Communication scientifique
Séance du 19 octobre 2010

La dermatite atopique canine

MOTS-CLÉS : chien. dermatologie. eczéma constitutionnel
Canine atopic dermatitis
KEY-WORDS : dermatitis, atopic. dermatology. dogs

Emmanuel Bensignor

Résumé

La dermatite atopique canine est une dermatose inflammatoire fréquente chez le chien, qui représente une dominante de la dermatologie vétérinaire. Elle est caractérisée par des signes cliniques typiques et toucherait jusqu’à 10 % des animaux âgés de un à trois ans. Son diagnostic est essentiellement clinique. Son traitement est complexe. Il s’agit d’un bon modèle potentiel de la dermatite atopique de l’homme, sur le plan de la pathogénie, de la clinique et des options thérapeutiques.

Summary

Canine atopic dermatitis is an inflammatory skin disease characterized by typical clinical signs and affecting up to 10 % of dogs aged from 1 to 3 years. The diagnosis is mainly clinical and the treatment is complex. This canine form may offer a good model of human atopic dermatitis, as the two diseases show many pathogenetic, clinical and therapeutic similarities.

INTRODUCTION

La dermatite atopique canine (DAC) est définie comme « une dermatite prurigineuse inflammatoire, d’origine génétique, à signes cliniques caractéristiques, le plus souvent associée à des IgE dirigées contre des allergènes de l’environnement » [1].

 

Cette entité est banale chez le chien. Il existe des prédispositions raciales marquées à cette maladie et des variations phénotypiques importantes selon les races. Il pourrait s’agir d’un modèle spontané potentiel de la dermatite atopique de l’enfant [2, 3]. Bien que la maladie soit de diagnostic facile, son traitement peut représenter un défi pour le praticien vétérinaire.

Le chien atopique : un « modèle » ?

Ces dernières années, de nombreux travaux fondamentaux ou cliniques ont montré que la maladie décrite chez le chien ressemble fortement à celle décrite chez l’homme :

Similitudes dans la pathogénie de la maladie [4] : défauts de la barrière épidermique responsables d’un contact facilité entre le système immunitaire cutané et les allergè- nes environnementaux ; capture et transfert des allergènes par des cellules présentatrices d’antigènes porteuses de récepteurs de haute affinité pour les IgE ; migration dans le derme et les ganglions lymphatiques loco-régionaux ; activation kératinocytaire par des médiateurs inflammatoires ; synthèse par les kératinocytes de chimiokines et de cytokines ; dégranulation mastocytaire médiée par les IgE spécifiques avec libération de médiateurs pro-inflammatoires (histamine, protéases, chimiokines et cytokines) ; afflux de polynucléaires et de lymphocytes T spécifiques d’allergènes ; activation leucocytaire induisant la synthèse et la libération de nouveaux médiateurs pro-inflammatoires ; déficit en peptides antimicrobiens à l’origine de l’intervention de produits microbiens d’origine staphylococcique dans l’inflammation ; superinfection par des levures Malassezia dans certaines formes cliniques ;

absence de régulation des signaux inflammatoires et extension de la dermatose).

Similitudes dans les aspects cliniques de la maladie [5] : apparition dans le jeune âge de lésions cutanées initialement érythémateuses, maculeuses et papuleuses, associées à un prurit ; lésions chroniques caractérisées par une lichénification et des excoriations ; image histopathologique caractérisée par une hyperplasie épidermique avec spongiose et infiltrat inflammatoire dermique périvasculaire superficiel par des cellules mononucléées ; existence d’un score clinique composite le CADESI (Canine Atopic Dermatitis Extent and Severity Index) adapté du SCORAD de l’humain [6].

Similitudes dans le diagnostic positif de la maladie : le diagnostic de dermatite atopique repose sur la conjonction d’éléments anamnestiques et cliniques et pas sur la positivité des tests d’allergie [7]. Des critères de diagnostic clinique ont été proposés chez le chien dès 1986 par une équipe hollandaise, adaptés des critères de Hanifin et Rajka chez l’homme [8] (tableau I). Ces critères ont fait l’objet d’une réévaluation en 1998 par une équipe française [9] (tableau II). Une étude multicentrique récente [10] a fait le point en 2009 sur le sujet et a proposé de nouveaux critères de diagnostic clinique de la DAC (tableau III). La présence de 5 critères simultané- ment chez un chien permet d’obtenir une spécificité d’environ 80 %, ce qui en pratique signifie qu’un diagnostic faussement positif est fait pour un chien sur cinq.

