Communication scientifique
Séance du 10 novembre 2009

La réduction du recours à l’animal de laboratoire

MOTS-CLÉS : animaux de laboratoire. expérimentation animale/législation, principe des « 3rs »
Reducing the use of laboratory animals
KEY-WORDS : animal experimentation/ legislation and jurisprudence. animals, laboratory

Nancy Claude

Résumé

La réduction du recours à l’animal de laboratoire est une des préoccupations essentielles de la communauté scientifique depuis la définition de la règle des « 3 Rs » (Réduction, Raffinement, Remplacement) dans les années 60. Ce principe, intégré dans l’encadrement législatif actuel, ainsi que les progrès scientifiques, techniques et bioinformatiques, ont mis à la disposition des chercheurs de nouveaux outils qui, sans remplacer l’animal de laboratoire dans l’état actuel de nos connaissances, permettent de diminuer substantiellement le nombre d’animaux utilisés. Au plan réglementaire, l’implantation d’ICH (International Conference on Harmonisation) en 1990 a été une étape clef dans le domaine du médicament, évitant la duplication de nombreuses études utilisant des animaux de laboratoire. Il en est de même pour les cosmétiques avec la directive 76/768/CEE visant à l’interdiction de l’expérimentation animale en cosmétologie. En parallèle à ces réglementations, de nombreux modèles in silico et in vitro ont été développés. Même si ceux-ci ne sont pas toujours validés, ils sont très utilisés dans les stades précoces de développement, évitant ainsi toute expérimentation sur des produits sans avenir pour des raisons d’efficacité et/ou de sécurité. La preuve de l’efficacité de ces initiatives est le résultat d’une enquête menée au sein de l’Union européenne qui a montré qu’entre 1996 et 2005, le nombre d’animaux utilisé en recherche et développement a diminué en dépit de l’augmentation importante de la recherche. Le défi des années à venir est d’accélérer cette tendance.

Summary

Since 1959, when Russel and Burch formulated the 3Rs principle (Reduce, Replace, Refine), the scientific community has been attempting to reduce the use of laboratory animals for research purposes. Current regulatory guidelines take this principle into account. Thanks to scientific and technical progress, and advances in bioinformatics, new tools are now available that reduce the need for laboratory animals, albeit without totally replacing them. Implementation of the International Conference on Harmonization recommendations in 1990 represented a major step forward, notably by helping to avoid duplication of studies using laboratory animals. The use of animals for cosmetics testing is now forbidden in the European Union. Although new in vitro and in silico models remain to be validated, they are proving particularly useful during the early stages of product development, by avoiding experimental studies of chemicals that are ineffective or excessively toxic. The success of these measures is reflected in the results of a European study showing a fall, between 1996 and 2005, in the number of laboratory animals used for research and development, despite a large increase in overall research activities. The challenge for the next decade is to amplify this trend.

INTRODUCTION

La réduction du recours à l’animal de laboratoire est une des préoccupations essentielles de la communauté scientifique depuis la définition de la règle des « 3Rs » (Reduce, Refine, Replace) énoncée par Russel et Burch en 1959 [1]. Cette préoccupation est devenue de plus en plus importante au cours de ces vingt dernières années.

Le principe des « 3Rs », intégré dans l’encadrement législatif actuel, ainsi que les progrès scientifiques, techniques et bioinformatiques, ont mis à la disposition des chercheurs de nouveaux outils qui, sans remplacer les animaux de laboratoire dans l’état actuel de nos connaissances, permettent de diminuer substantiellement leur utilisation.

Une enquête menée au sein de l’Union européenne [2] a montré qu’en dépit de l’augmentation importante de l’activité de recherche entre 1996 et 2005, le nombre d’animaux utilisé à des fins de recherche et de développement diminuait légèrement.

