Communication scientifique
Séance du 4 octobre 2005

Le cortex cingulaire antérieur dans la détection des erreurs et la gestion des conflits. Analyse de l’activité neuronale chez le singe

MOTS-CLÉS : cortex préfrontal. gyrus cinguli
The anterior cingulate cortex in error detection and conflict monitoring. Unitary neuronal activity in monkeys
KEY-WORDS : gyrus cinguli. prefrontal cortex

Bernard Bioulac, Thomas Michelet, Dominique Guehl, Pierre Burbaud*, Bruno Aouizerate**

Résumé

Grâce à un test de type Stroop adapté au primate non humain nous avons exploré le fonctionnement neuronal du cortex cingulaire antérieur (CCA, CMAr : 24c) dans la détection des erreurs et la gestion des conflits lors de la planification de l’action. Un pourcentage très élevé de neurones cingulaires modifient leur activité avec les différentes séquences de la tâche visuo-motrice qu’il s’agisse de la présentation du signal d’attention ou de la période d’évaluation. Lors de cette dernière, l’activité est toujours plus marquée pour un échec que pour un succès. De surcroît, certains neurones dits « bimodaux » répondent avec plus de force au signal d’attention si l’essai précédent est un échec et, dès lors, le mouvement qui suit à plus de chances d’être un succès. Cet appareil neuronal servirait non seulement à la détection d’erreurs mais surtout à gérer le conflit entre ce qui est attendu (représentation centrale et anticipation de la récompense) et ce qui est réel (succès ou échec). Ce traitement interne engendre ou non un écart dont la perception fonde une réponse comportementale adaptée et tenant compte de l’issue malheureuse précédente. Un dysfonctionnement de ces neurones qui « tireraient profit de l’échec » pourrait contribuer à l’émergence du trouble obsessionnel compulsif (TOC).

Summary

Using a Stroop-like visuo-motor task in monkeys, we studied the unitary neuronal activity of the anterior cingulate cortex (ACC, CMAr : 24c) during error detection and conflict monitoring. A high percentage of cingular neurons modified their firing frequency during both attentional and evaluation periods. During the latter period, however, changes in discharge rates were always much more pronounced for erroneous responses than for successful movements that induced reward delivery. Moreover, some neurons responded more markedly to the warning stimulus when a previous trial failed. In this case, the probability of a subsequent correct response increased. Such a neuronal apparatus could represent an error compensation system that serves to adapt a subject’s behavioral response following an unfavorable and unexpected outcome. Abnormal activity of these neurons, which appear to take advantage of past errors, could contribute to the genesis of obsessivecompulsive disorders (OCD).

INTRODUCTION

Les neurologues et les psychiatres regroupent dans le syndrome frontal un ensemble de signes où se mêlent troubles cognitifs et émotionnels. Peuvent ainsi s’associer :

distractivité, persévération, désinhibition comportementale, indifférence [1,4,9,20].

Les bases anatomo-pathologiques de ce syndrome concernent les différents secteurs du massif préfrontal : c’est-à-dire les cortex dorso-latéral (CDLPF), orbito-frontal (COF), ventro-médial (CVM) et cingulaire antérieur (CCA) [9,21]. Certains troubles sont plus particulièrement, mais non exclusivement, rattachés à des secteurs précis. Il en est ainsi de la distractivité pour le CDLPF (aire 46) et de la persévération pour le CCA (aires 24, 32) [4,9,21,22].

Depuis une quinzaine d’années, ces territoires ont fait l’objet d’investigations électrophysiologiques grâce à l’étude de l’activité neuronale unitaire conduite chez le primate non-humain entraîné à effectuer des tâches complexes. Celles-ci tendent à disséquer les bases neuronales impliquées dans la planification d’une action finalisée. Chez le singe, en l’occurrence, il s’agit d’obtenir une récompense. Cette planification met en jeu une série d’opérations d’ordre cognitivo-comportemental : attention et motivation – programmation motrice – décision – exécution – détection d’erreurs – correction. Cet enchaînement concourre à édifier une représentation centrale de l’action [4,22,29]. Une telle référence interne autorise la comparaison entre ce qui est attendu (anticipation de la récompense) et ce qui est réellement obtenu . L’écart entre ces deux éléments fait émerger la perception d’une erreur et doit normalement engendrer une dynamique de correction sans persévération.

