Communication scientifique
Séance du 10 février 2009

L’autisme : actualité, évolution des concepts et perspectives

MOTS-CLÉS : neurophysiologie. thérapeutique. trouble autistique/diagnostic
Autism : current issues, history and future perspectives
KEY-WORDS : autistic disorder/diagnosis. neurophysiology. therapeutics.

Catherine Barthélémy

Résumé

L’autisme touche une centaine de milliers de personnes en France. D’abord décrit comme une forme précoce de psychose schizophrénique, ce syndrome est maintenant inscrit au chapitre des troubles globaux du neurodéveloppement d’origine biologique affectant, dès le début de la vie, la communication sociale et l’adaptation à l’environnement. Les progrès accomplis dans la compréhension de ses aspects cliniques, neurofonctionnels et génétiques modifient peu à peu les conceptions et les pratiques de diagnostic, d’explorations et de soins. Les enjeux pour la prise en charge de ce handicap complexe qui dure toute la vie sont majeurs.

Summary

Autism affects one hundred thousand individuals in France. This syndrome was first described as the earliest form of schizophrenic psychosis. It is now considered to be a biologically based pervasive neurodevelopmental, disorder affecting, from the first days of life, social communication and adjustment to the environment. Advances in the understanding of its clinical neurofunctional and genetic aspects have progressively modified conceptions and practices for diagnosis, exploration and therapeutics. This live-long complex handicap presents major challenges.

INTRODUCTION

L’autisme est un trouble neurodéveloppemental très précoce, global et fréquent qui touche en France cent mille personnes. Il s’agit donc d’un véritable problème de santé publique. Décrit pour la première fois par Kanner en 1943 [1], ce syndrome particulier, affectant la communication sociale et l’adaptation, a longtemps été considéré comme rare et la conséquence d’attitudes maternelles pathogènes.

L’hypothèse d’un désordre de nature neurobiologique altérant dès la vie fœtale le développement du cerveau dit « social », s’est progressivement imposée. En France, ces conceptions ont été tardivement intégrées aux pratiques pédopsychiatriques, cliniques, de recherche et de soins. Toutefois, quelques équipes, notamment celle de Tours, ont participé, dès le début, aux travaux neuroscientifiques internationaux pour le diagnostic précoce, les explorations neurophysiologiques et la thérapeutique. Ces dix dernières années, sous l’impulsion des associations de familles, en lien avec quelques groupes de professionnels, un plan national a été mis en œuvre par le gouvernement pour l’autisme. Des textes de loi sont parus, les Centres de Ressources pour l’Autisme ont été créés et la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en juin 2005 les Recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme [2]. Les travaux sur les recommandations pour la prise en charge éducative et thérapeutique sont en cours.

Le retard que nous avons pris dans ce domaine crucial de la médecine de l’enfance va-t-il se combler ? C’est dans ce contexte, encore polémique, que nous avons relevé certains points clefs de l’actualité, de l’évolution des idées et des perspectives.

 

SÉMIOLOGIE, ACTUALITÉ NOSOGRAPHIQUE, ÉPIDÉMIOLOGIE

L’autisme est considéré par la communauté médicale et scientifique internationale comme un trouble du neurodéveloppement qui altère, dès le plus jeune âge de l’enfant, l’ensemble de ses capacités d’interaction avec l’environnement et ses moyens de communication. Ceci conduit rapidement à une forme particulièrement déroutante de dysfonctionnement comportemental et social avec handicap tout au long de la vie.

Des premiers signes à la triade des critères de diagnostic

Le bébé avec autisme semble insensible à la voix de sa mère, il n’échange pas le regard avec elle. Son visage ne laisse apparaître que peu d’émotion. Il présente des anomalies du tonus, de la posture : tantôt « poupée de chiffon », tantôt trop tendu, il s’ajuste mal dans les bras de sa mère. Les caresses semblent le faire souffrir. Il ne tendra pas les bras vers l’adulte pour être pris hors du berceau [3].

