Résumé
Il s’agit de l’exemple type des problèmes posés par la médecine moderne. Nous avons mené à l’Hôpital Tenon à Paris, entre 1994 et 1999, une étude rétrospective intéressant 177 transferts d’embryons congelés puis décongelés chez 139 patientes parmi les 300 demandeuses d’un don d’ovocytes pendant cette même époque. Ceci nous conduit à bien souligner les difficultés éthiques créées par la promulgation des lois de bioéthique de 1994. C’est ainsi que deux conséquences sont devenues évidentes : la pénurie de plus en plus grande de donneuses et la nécessité de ne transférer que des embryons congelés/décongelés due au décret de 1996 sur la Sécurité Sanitaire, qui impose une quarantaine des dits embryons pendant 6 mois. En contrepartie, l’emploi de cette méthode a apporté de nouvelles informations sur l’implantation et souligne l’importance de la qualité de l’embryon qui est très étroitement corrélée à l’âge de la donneuse.
Summary
This is the perfect example of the problems which are the consequences of the actual medicine. We carried out an ovocyte donation study at the Tenon Hospital, in Paris, between 1994 and 1999 involving 177 cryopreserved thawed embryo transfers among 300 recipients. This study enables us to stress the ethical difficulties posed by the so called bioethical laws of 1994. Simultaneously two consequences became clearly evident : a paucity of donors, and the necessity to only transfer frozen embryos due to decree of 1996 upon sanitary security that imposes the quarantine of embryos for six months. On the other hand, the use of this method has yielded important new information regarding embryo implantation and the importance of ovocyte quality that is closely correlated to donor age.
Le don d’ovocytes depuis la loi de bioéthique. Implications médicales, éthiques et juridiques déduites d’une série de 300 cas à l’hôpital Tenon
Ovocyte donation since the application of the so called bioethical laws. Medical, ethical and legal implications posed by the study of a series of 300 cases at Tenon Hospital
Jacques SALAT-BAROUX *, Dominique CORNET *, Jacqueline MANDELBAUM **, Yan WATANABE *, Philippe MERVIEL*, Jean-Marie ANTOINE*
*
Service de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction. Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine — 75020 Paris.
INTRODUCTION
Historique
Alors que le premier transfert d’embryon d’une donneuse à une receveuse chez le lapin était effectué avec succès par W. Heage en 1891 [1], et que cette méthode chez l’animal devait prendre une extension industrielle en 1970 [2], c’est en 1983 [3, 4] qu’une équipe australienne de la Monach University obtient une première grossesse chez la femme après un don d’ovocyte. Depuis, cette technique s’est développée et répond aux recommandations du rapport de l’Académie nationale de médecine de 1996 [5]. Elle a permis d’obtenir, dans notre équipe, un taux de grossesses cliniques par transfert de 30 % et d’implantation par embryons de 19 % [6]. On dénombre d’autre part aux États-Unis, pour la seule année 1994, 929 enfants vivants nés par don d’ovocytes [7], et le groupe d’étude pour le don d’ovocytes en France (GEDO) [8] publie un bilan sur la période comprise entre 1994 et 1997, de 154 transferts pour 1 360 demandes avec 127 enfants nés chez 99 couples. Le nombre de centres pratiquant le don d’ovocytes a progressé de 9 à 17, et le nombre de receveuses de 191 à 503 entre 1994 et 1997, montrant l’intérêt pour cette technique dont les indications principales sont les dysgénésies gonadiques, les ménopauses précoces, les réponses ovariennes insuffisantes, les ovariectomies bilatérales le plus souvent après traitement pour cancer, les anomalies génétiques congénitales.
