Communication scientifique
Séance du 17 mars 2009

La « squalénisation » : un exemple de conception de nanomédicaments anticancéreux et antiviraux

MOTS-CLÉS : antinéoplasiques. antiviraux. gemcitabine. nanomédecine. nanoparticules. nucléoside. squalène. transmission des maladies
‘‘ Squalenoylation ’’ : a new approach to the design of anticancer and antiviral nanomedicines
KEY-WORDS : antineoplastic agents. antiviral agents. disease transmission. gemcitabine. nanomedicine. nanoparticles. nucleosides. squalene

Patrick Couvreur

Résumé

L’article décrit le concept de « squalénisation » qui consiste à coupler des analogues nucléosidiques au squalène et qui aboutit systématiquement à la formation de nanoparticules (de 60 nm à 300 nm) en milieu aqueux. Ces nanomédicaments (gemcitabine-squalène) ont donné lieu à des résultats spectaculaires sur des tumeurs expérimentales in vitro et in vivo (leucémies, cancers du sein, cancers du nasopharynx etc.) ; ils sont aussi beaucoup plus efficaces que les thérapeutiques existantes (gemcitabine) sur des tumeurs résistantes. La « squalénisation » (ddI-squalène et ddC-squalène) permet également d’avoir une meilleure activité antivirale sur lymphocytes infectés par VIH, y compris sur les souches résistantes. La « squalénisation » peut donc être considérée comme une approche totalement nouvelle pour la conception de nouveaux médicaments anticancéreux et antiviraux. Le marché visé est celui du traitement du cancer et des infections virales (HIV, hépatites…).

Summary

Some nucleoside analogs display significant activity against malignancies (gemcitabine, cytarabine) or viruses (ddI, ddC, AZT) by interfering with DNA synthesis. However, their use is limited by their relatively poor intracellular diffusion, rapid metabolism and induction of resistance. We have discovered that linking nucleoside analogs to squalene produces amphiphilic molecules that self-organize in water as nanoassemblies of 100-300 nm, irrespective of the nucleoside analog used. Gemcitabine nanoassemblies exhibited far greater activity than free gemcitabine against both subcutaneously grafted solid tumors (L1210 and P388) and aggressive metastatic leukemia (leukemia L1210 wt, P388 and RNK-16 LGL). Likewise, squalenated ddI and ddC nanoassemblies were more efficient than free ddI and ddC against HIV-infected lymphocytes. It is of prime importance to unravel the supramolecular organization of these nanoassemblies. For example, it has been shown that squalenated gemcitabine nanoassemblies form inverted hexagonal phases.

ORIGINE DU CONCEPT

L’adressage de molécules thérapeutiques vers l’organe, le tissu ou la cellule malade constitue aujourd’hui un défi majeur pour le traitement des maladies humaines notamment infectieuses, cancéreuses ou d’origine génétique. Dès le début du vingtième siècle, le savant Paul Ehrlich rêvait déjà de « magic bullet » susceptible d’acheminer un médicament de manière spécifique vers son site d’action. Le rêve de Paul Ehrlich est aujourd’hui proche de la réalité grâce au développement des nanotechnologies qui ont permis de proposer le concept de vectorisation des médicaments (« Nanomédicaments »). De nombreux principes actifs présentent, en effet, des caractéristiques physico-chimiques (hydrophilie, poids moléculaires, etc.) peu favorables au passage des barrières biologiques qui séparent le site d’administration du médicament de son site d’action. D’autres molécules actives se heurtent aussi à des barrières enzymatiques entraînant leur dégradation et métabolisation rapides. L’obtention de concentrations thérapeutiques efficaces au niveau du site d’action ne peut donc se faire qu’au détriment d’une importante déperdition vers d’autres tissus ou cellules, ce qui occasionne des effets toxiques parfois importants.

C’est pour toutes ces raisons que le développement de nanomédicaments a pris un essor considérable au cours de la dernière décennie. S’appuyant sur de nouveaux concepts physico-chimiques et sur le développement de nouveaux matériaux (synthèse de nouveaux polymères, ou assemblages supramoléculaires de lipides), la recherche galénique a permis d’imaginer des systèmes sub-microniques d’administration capables : — de protéger la molécule active de la dégradation et — d’en contrôler la libération dans le temps et dans l’espace. Cependant, si ces nanovecteurs ont permis d’acheminer des molécules biologiquement actives d’une manière plus ciblée dans l’organisme, ils se heurtent tous à une capacité d’encapsulation limitée.