À trois ans, le tableau d’autisme est confirmé. Le syndrome est alors défini par des troubles majeurs dans trois secteurs du comportement :

la socialisation : l’enfant avec autisme semble solitaire dans son monde. Il joue seul, on pourrait penser qu’il est sourd. Il réagit avec les personnes comme si elles étaient des objets. Son contact oculaire est particulier. Sa mimique est pauvre. Le partage émotionnel lui est difficile.

la communication : il ne parle pas, ou, si son langage existe, il ne s’inscrit pas dans un échange d’informations, un dialogue avec autrui.

l’adaptation : l’enfant avec autisme est attaché à « l’immuabilité dans son environnement ». Le moindre changement, les événements imprévisibles peuvent provoquer chez lui angoisse et agressivité. Le répertoire de ses activités est réduit, répétitif. Lorsqu’il est seul ou avec les autres, l’enfant est animé de mouvements stéréotypés, battements, rotations ou balancements d’une partie ou de l’ensemble du corps.

Ces altérations qualitatives du comportement constituent la base des critères pour le diagnostic dans les classifications internationales de référence DSM IV-TR [4] et CIM10 [5], cette dernière étant obligatoirement appliquée en France selon les Recommandations nationales de l’HAS [2]. L’autisme est, dans ces manuels, décrit au chapitre des « troubles envahissants du développement (traduction de l’anglais « pervasive developmental disorders ») dont il constitue la forme la plus typique. Le diagnostic de l’autisme est clinique. Il n’existe aucun marqueur biologique de diagnostic validé à ce jour et la cause de ce syndrome demeure inconnue.

Une nouvelle entité nosographique : « le spectre de l’autisme »

Au sein d’une population d’enfants répondant au diagnostic d’autisme, il existe des types et profils cliniques différents. Ceci est lié notamment aux variations de sévérité des troubles dans les différents sous-groupes de critères ainsi qu’à l’existence d’évolutions cliniques précoces particulières. Dans le syndrome d’Asperger par exemple, il n’existe pas de retard de langage. Le trouble désintégratif de l’enfance survient plus tardivement, autour de l’âge de trois ans et même après. Le syndrome de Rett survient aussi après une période de développement normal et constitue une entité clinique à part liée à la mutation du gène MeCP2.

L. Wing et coll. ont parlé dès 1988 [6] du continuum caractéristique de l’autisme ;

cette notion a évolué vers le concept « spectre de l’autisme ».

La diversité de l’expression symptomatique peut être évaluée grâce à divers instruments disponibles en France, notamment l’ADI (Autism Diagnostic Interview) [7] et la CARS (Childhood Autism Rating Scale) [8]. Lors de la validation de l’échelle d’Evaluation des Comportements Autistiques (ECA-R) par Barthélémy et coll. [9, 10], l’équipe de Tours a mis en évidence différents sous-groupes homogènes d’enfants au sein d’une population d’enfants avec autisme.

Épidémiologie : y-a-t-il épidémie d’autisme ?

Certains ont évoqué récemment une « épidémie » d’autisme. En effet, les chiffres de prévalence sont passés de 1 à 4 pour 10 000 dans les années 80 à 1 à 4 pour 1 000 dans les années 2000. Cette évolution est tout d’abord liée à l’élargissement du « spectre » de l’autisme. Elle témoigne également d’une meilleure formation des praticiens de première ligne qui identifient des formes même légères d’autisme à tous les âges de la vie.

Cette augmentation n’est en tout cas pas consécutive aux effets des vaccins [11].

L’autisme est plus fréquent chez le garçon : classiquement quatre garçons pour une fille.

Peut-on diagnostiquer l’autisme avant trois ans ?

Les inquiétudes des parents sont souvent exprimées dès la première année de vie de l’enfant ; elles sont les indicateurs d’un risque. De larges études épidémiologiques, anglaises en particulier, l’analyse des films familiaux, amènent à considérer une série de signes d’alerte absolue listés dans le questionnaire CHAT (Check-list for Autism in Toddlers) validé pour le dépistage à dix-huit mois. Ces signes concernent certains pré requis essentiels à la communication, par exemple : la réaction à la voix humaine, le pointage du doigt vers un objet désiré, et le début du langage [12, 13]. Ceci permet de repérer les enfants à risque et de démarrer au plus vite les soins adaptés. Mais par définition, le diagnostic d’autisme ne peut être posé avant l’âge de trois ans.