Certes, cette méthode reste marginale au sein de l’Assistance médicale à la procréation qui compte pour l’ensemble des tentatives de fécondation in vitro , avec ou sans injection intra-ovocytaire des spermatozoïdes, plus de 40 000 ponctions par an ;
mais les répercussions juridiques, éthiques et sociales qu’elle entraîne méritent qu’on s’y arrête. En effet, alors qu’avant 1994, le don d’ovocyte pouvait, comme c’est le cas encore dans beaucoup de pays dont les États-Unis [7], être anonyme ou non anonyme et conduisait dans la grande majorité des cas à un transfert
d’embryons frais, l’anonymat rendu obligatoire depuis la loi dite de Bioéthique de 1994 a entraîné ipso facto une pénurie des donneuses (40 % de diminution dans notre équipe) et le décret de 1996 sur la Sécurité Sanitaire a rendu nécessaire la congélation des embryons pendant une période dite de « quarantaine » de 6 mois minimum, réduisant pour la plupart des équipes les taux de succès de cette méthode. De plus, les risques qu’elle comporte, à la fois pour la donneuse d’ovocytes, la mère et l’enfant [5], doivent être soulignés ainsi que les problèmes d’ordre purement médicaux qu’elle soulève concernant l’implantation de l’œuf [9] et ses facteurs de succès impliquant, chez la femme receveuse du don, une véritable greffe allogénique.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Nous ne reviendrons pas sur les méthodes de stimulations hormonales, les techniques d’aspiration sous échographie et de synchronisation hormonale et endomé- triale entre donneuse et receveuse, déjà décrites par nos soins [10].
L’étude de notre population de femmes ayant reçu ou étant en attente d’un don d’ovocytes est relativement complexe. En effet, entre 1986 et 1994, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi de Bioéthique, il y a eu à la fois des dons anonymes et non anonymes [10] et les transferts se sont faits pour la majorité des femmes receveuses en embryons frais et une minorité en embryons congelés.
Depuis 1994 jusqu’en 1996, date de la parution du décret sur la Sécurité Sanitaire, les dons n’ont plus été qu’anonymes, et les transferts ont intéressé soit des embryons frais, soit plus tard des embryons congelés.
Enfin, de 1996 à 1999, tous les dons ont non seulement été anonymes et relationnels, mais en plus ont souscrit à la quarantaine obligatoire et n’ont plus comporté que des embryons congelés.
Cependant, pour apprécier les résultats globaux et actuels, nous avons considéré une population plus homogène, entre mai 1995 et mai 1999, de femmes receveuses n’ayant eu que des transferts d’embryons congelés : soit 177 transferts chez 139 receveuses parmi les 300 couples demandeurs.
LES INDICATIONS
Pour les femmes ayant eu un transfert d’embryons après dons, elles ont été les suivantes :
— 63 ménopauses précoces (35 % de l’ensemble), — 43 dysgénésies gonadiques (25,4 %), — 39 réponses ovariennes insuffisantes (22 %), — 13 castrations chirurgicales ou radiothérapiques (6,7 %), — 10 anomalies génétiques congénitales (5,6 %),
— 5 troubles de la fécondation d’origine ovocytaire (2,83 %), — 4 indications diverses (2,26 %).
Il est à remarquer, sans que cela soit significatif, que le nombre de réponses ovariennes insuffisantes augmente avec l’âge des receveuses. Ceci se retrouve dans les indications du GEDO [8] : les échecs répétés de fécondation in vitro passent, entre 1994 et 1997, de 13 % à 21 %.
LES RÉSULTATS
Les résultats exprimés dans le Tableau I sont les suivants :
— un taux de grossesses cliniques par transfert de 26,5 % avec une différence significative entre les femmes de moins de 35 ans (30,2 %) et de plus de 35 ans (13,2 % p<0,01) ;
— un taux de grossesses multiples de 9,5 % pour les femmes de moins de 35 ans ;
— un taux d’avortements comparable dans les deux populations, soit 20 %.
Il faut souligner enfin que le taux d’implantation par embryon transféré est plus élevé chez les femmes de moins de 35 ans (19,2 %) comparé aux femmes plus âgées (8,2 % p< 0,05).