Chez l’homme, le CCA s’est vu attribuer un rôle majeur dans la détection des erreurs. A son niveau survient un potentiel lent : l’onde négative liée à l’erreur ( error related negativity : ERN) [14] ou une activation en imagerie par résonance magné- tique fonctionnelle (IRMf) lorsque le sujet répond de façon fausse ou inexacte [5,20].

Dans un précèdent travail nous avons analysé l’activité des neurones du cortex cingulaire antérieur (CCA : CMAr : 24c) de singes accomplissant une tâche visuo-motrice avec délai. Notre observation porte alors sur les neurones cingulaires qui modifient leur fréquence de décharge après l’exécution du mouvement. Certains s’activent avec l’obtention de la récompense après un mouvement réussi, à l’opposé, et c’est le fait notable, d’autres expriment une forte activation pour un échec et l’absence de gratification [2].

Cette étude, en accord avec la théorie de la détection des erreurs de Gehring [12], ne prend pas en compte la gestion de conflits qui surviennent lors de la planification de l’action. Ces conflits relèvent de plusieurs sources : — ambiguïté dans l’information donnée, — erreur dans la résolution de la tâche, et partant, mouvement non soldé par la récompense attendue (échec) [5,6,7,14,20].

Pour aborder ces questions nous avons défini un paradigme expérimental du type « test de Stroop » adapté au singe [17, 27]. Dans celui-ci, l’animal est entraîné à réaliser un appariement entre deux dimensions : forme (différents fruits) et couleur (fig. 1a). Il est ensuite placé dans une situation de choix où il est confronté à des stimulis conflictuels (interférences). L’analyse de l’activité neuronale dans cette situation rend possible la dissociation de compétences fonctionnelles telles : simple détection d’erreurs, évaluation de l’action, gestion de conflits et correction du mouvement à venir.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Les singes (macaca mulatta) sont entraînés à effectuer une tâche du type ‘‘ test de

Stroop (TTS)« qui consiste à toucher sur un écran une cible de couleur en réponse à une instruction visuelle (fig. 1a). L’animal doit associer la forme d’un fruit (banane, pomme, poire) et une couleur (respectivement : jaune, rouge et vert ). En jouant sur la couleur des formes on définit, comme dans le test de Stroop chez l’homme, trois situations : — une situation contrôle, la forme est sans couleur, — une situation facilitée, la forme a la couleur correcte (ie : banane jaune), — une situation d’interférence, il n’y a pas de correspondance entre la forme et la couleur (ie : banane rouge).

La structure de la tâche est constituée par l’enchaînement de plusieurs séquences (ou « époques ») . Pendant la première, dite de repos (3000 ms), le singe maintient sa main sur un capteur de position. La suivante débute par la survenue du signal attentionnel (SA) et dure 500 ms. Puis, après un délai variable (500 à 1000 ms), le test de type Stroop (TTS) est présenté et le singe dispose de 4000 ms pour toucher sur l’écran la cible correcte. Si la réponse est juste il reçoit en récompense quelques gouttes de jus de fruit, dans le cas contraire, s’affiche un écran noir pendant 2000 ms évidemment sans récompense (signal négatif) (fig. 1a). Cette tâche nécessite un apprentissage de cinq à six mois.

FIG. 1.

L’animal est alors préparé pour les enregistrements électrophysiologiques. A cette fin une chambre spéciale est posée de façon stéréotaxique et fixée sur le crâne. La localisation précise du CCA, et particulièrement du CMAr (24c), est réalisée en s’aidant de l’IRM (fig. 1b). Les enregistrements extracellulaires sont faits avec des électrodes en tungstène. Les potentiels d’action (spikes) sont sélectionnés grâce à un discriminateur et, après traitement par un convertisseur analogique-digital, sont stockés sur un micro-ordinateur.

Au plan comportemental il est procédé à la mesure du temps de réaction (TR).

