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Séance du 29 juin 2010

La chirurgie cardiaque en Chine en 2010

MOTS-CLÉS : chine. procédures de chirurgie cardiaque
Cardiac surgery in China in 2010
KEY-WORDS : cardiac surgical procedures. china

Daniel Loisance

Résumé

La chirurgie cardiaque ne s’est véritablement développée en Chine que dans les trente dernières années. Elle reste actuellement à un niveau très inférieur aux besoins, d’autant que la prévalence des divers facteurs de risque de la maladie artérielle est, dans le pays, considérable. Elle est caractérisée aujourd’hui par la juxtaposition de quelques très grands centres à forte activité et d’une multitude de petits centres dont l’activité très réduite se limite aux interventions les plus simples. Cette situation évolue rapidement avec l’émergence de nombreux nouveaux centres, publics et privés, notamment dans les provinces sous médicalisées de l’Ouest du pays, un effort de formation considérable, le développement rapide d’une recherche clinique active et de centres de recherche spécialisés dédiés à l’application chez l’homme de thérapies innovantes (thérapie cellulaire et thérapie génique). Le mode de gouvernance des hôpitaux est original, faisant une large place au corps médical. L’accès à la chirurgie cardiaque pose encore problème, du fait des modalités de la prise en charge des soins, mais le développement rapide de l’assurance médicale privée devrait à court terme modifier la situation. Les efforts actuellement en cours et l’élévation du niveau de vie devraient changer à très court terme le panorama de la chirurgie cardiaque et de la cardiologie interventionnelle.

Summary

In China, cardiac surgery has been developing fast over the past 30 years, but it still cannot meet the huge demand created by the high prevalence of risk factors for cardiovascular disease, such as hypertension, diabetes and smoking, and the high frequency of congenital cardiopathies. In China, cardiac surgery is available in about 600 centers, but fewer than 10 centers account for the bulk of operations. Most of these high-volume centers are located in well-developed eastern cities, but cardiac surgery is growing at an extremely rapid pace in the western provinces too. Private structures are appearing alongside public and military hospitals. Huge efforts are being made to train medical staff and to develop basic and clinical research. The Chinese biomedical industry is also developing rapidly, providing local alternatives to imported products. Large university centers in major eastern cities are assisting the development of less experienced centers. The high cost of cardiac surgery remains an obstacle, but the improving economic situation and the expansion of insurance coverage is rapidly improving patient access to these treatments.

La chirurgie cardiaque est née en Chine en 1944, avec pour la première fois la ligature d’un canal artériel. La première intervention sous circulation extracorporelle a été réalisée à Xi’An en 1956 par le Professeur Xu (photo 1). L’hôpital Fu Wai, aujourd’hui le plus grand centre de cardiologie et de chirurgie cardiaque en Chine, a été créé la même année, par la fusion de l’hôpital militaire « PLA Chest Hospital » et de l’hôpital universitaire « Pekin Union Hospital », et aussitôt placé sous le contrôle de l’Académie Chinoise des Sciences Médicales.

Fig. 1. — Le Professeur H.X.Su (second à gauche) a pratiqué la première intervention sous CEC (correction d’une communication inter-ventriculaire) en Chine à Xi’An en 1958, en compagnie en décembre 2009 de l’auteur et de l’actuel chef de service de chirurgie cardiaque, le Professeur Yi Dinghua, au Xijing Hospital de Xi’An (à droite).

Il faut attendre la fin de la révolution culturelle, au milieu des années 1970 et la mise en œuvre d’une politique très active de modernisation du pays et d’ouverture à l’Occident (« opening up policy ») pour que se développent dans la plupart des grandes villes des centres importants de cardiologie et de chirurgie cardiaque. Ce développement a été aidé par les spécialistes de plusieurs pays dont les USA et la France et le retour au pays de spécialistes formés dans divers pays comme les USA, le Canada, l’Australie et la France. Aujourd’hui, la cardiologie et la chirurgie cardiaque sont en plein essor.