Les résultats sont comparables à ceux des autres séries : 30 % de grossesses cliniques, transfert en 1997, pour le GEDO [8], et 38,5 % pour Abdalla et al , alors qu’il s’agissait d’embryons frais transférés.
TABLEAU 1. — Résultats globaux et effets de l’âge de la donneuse < 35 ans > 35 ans
Total (%)
Age des Donneuses (30,1 +/ – 3,38)a (36,8 +/ – 0,65)b (31.5 +/ – 4.08) % % 35.8 +/- 5.02c 36.0 fi 4.25d 35.9 fi 4.86 Age des Receveuses 139 38 177 Nombre de Transferts 1.72 +/- 0.61e 1.61 fi 0.50f 1.70 fi 0.59 Nombre d’embryons transférés 42 (30,2)g 5 (13.2)ht 47 (26.6) Grossesse clinique / Transfert 4 (9.52)i 0 (0)j 4 (8.51) Grossesses multiples / Grossesse 8 (19.0)k 1 (20.0)i 9 (19.1) Grossesse clinique 34 (24.5)m 4 (10.5)n 38 (21.5) Naissances / transferts 46/239 (19.2)o 5/61 (8.20)p 51/300 (17.0) Taux d’implantation / E. Transférés
Taux d’enfants nés vivants / 37/239 (18.8)q 4/61 (7.41)r 41/300 (13.7) E. Transférés
Mann Whitney’s test, a.b : p<0 ; 01, c.d, e.f : non significatif Fisher’s Test, g.h : p< 0 ; 05, o.p : p= 0.054, i.j, k.l, m.n, q.r : non significatif Y. Watanabe et al ., Hôpital Tenon, 1999
Dans notre étude, un certain nombre de résultats partiels méritent d’être rapportés, car ils illustrent bien les conséquences de la loi sur la pratique du don.
L’évolution exprimée dans le Tableau 2 montre la diminution du nombre de donneuses à partir de 1994, et ce jusqu’en 1998.
TABLEAU 2. — Évolution des proportions de donneuses relationnelles. Hôpital Tenon 87/88 89/90 91/92 93/94 95/96 97 01.06/98 07.12/98
Couples receveurs 21 25 21 72 104 86 40 37 R
Donneuses 4 11 15 58 55 39 21 9 D
D/R 19 % 44 % 71 % 80 % 52 % 45 % 52 % 24 %
Conséquences de la congélation des embryons rendue obligatoire par le décret de 1996
C’est un problème important dont les développements ne sont pas tout à fait clarifiés. En effet, s’il est certain que la congélation fait perdre à la décongélation jusqu’à 21 % des embryons (c’est le cas de toutes les séries) [8.10], il n’est pas prouvé qu’en terme de naissance par don effectué, les résultats souffrent de la congélation.
Dans notre service, le taux de naissance cumulatif par don est comparable à celui des transferts d’embryons frais à partir du moment où la receveuse a profité de 5 ovocytes ou plus [24].
DISCUSSION
L’ensemble de ces résultats conduit à des analyses sur le plan législatif, éthique et plus proprement médical.
Sur le plan législatif
En effet, les articles L 673 du
Code de la Santé Publique issus des lois dites de
Bioéthique du 29.7.94, largement inspirés du
Code des CECOS [12] établi sous la présidence de Monsieur le professeur Georges David, visent à préserver l’anonymat des donneuses, le principe du consentement éclairé et écrit devant un notaire ou un juge, des membres des deux couples, donneur et receveur, la finalité du don réservé en premier aux femmes stériles, et enfin le transfert chez les receveuses qui ne doit pas être subordonné à l’apport d’un tiers donneur.