Facteurs aggravants et pathologies associées

L’association à l’autisme d’anomalies, troubles ou maladies est fréquente [14]. Leur identification ne remet pas en question le diagnostic d’autisme mais elle fournit des indications précieuses pour la prise en charge globale et l’évolution.

 

Un retard mental de sévérité variable est décrit classiquement dans près de 80 % des cas et environ 50 % des enfants ne développent pas le langage parlé. Ces chiffres évoluent maintenant que des formes plus légères d’autisme sont diagnostiquées. Le retard des acquisitions, qu’il soit léger ou profond, se caractérise par une hétérogénéité avec contraste marqué entre les faibles capacités socio-émotionnelles et des performances cognitives bien meilleures [15]. Cette « dysharmonie » typique de l’autisme déroute souvent éducateurs et enseignants.

Il est aussi très important de rechercher des pathologies neurologiques associées :

d’abord l’épilepsie diagnostiquée dans plus d’un tiers des cas chez les enfants avec autisme et retard, les troubles de la coordination motrice, les déficits sensoriels [16].

Si la plupart des enfants ont un autisme dit « non syndromique », c’est-à-dire sans étiologie connue, dans 10 à 20 % des cas, selon les études, une pathologie génétique ou métabolique peut être identifiée. Il en est ainsi, pour les plus fréquentes, du syndrome de l’X fragile, de la sclérose tubéreuse de Bourneville, de la neurofibromatose de type I, de la trisomie 21, du syndrome d’Angelman, de Prader-Willi, de la phénylcétonurie. Grâce aux progrès rapides de la neurogénétique et de la biologie moléculaire, ces pourcentages ne cessent d’augmenter.

Les procédures applicables en France depuis 2005 pour le diagnostic et l’évaluation fonctionnelle comprennent donc des explorations pluridisciplinaires médicales et paramédicales spécialisées sur la base desquelles s’appuie ensuite la stratégie personnalisée d’éducation et de soins adaptés.

ORIGINES DE L’AUTISME, ÉVOLUTION DES HYPOTHÈSES, APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES

L’autisme occupe encore actuellement une position cruciale dans les interrogations et débats sur l’origine de la vie intellectuelle, affective et de la relation interpersonnelle. Il est banal d’évoquer « l’énigme de l’autisme ». Toutefois, les efforts conjugués des cliniciens et neurobiologistes suscitent des hypothèses explicatives neurofonctionnelles de plus en plus consistantes et ouvrent des pistes pour l’identification de déterminants génétiques majeurs.

Premières descriptions : hypothèses psychopathologiques

Dans des sites éloignés du monde, deux éminents praticiens de la neuropsychiatrie, Kanner à Baltimore (1943) [1] et Asperger à Vienne (1944) [17], ont publié et commenté la description d’enfants porteurs de ce qu’ils ont appelé « autisme ». La paternité de l’expression « autisme infantile précoce » revient à L. Kanner qui avait posé d’emblée l’hypothèse d’un désordre biologique inné du contact affectif.

« Ces enfants sont venus au monde avec une incapacité innée à constituer le contact affectif normal et biologiquement prévu avec les autres, tout comme d’autres enfants viennent au monde avec des handicaps physiques ou intellectuels donnés ».

 

Mais Kanner et Asperger avaient emprunté le terme autisme aux neuropsychiatres d’adulte [18, 19] qui l’utilisaient pour décrire chez les schizophrènes l’évasion de la réalité, le repli sur soi. Ainsi, pendant un demi siècle, l’autisme infantile s’est-il retrouvé, en référence à la schizophrénie, inscrit au chapitre des « psychoses de l’enfant » avec un modèle explicatif psychogénétique suggérant le rôle implicite de la pathogénicité maternelle dans la distorsion relationnelle précoce. L’influence de B. Bettelheim a été majeure au niveau mondial à cette période [20]. Celui-ci évoquait une situation extrême à laquelle l’enfant avec autisme était très précocement confronté du fait de la perception d’affects maternels négatifs le conduisant à se replier pour se protéger.

