie moléculaire des plantes, de sciences du sol et de nutrition animale et humaine.

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DISCUSSION

M. Alain RERAT

Vous avez montré qu’il était possible d’augmenter les concentrations de fer dans certaines graines, comme le riz, par modifications génétiques. Mais la couverture du besoin en fer par les apports alimentaires ne dépend pas seulement de sa concentration dans l’aliment, mais aussi de sa disponibilité. Pourriez-vous préciser les procédés basés sur le génie génétique qui permettent d’augmenter cette biodisponibilité, notamment dans le riz, selon les études en cours de Potrykus, et préciser aussi les résultats obtenus ? Quelles sont les possibilités d’accroître, dans les produits végétaux, par les méthodes usuelles de génétique classique (sélection et croisement), les teneurs en facteurs adjuvants (vitamine C…) de la disponibilité du fer, et de diminuer celles en facteurs l’inhibant (tanins, polyphénols, phytates…) ?

La quantité de fer dans les organes des plantes est certes un paramètre important à prendre en compte pour améliorer la diète animale et humaine pour cet élément.

Cependant le concept de biofortification pour le fer doit prendre en compte la notion de biodisponibilté de cet élément. En effet le fer des végétaux est complexé à des molécules organiques comme les phytates (en particulier dans les graines), les polyphénols, etc. Il en résulte une faible disponibilité de ce métal pour l’alimentation des mammifères. Par conséquent l’amélioration du statut en fer des plantes à des fins alimentaires doit non seulement prendre en compte l’augmentation du contenu en fer mais également sa facilité d’acquisition par les organismes consommant ces végétaux. Plusieurs groupes de recherche se sont attaqués à ce problème par des approches biotechnologiques. Des plantes transformées génétiquement sur-exprimant les ferritines ont des quantités de fer augmentées d’un facteur 2 à 3. Ces plantes sont également transformées pour sur-exprimer une phytase (et ainsi diminuer la quantité de phytate) et une métallothionéine (dont la richesse en cystéine favorise la réduction du fer au moment de la digestion, et donc son assimilation). La validation de l’efficacité de ces approches nécessitera la démonstration
de la robustesse de ces différents caractères dans différents scénarios agronomiques (pédo-climatiques). D’autre part, des modèles animaux anémiés devraient être utilisés pour confirmer ou infirmer la pertinence de ce type d’approche pour remédier aux carences de fer. Le recours à la variabilité naturelle de ces caractères et à la mise en place de programmes d’amélioration des plantes pour leur contenu en fer et leur capacité à rendre ce métal plus assimilable constitue une alternative aux approches biotechnologiques faisant appel à la transgenèse. Plusieurs programmes internationaux soutenant cette orientation sont d’ailleurs à l’œuvre avec comme plantes cibles le riz et les légumineuses.

M. Pierre DELAVEAU

L’utilisation du chélate éthylénédiéthyltétra-acétate (EDTA) de fer Fe3+ est bien connue, mais limitée par le prix. Existe-t-il des chélateurs naturels utilisables à large échelle et que proposer pour tenter un retour à la fertilité des sols atteints de phénomène de latérisation ?

Les chélateurs « naturels » du fer pourraient être des sidérophores bactériens (appartenant aux catécholates et aux hydroxamates) ou de plantes (faisant partie de la famille des acides muginéiques synthétisés et sécrétés dans la rhizosphère par les plantes de la famille des graminées exclusivement). A ma connaissance, le coût de la production et de l’utilisation de ces molécules à grande échelle en agronomie serait encore plus élevé que celui des chélateurs de synthèse actuellement présents sur le marché. Des pratiques agronomiques (bien connues des « anciens ») permettent de remédier dans certains cas au problème de disponibilité du fer dans les sols calcaires. Il s’agit par exemple de la culture associée d’une graminée (productrice de phytosidérophores) et de non graminées sensibles à la chlorose. Une approche biotechnologique ayant recours à des plantes transgéniques est également envisageable. Elle consisterait à forcer la synthèse, la sécré- tion et l’acquisition d’acides muginéques par des plantes non-graminées. Cette approche est d’ailleurs développée dans le laboratoire du Professeur Mori à Tokyo.