Les auteurs remarquent que la spécificité augmente significativement (aux alentours

Tableau I. — critères majeurs et mineurs de diagnostic de Willemse [8] Critères majeurs — Prurit — Aspect et localisation lésionnels:

— atteinte de la face et/ou des membres — lichénification pli du jarret et/ou face crâniale du carpe — Dermatite chronique — Race prédisposée ou antécédents familiaux Critères mineurs — début entre 1 et 3 ans — érythème facial — conjonctivite — pyodermite superficielle — hyperhidrose — Intradermo réactions positives — IgG4 spécifiques élevées — IgE spécifiques élevées Tableau II. — critères de diagnostic de Prélaud [9] Prurit corticosensible Atteinte des pieds Atteinte des lèvres Atteinte des oreilles Age d’apparition des lésions Tableau III. — critères de diagnostic de Favrot [10] Premier groupe Second groupe 1. Apparition des signes cliniques avant 1. Apparition des signes cliniques avant 3 ans 3 ans 2. Vit principalement à l’intérieur 2. Vit principalement à l’intérieur 3. Prurit corticosensible 3. Prurit alésionnel initial 4. Dermatite à Malassezia chronique ou 4. Atteinte des antérieurs récidivante 5. Atteinte des pavillons auriculaires 5. Atteinte des antérieurs 6. Absence d’atteinte du bord des 6. Atteinte des pavillons auriculaires pavillons auriculaires 7. Absence d’atteinte du bord des 7. Absence d’atteinte de la zone dorsopavillons auriculaires lombaire 8. Absence d’atteinte de la zone dorsolombaire de 90 %) si six critères sont présents. Notons ici en outre l’existence chez le chien d’une forme de dermatite atopique sans sensibilisation allergénique, dénommée « dermatite atopique-like » qui pourrait correspondre à la dermatite atopique intrinsèque de l’enfant [11].

Similitudes dans le traitement de la maladie [12] : intérêt chez le chien comme chez l’homme des anti-inflammatoires et immunomodulateurs topiques (dermocorticoï- des, tacrolimus) ou systémiques (ciclosporine), intérêt de l’utilisation d’hydratants et d’émollients pour restaurer les fonctions de la barrière cutanée ; intérêt de la désensibilisation spécifique ; intérêt de la mise en place d’écoles de l’atopie. En pratique pour le vétérinaire, il est utile de concevoir le traitement d’un chien atopique comme celui d’un enfant atopique… Plusieurs revues ont évalué récemment, en utilisant les techniques de la médecine factuelle ou des méta-analyses, les options thérapeutiques chez le chien comme cela est réalisé depuis longtemps chez l’homme [13].

Similitudes dans le déterminisme génétique de la maladie : bien que très peu de données soient disponibles dans l’espèce canine, il a été démontré que la DAC a une héritabilité de 0,47 [14] et qu’elle se transmet sur un mode dominant [15]. L’existence d’un lien entre le risque de développement d’une DAC et les mutations de gènes codant pour la filaggrine est en cours de recherche chez le chien, les données préliminaires étant contradictoires : anomalies des immunomarquages dans la peau de certains Beagles atopiques [16-18], mais absence de démonstration de mutation de la filaggrine chez des West Highland White terriers atopiques [19].

Traitement de la dermatite atopique canine

Avant de traiter, quelques éléments importants sont à prendre en compte, et doivent être expliqués au propriétaire, une fois le diagnostic établi : la dermatite atopique est une entité gérable mais non curable, ce qui nécessite des traitements répétés ou pérennes ; la fréquence des complications infectieuses, associée à l’évolution en poussées de la maladie nécessite des visites de contrôle régulières ; il n’existe pas un, mais des traitements, qui doivent le plus souvent être associés. Plusieurs revues ont évalué récemment, en utilisant les techniques de la médecine factuelle ou des méta-analyses, les options thérapeutiques chez le chien. Les niveaux de preuve varient en fonction des options de traitement retenues (tableau IV).