Le but de cette présentation est de préciser l’état actuel de la chirurgie cardiaque et ses perspectives de développement. Il repose sur les données d’un rapport sur la maladie cardiovasculaire récent [1] et les observations faites au cours des visites faites dans vingt-sept centres au cours de cinq dernières années, visites permettant conférences et démonstrations opératoires.

Quelques données statistiques d’intérêt

La Chine est le troisième plus grand pays du monde après la Russie et le Canada.

Elle est composée de vingt-deux provinces, cinq régions autonomes et quatre municipalités. Elle est peuplée de 1,328 milliard d’habitants. Quatre-vingt-douze pour cent de la population est d’origine Han, les huit pour cent restant étant constitués de cinquante-cinq minorités différentes. La croissance de la population a été considérablement ralentie (passant de 21 pour mille en 1990 à 12,4 pour mille en 2004) du fait de la politique de l’enfant unique établie en 1970.

La démographie présente en Chine une situation très atypique. Le ratio des naissances est inhabituel avec cent vingt-trois garçons pour cent filles en 2005. Il est probablement l’une des conséquences de la politique de l’enfant unique. Le souhait très marqué de naissances de garçons a conduit, malgré son interdiction, à la pratique de l’avortement sélectif. Ce ratio atypique risque de poser dans les quelques années à venir un problème tout à fait original, d’autant plus que la place des femmes dans la société a beaucoup évolué et se rapproche de celle observée dans les pays occidentaux.

La pyramide des âges est également atypique. La population se répartit de la manière suivante en 2000 : 23 % de la population a moins de 14 ans, 67 % entre 15 et 59, 10 % plus de 60 ans. Cette distribution va évoluer vers des chiffres préoccupants :

la tranche d’âge 15-59 ans va baisser à 59 % à l’horizon 2035, 24 % de la population ayant à cette date plus de 65 ans. Ce vieillissement important de la population ne sera pas sans poser des problèmes de prise en charge des pathologies du grand âge et de la dépendance.

L’espérance de vie est significativement plus faible qu’en France : 72 ans pour les hommes (75 en France), 77 ans pour les femmes (84 en France). L’espérance de vie en bonne santé est nettement plus basse : 63 ans pour les hommes (65 en France), 69 ans pour les femmes contre 75 en France.

Le tissu hospitalier est dense et composé d’hôpitaux aux missions différentes : il existe 13 120 hôpitaux généraux incluant des services spécialisés, 3 022 hôpitaux spécialisés, 2 738 hôpitaux de district et 40 791 dispensaires. Le nombre de médecins est très inférieur à ce que l’on voit dans les pays occidentaux : 1,55 par 1 000 habitants (contre 3,4 en France).

La population chinoise devient moins pauvre : en 2000, 50 % de la population a un revenu annuel inférieur à 25 000 rmb (soit 2 500 euros environ). Ce chiffre baissera à moins de 15 % en 2015. A cette date, 60 % de la population aura un revenu annuel compris entre 25 000 (2 500 euros) et 100 000 rmb (10 000 euros) et sera considérée comme aisée (possibilité de s’offrir une voiture, de prendre des vacances et de voyager dans le pays …). L’enrichissement d’une partie de la population a des conséquences à l’intérieur du pays avec une augmentation importante de la consommation de biens comme les voitures, les voyages d’agrément, et à l’extérieur du pays :

dans le seul mois de janvier 2010, à l’occasion du Nouvel An chinois, 1,7 millions de chinois ont transité à l’aéroport de Bangkok ce qui représente une augmentation de plus de 50 % du trafic normal. Il est par ailleurs admis qu’au-delà d’un revenu de 25 000 rmb, la population peut engager des frais de santé.