Dans le meilleur des cas, un rapport de 0,1 est obtenu entre le poids du principe actif et celui du nanovecteur. Ce faible pouvoir de charge aboutit soit à une faible activité pharmacologique (car la dose administrée est insuffisante) soit à l’apparition d’effets toxiques en raison des doses trop importantes de matériel vecteur (polymè- res, lipides, etc.) à administrer. C’est dans ce contexte que nous avons proposé le concept de « squalénisation ».

Fig. 1. — le squalène (violet) doit adopter une configuration moléculaire compacte pour entrer dans la poche hydrophobe de l’oxydosqualènecyclase

Le squalène est une molécule acyclique d’origine naturelle qui a la propriété unique de se cycliser en lanostérol (lui-même précurseur du cholestérol) en adoptant spontanément en milieu aqueux une conformation moléculaire enroulée et très compacte. La flexibilité moléculaire et le caractère ramassé du squalène lui permettent, en effet, d’avoir différentes conformations autorisant son accès à la poche hydrophobe de l’enzyme (l’oxydosqualènecyclase) dans laquelle la réaction de cyclisation a lieu (figure 1). Il est remarquable de noter que cette réaction se fait sans l’aide de coenzymes et sans apport d’énergie (ATP). Par ailleurs, le squalène est présent en grande quantité dans le monde végétal [1] et animal [2] et il est également distribué de manière ubiquitaire dans les tissus humains, en particulier dans la peau. C’est donc une molécule que l’on peut considérer comme dénuée de toxicité dans le cadre de son utilisation en cancérologie/virologie traitée dans le présent article.

Nous avons eu l’idée de tirer profit de la conformation moléculaire compacte du squalène pour obtenir des sytèmes nanoparticulaires en couplant cette molécule à des analogues nucléosidiques à activité anticancéreuse ou antivirale [3]. Les Nanomédicaments squalénés ainsi obtenus se sont révélés beaucoup plus efficaces que les molécules mères. En effet, ces nanosystèmes : — peuvent être administrés par voie intraveineuse ou orale — favorisent la pénétration intracellulaire des analogues nucléosidiques, — facilitent leur passage transmembranaire et — les protégent de la dégradation/métabolisation. Il est important de noter, comme il sera montré ci-dessous, que la vectorisation de l’analogue nucléosidique conjugué peut être obtenue soit par la fonctionnalisation de ces nanosystèmes (par exemple par du polyéthylèneglycol pour favoriser l’extravasation sélective à travers l’endothélium vasculaire tumoral), soit par le choix d’une stratégie de couplage (liaison labile entre

Fig. 2. — Le couplage covalent de l’acide 1,1′,2-trisnorsqualénique soit avec l’amine libre au niveau de l’hétérocycle du nucléoside (cas de la gemcitabine et du ddC), soit avec l’hydroxyle du sucre en 5′ (cas du ddI) conduit respectivement au 4-(N)-trisnorsqualenoylgemcitabine (1), au 5′ trisnorsqualenoyl-ddC (2) et au 4-(N)-trisnorsqualenoyl-ddI (3).Ces molécules squalénées s’autoassemblent spontanément en milieu aqueux sous forme de nanoparticules (cliché de droite, microscopie électronique à transmission après cryofracture).D’après Couvreur et al [4] le squalène et l’analogue nucléosidique) qui permette la libération sélective de l’analogue nucléosidique au niveau tumoral (par exemple, le choix d’une liaison amide permet l’activation de la prodrogue dans des cellules à fort contenu en cathepsine).