Il correspond à l’intervalle compris entre la présentation du TTS et la libération, par l’animal, du capteur de position, ceci coïncide avec le début du mouvement. Le taux d’erreurs est calculé en divisant le nombre d’erreurs par le nombre total d’essais.

Pendant les sessions expérimentales et lors du traitement des données, l’enregistrement de l’activité unitaire cingulaire est mise en relation avec les différents événements du paradigme et ce pendant une période précise (« époque »). Chaque époque commence avec la survenue de l’événement et dure respectivement 500 ms pour le signal d’attention (SA), 4000 ms pour la présentation du TTS, 1000 ms pour FIG. 1. — a : Paradigme expérimental du test de type Stroop (TTS). Une première séquence dite de repos (3000 ms) autorise l’enregistrement de l’activité neuronale de base. Puis survient le stimulus attentionnel (500 ms). Après un délai variable (500 à 1000 ms) le TTS est présenté au singe qui a jusqu’à 4000 ms pour répondre. Dès lors débute la période d’évaluation ; si le singe réussit, il reçoit la récompense (jus de fruit) sur 1000 ms, s’il échoue s’affiche un signal négatif sous forme d’un écran noir (2000 ms).

b . Coupe frontale passant par l’aire 24c (CMAr du CCA). Les trajets des électrodes et les sites d’enregistrement sont figurés en rouge dans 24 c situé autour du sillon cingulaire (Cgs). En cartouche repérage par IRM de l’aire 24c (zones rouges).

c . Activité d’un neurone lié à la tâche (NLT) dont la fréquence de décharge varie lors de la période d’évaluation. PA/s : Potentiels d’action par seconde. Le péristimulus histogramme révèle que l’activité augmente à la fois pour les succès ((tracé noir : récompense) et l’échec (tracé rose : signal négatif) l’augmentation, cependant, est beaucoup plus importante pour l’échec. c’ . Expression du phénomène par des histogrammes bâtis avec la moyenne des pics de fréquence provenant de 101 neurones activés en période d’évaluation pour des succès ( bloc noir : S ), pour des erreurs (bloc rouge : E) . La différence est significative (test t, p < 0,0001) . d .

Activité d’un NLT dont la fréquence de décharge varie avec la présentation du stimulus attentionnel. L’accroissement de la fréquence de décharge est plus marquée à la suite d’un essai infructueux (tracé rouge : post-erreur) qu’après un essai réussi.. d’. Droite : Même expression par histogrammes qu’en c’ . Les valeurs proviennent de 79 neurones activés par le SA. La fréquence de décharge augmente plus fortement après les essais erronés (bloc rouge : post-E) qu’après les essais réussis (bloc bleu : post-S) (test t, p. < 0,0001). Gauche : Histogramme exprimant l’activité neuronale pendant la période séparant deux essais (inter-essais). Que les intervalles succèdent à des erreurs (bloc rouge : post-E) ou à des succès (bloc bleu : post-S). On ne note aucune différence significative (test t, p. = 0,49).

e. Activité d’un neurone bimodal. Gauche : Le péristimulus histogramme traduit l’augmentation de fréquence pour le SA. Celle-ci est plus marquée après un échec (tracé rouge) qu’un succès (tracé bleu). Droite : Ce neurone modifie son activité pendant la période d’évaluation, modérement avec la réussite (tracé noir) fortement s’il y a erreur (tracé rouge). F. Répartition du taux d’erreurs en fonction de la performance précédente.

l’attribution de la récompense et 2000 ms pour la présentation de l’écran noir. Les neurones dont la fréquence de décharge varie de façon significative par rapport à l’activité de base (test d’appariement t, p< 0,01) sont définis comme « neurones liés à la tâche » (NLT).

En fin d’expérimentation les animaux sont sacrifiés selon les règles en vigueur et, après préparation histologique, les trajets des électrodes sont reconstruits et les sites d’enregistrement localisés de façon précise au sein de CMAr dans le CCA [2] (fig. 1b).