Les dépenses globales de santé sont actuellement très inférieures à ce que l’on voit dans les pays occidentaux : elles représentent 4,67 % du PIB (contre 11,2 % en France), ce qui représente une dépense de 93 euros par habitants (contre 3819 en France). Les commandes de médicaments sont un autre indicateur de la faible consommation médicale : 10 us dollars par habitants (contre 900 aux USA). 59 % des dépenses de santé sont couvertes par le privé (les malades) contre moins de 20 % en France. Ce chiffre explique le fort taux d’épargne (dit épargne de sécurité) observé dans le pays. La part de la contribution du gouvernement central aux dépenses de santé est inférieure à 1 % du PIB. L’essentiel de la contribution de l’état provient en fait des provinces. Il n’existe pas de données chiffrées disponibles pour apprécier l’importance de la médecine traditionnelle chinoise, mais il semble bien que celle-ci soit très active, notamment dans les régions rurales.

Le plan récent de « couverture sociale » prévoit qu’en 2015, 90 % de la population bénéficiera d’une prise en charge des frais de soins de base. Cette mesure prise en 2009 en pleine période de réduction de la croissance économique a eu, en outre, pour but essentiel d’essayer de réduire le taux d’épargne de sécurité des ménages tout à fait inhabituel et de favoriser la consommation générale. Ce plan a été mis en place très rapidement : dès la fin juin 2009, 337 millions de résidents urbains sont déjà inclus dans un programme de couverture sociale minimale, ainsi que 830 millions de ruraux. L’intérêt de cette mesure est évident dès le début de 2010 et permet d’observer une forte reprise des dépenses sur le marché intérieur, compensant d’autant la réduction des recettes liées au commerce international.

La pathologie cardiovasculaire en Chine

La Chine est confrontée à une forte endémie de maladie cardiovasculaire. Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité dans le pays, avant le cancer, et ce aussi bien chez les hommes que les femmes. Il existe, comme dans pratiquement tous les autres domaines, une forte disparité de l’incidence de la maladie selon les provinces, selon que l’habitat soit urbain ou rural, selon les origines raciales. Des statistiques très précises sont, depuis 2005, disponibles qui permettent de connaitre le détail de ce qui est considéré aujourd’hui comme l’un des enjeux de santé publique les plus importants dans le pays.

Les chiffres sont impressionnants — 230 millions de malades présentant un problème ischémique myocardique avec 2,967 millions de nouveaux infarctus du myocarde par an et deux millions de nouveaux accidents vasculaire cérébral par an — 2,275 millions de malades présentant une maladie rhumatismale — 1,8 millions de cardiopathies congénitales — 500 000 nouveaux cas d’insuffisance cardiaque par an, dûs dans 46 % des cas à la maladie ischémique, dans 19 % au rhumatisme.

Cette forte incidence de la pathologie cardio vasculaire s’intègre dans le cadre de facteurs de risque importants : la prévalence de l’HTA est importante, plus de deux cent millions de patients, soit 18 % de la population générale, et en forte croissance (+31 % depuis 1991). Elle est plus marquée dans les zones urbaines que dans les campagnes. L’hyperlipémie est fréquente (200 millions de sujets concernés) de même que le tabagisme (plus de trois cent millions de fumeurs actifs et plus de 540 millions de fumeurs passifs, avec une prévalence moyenne de 36 %, dominante chez les hommes (66 %), très faible chez les femmes (6 %). L’obésité est un vrai problème avec plus de 240 millions de sujets en surpoids. La sédentarité est très fréquente avec plus de 66 % de la population n’exerçant aucune activité physique régulière. Il semble que la fréquence de facteurs de risque non contrôlés soit en augmentation, beaucoup liée au changement dans les comportements alimentaires et au développement dans la plupart des villes, même les villes de petite taille, de la restauration rapide.

La prise de conscience de l’importance des ces facteurs de risque est récente. Les premières campagnes de prévention ont commencé récemment mettant en particulier l’accent sur la lutte contre le tabagisme.