La responsabilisation des parents dans la pathologie de leur enfant fut non fondée et extrêmement délétère. Elle a pourtant inspiré pendant des décennies la prise en charge pédopsychiatrique psychanalytique de l’autisme principalement basée sur l’analyse de l’inconscient. Ces hypothèses sont hélas, en France en particulier, maintenues en sourdine dans les propos et les pratiques. La dépression maternelle est, selon certains auteurs contemporains, suspectée de contribuer à la défaillance d’organisation du lien affectif [21].

Hypothèses neurobiologiques

Dès les années 1970, les conceptions neurobiologiques ont commencé à contrebalancer fortement les orientations psychodynamiques de recherche et de soins, principalement dans les pays anglo-saxons comme en témoigne l’ouvrage de M. Coleman et C. Gillberg en 1985 [22], mais aussi en France sous l’influence notamment de G.

Lelord et son groupe associé d’emblée à D.J. Duché, J. Lejeune, J.P. Müh, L.

Pourcelot, et à E. Ornitz, P. Tanguay, dans l’équipe de Los Angeles.

Des modèles neurologiques innovants ont été proposés [23-26] avec des incidences physiopathologiques et thérapeutiques. Les premiers résultats de neuropathologie, de neurochimie et d’imagerie cérébrale, statique et dynamique, ont été diffusés, notamment ceux de Bauman et Kemper et Courchesne [27, 28]. L’hypothèse d’une « insuffisance modulatrice cérébrale » dans l’autisme a été posée par G. Lelord [29], les caractéristiques de l’autisme étant, à partir de ces travaux, considérées comme liées à des anomalies du filtrage et de la modulation sensorielle, émotionnelle et posturo-motrice. Une méthode originale de thérapie psychophysiologique a été simultanément développée par Lelord et Barthélémy [30, 31] Dans ce contexte, les associations de parents se sont constituées. Elles ont contribué à soutenir et dynamiser ce mouvement de la recherche en France. En 1985, les scientifiques rassemblés à Paris au colloque international co-organisé par l’Inserm, le Cnrs et l’Arapi (Association pour la Recherche sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations) disposaient déjà d’un solide faisceau d’arguments pour considérer l’autisme comme la conséquence d’un dysfonctionnement cérébral probablement ante-natal, différents facteurs biologiques, génétiques surtout, ayant un rôle déterminant dans son apparition [32].

 

À partir de cette période, de larges études épidémiologiques internationales ont été mises en œuvre. Des cohortes et des banques de données se sont constituées aux Etats-Unis et en Europe. Les progrès technologiques en vidéo du comportement, en biologie moléculaire et en imagerie cérébrale fonctionnelle ont permis des avancées considérables. Les principaux résultats de ces recherches internationales sont rassemblés dans le rapport du congrès Collège de France — Arapi qui s’est tenu à Paris en 2003 [33].

Dysfonctionnements neuropsycho-physiologiques dans l’autisme — Données actuelles

Ainsi, quelques exemples extraits de publications les plus récentes mettent en évidence des altérations du fonctionnement de systèmes cérébraux impliqués dans le décodage de l’information sensorielle motrice et émotionnelle.

Dans la continuité d’études bien antérieures sur des fonctions neurophysiologiques à la base des interactions sociales [34, 35] certains résultats très récents confirment les liens possibles entre :

— défaut de réciprocité sociale et activation atypique des « neurones miroirs » [36, 37].

— trouble de la communication et anomalie du traitement cortical de l’information auditive [38, 39].

— intolérance au changement et réactivité anormale du cortex cingulaire aux évènements inhabituels [40].

Ces anomalies du fonctionnement de réseaux neuronaux ont une importance majeure dans le trouble de la perception des autres, de leurs intentions, de leurs émotions et de leurs réactions. Les hypothèses « neuronales » de l’autisme rejoignent les modèles proposés par les psychologues décrivant les particularités du fonctionnement intellectuel et relationnel dans ce syndrome. Ainsi, nombre de travaux concernent-ils actuellement la mise en évidence des correlats cérébraux des déficits de l’empathie, de la théorie de l’esprit (Theory of Mind ou ToM) de la fonction exécutive, de la cohérence centrale. Cette double approche réunit les cliniciens non seulement sur des modèles neuropsycho-physiologiques de l’autisme [41] mais aussi sur des propositions éducatives et thérapeutiques.

