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Séance du 17 février 2009

Compte rendu de l’activité du Comité Consultatif National d’Ethique de janvier 2008 à février 2009

MOTS-CLÉS : accès à l’information. confidentialité. dépistage néonatal. dossier médical unique. surdité. traitement automatique des données
Activity report of the French National Ethical Consultative Committee
KEY-WORDS : access to information. automatic data processing. confidentiality. deafness. medical record linkage. neonatal screening

Claude Sureau

Résumé

Les avis du Comité Consultatif National d’Ethique de janvier 2008 à fin février 2009 sont rapportés ici ; on remarquera qu’ils sont seulement au nombre de trois ; ce nombre limité contraste avec celui des rapports précédents : la raison en est liée aux perturbations survenues dans la composition et le fonctionnement du Comité à l’occasion de son changement de président ; le départ prévu de Didier Sicard et son remplacement par Alain Grimfeld, ne se sont pas accompagnés en temps utile du renouvellement, statutaire, de la moitié de ses membres. L’attente de ce renouvellement, qui a duré près d’un an, n’a pas empêché les membres antérieurement nommés ou désignés par les instances régulièrement habilitées, de continuer à travailler ; mais elle les a gênés dans la mesure où leurs avis risquaient, en raison de leur représentativité imparfaite, liée directement à cette carence administrative, de comporter un impact réduit. Deux avis « techniques » ont néanmoins été formulés, l’avis 103, relatif au dépistage néonatal de la surdité et l’avis 104 sur le dossier médical personnel et l’informatisation des données de santé. L’avis 105, de nature plus essentielle du fait de son importance dans le cadre de la révision des lois relatives à la bioéthique, mérite une attention toute particulière et une lecture attentive : il ne propose aucune solution technique aux nombreux problèmes posés, mais définit une méthodologie d’approche et de réflexion qui sera de la plus grande utilité lors de l’élaboration de ces textes législatifs.

Summary

This document presents the opinions expressed by the French National Consultative Ethical Committee from January 2008 to February 2009. Only three opinions were issued, owing to a delay in nominating half the Committee members. This did not prevent in-depth discussions of ethical issues but delayed their publication. Two technical opinions were issued, one concerning neonatal screening for deafness, and the other digital storage of medical information. The third, particularly important opinion concerned bioethics legislation.

Nommé au Comité Consultatif National d’Éthique, sur proposition de l’Académie nationale de médecine (arrêté du 1er mars 2005), j’ai, par trois fois déjà, rendu compte à l’Académie des avis du Comité.

Je rappellerai tout d’abord la teneur de ces trois compte rendus :

20 juin 2006 ( Bull. Acad. Nale. Méd ., 2006, 190 , no 6, 1237-1246)

Avis 87. Refus de traitement et autonomie de la personne.

Avis 88. Les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques.

Avis 89. La conservation des corps des fœtus et enfants mort-nés.

Avis 90. Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation.

Avis 91. L’informatisation de la prescription médicale.

21 février 2007 ( Bull. Acad. Nale. Méd ., 2007, 191 , no 2, 405-412)

Avis 92. Avis sur le dépistage de la tuberculose et la vaccination par le BCG.

Avis 93. Commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires Avis 94. La santé et la médecine en prison.

Avis 95. Problèmes éthiques posés par des démarches de prédiction fondées sur la détection de troubles précoces du comportement chez l’enfant.

29 janvier 2008 ( Bull. Acad. Nale. Méd. 2008, 192 , no 9, 149-152)

Avis 96. Questions éthiques posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé.

Avis 97. Questions éthiques posées par la délivrance de l’information génétique néonatale à l’occasion du dépistage de maladies génétiques ; exemples de la mucoviscidose et de la drépanocytose.

Avis 98. Biométrie, données identifiantes et droits de l’homme Avis 99. A propos d’un test (ISET-oncologie) visant à détecter dans le sang des cellules tumorales circulantes Avis 100. Migration, filiation et identification par empreintes génétiques.

Avis 101. Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier Avis 102. Sur la situation en France des personnes, enfants et adultes, atteintes d’autisme

Dans la présente information seront évoqués les trois avis rendus publics par le CCNE de janvier 2008 à février 2009. On peut en prendre connaissance in extenso par la lecture des Cahiers du CCNE ou la consultation de son site (www.ccneethique.fr).

AVIS No 103, 6 décembre 2007, Les cahiers du CCNE. No 55, Juin 2008, p. 4-18.

Ethique et surdité de l’enfant : éléments de réflexion à propos de l’information sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds

Il convient tout d’abord de préciser qu’il s’agit de la surdité congénitale bilatérale entraînant des difficultés de communication orale.