L’ensemble de ces dispositions législatives a entraîné une limitation du nombre de donneuses qui, dans notre série, a commencé à chuter à partir de 1994, passant de 58 à 9 en 1998. L’anonymat dans ces cas n’est pas seul en cause (9 % des donneuses potentielles sont récusées en raison de leur âge, d’une contre-indication médicale ou génétique, ou parce qu’elles ne vivent pas en couple). De plus, 17 % d’entre elles ne poursuivent pas leur démarche, surtout pour des raisons psychologiques [8].
En revanche, le nombre de receveuses ne fait que croître, passant de 21 à 104 entre 1988 et 1996 dans notre centre, car la loi offre une égalisation des chances pour les couples n’ayant pas ou plus l’opportunité de trouver une donneuse. Le délai d’attente est en moyenne de 18 mois à 2 ans et plus, comme le souligne l’ensemble des équipes du GEDO [8], avec pour corollaire une augmentation de l’âge des receveuses, ce qui n’est pas sans conséquences sur les résultats.
Ainsi l’anonymat rendu obligatoire par la Loi de 1994 a conduit les équipes à modifier l’organisation du don et à instaurer un « don croisé » [14] : 92 % des donneuses sont dites « relationnelles », c’est-à-dire qu’elles sont recrutées par des receveuses qui ne leur donnent pas leurs ovocytes ; ceux-ci sont attribués à une autre receveuse.
Une autre disposition, celle du décret du 12 novembre 1996, conduit au titre de la Sécurité Sanitaire (infection et virus) à une quarantaine de 6 mois des embryons faute de pouvoir congeler les ovocytes [15], ce qui est possible actuellement mais n’a pas fait la preuve d’une efficacité égale au moins au transfert d’embryons congelés.
Les conséquences en sont multiples :
— une prolongation du délai d’attente de 6 mois, — une perte d’embryons à la décongélation qui, dans notre service, a atteint 21 %, — une diminution du taux de succès par rapport aux transferts d’embryons frais, qui impose de donner au moins 5 ovocytes à chaque receveuse pour optimiser le résultat du don.
Pour clore ce chapitre de la législation des dons, signalons que les lois des pays européens sont différentes, passant de l’interdiction formelle en Norvège, Suède, Allemagne, Autriche et certains cantons de Suisse, à l’autorisation de don direct sans respect de l’anonymat comme en Espagne, en Grande-Bretagne, au Danemark ou en Belgique. Si bien que ce constat incite les couples de plus en plus nombreux et qui en ont les moyens, à se faire prendre en charge à l’étranger (Tableau 3), d’autant que dans certains pays il n’y a pas obligation de gratuité.
C’est la raison pour laquelle M. le professeur Jean Bernard, Président du Comité National consultatif d’Éthique a proposé, dès 1991 lors de son audition pour la rédaction du rapport de Mme Noelle Lenoir Aux Fonctions de la Vie , la création d’un
Comité Européen d’Éthique [16].
TABLEAU 3. — Comparaison des différentes législations européennes sur le don d’ovocytes Interdisant le don
Autorisant le don
Norvège
Espagne (loi no 68 du12/06/1987) (loi no 35 du 22/11/1988) Suède
Grande Bretagne (loi no 711 du 14/06/1988) (loi de 1990) Allemagne
Danemark (loi du 24/10/1990) (loi no 503 du 24/06/1992 et loi no 650 du 22/07/1992) Autriche (loi no 275 du 01/06/1992) Suisse, selon les cantons (loi du 13/08/1992) Suisse, selon les cantons (loi du 13/08/1992) France (loi no 94653 et 94654 du 29/07/1994) D. Cornet — Grand Débat : Don de sperme et d’ovocyte.
Sur le plan de l’Éthique
On conçoit aisément les problèmes éthiques qui se trouvent ainsi posés et dont nous n’aborderons que les points fondamentaux.