Applications thérapeutiques « Sans soutien, sans apprentissage des moyens élémentaires de communication et de compréhension de son environnement, l’enfant autiste va développer des troubles de comportement et un véritable risque d’exclusion et de surhandicap va s’installer » [42].

Il est important d’intervenir le plus tôt possible dans la période de vie avant quatre ans où la plasticité cérébrale est à son maximum.

Le prototype de ces remédiations précoces est la Thérapie d’Echange et de Développement [31]. Les séances de jeu permettent d’exercer, dans un contexte motivant, les fonctions neurophysiologiques de base : attention, perception, association, intention, imitation. Lors de ces séances, l’étayage constant de l’adulte ajusté au niveau intellectuel et affectif de l’enfant, aide ce dernier à développer progressivement des schèmes d’action et de communication mieux adaptés. Les échanges enfant-adulte se synchronisent et s’inscrivent peu à peu dans de véritables séquences de réciprocité sociale avec plaisir partagé. Ceci constitue un pré-requis indispensable au développement ultérieur de la communication non verbale puis verbale.

PERSPECTIVES

Nous retiendrons quelques thématiques à fort impact pour des progrès dans le domaine du diagnostic, de la compréhension et surtout de la prise en charge.

Stratégies pour un repérage plus précoce et un suivi des trajectoires développementales

Le suivi systématique, dès la naissance, des jeunes frères ou sœurs d’enfants avec autisme, pour lesquels le risque d’autisme est augmenté, permettra non seulement de décrire au plus près les tout premiers signes, mais aussi de déterminer d’éventuelles variantes phénotypiques précoces au sein d’une même famille. En France, la diffusion et l’application des recommandations pour le diagnostic restent une priorité, dans le cadre notamment de l’Association Nationale des Centres de Ressources Autisme : ANCRA. La formation médicale des futurs praticiens de première ligne pour la détection précoce est cruciale.

Les trajectoires particulières du premier développement chez les enfants à risque et l’association de certaines formes d’épilepsie avec troubles du langage sont des domaines d’intérêt pour les recherches physiopathologiques.

Génétique et neurodéveloppement cérébral pathologique

Il ne fait plus de doute que les facteurs génétiques contribuent fortement à la survenue de l’autisme. Les recherches ont débuté sur la base d’arguments cliniques et épidémiologiques et notamment la concordance pour le syndrome plus importante chez les jumeaux homozygotes que chez les dizygotes, et le risque de récurrence plus élevé dans la fratrie d’enfants atteints.

Plus de soixante anomalies chromosomiques ont été identifiées dans des régions candidates sur les chromosomes 2, 7 et 15 en particulier. Ces régions comprennent chacune un grand nombre de gènes intervenant dans le développement et le fonctionnement du système nerveux et impliqués dans différentes pathologies neurodé- veloppementales : l’autisme, la schizophrénie, et le retard mental. Du fait de la forte hétérogénéité clinique du syndrome autistique, il est nécessaire de constituer des sous-groupes homogènes de patients à partir de variables phénotypiques cliniques et biologiques comme la taille de la tête, l’existence d’une régression du développement, l’épilepsie, les troubles du sommeil, les taux plasmatiques de sérotonine.

 

Certaines caractéristiques électrophysiologiques mesurées à partir des potentiels évoqués corticaux par exemple, s’intégreront certainement dans cette série de marqueurs phénotypiques [16].

La combinaison des approches cliniques, de neuroimagerie et de génétique molé- culaire vont permettre d’identifier des périodes critiques du développement cérébral et des fonctionnements neuronaux cibles. L’hypothèse de perturbations de la connectivité avec anomalie des structures et fonctions synaptiques est actuellement avancée.

Nouveaux enjeux pour la prise en charge des handicaps liés à l’autisme

Le Comité Consultatif National d’Éthique a souligné en 2007 [43] la nécessité d’appuyer les pratiques sur un socle de connaissances issues des recherches les plus récentes. Une telle démarche débute seulement, les premiers travaux sur les futures recommandations sont amorcés dans un contexte de grande confusion. « Chaque adepte d’une thérapie défendant son point de vue de manière passionnelle et idéaliste…

ce qui marche pour des familles ne marche pas forcément pour des professionnels et vice versa » Lenoir, 2003 [44]. Il n’existe que de rares études évaluant scientifiquement les effets de quelques méthodes d’intervention (Expertise Inserm, 2004) [45].