La situation est la suivante : il y a en France environ 300 000 déficients auditifs profonds, dont 80 000 maîtrisent la langue des signes, et on évalue l’incidence de la surdité à environ 1 p. 1 000 naissances.

Le souci médical essentiel concerne le risque de négliger un tel diagnostic de déficience auditive grave, et de ce fait d’entraîner un retard préjudiciable à la mise en œuvre de moyens palliatifs, ceux-ci allant jusqu’à l’éventualité d’insertion d’un implant cochléaire ; l’âge moyen du diagnostic est en effet en France actuellement de seize mois, ce qui est tard et regrettable, alors que l’on considère qu’un éventuel implant cochléaire doit être mis en place entre neuf mois et un an pour qu’il ait sa pleine efficacité.

D’où une prise de position de la HAS et de l’Académie nationale de médecine 1 en faveur d’un dépistage le plus précoce possible, c’est-à-dire pendant le séjour à la maternité.

C’est alors qu’est intervenu l’avis 103 du CCNE 2, à la suite d’une saisine émanant de la Fédération Nationale des sourds de France et du Réseau d’actions médicopsychologiques et sociales pour enfants sourds (RAMSES) 3.

Dans cet avis, le CCNE analyse la situation où l’enfant est né de parents normalement entendants et celle où les parents sont eux-mêmes sourds.

Dans la première situation, de beaucoup la plus fréquente, la question se pose de l’opportunité de la réalisation généralisée de ce dépistage pendant le séjour en maternité et de le rendre obligatoire.

 

Or une difficulté surgit : elle résulte de la brièveté du séjour en maternité qui est souvent réduite à un, deux ou trois jours, en particulier dans les grands centres urbains.

1. Handicaps sensoriels de l’enfant. Rapport Henry Hamard., voté le 7 novembre 2006 .L’enfant sourd profond. Communication Alain Morgon. 7 novembre 2006. Bull. Acad. Nat. Méd. 2006.

1653-1662.

2. Avis no 103. 6 décembre 2007. Ethique et surdité de l’enfant : éléments de réflexion à propos de l’information sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds. Rapporteurs : Pierre Le Coz et Claude Kordon. In Les Cahiers du CCNE.no 55.2008.

p. 1-15.

3. Saisine de la Fédération Nationale des sourds de France. 14 février 2007.

 

Inversement, un problème de personnel, de suivi et de matériel disponible se pose pour les maternités de petites dimensions.

 

Dès lors un tel dépistage généralisé systématique risque de comporter des failles susceptibles de conduire à un échec irréversible en raison de l’exploitation qui pourrait en être faite : d’un côté, la mise en exergue de ces failles par des associations hostiles à un dépistage ultra-précoce. De l’autre, on imagine, et on ne peut manquer de redouter, les éventuelles conséquences en termes de recherche de responsabilité, pour absence de détection d’une anomalie, dans l’hypothèse où une telle détection serait devenue réglementairement obligatoire.

 

C’est la raison pour laquelle le Comité consultatif national d’éthique, sans exclure a priori le principe d’un dépistage en maternité, a proposé de prolonger la réflexion sur les possibilités d’un dépistage néonatal précoce qui puisse se dérouler dans des conditions plus favorables. Il a récusé le concept de dépistage systématique imposé par voie d’autorité pour lui préférer le concept plus souple de « repérage orienté » 4. A la différence du dépistage très précoce, un tel dépistage légèrement retardé aurait l’avantage de ne comporter pratiquement aucun risque de fausse positivité. Il comporterait, en revanche, et cela fut bien mis en évidence par de nombreuses enquêtes, l’inconvénient de la disparition d’un nombre important de nouveau-nés (parfois plus de 40 %) échappant ainsi à tout dépistage.

 

La situation est toute différente pour les enfants de parents sourds, car le risque d’un réflexe de nature plus ou moins affectée de communautarisme ne peut être exclu.

L’attitude parentale devra dépendre de la prise en compte de l’intérêt réel de l’enfant, susceptible de bénéficier de l’évolution des techniques. On ne doit cependant pas oublier que lorsque le Comité consultatif national d’éthique a recommandé le bilinguisme, il s’est aussi adressé aux parents sourds d’enfants sourds. L’avis 103 a considéré explicitement comme une « perte de chance » pour l’enfant sourd le fait de ne pas pouvoir bénéficier d’une prothèse ou d’un implant dès lors que la pose de ce palliatif auditif était possible et efficace.

 

Évolution ultérieure de la discussion

A la suite de la publication de l’avis 103 du CCNE, l’Académie nationale de médecine a été à nouveau saisie, en raison de la crainte qu’un tel avis ne compromette l’organisation au plan national de la généralisation de ce dépistage.