DESCRIPTION DE LA TECHNOLOGIE DE ‘‘ SQUALÉNISATION ’’

Appliquée à des composés anticancéreux ou antiviraux de nature nucléosidique, la squalénisation commence par l’oxydation du squalène aldéhyde en acide 1,1′, 2-trisnorsqualenic qui est ensuite activé avec l’éthylchloroformate avant couplage au groupement aminé localisé sur l’hétérocycle de l’analogue nucléosidique (cas de la gemcitabine ou difluorodeoxycycitidine, notée ci-après gem et de la Zalcitabine ou 2′,3′-dideoxycytidine, notée ci-après ddC) (figure 2). Le couplage peut aussi s’effectuer au niveau du sucre sur la fonction hydroxyle en 5′ (cas de la Didanosine ou 2′,3′-dideoxyinosine, noté ci après ddI). De manière similaire, le squalène a aussi été couplé à l’AZT, à la cytarabine, à l’adénosine, à l’acyclovir et à la thymidine. De manière remarquable, tous ces dérivés s’auto-organisent spontanément en milieu aqueux sous la forme de nanoparticules de 100 à 300 nm comme le montre l’observation en microscopie électronique à transmission après cryofracture (figure 2, droite). Celles-ci se forment donc indépendamment de la nature de l’analogue nucléosidique et de l’endroit du couplage avec le squalène (en 5′ sur le sucre ou au niveau de l’hétérocycle du nucléoside) (figure2) [4]. Le calcul du rapport des poids moléculaires de l’analogue nucléosidique (ie. médicament) et du squalène (ie. transporteur) abouti à une valeur de l’ordre de l’unité ; cela signifie que le poids du vecteur et de la molécule transportée sont à peu près équivalents. Le pouvoir de charge des vecteurs squalénés est donc à peu près dix fois supérieur à celui des vecteurs classiques (liposomes ou nanoparticules).

Lorsque les dérivés nucléosidiques squalénés sont nanoprécipités en milieu aqueux avec du squalène polyoxyéthyléné (squal-PEG) ou du cholestérol polyoxyéthyléné (Chol-PEG), la taille des nanoparticules diminue pour atteindre des diamètres inférieurs à 100 nm, généralement compris entre 50 nm et 80 nm. Dans ce cas, les nanoparticules sont « PEGylés », c’est-à-dire stabilisées par une couche de polyé- thylèneglycol. Il est donc théoriquement possible de fonctionnaliser ces nanoparticules avec des ligands (acide folique, peptides, anticorps etc.) capables de reconnaître les récepteurs correspondants au niveau de cellules tumorales.

Dans le but de mieux comprendre le surprenant mécanisme de l’autoassemblage supramoléculaire de ces médicaments nucléosidiques couplés au squalène, les nanoparticules de 4-(N)-trisnorsqualenoylgemcitabine (SQgem) ont été vitrifiées et observées en cryomicroscopie (cryoTEM) afin d’en déterminer la morphologie (Figure 3) [5]. En fonction de l’orientation, ces nanoparticules présentent une forme hexagonale multifacettée avec une taille (en nombre) variant de 27 à 125 nanomètres pour une valeur moyenne d’environ 67 nm (figure 3), ce qui est cohérent avec les observations réalisées en diffusion quasi-élastique de la lumière qui donnaient une taille moyenne d’une centaine de nanomètres en volume. Chaque particule est entourée d’une coque externe d’une épaisseur d’environ 3,3 nm et est constituée d’une structure interne formée de plans réticulés (ou colonnes). Quand les particules sont orientées dans la bonne direction, elles présentent une symétrie d’ordre 12 avec une distance d’environ 5,2 nm entre les différents plans. Une étude en diffraction RX a clairement montré que les molécules de SQgem formaient, dans l’eau, des structures supramoléculaires organisées correspondant à des phases hexagonales inverses, représentées par des colonnes à cœur hydrophile, la partie gemcitabine (hydrophile) étant orientée vers le centre de la colonne et la partie squalène (hydrophobe) vers l’extérieur. La distance entre deux colonnes est évaluée par diffraction des rayons X à 8,77 nm soit moins du double de la distance mesurée par cryoTEM.