Certes chaque individu avec autisme a son propre profil qui lui-même peut varier au cours de sa trajectoire de vie. Le protocole standard de prise en charge de ce handicap de la communication sociale n’existe pas. Toutefois quelques principes fondamentaux guident les stratégies éducatives, rééducatives, de soins et d’intégration sociale :

— précocité de l’intervention, — accessibilité des services, — diversité des méthodes et moyens mis en œuvre.

« La famille est, dès le départ et tout au long de la vie, un partenaire actif pour une prise en charge pluriprofessionnelle dans un système cohérent, continu et flexible » [46].

 

CONCLUSION

L’intérêt suscité par l’autisme est en pleine expansion dans les milieux médicaux, scientifiques et dans les médias. Hélas, il existe un contraste dramatique entre cet engouement croissant et les situations d’exclusion dans lesquelles sont confinés, faute d’une prise en charge adaptée, de très nombreux enfants et adultes avec autisme. Si dans notre pays les systèmes de santé pour le diagnostic précoce sont en place, les stratégies de prise en charge basées sur des données médicales fiables tardent à être définies. Afin que les professionnels et les familles puissent, demain, disposer d’informations validées au plan international, les méthodes éducatives et thérapeutiques devront faire l’objet d’évaluations rigoureuses de leur efficacité dans ce domaine particulier de la pédiatrie et de la pédopsychiatrie. Formation médicale et recherche sont des points clés pour un diagnostic de l’autisme encore plus précoce et pour un accès libre et informé à des prises en charge mieux adaptées.

 

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[45] Psychothérapie. Trois approches évaluées. Expertise collective. Inserm (ed.), Paris, 2004, 553 p.

[46] Barthelemy C. — Services et intervention médicale. In : Rogé B., Barthélémy C., Magerotte G.

Améliorer la qualité de vie des personnes autistes. Dunod (ed.), Paris, 2008, 125-126.

Ouvrages de parution très récente non référencés dans le texte :

[47] Hochmann J. — Histoire de l’autisme. Odile Jacob (ed), Paris, 2009, 527 p.

[48] Roge B. — Autisme, comprendre et agir. Santé, éducation, insertion. Dunod (ed.), 2e édition, Paris, 2008, 227 p.

DISCUSSION

M. Jean-Jacques HAUW

L’autisme est donc un syndrome multifactoriel qui relève d’une atteinte des aires cérébrales associatives multimodales et impliquant les synapses. Qu’en est-il de la persistance de la plasticité neuronale et synaptique ?

Face à ce syndrome multifactoriel, les thérapeutes posent l’hypothèse que grâce au diagnostic précoce, les interventions commenceront tôt dans la vie de l’enfant à une période du développement où la plasticité des systèmes neuronaux est à son maximum.

Ainsi, dans les thérapies du jeune enfant dont la Thérapie d’Echange et de Développement (TED) est le prototype, les séances de jeu thérapeutique visent à exercer les fonctions cérébrales de la communication sociale. L’acquisition d’habiletés relationnelles chez les enfants de moins de cinq ans suivis en TED est rapide, en quelques mois : ceci est en faveur d’un gain fonctionnel probablement lié à une « activation » ou « organisation » des systèmes neuronaux du « cerveau social ». Qu’en est-il si l’intervention est plus tardive ? Nous savons maintenant que si la plasticité cérébrale est maximale dans les quatre premières années, elle dure tout au long de la vie. Il existe donc même chez l’adulte avec autisme des ressources neuronales pour le développement des acquisitions intellectuelles sociales et du langage.

M.Roger NORDMANN

Vous avez développé le rôle de facteurs génétiques dans l’autisme ainsi que les progrès récents dans ce domaine. Ne convient-il pas de considérer également la part que pourrait jouer une anoxie périnatale lors d’un accouchement difficile en tant que facteur contributif ?

D’autre part dispose-t-on de moyens échographiques ou autres permettant d’envisager au cours de la grossesse la probabilité d’un enfant atteint d’autisme ?