RÉSULTATS

Données comportementales. Les valeurs moyennes (x¯) des TR, calculées sur un grand nombre d’essais dans les trois conditions du TTS, sont en concordance avec celles obtenues chez l’homme au cours du test de Stroop [27]. Ainsi le TR de la condition facilitée (x¯ = 667 ms) est significativement plus court que celui de la condition contrôle (x¯ = 884 ms, ANOVA, p. <0,0001) alors que celui de la condition d’interférences est nettement plus long (x¯ = 1087 ms, p. < 0,0001). Le taux d’erreurs varie parallèlement avec les valeurs du TR : condition contrôle :

31,3 %, condition facilitée : 14,1 %, condition d’interférences : 47,6 %, (test 2 χ , p. < 0,0001).

Données concernant l’activité neuronale. Sur les quelque 500 cellules enregistrées dans CMAr, 372 répondent à la définition de neurones liés à la tâche (NLT).

Cependant l’étude plus précise les répartit en trois catégories : les NLT exprimant des changements de fréquence de décharge en fin de tâche pour le succès et/ou l’échec , ceux qui les expriment lors de la présentation du signal attentionnel enfin les neurones bimodaux qui manifestent une modification d’activité à la fois en fin de tâche et lors de la présentation du signal d’attention.

Les NLT répondant en fin de tâche (43,3 % de l’ensemble des NLT). Ils sont subdivisables en trois populations : les neurones répondant uniquement à l’obtention de la récompense pour un succès (20,5 %), ceux activés pour la présentation de l’écran noir lors d’un échec (16,8 %), enfin et surtout, les plus nombreux, ceux qui modifient leur fréquence de décharge pour les deux événements mais dont la modification d’activité est très nettement plus marquée avec l’échec (62,7 %) (fig. 1c.

et c’).

Les neurones répondant au signal d’attention (42 % des NLT) sont activés de façon spécifique pour le SA à l’exclusion de toute présentation visuelle non contextuelle (fig. 1d.et d’). Par ailleurs, la réponse de ces neurones varie en amplitude selon que l’essai précédent est réussi ou non. L’augmentation d’activité est significativement plus grande (test t, p< 0,0001), si l’essai précédent est un échec.

Les neurones bimodaux (20 % des NLT). Ils expriment une aptitude à répondre tant au SA que lors de l’époque de fin de tâche. Là encore la fréquence de décharge est
clairement accrue pour la présentation de l’écran noir (échec) et devient plus modeste pour un succès et l’obtention de la récompense (fig. 1.e).

Effets de l’essai précédent et adaptation comportementale . Après une réponse fructueuse, le taux d’erreurs est de 28,7 %, il est significativement plus élevé qu’après une réponse erronée (24,2 %, test 2 χ , p. <0,0001). Cette observation comportementale est congruente avec la plus grande augmentation de fréquence de décharge qu’expriment, après un échec, les neurones réagissant au signal d’attention (fig. 1.f).

DISCUSSION

Les trois conditions inhérentes au TTS rendent possible, chez le primate non humain, l’analyse de l’activité des neurones cingulaires lors de la planification de l’action tant dans son aboutissement (succès, erreur) que dans une stratégie d’adaptation ou de correction à la suite d’un échec.

Un premier point concerne le rôle de CMAr dans la détection des erreurs. Un pourcentage très élevé de NLT (79,5 %) modifie leur activité quand l’animal commet une faute. Ces résultats s’inscrivent dans la logique de la théorie de Gehring [12].

Ils confirment des données antérieures tant électrophysiologiques chez l’animal [15, 26] qu’en neuroimagerie chez l’homme [20]. Cependant, ils dépassent la seule théorie de la détection des erreurs. La majorité des NLS répondant en fin de tâche modifient leur activité à la fois pour l’obtention de la récompense et la production d’erreurs (soit 62,7 %). Néanmoins l’augmentation de fréquence de décharge est toujours plus importante après un échec. Vraisemblablement, ces neurones révèlent une compétence évaluatrice de « l’action aboutie » [25]. Si celle-ci est fructueuse le neurone augmente simplement son activité exprimant, ainsi, que le but, en terme de représentation centrale, est atteint. Il n’y a pas « d’écart entre ce qui est attendu et réel » . Alternativement, l’action infructueuse génère un message neuronal beaucoup plus important. Il traduit l’écart, dénommé « erreur de détection » par Rescorla et

Wagner entre l’attendu et le réel [voir revue par Schultz, 23]. D’une certaine façon, ces neurones non seulement détectent une erreur commise dans l’action mais fondent l’émergence d’une situation conflictuelle [14, 20].