Il est à noter qu’en Europe, 77,5 % de ces animaux sont des rongeurs et que ce chiffre s’élève à 91,5 % en France. En 2005 en Europe, 12,1 millions d’animaux ont été utilisés, ce qui représente, en regard d’une population de 460 millions d’habitants, 0,025 animal par habitant. Dans le même temps, la recherche biomédicale permet de prolonger la durée de vie de chacun d’un trimestre par an, ainsi que d’en améliorer la qualité.

Cette réduction de l’utilisation de l’animal de laboratoire, indissociable du souci éthique de tout chercheur, a été accélérée ces dernières années par les progrès réglementaires, stratégiques, scientifiques et techniques.

Les évolutions réglementaires

Quel que soit le domaine d’activité (médicament, cosmétique, alimentation, produit chimique…), la réglementation a pris en compte la nécessité d’utiliser l’animal de laboratoire que lorsque cela est strictement nécessaire à la sécurité chez l’homme.

 

Pour le médicament, l’étape clef a été la création d’ICH (International Conference on Harmonization) en avril 1990 à Bruxelles où s’est tenue la première réunion sous l’égide de l’EFPIA (European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations). ICH a permis une harmonisation internationale des pré-requis en matière d’enregistrement des médicaments, évitant ainsi la duplication d’études, notamment celles utilisant l’animal de laboratoire [3]. En effet, les années 1960 à 1970 ont vu l’émergence de nombreux règlements pour l’évaluation de l’efficacité, la qualité et la sécurité des médicaments. Dans le même temps, l’industrie du médicament devenait internationale mais l’enregistrement de chaque médicament restait une responsabilité nationale. Même si le principe des études était le même partout, les pays pouvaient avoir des exigences différentes dans la conduite de ces études, ce qui menait les compagnies à les dupliquer. L’Europe a été la première, dans les années 1980, à rationaliser et à harmoniser ces demandes dans les différents pays de l’Union et ICH s’est largement inspiré de ce modèle.

Les représentants des agences réglementaires et des associations des industriels de l’Europe, des États-Unis et du Japon, se sont alors réunis au sein d’un comité de Direction organisant des congrès deux fois par an dans l’objectif d’harmoniser les requis réglementaires. En novembre 1990, le processus ICH a rempli les objectifs assignés avec l’approbation du « Common Technical Document », définissant un format et un contenu harmonisés pour l’enregistrement des médicaments.

Ce consensus, à la fois scientifique et réglementaire, fruit de la collaboration efficace entre les industriels et les agences réglementaires, a permis une diminution de l’utilisation de l’animal de laboratoire qui est évaluée de 10 à 20 %. Cet effort se poursuit avec une réactualisation de ces lignes directrices dont l’un des mots d’ordre est de faciliter l’utilisation de nouveaux outils permettant d’économiser les ressources animales.

En Europe, de la même façon que pour les médicaments, le rapprochement des législations des états membres dans le domaine des produits cosmétiques, assure la libre circulation de ceux-ci à l’intérieur du marché communautaire. Dans un souci de protection de la santé publique, la directive 76/768/CEE a établi des règles concernant la composition, l’étiquetage et l’emballage des produits cosmétiques. En outre, elle instaure un régime visant à interdire les expérimentations sur les animaux ainsi que la commercialisation des produits qui en font l’objet. Cela a abouti en septembre 2004 à l’interdiction de recourir à l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques finis, et depuis le 11 mars 2009 pour les ingrédients des produits cosmétiques fabriqués au sein de l’Europe.

Dans le domaine de la chimie, le nouveau règlement REACH, adopté le 12 décembre 2006 par le Parlement européen est basé sur le principe de précaution. Il demande à tous les industriels des données de sécurité humaine et environnementale sur les produits chimiques quelle que soit leur utilisation. L’ampleur des études à conduire dépend du tonnage produit et de la dangerosité du produit chimique et devrait logiquement et dans un premier temps, augmenter le nombre d’animaux de laboratoire utilisés en Europe [4]. Mais ce règlement insiste sur l’utilisation de données déjà disponibles et incite à la mise en œuvre de méthodes alternatives à l’utilisation de l’animal de laboratoire qui ne doit être que le dernier recours. Si ce règlement est appliqué raisonnablement, il devrait accélérer la validation et la reconnaissance des méthodes in vitro qui seront utilisées par toute la communauté scientifique, permettant ainsi une importante diminution du recours à l’animal.