Fig. 3. — Étude structurale des nanoparticules de SQgem par cryomicroscopie, diffraction rayons X et modélisation moléculaire. Les nanoparticules de SQgem s’auto-organisent en phase hexagonale inverse [4] Cependant, ces valeurs ne sont pas contradictoires puisque l’étude de diffraction RX a été réalisée à température ambiante, tandis que les observations en cryoTEM sont faites à —70° C. Une étude de modélisation moléculaire a confirmé les caracté- ristiques structurales détaillées ci-dessus. Ces structures formées par le squalène sont totalement nouvelles ; elles n’ont jamais été observées antérieurement et expliquent pourquoi les molécules dérivées de ce lipide possèdent la propriété remarquable et unique de s’auto-assembler sous forme de nanoparticules en milieu aqueux.

Très curieusement, nous avons observé que le couplage du ddC (chimiquement très proche de la gemcitabine, cette molécule n’a pas les deux atomes de fluor de la gemcitabine) au squalène forme des nanoparticules de même taille que SQgem mais que l’organisation supramoléculaire est très différente : des phases cubiques sont obtenues à la place des phases hexagonales inverses décrites avec SQgem [12].

 

APPLICATION DU CONCEPT DE

SQUALÉNISATION À LA GEMCITA-

BINE, NUCLÉOSIDE À ACTIVITÉ ANTICANCÉREUSE (SQUALÈNEGEMCITABINE SQGem)

Le concept de squalénisation a d’abord été appliqué à la gemcitabine, ou Gemzar® utilisée en clinique, dans le traitement des tumeurs solides (cancer bronchique non à petites cellules, localement avancé ou métastatique, cancer du pancréas, cancer de la vessie, cancer du sein). Cependant, la gemcitabine est rapidement métabolisée par action de la déoxycytidine déaminase, localisée principalement dans le sang, le foie et le rein, en son dérivé uracile qui s’avère totalement inactif [6]. La gemcitabine, administrée par voie intraveineuse, possède donc une activité anticancéreuse non optimale [7]. D’autre part, en dépit d’une lipophilie légèrement accrue par la présence de deux atomes de fluor, cette molécule conserve un caractère encore très hydrophile, ce qui limite sa diffusion à travers la membrane plasmique. C’est la raison pour laquelle, Eli Lilly qui commercialise le GemzarR a synthétisé des dérivés lipophiles de la gemcitabine. Ceux-ci se composaient d’une chaîne acyclique en C6, C12, C16 et C18 couplée de manière covalente au radical amino en position 4 de la molécule de gemcitabine. Cependant, ces dérivés lipophiles insolubles dans l’eau forment des agrégats ; ils ne peuvent donc pas être administrés à l’homme par voie intraveineuse. Comme expliqué ci-dessus, le couplage de la gemcitabine à l’acide squalénique a permis de conférer au dérivé correspondant la propriété tout à fait exceptionnelle de former spontanément, en milieu aqueux, des nanoparticules de taille homogène (130 nm), ce qui permet d’envisager l’administration du dérivé par voie intraveineuse.

Les essais précliniques ont donc comparé les nanoparticules de squalénoylgemcitabine (SQgem) à la solution de gemcitabine (gem) libre.

In vitro, ces essais ont montré que : — Contrairement à la gem, les nanoparticules de

SQgem sont stables en présence de plasma (absence de métabolisation de SQgem) et elles libèrent la gemcitabine suite à l’action des enzymes intracellulaires (Cathepsines B et D). Les cathepsines B et D étant surexprimées dans de nombreuses cellules cancéreuses, l’activation de la prodrogue se fera donc préférentiellement dans ces cellules (effet de ciblage) [4], — Les nanoparticules de SQgem ont une IC50 cinq à huit fois plus faible que la gem sur culture de cellules cancéreuses humaine (lignées MCF-7 et KB 3-1) [4], — Les nanoparticules de SQgem réversent la résistance des cellules cancéreuses à la gem (réduction d’un facteur 32 avec les cellules L1210 10K et d’un facteur 3 avec les cellules ARAC/8C) [8] (Figure 4).