Traitement des dermatoses associées ou secondaires à la DAC (NdR D, CdP IV) :

traitement des infections bactériennes (shampooings antiseptiques, antibiotiques par voie topique et/ou systémique) ; traitement de l’éventuelle dermatite à Malassezia associée (shampooings antiseptiques, antifongiques par voie topique et/ou systémique) ; traitement insecticide drastique de l’animal, des congénères et de l’environnement ; gestion des intolérances alimentaires (mise en place d’un régime d’éviction hypoallergénique pendant au moins 6 semaines) ; gestion de la xérose et de l’état kératoséborrhéique (acides gras essentiels par voie topique et/ou systé- mique, shampooings kératorégulateurs) (NdR B) ; traitement de l’otite externe

Tableau IV. — catégorie de preuves et de recommandation des traitements de la DAC [4] Catégorie de preuve (CdP)

Ia Basée sur une méta-analyse ou des revues systématiques Ib Basée sur au moins une étude randomisée contrôlée IIa Basée sur au moins une étude contrôlée sans randomisation IIb Basée sur au moins une étude quasi-expérimentale III Basée sur des études descriptives non expérimentales (études comparatives, études de corrélation, études de séries de cas) IV Basée sur des recommandations d’expert LB Basée sur des études de laboratoire Niveau de recommandation (NdR)

A Directement basée sur une évidence de catégorie I B Directement basée sur une évidence de catégorie II ou extrapolée à partir de la catégorie I C Directement basée sur une évidence de catégorie III ou extrapolée à partir de la catégorie II D Directement basée sur une évidence de catégorie IV ou extrapolée à partie de la catégorie III E Directement basée sur une évidence de catégorie LB F Basée sur un consensus d’un groupe d’experts (nettoyages réguliers avec une solution antiseptique et applications quand nécessaire de topiques auriculaires adaptés).

Traitement spécifique

Eviction allergénique (NdR C/D) : il s’agit du traitement de choix, mais malheureusement est difficile en pratique dans la majorité des cas. Une étude a montré l’intérêt de traiter l’environnement des chiens allergiques aux acariens des poussières avec un acaricide (CdP IIb).

Immunothérapie spécifique d’allergène (ASIT) (NdR A) : en pratique, le seul traitement étiologique de la DAC. Utilisé depuis plus de 50 ans en dermatologie vétérinaire, son mécanisme précis d’action n’est pas encore élucidé : production d’anticorps bloquants, restauration de la balance Th2-Th1 avec diminution de la production d’IL4 et augmentation de la production d’INF-gamma. Le choix des allergènes dépend des résultats des tests in vivo ou in vitro , couplés avec l’enquête allergologique et la démarche d’imputabilité. Une étude récente a démontré que l’efficacité dépendait étroitement de la sélection adéquate des allergènes (CdP III).

Le taux d’efficacité varie selon les auteurs, entre 50 et 80 % (CdP I).

 

Traitement anti-allergique symptomatique

L’utilisation de molécules anti-allergiques est utile au début de la désensibilisation, ou sur le long terme en cas d’échec de celle-ci. Il est utile de distinguer le traitement des poussées, qui nécessite un produit d’efficacité rapide, et le traitement au long cours, qui fait appel à des molécules peu nuisibles en cas d’utilisation prolongée.

Glucocorticoides (NdR A)

Il s’agit des médicaments les plus efficaces, toutefois il existe des susceptibilités individuelles, et il faut connaître l’existence d’un phénomène de tachyphylaxie. Les dermocorticoïdes, sous forme de pommades, de crèmes, de gels ou de sprays sont très utiles, notamment pour les formes localisées (CdP Ia). Le risque d’effets secondaires (atrophie cutanée, déclenchement d’une infection) est minimisé en utilisant des molécules peu puissantes ou en ayant recours aux diesters, une classe de dermocorticoïdes qui présente l’intérêt d’associer puissance d’action et sécurité d’emploi, car ils sont métabolisés dans la peau (CdP Ia). L’utilisation systémique des corticoïdes devrait se limiter à la voie orale, pendant quelques jours, en cas de poussée, en ayant soin d’avoir recours aux molécules les moins nocives, à la dose la plus faible possible (eg : prednisolone 0,25 à 1 mg/kg/jour pendant cinq à sept jours) (CdP Ia). Les effets secondaires de la corticothérapie (polyuro-polydipsie, polyphagie, hépatomégalie, syndrome de Cushing iatrogène, infections, diabète, …) justifient d’éviter leur utilisation systématique sur le long terme et la recherche d’un traitement alternatif.