L’Assistance Médicale à la Procréation crée une situation où la médecine, comme le souligne M. Georges David [17], n’est plus sollicitée pour guérir, mais pour contourner « une infertilité », dont le résultat est la naissance d’un enfant. Le médecin n’est plus seulement « un simple technicien », il doit intégrer la notion sacrée de l’enfant et les conséquences de cet acte. Ainsi Jean-François Mattei [18] précise bien dans son rapport que « dans l’Assistance Médicale à la Procréation, ce n’est plus tant le problème technique que celui de la valeur de l’enfant pour lui même qui est essentielle ». Cette ambiguïté est bien plus préoccupante quand il y a nécessité de recourir à un donneur, et encore plus à une donneuse. Dans ce cas, le médecin doit protéger les intérêts de la receveuse, mais aussi de la donneuse d’ovocyte, dans le strict respect de l’anonymat. Et même si le don croisé qui, pour certains, n’est qu’un simple habillage de la loi, a permis sur le plan pratique la poursuite de cette technique, celle-ci ne manque pas de poser des problèmes éthiques et psychologiques majeurs sur la motivation des donneuses.
Enfin, ce sont certainement les problèmes de l’anonymat et du secret par rapport à l’enfant qui posent problème. Le récent rapport du Conseil d’État [19], sur les lois de 1994, précise bien que la « moins mauvaise solution » serait de conserver l’anonymat des donneuses, comme cela est le cas dans la plupart des pays européens.
Pourtant la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1990 prévoit « le
Droit de l’enfant de connaître ses parents » mais ajoute prudemment « dans la mesure du possible ». Ce rapport insiste bien sur la nécessité de distinguer l’anonymat du secret, alors que ces deux notions peuvent, pour certains, être liées. En effet, de nombreux psychologues et psychanalystes se sont penchés sur ce sujet, car pour certains d’entre eux le secret véhicule avec lui un caractère pathogène vis-à-vis de l’enfant. Dans la revue de la littérature qu’à récemment conduite Eva Weil [20], seuls 45 % des couples receveurs seraient décidés à vouloir révéler les circonstances de l’AMP à leur enfant. Mais dans aucune de ces publications, il n’est dit clairement à quel moment cette décision est prise (au moment de la signature, avant la procédure d’AM ou à la naissance de l’enfant) ; de plus rien n’est précisé de ce que les parents auront à dire, et enfin l’âge auquel ils devraient révéler les circonstances du don. Et si certaines institutions comme la Human Fertilisation and Embryology Authority [21], qui recueille une fiche d’information en Grande Bretagne sur le sujet depuis 1990, affirme : un enfant qui a des raisons de penser qu’il ou qu’elle peut être issu(e) d’AMP pourra le vérifier auprès de la HFEA, et ce à partir de 2008, cela ne veut pas dire qu’il pourra avoir des détails précis sur ses origines. Ceci est la conséquence des difficultés méthodologiques à recueillir des données, au moins descriptives, auprès des principaux concernés par le don, en premier lieu l’enfant, mais aussi receveuse et donneuse.
A tous ces problèmes s’ajoutent les risques d’une hyperstimulation ovarienne [13] encourus par la donneuse dans la mesure où on essaie, chez une femme jeune, d’obtenir un nombre important d’ovocytes en vue de leur fécondation. Et dans ce cas, se posent les problèmes des embryons surnuméraires, comme on les retrouve dans toute technique d’AMP : abandon possible, mais rare ici, des embryons congelés et dilemme posé par le transfert post mortem d’embryons appartenant au couple.
Ces difficultés ont conduit Mme Françoise Shenfield et M. le professeur Claude Sureau [22], dans leur ouvrage sur Les aspects éthiques de la reproduction humaine, à définir ce qu’ils appellent « une voie étroite » qui louvoie entre la personnalité embryo-fœto-néonatale, le droit de la femme, celui de la structure familiale et le concept qui lui est étroitement associé, celui de la filiation, c’est-à-dire entre le respect de la liberté et la protection de la vie. Fort heureusement, dans son récent rapport [23], le Conseil d’État propose d’autoriser ce transfert dans la mesure où le projet parental a bien été défini avant le décès du mari.