Les essais in vivo ont montré que : — Après administration intraveineuse (IV), les nanoparticules de SQgem induisent des concentrations plasmatiques très supérieures à celles de la gem (AUCgem/AUCSQgem= 0,12) et l’apparition du métabolite inactif (difluorouracile) est très ralentie [9], — Les nanoparticules de SQgem sont, après administration intraveineuse, beaucoup plus actives que la gem sur le modèle de leucémie murine P388 greffée par voie IV (tumeur liquide métastatique) ou par

Fig. 4. — IC des nanoparticules de 4-(N)-trisnorsqualenoylgemcitabine (SQgem) et de la gemci50 tabine(Gem) sur la lignée cellulaire sensible L1210 et résistante L1210 10K. L’IC exprime la 50 concentration nécessaire pour inhiber 50 % de la croissance cellulaire.

voie sous-cutanée (tumeur solide) ; à dose équivalente, seules les souris traitées par SQgem donnent des survivants à long term [9,10]. — Les nanoparticules de SQgem sont, après administration intraveineuse, beaucoup plus actives que la gem sur le modèle de leucémie murine L1210 greffée par voie iv (à doses équivalentes et à dose équitoxique, seules les souris traitées par SQgem donnent des survivants à long terme) [10] (Figure 5). — Les nanoparticules de SQgem sont, après administration intraveineuse, beaucoup plus actives que la gem sur le modèle de leucémie murine L1210 greffée par voie sous-cutanée (seules les souris traitées par SQgem sont capables d’inhiber la croissance tumorale) (Figure 6) [10]. — Les nanoparticules de SQgem sont, après administration orale, beaucoup plus actives que la gem sur un modèle de leucémie chez le rat P388 RNK-16 LGL (à dose équivalente, seuls les rats traités par SQgem donnent des survivants à long terme) [4]. — Les essais toxicologiques préliminaires ont permis de définir la dose maximale tolérée (MTD).

A cette dose aucune toxicité majeure n’a été observée [10]. Aux doses supérieures, le profil toxicologique (toxicité hématopoiétique) est comparable à celui de la gemcitabine.

Fig. 5. — Survie des souris leucémiques L1210 ( modèle intraveineux ) traitées par les nanoparticules de SQgem 4 × 20 mg/Kg (courbe verte), par gem 4 × 100mg/Kg (courbe bordeaux), par des nanoparticules de squalène pur 4 × 100mg/Kg (courbe brune), par la cytarabine 4 × 100mg/Kg (courbe bleue). Les contrôles sont des animaux non traités (courbe orange). Seules les souris traitées par SQgem permettent l’obtention de survivants à long terme (75 % d’animaux guéris), [10].

Fig. 6. — Souris leucémiques L1210 (modèle sous-cutané) traitées par les nanoparticules de SQgem 4 × 20 mg/Kg (courbe rouge), par gem 4 × 100mg/Kg (courbe violette). Les contrôles sont des animaux non traités (courbe bleue). Le traitement par les nanoparticules de SQgem aboutit à la disparition de la tumeur après 10 jours (photo droite) tandis que la traitement par gem (photo centre) n’a pas d’effet antitumoral comparativement aux animaux non traités (photo gauche), [10]

APPLICATION DU CONCEPT DE SQUALÉNISATION AUX NUCLÉOSIDES À ACTIVITÉ ANTIVIRALE (DDC-SQUALÈNE, DDI-SQUALÈNE)

Le concept de squalénisation a été appliqué à d’autres analogues nucléosidiques à activité antivirale, comme le ddC et le ddI. Comme il a été dit plus haut, quelque soit le mode de liaison au squalène (sur le sucre ou l’hétérocycle, voir figure 2), toutes ces molécules s’autoorganisent dans l’eau sous forme de nanoparticules de 100-200 nm.

Le 5′ trisnorsqualenoyl-ddI (composé (3), Figure 2) et le 4-(N)-trisnorsqualenoylddC (composé (2) Figure 2) ont été testés in vitro pour leur activité anti-HIV sur des lymphocytes infectés, issus de trois différents donneurs. Les deux dérivés squalénés se sont avérés deux à trois fois plus actifs que les molécules mères correspondantes en ce qui concerne leur capacité à inhiber la multiplication virale (ED 50 %).

L’activité antivirale des nanoparticules de 5′ trisnorsqualenoyl-ddI (SQddI) et de 4-(N)-trisnorsqualenoyl-ddC (SQddC) a ensuite été testée sur lymphocytes infectés par les souches virales résistantes VIH-1-144 et VIH-1-146. L’activité antivirale des dérivés squalénés est très supérieure à celle du ddI et du ddC sur ces souches résistantes ; par exemple les nanoparticules de SQddI sont dix fois plus actives que le ddI sur la souche VIH-1-146.