Un autre point porte, justement, sur l’émergence du conflit et la capacité que possède l’ensemble neuronal cingulaire antérieur pour le régler. L’activité des NLT répondant au signal d’attention est plus élevée si l’essai précédent s’est soldé par un échec. Parmi ces neurones, la sous-catégorie des « neurones bimodaux » possède la double compétence de répondre tant au SA qu’au résultat de la tâche accomplie.

Ainsi peut-on observer pour un tel neurone (fig. 1.e) qu’après un essai erroné, la mise en œuvre d’un nouvel essai induit une forte augmentation d’activité pour le signal d’attention et partant une chance accrue d’obtenir un mouvement porteur de succès. L’échec précédent accroît l’attention et diminue le taux d’erreurs de l’essai suivant. Cet « effet de l’essai précédent » joue un rôle correcteur et d’adaptation
comportementale pour éviter un nouvel échec (fig. 1.e,f). Ces neurones « tireraient profit de l’échec … ». Ils formeraient, au sein du CCA, un appareil neuronal dédié, dans la planification de l’action, plus qu’à la pure détection d’erreurs, à la gestion des conflits. L’engagement de ce contrôle cognitif interviendrait dans la correction et faciliterait la sélection de l’action appropriée [6,7,13,16].

Une étude conduite chez l’homme par IRMf conforte ces données. Ainsi, Dreher et Berman [10] montrent que le CCA s’active lorsque le sujet se réengage dans une séquence de tâches. Cette activation se révèle plus marquée à la suite d’une situation conflictuelle qu’après une simple détection d’erreurs. Il n’est pas exclu que l’accroissement d’activité soit en relation avec une augmentation d’attention pour aborder la nouvelle tâche.

Le fonctionnement du CCA ne peut être disjoint de la boucle de régulation corticosous-corticale dite « limbique » où il est inséré. Cette boucle forme un espace de connexion entre le CCA, le COF, le striatum ventral, le pallidum ventral et le noyau dorso-médian du thalamus [3, 4]. L’activité de ce réseau est fortement modulée par le système dopaminergique méso-cortico-limbique. De la sorte, le CCA est impacté par des messages issus des neurones dopaminergiques qui codent non seulement la valeur prédictive de la récompense, mais aussi, déjà, l’écart entre gratification attendue et réelle [23]. In fine, l’intégration de ces informations à connotations motivationnelle et cognitive permet aux neurones cingulaires d’exercer leur fonction de contrôle [14, 24].

L’altération d’un tel contrôle est susceptible de perturber la perception d’une correction attendue. Celle-ci serait alors ressentie comme inappropriée ou inexacte. Une telle situation pourrait se rapprocher du trouble obsessionnel compulsif (TOC).

Dans ce cas, le patient, lors de ses rituels de vérification, persévère dans une dynamique correctrice sans fin, convaincu qu’il est d’avoir produit une action erronée [3,24].

Chez les sujets porteurs de TOC, le CCA et la boucle « limbique » expriment de sévères altérations fonctionnelles au repos, pendant la survenue des compulsions ou lors de la mise en œuvre de stratégies motrices précises ou conflictuelles [3,18].

L’ERT est anormalement augmentée [11, 14], il existe une hyperactivation cingulostriatale en IRMf [28]. Par ailleurs, la neuroimagerie par tomographie par émission de positons (TEP), révèle un dysfonctionnement de la boucle limbique [18, 19] possiblement lié à une augmentation d’activité des systèmes dopaminergiques centraux [3, 8].

BIBLIOGRAPHIE [1] AJURIAGUERRA de J., HECAEN H. — Le cortex cérébral. Etude neuropsychopathologique.

Masson, Paris, 1949, pp 25-61.

[2] AKKAL D., BIOULAC B., AUDIN J. and BURBAUD P. — Comparison of neuronal activity in the rostral supplementary and cingulate motor areas during a task with cognitive and motor demands. Eur. J. Neurosci., 2002, 15 , 1-20.