Une réunion commune des trois commissions de l’ANM concernées (commission 10-maternité-enfance, commission 13-handicaps, commission 17-éthique et droit) fut alors organisée, le 10 juin 2008 , sous la présidence d’Henry Hamard.

4. Avis du Comité consultatif national d’éthique, page 8, op. cit. « Il doit être considéré comme un repérage préliminaire bénéfique à la qualité d’une guidance parentale par un orthophoniste et d’un soutien psychologique dans les semaines qui suivent la naissance . En cas de suspicion de surdité en période néonatale, l’examen audiophonologique sera répété dans les 48 heures, au bout de 15 jours, et au plus tard 2 ou 3 mois après la naissance, avec dans cette dernière éventualité, un risque de faux positif pratiquement nul ».

 

Lors de cette réunion les deux points de vue furent présentés : d’un coté les résultats remarquablement favorables, d’un certain nombre d’expériences pilotes (André Chays, Sandrine Martin, Dominique Farge-Bancel) concernant le dépistage en maternité, résultats qui furent rapportés par la suite lors des Journées annuelles d’éthique (organisées par le CCNE) le 25 novembre 2008.

En revanche, deux réserves furent exprimées en particulier par les responsables de maternités : d’une part, la difficulté pratique d’organiser dans la totalité des maternités une exploration valable de l’audition néonatale, dans le délai de plus en plus bref du séjour à la maternité, brièveté constatée, comme indiqué plus haut, dans de nombreux établissements des centres urbains importants. D’autre part, la crainte, en cas d’évolution vers un dépistage généralisé et obligatoire, de reproches, au cas où, pour des raisons diverses, un tel dépistage n’aurait pas été réalisé ; la surdité de l’enfant risquerait alors d’être reconnue avec retard, engageant la responsabilité judiciaire des praticiens et des établissements.

Une position consensuelle s’est alors dessinée, sur la suggestion du Pr. Jean Sénécal :

d’une part, un accord général sur l’intérêt de ce dépistage effectué pendant le séjour en maternité, s’il est techniquement réalisable, en fonction de la durée de ce séjour et des moyens disponibles.

Mais au cas où un tel séjour, trop bref, ne permettrait pas la réalisation du test dans de bonnes conditions , il conviendrait d’y recourir lors d’une visite post-natale, pratiquée en ambulatoire, à la Maternité , ainsi d’ailleurs que tout autre test qui aurait pu être omis pendant ce séjour . Un tel délai ne devrait pas dépasser huit jours.

Cette proposition recueillit l’adhésion du groupe de travail et fut finalement votée par l’académie le 1er juillet 2008 après présentation du rapport de François Legent.

Il convient de souligner, à ce sujet, ainsi qu’il fut dit plus haut, que toutes les expériences d’examen retardé de l’audition néonatale ont révélé la perte de vue d’un pourcentage important d’enfants ; mais ces contrôles, relativement tardifs, avaient eu lieu à environ un mois, et non à 8 jours, comme proposé ici. Cette dernière éventualité semble n’avoir jamais été expérimentée ; il serait donc particulièrement opportun qu’elle le soit avant toute décision réglementaire imposant la généralisation du dépistage ; en fonction des résultats de nouvelles enquêtes actuellement en cours ou en préparation, le dépistage pourrait alors être organisé au plan national, rencontrerait l’adhésion de l’ensemble des praticiens et, ce qui est plus important encore, des parents, sollicités sur une base volontariste, et dont les enfants à venir auraient tout lieu de se féliciter d’une telle évolution des esprits.

AVIS No 104, Le « dossier médical personnel » et l’informatisation des données de santé. 29 mai 2008. Les Cahiers du CCNE, No 56., Juillet 2008, p. 2-10.

S’il est un avis dont la survenue était vraiment opportune, c’était bien le cas de cet avis no 104. Il résultait d’une saisine de Madame Bachelot, Ministre de la Santé, en date du 19 mars 2008 et relative à un problème irritant qui n’avait que trop duré, celui de l’informatisation des données de santé, de leur propriété, de la responsabilité de leurs détenteurs et de l’usage qu’ils peuvent être amenés à en faire.