La chirurgie cardiaque et la cardiologie en Chine

Pour répondre à cette demande, les centres de chirurgie cardiaque se sont multipliés : il y a aujourd’hui près de 600 centres qui pratiquent la chirurgie cardiaque : un total de 130 064 interventions a été réalisé en 2007. Ceci correspond cependant à moins de 2 % de la demande. La croissance annuelle de l’activité de chirurgie cardiaque, en décroissance ou en plateau dans les pays occidentaux, est importante (+18 % par an pour l’ensemble du pays, très supérieure à 25 % dans les provinces occidentales).

Ces chiffres masquent une autre réalité : le caractère très hétérogène de l’activité dans les divers centres. En effet, seulement seize centres ont une activité supérieure à mille cas de circulation extra corporelle (CEC) par an. Seuls cinq d’entre eux font plus de deux mille CEC par an : ces centres sont alors extrêmement actifs comme Fu Wai (plus de 9000 cas en 2009) et Anzhen (environ 8000) à Pékin. Dans ces grands centres, l’activité s’intéresse à tous les domaines de la chirurgie : essentiellement la chirurgie des cardiopathies congénitales, puis à parts égales, la chirurgie valvulaire et la chirurgie des artères coronaires. La très grande majorité des centres a une activité inférieure à cent interventions majeures par an et dans ce cas, il s’agit presque exclusivement de réparation de cardiopathies congénitales simples. La très grande majorité des centres utilise du matériel importé, l’industrie biomédicale chinoise n’assurant, à ce jour, qu’une part infime de la consommation de circuits de CEC, de prothèses valvulaires et vasculaires.

Ce qui frappe le plus dans le pays est le caractère très inhomogène de la distribution des centres dans le pays : la très grande majorité des centres sont situés dans les grandes villes des provinces de l’est. Dans l’immense Région Ouest, quatre centres seulement ont une activité soutenue, supérieure à 1 000 cas par an (Xi’An, Lanzhou, Chengdu et Urumqi).

La cardiologie interventionnelle se développe également très rapidement : 25 000 cas en 2000, 112 680 en 2007. Cette cardiologie interventionnelle s’intéresse presque exclusivement aux lésions coronaires et le taux de croissance est considérable (plus de 25 % par an). Le nombre de patients coronariens désormais traité par des techniques de cathétérisme interventionnel dépasse celui des patients traités chirurgicalement. Nous assistons à un essor très rapide et spectaculaire dans l’industrie qui sous-tend l’activité de cathétérisme : Lepu est un grand fabricant de matériel utilisé en cardiologie interventionnelle et de stents. Les techniques modernes de rythmologie interventionnelle se développent également très rapidement : mise en place de pacemakers (4 000 en 1995, 20 000 en 2005), de défibrillateurs (50 en 2000, 200 en 2002) ou recours aux techniques d’ablation dans les fibrillations auriculaires.

L’évolution actuelle

Plusieurs commentaires sur la situation actuelle et l’avenir proche de la chirurgie cardiaque en Chine peuvent être faits. L’évolution actuelle de la chirurgie cardiaque est marquée par une forte croissance globale , des efforts importants pour améliorer le fonctionnement des services dans les villes actuellement dépourvues de compétences, une formation très active de ces centres récemment ouverts par les centres à forte activité surtout dans le domaine de la réparation des cardiopathies congénitales, le développement d’une industrie biomédicale adaptée et un effort de recherche important.

Dans les grandes villes et notamment dans celles des provinces de l’Est, un programme de construction de structures modernes a été entrepris au cours des dix dernières années, programmes financés par les hôpitaux eux-mêmes, par les gouvernements des provinces, par l’organisation de la santé militaire. Dans les provinces de l’Ouest actuellement sous équipées, plusieurs centres importants ont ainsi été ouverts très récemment. Ils sont de très grande taille, plus de deux cents lits étant réservés à la chirurgie cardiaque. Ils sont parfaitement équipés (CT scan et RMN).

Des expériences originales ont été mises en place dans les immenses provinces de l’ouest : le développement de la télémédecine y est spectaculaire, avec plusieurs centaines de consultations par internet par jour.