CONCLUSION

Situé à l’interface de la Physico-chimie et de la Biologie, le concept de squalénisation propose donc une plateforme nanotechnologique extrêmement originale pour la conception de nouveaux nanomédicaments à activité anticancéreuse et antivirale.

S’inscrivant dans une démarche totalement novatrice (par rapport au criblage haut débit généralement utilisé dans l’industrie pharmaceutique) cette découverte est susceptible de répondre à des besoins sociétaux majeurs en ouvrant de nouvelles perspectives pour le traitement de cancers et d’infections virales résistants aux traitements classiques.

REMERCIEMENTS

Ce travail a été financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), projet Syliannu.

Outre l’équipe de P. Couvreur (Laboratoire de Physico-chimie, Pharmacotechnie et Biopharmacie, UMR CNRS 8612, Chatenay-Malabry, Université Paris-Sud), ont collaboré à ce travail, les équipes de : — D. Desmael et S. Lepetre (Biomolécule, conception, isolement et synthèse, UMR CNRS 8076, Chatenay-Malabry, Université Paris-Sud), — G. Vassal et A. Paci (Laboratoire de pharmacologie et nouveaux traitements du cancer, EA 3535, IGR, Villejuif), — P. Clayette et V. Bosquet (Laboratoire de Neurovirologie, SPI-BIO), — L. Cattel et B. Stella (Facoltà di Farmacia, Université de Turin, Italie), — S. Mangenot (Lab. de Physique des Solides, Orsay, Université Paris-Sud).

 

BIBLIOGRAPHIE [1] Ourisson, G. — Pecularities of sterol biosynthesis in plants.

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[2] Blondin G.A. et al. The biosynthesis of squalene and sterols in fish. Comparative Biochem and

Physiol. 1966, 17, 391-407.

[3] Couvreur P., Stella B., Rocco F., Rosilio V., Renoir J.M., Cattel L. — Nanoparticules de dérivés de la gemcitabine. Brevet PCT/FR2005/050488.

[4] Couvreur P, Stella B, Harivardhan Reddy L, Hillaireau H, Dubernet C, Desmaële D, Lepêtre-Mouelhi S, Rocco F, Dereuddre-Bosquet N, Clayette P, Rosilio V, Marsaud V, Renoir M, Cattel L., Squalenoyl nanomedicines as potential therapeutics Nano Letters . 2006, 6, 2544-2548.

[5] Couvreur P, Harivardhan Reddy L., Mangenot S, Poupaert JH., Desmaële D, LepêtreMouelhi S, Pili B, Bourgaux C, Amenitsch H., Ollivon M. — Discovery of new hexagonal supramolecular nanostructures formed by squalenoylation of an anticancer nucleoside analogue. Small . 2008, 4, 247-253.

[6] Plunkett W., Huang P. & Ghandi V. — Preclinical characteristics of gemcitabine.

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J. Clin. Oncol. 1991, 9, 491-498.

[8] Harivardhan Reddy L, Dubernet C, Lepetre Mouelhi S., Desmaele D., Couvreur P. — A new nanomedicine of gemcitabine displays enhanced anticancer activity in sensitive and resistant leukemia types, J Control Rel. 2007, 124, 20-27.

[9] Harivardhan Reddy L., Khoury H, Paci A, Deroussent A, Ferreira H, Dubernet C, Declèves X, Besnard M, Chacun H, Lepêtre-Mouelhi S, Desmaële D, Rousseau B, Laugier C, Cintrat J-C, Vassal G, Couvreur P. — Squalenoylation favourably modifies the in vivo pharmacokinetics and biodistribution of gemcitabine, Drug Disposit. Metab . 2008, 36, 1570-1577.

[10] Harivardhan Reddy L., Marque P-E, Dubernet C, Lepêtre Mouelhi S., Desmaële D., Couvreur P. — Preclinical toxicology (sub-acute and acute) and efficacy of a new squalenoyl gemcitabine anticancer nanomedicine. J Pharm Exp Therapeut.. 2008, 325, 484-490.