L’anoxie périnatale est, en effet, l’un des facteurs médicaux considérés comme susceptibles de contribuer à l’apparition de l’autisme. Les études épidémiologiques révèlent des pourcentages légèrement plus élevés de grandes prématurités ou d’évènements pathologiques dans la période périnatale. On considère que des facteurs exogènes et endogènes se combinent : l’hypoxie peut ainsi altérer le fonctionnement de zones sensibles dans un « cerveau social » génétiquement vulnérable à l’autisme. Certains arguments récents en faveur d’un trouble anténatal du développement cérébral proviennent de l’étude systé- matique des échographies, réalisées en France aux trois trimestres de grossesse : les courbes de croissance cérébrale sont différentes au troisième trimestre et juste après la naissance chez les enfants avec autisme. Les différentes données morphométriques fœtales et néonatales permettront d’identifier des périodes critiques et des mécanismes de dysmaturation cérébrale.

M. Jean-François ALLILAIRE

L’approche dimensionnelle qui s’impose de plus en plus en psychiatrie de l’autiste, comme en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, semble déboucher sur la description de véritables phénotypes cliniques (purs, associés, déficients, haut-niveau). Ces sous-types permettent-ils des constatations avec des traits endophénotypiques d’une part, et d’autre part si cela permet de dégager des modalités de prise en charge plus efficiente sur chacun des différents sous-types ?

Au-delà de l’approche catégorielle, la sémiologie dimensionnelle de l’autisme permet de décrire des profils très pertinents pour la mise en place du projet de soins en particulier pour l’aide pharmacologique si nécessaire. Il en est ainsi par exemple des symptômes de la dimension « comportements restrictifs et répétitifs » qui peuvent dans certains cas être similaires à des troubles obsessionnels et compulsifs et réagir favorablement aux inhibiteurs du recaptage de la sérotonine. Dans les études familiales, l’identification de traits autistiques chez des apparentés et la recherche des correspondances phénotype-génotype sont très facilitées par cette clinique dimensionnelle. C’est ainsi qu’au sein d’une même famille, peuvent coexister une personne avec autisme typique et d’autres personnes porteuses par exemple de phobie sociale, de dysphasie, de trouble obsessionnel, de retard mental sans trouble de la communication.

M. Bernard LECHEVALIER

Vous avez commencé votre intéressant exposé par la présentation de huit formes cliniques de l’autisme montrant la variété symptomatique de la maladie qui garde encore beaucoup d’inconnues : par exemple les calculateurs prodiges, l’attrait de nombreux autistes pour la musique, mais comment expliquer que (d’après l’abstract que nous avons reçu) seuls vingt et un cas sur soixante dix-sept d’autisme étudiés présentaient les anomalies caractéristiques en IRM et en TEP ? Qu’en est-il des autres cas ? Avez-vous pu tenter d’établir des corré- lations anatomo-cliniques ; l’autisme serait-il un syndrome ayant en commun une pathologie de la synthèse perceptive nécessaire à la perception de l’espace et des objets de relation, qui pourrait être rapprochée d’une simultagnosie, ce syndrome pouvant correspondre à plusieurs localisations : temporales supérieures, cérébelleuses, hippocampiques, amygdaliennes ?

 

Certaines personnes avec autisme ont des capacités exceptionnelles, considérées comme l’expression de « surfonctionnements » neurosensoriels ou mnésiques. Nous avons, par exemple, grâce à l’imagerie fonctionnelle, pu mettre en relation des activations cérébrales particulières chez un adulte autiste calculateur de calendriers. Les données cliniques et d’imagerie dans les troubles perceptifs (hyperfonctionnement, hypofonctionnement) sont en faveur d’anomalies de la modulation et de l’intégration sensorielle. G. Lelord disait dès 1980 « l’enfant autiste ne voit pas quand il écoute, n’entend pas quand il regarde ». Ces phénomènes très évidents dans les modalités auditives et visuelles sont relatés par les personnes avec autisme dans les autres modalités sensorielles. Ces observations évoquent des troubles de synthèse à rapprocher de manière très intéressante de la simultagnosie, telle que vous la rappelez, décrite par Bianca Lechevalier (1998).