[3] AOUIZERATE B., GUEHL D., CUNY E., ROUGIER A. BIOULAC B., TIGNOL J. et al. — Pathophysiology of obsessive-compulsive disorder a necessary link between phenomenology neuropsychology, imagery and physiology. Progr. in Neurobiol., 2004, 72 , 195-221.

[4] BIOULAC B., BURBAUD P., CAZALETS J.R., GROSS C. — Fonctions motrices.

EMC Neurologie, 2004, 1 , 277-329.

[5] BOTVINICK M., NYSTROM L.E., FISSEL K., CARTER C.S., COHEN J. — Conflict monitoring versus selection-for-action in anterior cingulate cortex. Nature, 1999, 402 , 179-181.

[6] CARTER C.S., BRAVER T.S., BARCH D.M., BOTVINICK M.M., NOLL D. et al. — Anterior cingulate cortex, error detection and the online monitoring of performance.

Science , 1998, 280 , 747-749.

[7] CARTER C.S., MACDONALD A.M., BOTVINICK M., ROSS L.L., STENGER V.A. et al. — Parsing executive processes : strategic vs. evaluative function of the anterior cingulate cortex.

Proc. Nat.

Acad. Sci., 2000, 97, 1944-1948.

[8] DENYS D., ZOHAR J., WESTENBERG G.M. — The role of dopamine in obsessive-compulsive disorder : preclinical and clinical evidence. J. Clin. Psychiatry, 2004, 65 , 11-17.

[9] DEVINSKY O., MORRELL M.J., VOGT B.A. — Contribution of anterior cingulate cortex to behaviour. Brain, 1995, 118, 279-306.

[10] DREHER J.C. and BERMAN K F. Fractionating the neural substrate of cognitive control processes.

Proc. Nat. Acad. Sc. , 2002, 99 , 14595-14600.

[11] FITZGERALD K.D., WELSH R.C., GEHRING W.J., ABELSON J.L., HIMLE J.A. et al. — Error-related hyperactivity of the anterior cingulate cortex in obsessive-compulsive disorder.

Biol. Psychiatr., 2005, 57 , 287-294 ;

[12] GEHRING W.J., GOSS B., COLES M.G.H., MEYER D.E., DONCHIN E. — A neural system for error detection and compensation. Psychol. Sci., 1993, 4 , 385-390.

[13] HADLAND K.A., RUSHWORTH M.F.S., GAFFAN D., PASSINGHAM R.E. — The anterior cingulate and reward-guided selection of actions. J. Neurophysiol., 2003, 89 , 1161-1164.

[14] HOLROYD C.B., COLES M.G.H. — The neural basis of human error processing : reinforcement learning, dopamine, and the error related negativity. Physiol. Rev., 2002, 109 , 679-709.

[15] ITO S., STUPHORN V., BROWN J.S., SCHALL J.D. — Performance monitoring by the anterior cingulate cortex during saccade countermanding. Science, 2003, 302 , 120-122.

[16] KERNS J.G., COHEN J.D., MACDONALD A.W., CHO R.Y., STENGER A. et al. — Anterior cingulate conflict monitoring and adjustments in control.

Science , 2004, 303 , 1023-1026.

[17] MICHELET T., GUEHL D., BIOULAC B., ESCOLA L., BURBAUD P. — Single unit correlates of evaluative and corrective processes in the anterior cingulate cortex. 2004, FENS Forum Lisbon A008.9.

[18] LAPLANE D. LEVASSEUR M. PILLON B. BAULAC M. MAZOYER B. TRAN DINH S. SETTE G. DANZE F. BARON JC. Obsessive-compulsive and other behavioural, magnetic resonance imaging and positron tomography study. Brain , 1989, 112 , 699-725 [19] LAPLANE D. Obsessive-complusive disorders caused by basal gauglia disesases.

Rev Neurol (Paris). 1994, 594-598 [20] PAUS T. — Primate anterior cingulate cortex : where motor control, drive and cognition interface. Nature Rev., 2001, 2 , 417-424.

[21] PICARD N., STRICK P. — Motor areas of the medial wall : a review of their location and functional activation. Cerebral Cortex, 1996, 6 , 342-353.