Le fait récent le plus marquant est le développement de centres privés. Bénéficiant d’investissements provenant de Taiwan ou de Chine même, ces centres se développent d’autant plus facilement que le plan national d’amélioration de l’offre de soins décidé il y a peu de temps, développé devant notre Compagnie en juin 2009, par monsieur le Ministre de la Santé de Chine, le Professeur Chen, exclut la chirurgie spécialisée, des efforts faits par le gouvernement central et le gouvernement des provinces. Ces nouveaux centres privés sont de deux types : des centres de petite taille (moins de cent lits) dont la pérennité n’est pas garantie ; des centres importants (de près de mille lits). Actuellement seul un centre privé (Asia Clinic à Wuhan) a une activité dépassant les mille interventions majeures par an. Un centre très important intégré dans un complexe ville hôpital, couvrant toute la gamme des soins, de l’urgence à la prise en charge prolongée des patients dépendants, est sur le point d’ouvrir dans la grande banlieue de Pékin. Dans ces centres privés, la totalité du personnel est salariée de l’hôpital privé, recevant un salaire mensuel et un intéressement par des primes calculées sur le niveau d’activité du service.

Réduire les inégalités à l’accès à la chirurgie cardiaque, l’une des priorités des autorités, comprend un effort considérable dans la formation. Les grands centres, à forte activité, ont une action essentielle dans la formation des chirurgiens qui seront affectés dans ces nouveaux centres. Comme le souligne le Professeur Hu, responsable de Fu Wai, quand il s’agit de construire l’avenir, il convient de suivre le proverbe chinois ancien : « To plan for a year, plant rice. To plan for a decade, plant acorns. To plan for a century, teach men ». La formation est également complétée par le retour au pays de chirurgiens en poste dans les pays occidentaux. L’industrie biomédicale chinoise et internationale joue, en chirurgie cardiovasculaire, un grand rôle dans la formation des médecins et des chirurgiens avec l’octroi de bourses d’études à l’étranger et d’aides à la participation aux grands congrès internationaux, avec l’organisation de séminaires sur des sujets ponctuels et de visites de spécialistes étrangers assurant enseignement théorique et démonstrations pratiques.

La recherche dans le domaine de la cardiologie et de la chirurgie cardiaque est très active. Elle comporte une recherche clinique désormais active, dans les centres les plus actifs : l’originalité de cette recherche clinique est de porter sur des cohortes de patients particulièrement importantes. Quelques études rétrospectives sur des cohortes de malades considérables (20 à 40 000 patients) ont été publiées très récemment dans la littérature internationale à comité de lecture. Les nombres inclus dans ces études donnent une perspective différente de celle ressortant des études occidentales plus réduites. La contribution de centres de chirurgie cardiaque chinois dans les congrès internationaux et aux revues scientifiques internationales notamment dans le domaine de la cardio-chirurgie pédiatrique a considérablement augmenté au cours des quatre dernières années. Cette évolution récente tient au fait que les grands centres se sont dotés de techniciens de recherche clinique compétents, tant dans la collection des données que de leur traitement statistique.

La recherche fondamentale se développe également très rapidement avec de très gros centres, dans des domaines très précis, comme le génie génétique et la thérapie cellulaire. De véritables instituts de recherche dotés des outils les plus modernes de la recherche, d’animaleries modernes sont apparus au cours des cinq dernières années, comme à Urumqi, focalisés sur des sujets porteurs, comme les applications en cardiologie de la thérapie cellulaire.

La recherche instrumentale se développe rapidement avec l’apparition de nombreuses sociétés privées performantes dans le domaine des stents (Lepu), des prothèses vasculaires et des prothèses valvulaires. Ces sociétés travaillent bien souvent en partenariat étroit avec les centres de recherche universitaire, civils et militaires.