Sur le plan médical
Ces épineux problèmes à la fois juridiques, éthiques, et culturels expliquent l’interdiction formulée par certains pays concernant le don d’ovocyte et la tendance de plus en plus marquée à reconsidérer l’adoption. Cependant, cette technique étant réalisable et reproductible [23], il reste à en tirer les enseignements d’un point de vue pragmatique sur le plan de la recherche médicale.
En effet, elle présente une particularité puisque l’implantation intéresse non plus une greffe semi allogénique comme c’est le cas dans les grossesses normales, mais une greffe allogénique pure, car le contingent chromosomique provenant du don d’ovocyte est étranger à la mère ; de plus, cette implantation se fait en dehors de toute sécrétion ovarienne endogène. Il n’empêche que les bases moléculaires de l’implantation [9] (molécules informatives sécrétées par l’embryon pour la decidua ), favorisant la reconnaissance du trophoblaste par l’endomètre et son invasion contrôlée par le système immunitaire local, sont parfaitement semblables, ce qui se traduit par un taux d’avortement (15 à 18 %) qui n’est guère différent dans les cas d’implantation des embryons au cours des fécondations in vitro classiques.
Du reste, deux arguments militent en faveur de la prééminence de l’action de l’embryon sur l’endomètre, même s’il est totalement étranger à la mère sur le plan génétique : c’est que le taux d’implantation dépend surtout de sa qualité, comme l’a démontré dans notre équipe Mme Jacqueline Mandelbaum [24], et que les grossesses sont possibles même chez des femmes ménopausées au-delà de 50 ans [25], si elles sont suppléées sur le plan hormonal.
Néanmoins, l’état de l’endomètre conserve son importance car le succès dépend aussi du transfert de l’embryon lors d’une période qualifiée de « fenêtre d’implantation » [26] : il existe en effet, dans les cycles substitués, comme nous l’avons démontré, une ou deux journées précises qui sont favorables à l’implantation de
l’embryon, c’est-à-dire 2 et 3 jours après l’administration de la progestérone, ou dans les cycles normaux après l’ovulation, soit 4 jours après le début de la montée de la LH endogène. Et cet état correspond parfaitement à une image biopsique sécrétoire de l’endomètre ainsi qu’à une concentration équilibrée de ses récepteurs à l’œstradiol et à la progestérone.
Mais l’âge du couple [27], donneuse surtout et pour certaines receveuse, influence très largement les taux d’implantation. C’est ainsi que dans notre étude, en 1999, le taux d’implantation d’embryons diffère significativement (p < 0,05) quand on compare le groupe des donneuses de moins de 35 ans et celui des plus de 35 ans, alors que l’âge des receveuses et le nombre d’embryons replacés ne sont pas significativement différents (Tableau 2). Ces données se retrouvent dans d’autres publications.
Mais si une différence apparaît dans notre série sur les taux d’implantation suivant que les receveuses, à leur tour, ont moins ou plus de 36 ans, cette constatation n’est pas confirmée par d’autres études [28], et ne serait due qu’au taux plus élevé d’avortements dans la deuxième série. Ces résultats illustrent, de façon significative, l’importance de l’âge de la donneuse, c’est-à-dire de la qualité de l’ovocyte et expliquent très bien les mauvais taux d’implantation quand ces donneuses approchent de la quarantaine. Mais dans notre étude, cette différence apparaît déjà dès 36 ans, et devrait inciter les femmes à chercher à concevoir plus précocement, sans que pour autant, sur le plan scientifique, on ait pu démontrer à ce jour une différence évidente sur le plan biologique entre les ovocytes de femmes de plus ou moins 36 ans.