Les évolutions stratégiques

Devant l’augmentation des pré-requis non cliniques pour montrer l’efficacité et assurer la sécurité des produits chimiques, cosmétiques et médicamenteux, les entreprises ont développé des stratégies permettant de diminuer les coûts et les ressources associées. Ces stratégies sont basées sur le criblage très en amont du développement, à l’aide des outils in silico , in vitro ou in omic [5]. Ainsi, l’élimination précoce de molécules non efficaces ou à potentiel toxique rédhibitoire contribue à la diminution du nombre d’animaux utilisés.

Les évolutions scientifiques et techniques

Les vingt dernières années ont vu l’émergence de progrès scientifiques et techniques sans précédents. Les progrès de la bioinformatique, de la connaissance du génome, ont mis à la disposition des scientifiques des outils dont l’utilisation, devenue courante, a permis l’économie d’animaux de laboratoire. Parmi ceux-ci, nous citerons :

— Les outils in silico , également appelés SAR (pour Structure-Activity-

Relationships), qui font largement appel à l’informatique, d’où leur nom « in silico » en référence à la silice, composante essentielle des puces informatiques.

En étudiant la structure d’un composé et son effet biologique à l’aide de modèles informatiques élaborés, ces techniques permettent de prédire avec de plus en plus de fiabilité et sans l’utilisation d’un seul animal, un profil d’efficacité ou un potentiel de toxicité. Ces prédictions sont actuellement limitées à certains mécanismes d’action bien connus (modélisation moléculaire pour certaines cibles pharmacologiques, génotoxicité, potentiel allergisant). Néanmoins, avec la constitution de nombreuses bases de données à travers le monde, ces outils très prometteurs devraient élargir leur champs d’application et améliorer leur fiabilité. On considère ainsi que l’utilisation optimale de ces méthodes in silico dans le cadre de REACH pourrait diminuer les besoins en animal de laboratoire de 1,3 à 1,9 millions [6].

— Les méthodes in vitro peuvent être complémentaires ou alternatives à l’utilisation d’animaux de laboratoire. Les méthodes in vitro avaient fait naître, dans les années 80, le grand espoir de remplacer l’animal de laboratoire. Cela n’a pas été le cas en raison de la limite de leur pertinence liée à l’isolement des cellules en culture de tout contexte physiologique et humoral, entre autre. En outre, il ne faut pas oublier que les méthodes in vitro , comme les cultures cellulaires primaires, nécessitent, pour l’obtention des cellules, des animaux de laboratoire. Néan- moins, elles sont de plus en plus utilisées non seulement au cours des étapes de screening, mais aussi pour des études explicatives. Beaucoup d’espoirs reposent sur l’obtention de lignées de différents types cellulaires provenant de la différentiation de cellules souches humaines, mais des étapes restent encore à franchir.

La validation de ces techniques in vitro reste un véritable problème car le processus est long et compliqué. Peu d’études in vitro sont actuellement validées.

— Les méthodes in omic : les techniques reconnaissables par le suffixe « omic », prennent une place de plus en plus prépondérante et sont en constante évolution.

Elles sont fondées sur le fait qu’un événement physiologique, pharmacologique ou toxicologique va modifier la composition protéique et l’activité des cellules, donc leur fonction [5]. Ces modifications peuvent être détectées à différents niveaux cellulaires. Il existe trois grands types d’omics : la génomique qui s’intéresse aux modifications des gènes en réponse à un stimulus, la protéomique qui mesure les modifications des protéines dans un tissu et la métabonomique qui étudie la réponse métabolique, donc la réponse finale d’un organisme via l’analyse globale des molécules de faible poids moléculaire dans un échantillon biologique ou dans un tissu. Ces méthodes omic ont pour avantage de pouvoir utiliser des cellules, des prélèvements de tissus et des échantillons biologiques, de prendre peu de place au plan matériel, mais restent assez coûteuses. Dans ce domaine, un effort international de validation, d’harmonisation et de reconnaissance réglementaire auquel la France participe efficacement [7] permettra sans aucun doute, dans un avenir proche, d’améliorer les prédictions en matière d’efficacité et de sécurité, et de concourir ainsi à un recours raisonné et donc diminué de l’animal de laboratoire.