[22] POSNER M.I., PETERSEN S.E., FOX P.T., RAICHLE M.E. — Localization of cognitive operations in the human brain. Science , 240 , 1627-1631.

[23] SCHULTZ W. Predictive reward signal of dopamine neurons.

J. Neurophysiol., 1998, 80 , 1-27.

[24] SCHWARTZ J.M. — A role for volition and attention in the generation of new brain circuitry.

J.

Consc. Studies , 1999, 6 , 115-142.

[25] SHIDARA M., RICHMOND B.J. — Anterior cingulate : single neuronal signal related to degree of reward expectancy. Science , 2002, 296 , 1709-1711.

[26] SHIMA K., TANJI J. — Role for cingulate motor area cells in voluntary movement selection based on reward. Science , 1998 , 282, 1335-1338.

[27] STROOP J.R. — Studies of interference in serial verbal reactions.

J. Exp. Psychol., 1935, 18 , 643-661.

[28] URSU S., STENGER V.A., SHEAR M.K., JONES M.R., CARTER C.S. — Overactive action monitoring in obsessive-compulsive disorder : evidence from functional magnetic resonance imaging.

Psychol. Sci., 2003, 14, 347-353.

[29] VINCENT J.D. — Biologie des Passions. O. Jacobs, Paris 1986.

DISCUSSION

M. Jean-Didier VINCENT

Les belles études électrophysiologiques, que vous nous avez présentées, sont-elles de nature à éclairer les tentatives de traitement par stimulation électrique profonde ou par destruction de certaines régions du cerveau ? Qu’en est-il, à la lumière de votre expérience, du renouveau de la neuro-psycho-chirurgie ?

On connaît, les réticences que suscitent aujourd’hui la psychochirurgie. La question est donc de savoir si la stimulation cérébrale profonde (SCP) par l’application de la haute fré- quence (SHF), de certains secteurs peut se substituer à des approches neurochirurgicales strictement lésionnelles. La SHF est une méthode réversible qui soit inhibe l’activité anormale d’une structure, soit régularise la dynamique du réseau où elle est insérée. Depuis le transfert à l’homme de la SHF du noyau sous-thalamique (NST) par A. Benabid (1993-1994), les résultats obtenus dans les formes sévères et fluctuantes de la maladie de Parkinson (MP) sont très encourageants. D’autres cibles sont efficaces : Globus Pallidus Internalis (GPi) dans les dyskinésies et les dystonies, noyau moteur thalamique (VIM) dans le tremblement. Dans le cas des affections psychiatriques le recours à la SCP est plus récent et doit rester prudent. Ainsi la stimulation de la capsule interne dans le trouble obsessionnel compulsif (TOC) produit des résultats variables (Nuttin et al., 1999,

Gabriels et al., 2003, Abelson et al. , 2005). Dans deux cas de TOC concomitants à une

MP, la SHF du NST s’est révélée particulièrement efficace (Mallet, Agid et al., 2004).

Enfin notre équipe par la stimulation du striatum ventral (noyau accumbens) a obtenu de très bons résultats dans deux TOC sévères avec dépression. La démarche physiopathologique, ici, se fonde sur l’hyperactivité anormale de la boucle cortico-sous-corticocorticale cingulaire qui inclut le striatum ventral et le cortex cingulaire antérieur (CCA) dont nous avons vu le rôle dans la détection et la correction des erreurs.

M. Pierre RONDOT

Avez-vous eu la possibilité d’enregistrer simultanément l’activité du thalamus antérieur ?

L’activation des neurones après échec ne peut-elle s’inscrire dans une réaction d’éveil accrue ?

Non, mais Pierre Rondot fait ressortir l’importance des liens entre le thalamus antérieur et le cortex préfrontal (cortex orbito-frontal et cingulaire antérieur). Nous projetons d’enregistrer, par la technique « multi-canaux-multisites », de façon simultanée l’aire 24 et le noyau antérieur du thalamus. Il n’est pas exclu que ce dernier renforce l’excitabilité du cingulum lors de l’exécution d’une tâche cognitive. Nous rechercherons, en particulier les phénomènes de synchronisation et de « liage » entre les deux structures pendant la planification de l’action.