En conclusion, même si le don d’ovocyte ne représente qu’une pratique très minoritaire au sein de l’AMP, il soulève de tels problèmes sur les plans juridique et éthique, qu’un encadrement législatif très strict, en tout cas en France, a rendu son recours pour les couples infertiles très difficile, pour ne pas dire de plus en plus impossible, alors que sa réalisation sur le plan pratique reste une technique aisée et reproductible. Serait-il possible, par souci d’efficacité, d’être conduits à changer les principes « intangibles » que sont la gratuité et l’anonymat qui s’appliquent à tous les dons, sachant qu’il existe une restriction pour l’anonymat des dons d’organes dans des conditions exceptionnelles : dans une même famille et pour une raison vitale ? La question se pose alors de savoir si un autre choix est possible…. pour les couples, pour…. la société.
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[24] MANDELBAUM J., BELAISCH ALLART J., JUNCA A.M., ANTOINE J.M., PLACHOT M., ALVAREZ S., ALNOT M.O., SALAT-BAROUX J. — Cryopreservation in human assisted reproduction is now routine for embryos but remains a research procedure for ovocyte. Human. Reprod .,1998, 13 [3], 161-17.
[25] SAUER M.V., PARLSON R.J., LOBO R.A. — Pregnancy in women 50 or more yearts of age :
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[26] DE ZIEGLER O., FRANCHIN R., MASSOUNNEAU M., BERGERON C., FRYDMAN R., BOUCHARD P. — Hormonal control of endometrial receptivity. Ann N Y Acad. Sci , 1994, 734, 209.
[27] FABER M., MERCAN R., HAMACHER P., MUASHER S., TONER J. — The impact of an egg donnor’s age and her prior fertility on recipient pregnancy outcome. Fertil. Steril. , 1997, 68 , 370-2.
[28] NAVOT D., DREWS MR., BERGHS P.A et al . — Age related decline in femals fertility is not due to diminished capacity of the uterus to sustain embryo implantation.
Fertil. Steril., 1994, 61 , 97.
DISCUSSION
M. Claude SUREAU
Comment s’effectue actuellement la prise en charge des divers aspects techniques du don d’ovocyte ? Compte tenu du faible nombre d’ovocytes disponibles, que faut-il penser de deux éventualités qui furent évoquées et finalement rejetées en Grande-Bretagne : le prélèvement d’ovocytes sur des femmes décédées accidentellement voire sur des fœtus avortés ?
Il n’y avait pas jusqu’en septembre 2000 de prise en charge, par les Caisses d’Assurance maladie, des dépenses concernant les donneuses d’ovocytes. Depuis, cette prise en charge est assurée par le budget de l’hôpital dans lequel se font les dons d’ovocytes. Effectivement la Grande-Bretagne a déjà rejeté le prélèvement d’ovocytes sur des femmes décé- dées accidentellement et encore plus sur des fœtus avortés. Cette attitude est évidemment celle de la France. Mais la pénurie d’ovocytes disponibles, non seulement pour le don, mais aussi pour le future clonage thérapeutique, si celui-ci est autorisé, amène à la solution du prélèvement d’ovocytes immatures par biopsie chez la femme ou au cours d’interventions chirurgicales, le problème est ensuite de les congeler puis de les maturer in vitro , technique qui n’est pas encore passée dans la pratique courante chez la femme. Le recours aux ovocytes d’animaux comme la vache est éthiquement difficilement acceptable et de plus physiologiquement aberrant, car le cytoplasme de la vache demande une température de 39°5 pour s’exprimer alors qu’il est à 37° pour la femme.
M. Jean-Paul GIROUD
Ou en est-on des problèmes de congélation des ovocytes ?
Comme je l’ai montré, la congélation des ovocytes matures est dangereuse chez les femmes car elle peut affecter, à la décongélation, le fuseau et avoir une répercussion sur la migration des chromosomes. Ce qui n’est pas le cas des ovocytes immatures, primordiaux
ou primaires, qui résistent bien à la décongélation, ce que nous avons bien démontré avec Mme Jacqueline Mandelbaum. En revanche, reste le problème de la maturation in vitro qui n’est résolu que chez l’animal, en particulier la souris (EPPIG). Seules quelques grossesses allant à terme ont été décrites chez la femme, par des équipes japonaises ou italiennes.