Mme Monique ADOLPHE

Pourriez-vous nous préciser si, dans les pays pauvres (Afrique de l’Ouest), les sols peuvent être améliorés pour augmenter le taux de fer dans les plantes ?

M. Claude DREUX

Est-il possible de modifier les sols afin de favoriser l’accumulation du fer dans les plantes, notamment du riz ?

Ces deux questions sont liées et une partie de la réponse est traitée ci-dessus dans les réponses aux questions des professeurs Pierre Delaveau et Alain Rérat. Par contre, un problème spécifique de la culture du riz en sol inondés (donc asphyxiants) et acides réside dans la surcharge en fer de ces plantes, et non pas dans leur carence en fer. Ceci conduit à un stress oxydant, aboutissant à des nécroses importantes des végétaux et à une perte de rendement très significative. Ce syndrome, connu sous le nom de « bronzing » du riz, a été réglé en Asie, zone géographique économiquement exportatrice de riz, par des pratiques culturales appropriées (drainage et fertilisation phosphatée en particulier). Le problème
reste cependant entier dans des régions géographiques ou la culture du riz est avant tout vivrière, comme en Afrique de l’Ouest par exemple. Le coût de la mise en œuvre de solutions agronomiques serait trop élevé pour les populations concernées. Une solution serait de mettre à la disposition de ces agriculteurs des semences de riz adaptées à ces concentrations importantes de fer disponible dans le sol. L’obtention de telles semences nécessiterait des programmes d’amélioration des plantes dédiés et/ou des approches biotechnologiques ciblées. Le financement de tels programmes, sans « retour sur investissement », n’est évidemment pas simple à mettre en place !

M. Jean-François MOROT-GAUDRY (Académie d’agriculture et INRA Versailles)

Pouvez-vous nous donner la comparaison des voies de synthèse des complexes fer/soufre dans les mitochondries et les chloroplastes ?

Les centres Fe-S sont des groupements prosthétiques très anciens. Ils jouent un rôle essentiel au cœur de l’activité cellulaire puisqu’ils participent, entre autre, au transfert d’électrons dans les chaînes respiratoire des mitochondries et photosynthétique des chloroplastes. In vivo , leur synthèse et leur assemblage font intervenir un nombre important de protéines (cystéine désulfurase pour produire le soufre à partir de cystéine, ferredoxine, différentes chaperones, protéines jouant le rôle de matrice d’assemblage, etc). Les gènes codant ces protéines ont été principalement étudiés chez les procaryotes et chez la levure Saccharomyces cerevisiae en tant que modèle eucaryote unicellulaire. Chez cette dernière, le rôle fondamental des mitochondries dans la biosynthèse des centres Fe-S a été abondamment documenté ces cinq dernières années, en particulier grâce au travail du laboratoire du professeur Roland Lill en Allemagne. Chez les végétaux, une approche « gènes candidats » a été conduite dans les laboratoires du professeur Marinus Pillon aux USA, et du professeur Nakai au Japon, ainsi que dans notre laboratoire. Elle a permis de démontrer que les éléments moléculaires caractérisés dans les mitochondries de levure étaient présents et fonctionnels dans les mitochondries de plantes Mais, fait remarquable, il existe une voie autonome et indépendante de biogenèse des centres Fe-S dans les chloroplastes de plantes. Cette voie plastidiale semble apparentée, pour partie au moins, à la voie de biosynthèse des centres Fe-S chez la cyanobactérie Syncechocystis PCC 6803, plutôt qu’à la voie universelle mitochondriale.


* Biochimie et Physiologie Moléculaire des Plantes. INRA-ENSA. 2, Place Viala. F-34060 Montpellier cedex 1, France. Tirés à part : Jean-François BRIAT, même adresse. Article reçu et accepté le 24 octobre 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 8, 1609-1621, séance du 8 novembre 2005