Longtemps considérées comme médiocres, les prothèses domestiques sont désormais fabriquées selon des normes occidentales et les études cliniques en cours montrent des résultats comparables à ceux obtenus avec les dispositifs implantables fabriqués en occident. Ces sociétés sont actives même dans des secteurs très avancés comme celui des prothèses valvulaires implantables par cathétérisme : il existe au moins trois programmes actifs dans ce domaine très précis qui devraient aboutir dans les quelques années à des implantations cliniques.

Les centres de chirurgie cardiaque s’intéressent actuellement essentiellement à la prise en charge des cardiopathies congénitales, de la maladie ischémique et des cardiopathies valvulaires . Dans ces deux derniers domaines, le recours aux techniques récentes popularisées en Occident reste exceptionnel : le taux d’utilisation des prothèses biologique est faible (moins de 15 %), le nombre de réparations mitrales est très réduit, le nombre de pontages coronaires à cœur battant reste très inférieur à ce qui est vu en occident.

La situation dans le domaine de la chirurgie des cardiopathies congénitales est également critique : seules les réparations simples sont réalisées dans la majeure partie des centres. Par contre, dans les centres à haut niveau d’activité, les interventions les plus complexes sont de plus en plus souvent réalisées tandis que le nombre de procédures non chirurgicales par cathétérisme interventionnel augmente très rapidement. La mise au niveau occidental des centres les moins performants est aidée par les centres les plus actifs, le détachement pour des périodes de temps limité de spécialistes, l’organisation de très nombreux séminaires de formation et l’organisation avec l’aide de l’industrie biomédicale de visites sur site de spécialistes internationaux.

L’activité de transplantations cardiaque est très réduite (139 en 2007) et ne tend pas à augmenter de façon significative. Les résultats de la transplantation cardiaque dans les quelques centres qui la réalisent (moins de cinq) sont malgré les nombres de patients réduits, spectaculaires par leur qualité : de l’ordre de 90 % de succès à un an.

Cette activité de transplantation est limitée par la difficulté que connait le prélèvement d’organes et par la solvabilité des malades. Le nombre de donneurs potentiels issus de la traumatologie routière est toutefois tout à fait considérable (15 000 décès sur les routes en 2007) mais leur accueil dans les services d’urgence et leur prise en charge n’est véritablement organisé que dans quelques très rares grands hôpitaux.

Le don d’organe est par ailleurs culturellement peu accepté par la population.

Des efforts importants sont faits depuis 2007, à l’instigation du Ministère de la Santé, dans l’information au sujet du don d’organes, l’organisation du prélèvement et la répartition des organes. La Red Cross Society of China est au centre du dispositif. L’objectif est de réduire la différence considérable entre le nombre de malades attendant une greffe (2 millions, tout organe confondu) et le nombre de transplantations effectivement réalisées (20 000 en 2007). L’une des premières mesures prises a été l’interdiction de la vente des organes, l’établissement de règles strictes dans la pratique du prélèvement d’organes et de la transplantation, l’interdiction de la réalisation de greffes sur des étrangers non résidents. Les efforts pour le recensement de citoyens se déclarant de leur vivant volontaires pour le prélèvement d’organe après une mort cérébrale sont déjà visibles : 100 000 mille personnes ont été enregistrées en 2007 dans les 877 centres créés à cet effet. Les centres désireux de développer une activité de transplantation doivent recevoir un agrément (81 centres ont été agrées en 2007). La liste des malades en attente sera rendue publique [2]. Ces mesures sont encore trop récentes pour avoir un impact significatif en transplantation cardiaque.

On aurait pu s’attendre à ce que la pénurie d’organes considérable et les problèmes liés au prélèvement s’accompagnent d’un développement important des techniques chirurgicales alternatives à la greffe comme l’assistance circulatoire. Il n’en est rien et malgré un intérêt réel porté par les centres chirurgicaux sur ces techniques, le nombre de telles interventions reste anecdotique (moins de cinq par an). Le coût élevé de ces dispositifs d’assistance, tous importés (de l’ordre de 80 000 euros) et la solvabilité réduite des patients concernés expliquent très vraisemblablement cette situation.