M. Georges DAVID
Le don d’ovocytes permet de dissocier les facteurs ovocytaires, c’est-à-dire génétiques, et les facteurs utérins qui conditionnent la gestation. Vous avez donné des indications concernant l’âge des donneuses qui intervient sur les résultats, traduisant le poids des facteurs ovocytaires. Qu’en est-il de l’influence de l’âge des receveuses ? La congélation de fragments ovariens n’est-elle pas susceptible de permettre secondairement une meilleure maturation ovocytaire ? Au plan éthique, on a trop souvent assimilé les problèmes de filiation pour la femme avec ceux de la filiation masculine. Or, depuis le 1er cas, le lien biologique est double, avec un poids particulier de la gestation puisque la mère est désignée par l’accouchement.
Ainsi devrait-on reprendre la réflexion, dans le don d’ovocyte, portant sur la possibilité de supprimer l’anonymat. Quelles en seraient les conséquences pour l’enfant ? De telles pratiques se faisant à l’étranger (et s’étant faites un moment en France, particulièrement dans votre service) quelles sont les données psychologiques observées à moyen et long terme ?
Nous avons bien démontré l’importance de l’âge des donneuses, mais en ce qui concerne l’âge des receveuses, il n’y a pas de consensus sur son importance : dans notre équipe cette influence ne semble se dessiner que sur le nombre d’avortements, à l’approche de la quarantaine. Pour d’autres équipes, si elles ont démontré l’influence néfaste de l’âge avancé des donneuses, leurs résultats restent entachés d’un biais, car elles ne l’ont pas vérifié à âge de donneuses égal. La congélation de fragments ovariens pourrait être une solution, comme l’ont publié Gosden et son équipe, en greffant ensuite ces fragments d’ovaire chez la brebis, ce qui a permis d’obtenir des ovocytes fécondables et la naissance de petits normaux. La suppression de l’anonymat, dans le cas de don d’ovocytes, a été longtemps discutée mais finalement rejetée, dans le rapport du Conseil d’État du mois d’avril dernier : il a été considéré comme la moins mauvaise solution. En ce qui nous concerne et compte tenu de notre expérience avant l’instauration de la Loi de 1994 sur les dons anonymes et non anonymes, et bien que nous n’ayons remarqué aucune différence dans les comportements des couples donneurs et receveurs, nous restons fidèles tout de même à l’anonymat. En effet, le recul n’est pas assez grand concernant l’avenir psychologique des enfants, puisque les premiers succès en France ne datent que de 1987.
M. Gabriel BLANCHER
Une révision de la loi de bioéthique est à l’étude. Quelle modification souhaiteriez-vous dans ce domaine précis en fonction de votre expérience ?
Nous ne souhaitons pas la levée de l’anonymat, nous souhaitons en revanche que l’on favorise au maximum la recherche sur la congélation des ovocytes et leur maturation in vitro . En revanche, en ce qui concerne la congélation des embryons rendue nécessaire par le décret de 1996, il faudrait une étude bactériologique et épidémiologique plus précise, notamment en ce qui concerne le sida et l’hépatite C, pour vérifier si l’attitude actuelle est la meilleure. Cette étude prospective est actuellement menée sous l’égide du Ministère de la Santé. Enfin grâce à la détection par la PCR de la virémie, nous pourrions peut-être être autorisés à revenir au transfert d’embryon frais.
** Laboratoire Fécondation In Vitro et Biologie de la Reproduction. Service du professeur Dadoune. Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine — 75020 Paris. Tirés-à-part : Professeur Jacques SALAT-BAROUX, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 28 novembre 2000, accepté le 4 décembre 2000.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, n 2, 373-385, séance du 20 février 2001