[11] Harivardhan Reddy L., Ferreira H., Dubernet C, Lepêtre-Mouelhi S, Desmaële D, Rousseau B., Couvreur P. — Oral absorption and tissue distribution of a new squalenoyl anticancer nanomedicine. Journal of Nanoparticle Research. 2008, 10, 887-891.

[12] Bekkara-Aounallah F., Gref R., Othman M., Harivardhan Reddy L., Pili B., Allain V., Bourgaux C., Hillaireau H., Lepêtre-Mouelhi S., Desmaële D., Nicolas J., Chafi N., Couvreur P . — Novel PEGylated nanoassemblies made of self-assembled squalenoyl nucleoside analogues. Adv. Funct. Mater. 2008. Sous presse.

 

DISCUSSION

M. Jean-Paul TILLEMENT

Sous quelles formes se trouvent le squalène et ses dérivés dans le plasma ? Les retrouve-t-on dans les lipoprotéines, peut-on stabiliser les LDL par cette méthode ?

 

En effet, nous avons injecté des nanoparticules de gemcitabine-squalène à des rats et avons isolé les LDL, VLDL et HDL. Nous avons constaté qu’une fraction importante de la radioactivité injectée se retrouvait dans les LDL et les VLDL et dans une moindre mesure dans les HDL. Ce résultat est intéressant car les cellules cancéreuses sont équipées de récepteurs aux LDL. Ce résultat n’est, cependant, pas étonnant car plusieurs publications ont fait état de l’association du squalène aux lipoprotéines après administration orale.

M. Pierre DELAVEAU

Comment expliquer l’accumulation de squalène chez les requins des abysses ? Le squalène a été utilisé comme adjuvant d’immunité. Y a-t-il ici un rapport avec cette application ?

Le squalène est un lipide qui a été très étudié par le chimiste strasbourgeois Guy Ourisson qui en a fait un marqueur de l’évolution. En effet, le squalène est très présent dans le monde végétal et chez les poissons (dont le requin, d’où le nom de « squalène » donné à ce lipide). Chez les mammifères supérieurs, ce lipide est cyclisé en lanostérol puis en cholestérol. Par ailleurs, il est tout à fait vrai que ce lipide naturel est utilisé avec succès comme adjuvant de l’immunité car il est capable d’induire une immunité humorale et est dénué de toxicité, contrairement à l’adjuvant de Freund.

M. Claude-Henri CHOUARD

Quand verrons-nous arriver les applications cliniques de vos observations sur l’animal, concernant les leucémies, les tumeurs solides et le sida ?

Concernant les nanoparticules de gemcitabine-squalène, les essais d’efficacité pré- cliniques sont très avancés. Il nous reste à trouver le financement nécessaire pour faire une étude classique de toxicité pré-clinique sur deux espèces animales. Il faudra aussi faire l’étude de transposition d’échelle pour la préparation d’un lot clinique. Ensuite, le passage à la clinique pourra se faire très vite (phase I) chez des patients atteints de cancers qui ne répondent plus aux traitements classiques, comme le cancer du pancréas.

Mme Monique ADOLPHE

Je crois savoir que le procédé de squalénisation pourrait intervenir dans la thérapie génique… Pouvez-vous nous en parler ?

Nous travaillons, en effet, sur la possibilité de coupler le squalène à des siRNA. En particulier avec l’équipe de C. Malvy et L. Massade à l’Institut Gustave Roussy, nous avons couplé le squalène à un siRNA orienté vers l’oncogéne de jonction EWS-Fli qui est présent dans le sarcome d’Ewing. Coupler un ADN entier au squalène est plus compliqué car la partie hydrophile du bioconjugué (ADN) est prédominante en termes de poids moléculaire et, le bioconjugué ADN-squalène devient soluble dans l’eau et ne forme donc pas de nanoparticules.

 

<p>* Physico-chimie, pharmacotechnie et biopharmacie, Université Paris Sud, 5, rue Jean-Baptiste Clément — 92296 Chatenay-Malabry Tirés-à-part : Professeur Patrick Couvreur, même adresse Article reçu le 2 septembre 2008, accepté le 5 novembre 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 3, 663-674, séance du 17 mars 2009