M. Jacques BATTIN

J’ai observé un garçon de dix ans qui n’avait jamais parlé. A l’occasion d’une crise d’asthme traitée par la théophylline, il s’est mis a parler pour la première fois, de façon déconcertante comme si une inhibition était levée sous l’effet de la théophylline. Qu’en pensez-vous ?

Il n’est pas rare d’observer que des enfants ou adultes autistes s’expriment pour la première fois et avec un langage très correct et compréhensible dans des conditions physiques ou psychologiques que l’on peut considérer comme extrêmes : forte fièvre, malaise intense, grande peur. Généralement, cette émergence du langage est épisodique, comme s’il s’agissait d’une levée d’inhibition qui libère la capacité jusque-là non exprimée d’utiliser le langage verbal. Il est exceptionnel que le langage apparaisse et se maintienne définitivement dans des circonstances aussi brutales, suggérant une récupé- ration en « tout ou rien » d’un état de mutisme. Les substances pharmacologiques telles que la théophylline peuvent contribuer à faciliter cette désinhibition. Je pense aussi à la pyridoxine dont nous avons observé les effets bénéfiques mais dans la plupart des cas d’autisme typique, le retard de langage observé s’inscrit dans un tableau de retard des acquisitions, et les progrès ne se font que pas à pas dans les différents domaines grâce aux rééducations spécifiques.

M. Géraud LASFARGUES

L’hyperstimulation des enfants autistes donne-t-elle des résultats encourageants ?

Les enfants avec autisme, comme les enfants ordinaires, ont droit à la « stimulation ».

« Ne pas laisser croupir les enfants autistes abandonnés dans des salles » nous disait G. Lelord. Mais, selon les principes de base de la neurophysiologie du développement et des apprentissages, l’expression de la curiosité naturelle de l’enfant, ses acquisitions « libres », sont facilitées par un contexte respectant le rythme de l’enfant, tenant compte de sa motivation et de sa fatigabilité. En résumé, il est important d’éviter la surcharge et de réaliser des conditions de « tranquillité, disponibilité, réciprocité » pour un fonctionnement neuronal et une plasticité efficaces.

M. Claude-Henri CHOUARD

Quelle est la batterie de tests auditifs, visuels, voire tactiles que vous réalisez pour être sûr que ce n’est pas une carence de l’organe(s) sensoriel(s) qui est responsable de l’autisme ? Le diagnostic de l’autisme est-il actuellement porté sur un syndrome clinique incluant ou non une ou plusieurs atteintes sensorielles ou doit-il aussi être associé aux atteintes génétiques exposées aujourd’hui ? Appareillez-vous le plus précocement possible les enfants sourds autistiques ? (Un enfant sourd profond mérite aujourd’hui d’être implanté avant un an pour que soit assuré le développement du langage).

Un bilan auditif et visuel systématique, effectué par des équipes spécialisées, est maintenant, selon les recommandations nationales, obligatoire à l’étape du diagnostic chez le jeune enfant, mais aussi à tous les âges de la vie. En effet, le syndrome « autistique » peut résulter d’une surdité, le traitement de celle-ci améliorant quelquefois de manière spectaculaire le comportement de l’enfant, surtout s’il s’agit d’un très jeune enfant. Dans les cas les plus nombreux, la situation est celle d’une « comorbidité » autisme-surdité par exemple qui peut passer inaperçue. Dans ces conditions, la stratégie thérapeutique est définie à partir de consultations pluridisciplinaires à systématiser pour prendre en compte le plurihandicap de l’enfant et les bénéfices attendus d’un appareillage ou d’un implant par exemple. Les observations dans le domaine de l’audition et du langage, et de leur relation avec l’autisme, ont suscité de nombreuses recherches en cours, dans l’équipe de Tours en particulier. Ces pratiques et recherches en progrès restent à développer dans les autres secteurs du fonctionnement neurosensoriel : vision, toucher, odorat.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Centre de Pédopsychiatrie, INSERM UMR 930, CHRU Bretonneau, 2 Boulevard Tonnellé, F-37044 Tours Cedex 9 Tirés à part : Professeur Catherine Barthélémy, même adresse</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 2, 271-285, séance du 10 février 2009