Topiques non stéroïdiens (NdR B)

Différents principes actifs, sous des formulations diverses (shampooings, lotions, sprays, …) sont commercialisées pour le chien atopique. Seule une association d’acides gras essentiels ; de sucres complexes et d’antiseptiques a fait la preuve de son efficacité dans cette indication (CdP Ib). Le recours à des whirlpools semble bénéfique en cas de shampooing (CdP Ib). Divers produits existent également sous forme de gels ou de pommades. Là encore, seule une formulation contenant du tacrolimus dosé à 0,1 % peut être recommandée avec certitude à l’heure actuelle (NdR A, CdP Ib).

Antihistaminiques et acides gras essentiels

Les anti-histaminiques anti-H1 et les acides gras essentiels n’ont pas démontré de niveau suffisant d’efficacité pour être recommandés seuls (CdP Ia). En association, ils permettent toutefois de diminuer les doses de corticoïdes.

Ciclosporine (NdR A)

La cyclosporine A, un inhibiteur des calcineurines, est un traitement efficace de la DAC, comme démontré dans de nombreux essais cliniques (CdP Ia). Elle est utilisée à la dose initiale de 5 mg/kg/j jusqu’à diminution des signes cliniques, puis cette posologie est progressivement diminuée, ce qui semble possible dans un cas sur deux environ. Ses inconvénients sont son coût et ses effets secondaires à court terme (vomissements et diarrhée fréquents) et à moyen terme (hyperplasie gingivale, hypertrichose) ; les effets secondaires à long terme sont inconnus.

Divers

La fréquence de la DAC et l’absence de traitement simple, peu onéreux et efficace à long terme expliquent que de nombreux autres produits aint été proposés dans cette indication. Citons ici les inhibiteurs des leucotriènes, le misoprostol, les inhibiteurs des phosphodiestérases, les inhibiteurs du c-kit, les interférons gamma-recombinant canin et oméga félin, les herbes chinoises, une association d’acides gras polyinsaturés, l’aminoptérine, la photothérapie… Des études supplémentaires sont toutefois nécessaires pour évaluer leur intérêt réel dans cette indication.

École de l’atopie

Comme pour les parents d’enfants atopiques, la mise en place de protocoles aidant à améliorer la qualité des traitements, basés sur l’explication donnée par le personnel soignant à des petits groupes de propriétaires, pourrait améliorer les résultats des traitements au long cours (observations personnelles non publiées, Favrot communication personnelle).

CONCLUSION

Le traitement de la DAC doit être combiné: après diagnostic clinique, l’enquête allergologique, incluant les tests d’allergie, permet de caractériser la maladie ; le traitement doit être adapté à chaque individu ; l’association de mesures de restauration de la barrière cutanée, de la gestion des complications infectieuses, de traitements immunomodulateurs et de traitements symptomatiques antiinflammatoires est nécessaire dans la plupart des cas. Dans le futur, une meilleure prise en compte des différents stades et phases de la maladie devrait permettre de proposer des protocoles thérapeutiques adaptés au cas par cas.

Conflits d’intérêt : dans les trois dernières années, le Dr Emmanuel Bensignor a eu des relations financières (activités de consulting et/ou réalisation d’essais cliniques) avec les firmes suivantes, qui commercialisent des produits pour la gestion du chien atopique : AB Sciences, Artu, LDCA, Novartis, Sogeval, Virbac

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<p>* Dr Vét, Dip ECVD, spécialiste en dermatologie, Consultant en dermatologie et allergologie vétérinaire, Clinique Vétérinaire F-35510 Rennes-Cesson, Centre Hospitalier Vétérinaire F-75003 Paris, Centre Hospitalier Vétérinaire F-44000 Nantes et Département DPAM, École Vétérinaire, Oniris, F-44307 Nantes. E-mail : emmanuel.bensignor@wanadoo.fr Tirés à part : Docteur Emmanuel Bensignor, même adresse Article reçu le 20 septembre 2010, accepté le 18 octobre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 7, 1357-1364, séance du 19 octobre 2010