M. Roger NORDMANN

Dans son remarquable exposé, Bernard Bioulac a mis en exergue le rôle des essais précédents dans la gestion par le cortex cingulaire antérieur (CCA) des conflits lors de la planification de l’action. Chez l’homme, cette gestion est notoirement perturbée lors de la prise répétée de substances psychoactives, en particulier de substances addictives (cette perturbation contribuant en particulier à l’accidentalité routière). Quelles sont les relations anatomiques et/ou fonctionnelles entre le CCA et le circuit de la récompense impliqué dans les addictions ? Peut-on considérer que le CCA est un élément constitutif de ce circuit ? — Avez-vous étudié l’action sur le CCA de l’administration au singe de substances addictives, les résultats d’une telle étude pouvant être d’une grande utilité pour mieux comprendre leur action chez l’homme ?

Votre question revêt une réelle importance. Tout d’abord les relations anatomofonctionnelles entre le CCA et le circuit de la récompense sont « robustes et intimes ».

Le CCA est innervé par la voie dopaminergique méso-cortico-limbique issue de l’aire tegmento-ventrale (ATV : A10). Mais le CCA est aussi un élément du circuit cortico-sous-cortico-cortical cingulaire dont fait partie le striatum ventral (noyau accumbens). Ce dernier est innervé par cette même voie dopaminergique méso-limbique issue de l’ATV. Ainsi le système dopaminergique de récompense fonctionne de façon indissociable des boucles de régulation cingulaire et orbito-frontale. Les substances addictives à visée dopaminergique directe : (amphétamines, cocaïne) ou indirecte (opioïdes) interagissent inéluctablement sur ces secteurs corticaux et striataux riches en récepteurs dopaminergiques (D1 et D2). Ces substances sont susceptibles de déclencher, via ces boucles, des stéréotypies pouvant mimer les compulsions.

Actuellement nous réalisons un modèle chez le primate par manipulation GABAergique du noyau thalamique médiodorsal, élément de ces circuits. Dans un second temps seulement, nous interagirons sur les systèmes dopaminergiques pour tenter de majorer ou minimiser les hyperkinésies compulsives ainsi induites. Cette approche doit contribuer à éclairer les bases de l’hyperactivité dans les dérégulations motrices de l’addiction.

M. Bernard LECHEVALIER

Au cours d’affections vasculaires ou dégénératives touchant le cortex frontal ou la partie antérieure des noyaux gris, on observe des activités répétitives comme les TOC, les stréréotypies comportementales ou verbales. Elles sont souvent interprétées comme une levée de contrôle moteur inhibiteur exercé par le lobe frontal. Pensez-vous que ces neurones du cingulum antérieur peuvent être inclus dans un circuit d’inhibitions motrices parasites, circuit qui interviendrait dans la planification des mouvements ?

Votre remarque qui s’appuie, entre autres, sur les travaux de Dominique Laplane, conforte l’hypothèse, dans le TOC, d’une désinhibition du cortex cingulaire et au-delà de la boucle de régulation cortico-sous-cortico-corticale cingulaire dont il est un élémentclef. La neuroimagerie (IRM, IRMf, TEP) visualise une hyperactivité anormale du cingulum antérieur dans le TOC. Le dysfonctionnement du secteur neuronal (aires 24c, 32) dédié à l’évaluation et à la détection d’erreurs peut rendre compte d’un état où le sujet a la conviction d’exécuter un mouvement constamment erroné malgré ses efforts pour le corriger. Cette « persévération vaine » fait du TOC un trouble de la planification de l’action. La boucle de régulation n’apporte pas le message attendu (rétrocontrôle négatif) qui bloque la réitération motrice.


* CNRS UMR 5543, Université Victor Segalen et Service d’Explorations Fonctionnelles du Système Nerveux, CHU 146, rue Léo Saignat, 33076 Bordeaux ** Services de Psychiatrie A et B, Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux Tirés à part : Professeur Bernard BIOULAC, même adresse Article reçu le 26 juillet 2005, accepté le 3 octobre 2005

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 7, 1529-1540, séance du 4 octobre 2005