CONCLUSION

Ces dernières décennies ont été marquées par les efforts qu’ils soient réglementaires, scientifiques ou techniques, pour réduire le recours à l’animal de laboratoire. Le déploiement récent des outils in silico , in vitro ou in omic , ainsi que les incitations réglementaires devraient accélérer le phénomène dans les prochaines années par l’utilisation d’approches intégrées utilisant de façon intelligente l’ensemble de ces progrès.

BIBLIOGRAPHIE [1] Russel W.M.S., Burch R.L. — The principle of human experimental technique. Universities Federation for Animal Welfare (UFAW) Herts, UK. Potter Bar, 1959, 238 p.

[2] http://ec.europa.eu/environnement/chemicals/lab_animals ICH (International Conference on

Harmonization of Technical Requirement for Registration of Pharmaceuticals for human) — http://www.ich.org [3] Hartung T., Rovida C. — Chemical regulators have overreached.

Nature, 2009, 460 , 1080- 1081.

[4] Claude N., Goldfain-Blanc F., Guillouzo A. — La place des méthodes in silico , in vitro , in omic dans l’évaluation de la sécurité des médicaments. Médecine Sciences, 2009, 25 , 105-110.

[5] Lewis A., Kazantzis N., Fishtik I., Wilcox J. — Integrating process safety with molecular modelling-based risk assessment of chemicals within REACH regulatory framework: Benefits and future challenges. J. Hasard. Mat. , 2007, 142 , 592-602.

[6] Publications du groupe de travail « Innovation non clinique » — http://www.afssaps.fr

DISCUSSION

M. Jean-Jacques HAUW

Une histoire court selon laquelle la mise sur le marché de l’aspirine n’aurait pas été possible actuellement, en raison de la rigueur réglementaire croissante. Est-ce vrai ? De plus, n’existe-t-il pas un risque, à l’heure où le principe de précaution est inscrit dans la constitution, de réduire l’efficacité de la recherche pharmacologique, en particulier en France. Où en est-on de la balance bénéfice-risque ?

Je ne sais pas si cette histoire est fondée, mais si l’aspirine n’était pas mise sur le marché actuellement ce serait plus pour des raisons de pharmacovigilance que pour des problè- mes de toxicologie. La réduction du recours à l’animal de laboratoire ne met pas en danger la balance bénéfice-risque dans la mesure où l’utilisation de l’animal de laboratoire est optimisée actuellement grâce aux efforts conjugués des réglementaires et des scientifiques. Les études inutiles ont été supprimées, mais pas celles qui sont essentielles à la sécurité des patients.

M. Jean-Michel GUILLON (Académie nationale de pharmacie)

Existe-t-il une initiative française comparable à l’initiative britannique (ABPI) ou américaine (IlSI/HESI) d’évaluation quantitative de la pertinence des modèles pré-cliniques (en pharmacologie ou toxicologie) ? La pertinence est un élément essentiel de l’éthique animale.

L’étude ILSI HESI à laquelle j’ai participé a montré la pertinence du modèle animal pour la sécurité humaine. Elle rassemblait douze firmes internationales qui ont constitué une base de données solide. Dans un siècle où l’industrie s’est mondialisée, des études à l’échelle d’un état ne paraissent pas apporter un avantage.

 

<p>* Institut de Recherches internationales Servier, 6, place des Pléiades, — 92415 Courbevoie cedex, e-mail : nancy.claude@fr.netgrs.com Tirés-à-part : Nancy Claude, même adresse Article reçu et accepté le 9 novembre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1767-1772, séance du 10 novembre 2009