Il s’agit là d’un véritable « serpent de mer » ou d’un « Phénix » disparaissant ou renaissant de ses cendres au gré des évolutions techniques et politiques. Osera-t-on rappeler que dans les années 70, déjà, avait été créé au Ministère de la santé, un organisme dont le titre révélait bien l’objectif : le « Comité Consultatif de l’informatique médicale ». Il n’avait abouti à rien de précis, sauf dans un seul domaine, parfaitement défini, celui de la périnatalité ; dans ce domaine en effet le champ de recueil des données était évidemment limité par la durée de la gestation et de la période néonatale, ce qui en facilitait la gestion et l’analyse ; il n’est pas inintéressant de souligner l’enthousiasme avec lequel les professionnels s’engagèrent dans cette aventure, dans le cadre d’un organisme créé spécifiquement, l’AUDIPOG (Association des utilisateurs d’un dossier informatisé en périnatologie, obstétrique et gynécologie), association toujours active, entreprenante et efficace dans ce domaine.

Il n’en fut pas de même dans les autres secteurs de l’activité médicale pour les raisons inverses, parfaitement explicitées dans l’avis 104, liées à l’abondance des données, leur extension indéfinie et la difficulté de leur accès ; mais par-dessus tout le problème essentiel fut la difficulté du choix entre l’installation d’un système mis au service des professionnels, dans l’intérêt des patients et celle d’un système mis au service des patients et favorisant la coordination des soins ; certes dans les deux cas, l’objectif était d’améliorer la coordination, la qualité et la continuité de ceux-ci, mais il comportait une difficulté majeure, parfaitement mise en évidence dans cet avis, celle du respect de la confidentialité. En fait, le problème profond, soulevé par toutes ces tentatives est et demeure celui de la propriété des données, par voie de conséquence du respect de l’autonomie du patient, mais aussi d’une exigence de solidarité.

Ces exigences, volontiers contradictoires, se traduisirent dans les terminologies successivement utilisées : Dossier Médical partagé, Dossier Médical personnalisé, et aujourd’hui Dossier Médical Personnel.

Si bien que la réflexion du CCNE a conduit aux propositions suivantes :

— Aucune proposition actuelle de généralisation, tant pour des raisons techniques, que psychologiques ou économiques — Application exclusivement sur une base volontariste, supposant la compréhension de l’intérêt individuel d’une telle organisation et reconnaissant la légitimité d’un éventuel masquage de données très confidentielles, masquage dont l’incidence serait d’ailleurs faible en raison précisément du caractère volontariste de l’adhésion — Recours préférentiel à cette utilisation pour les affections au long cours, requé- rant l’implication d’intervenants multiples — Limitation stricte de l’accès à ces données — Absence de sanction de quelque nature qu’elle soit en cas de refus de s’intégrer dans une telle organisation — Installation progressive dans des régions pilotes, ayant déjà quelque expérience de ce recueil — Évaluation de ces expériences locales avant toute extension nationale, qui, en tout état de cause, devra demeurer volontaire.

Cet avis a été généralement reconnu comme à la fois lucide, prudent, humain et potentiellement efficace. Reste maintenant à observer sa mise en application.

AVIS no 105, 9 octobre 2008, « Questionnement pour les Etats généraux de la bioéthique ». Les Cahiers du CCNE no 57, Octobre-décembre 2008, p. 4-12.

 

La préoccupation éthique est remarquablement présente et traduite dans cet avis no 105 du Comité Consultatif National d’éthique. Il a été diffusé le 9 octobre 2008 sous la responsabilité de Frédérique Dreifuss-Netter et d’Alain Cordier.

Ce document essentiel doit être lu avec attention : il ne définit en aucun cas une orientation bioéthique normative de la recherche ni de ses applications cliniques. Il analyse l’évolution législative et réglementaire depuis les deux premières lois, de 1994 et 2004 ; il reconnaît la légitimité, aujourd’hui indiscutable, de l’existence de telles lois, mais aussi la difficulté d’aboutir à un consensus généralisé sur l’ensemble des pratiques disponibles ; il lui apparaît préférable, en revanche, de définir ce qui est réellement inacceptable ; il se réfère aux principes éthiques généraux, de dignité, de non patrimonialité, d’anonymat ; il se penche sur leur évolutivité et les discussions auxquelles une telle évolutivité peut conduire, y compris en termes de rythme d’adaptation et de hiérarchisation des valeurs ; parmi celles-ci, une place importante doit être accordée à l’intérêt de l’enfant, comme à celui des générations futures ; il n’évite pas l’amorce d’une réflexion sur le statut de l’embryon, ni sur celui de l’accès aux origines ; il insiste enfin sur l’absolue nécessité d’une information adéquate du public, qui sera convié aux « Etats généraux de la bioéthique » ; une réflexion approfondie sur les problèmes de solidarité, de responsabilité collective, sur celui, majeur, des limites de l’autonomie, comme sur la mise en application du principe de précaution sera plus que jamais nécessaire dans les mois à venir.

L’année 2009 sera riche en discussions et confrontations ; on les souhaite sereines et dépassionnées.

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 2, 473-479, séance du 17 février 2009