La gouvernance hospitalière est pour un français tout à fait originale. Elle fait une part très large au médecin. Le président de l’hôpital est le plus souvent un médecin.

Cette responsabilité d’administration générale de l’hôpital est naturelle dans le cursus d’un chef de service. Les circuits décisionnels sont très courts permettant des investissements rapides et le recrutement de médecins spécialistes dans des délais très courts. Ce mode de gouvernance assure une très grande adaptabilité aux modifications des besoins locaux. À titre d’exemple, la décision de développer une nouvelle activité s’accompagne immédiatement de l’acquisition des équipements, du recrutement des personnels compétents et le démarrage effectif de l’activité dans un délai inférieur à trois mois.

La motivation des personnels médicaux et non médicaux est fortement stimulée par le mode de rémunération. La part fixe du salaire est réduite tandis que la part variable indexée sur l’activité de l’ensemble du service ou de l’hôpital peut être beaucoup plus importante. Ceci facilite le développement d’un « esprit de service » que l’on n’est plus habitué à voir dans les pays occidentaux, en France en particulier.

 

L’un des freins importants au développement de la chirurgie cardiaque reste la prise en charge des frais. Le coût moyen d’une intervention sous CEC est de l’ordre de 6 000 euros, significativement moins que celui observé dans les pays occidentaux (10 à 15 000 euros). Actuellement, dans la très grande majorité des cas, la totalité des frais est supportée par le patient, sa famille ou ses proches. Les décisions médicales (indications opératoires, choix du type de valve par exemple) sont dictées essentiellement par le problème du financement. Ceci explique que l’essentiel de la patientèle soit actuellement d’origine urbaine.

Une couverture de base est actuellement mise en place à la fois par le gouvernement central et celui des provinces, qui assure la couverture des risques courants et faibles.

Quatre vingt dix pour cent de la population bénéficiera de cette couverture à l’horizon 2012. Cependant, cette couverture de base exclut la prise en charge des soins coûteux, notamment de la chirurgie cardiaque. L’accès à la chirurgie cardiaque des populations rurales est ainsi rendu extrêmement difficile. Dans les villes par contre, la population a un accès plus facile à la couverture complémentaire : celle-ci est financée à la fois par le salarié et l’employeur, et peut assurer jusqu’à 70 % des frais d’hospitalisation. Il est clairement dit que cette couverture ne peut être totale, la part laissée à la population assurant une auto limitation de la demande. L’élévation rapide du niveau de vie explique que l’on peut s’attendre à une forte augmentation de l’activité, dépassant les 18 % de croissance annuelle actuellement observés.

Quelques chiffres témoignent de la rapidité de l’évolution du niveau de vie de la population chinoise : pour la première fois, en 2009, la richesse produite par les habitants de Pékin (PIB) a dépassé les 10 000 dollars par an, rejoignant ainsi la population des deux grandes métropoles de l’Est, Guanzshou et Shanghai. Cette évolution explique en grande partie la localisation dans les grandes villes de l’Est du pays des investissements privés. Par ailleurs, les projections de croissance du niveau de vie moyen montrent que en 2015, 60 % de la population aura un revenu annuel compris entre 2 500 et 10 000 euros. Ceci ne sera pas sans avoir des conséquences importantes sur la consommation médicale et notamment l’accès à la chirurgie cardiaque.

BIBLIOGRAPHIE [1] Report on cardiovascular diseases in China. Hu Shengshou et Kong Lingzhi éditeurs. National Center of Cardiovascular Diseases. Beijing 2009.

[2] Organ transplant system will save lives. Shan Juan. China Daily 4 juin 09. Chinadaily.com.cn.

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : daniel.loisance@wanadoo.fr Chirurgie cardiaque. Transplantation, CHU Pitié-Salpétrière, Paris. — France Honorary professor. Beijing People University. Chine Tirés-à-part : Professeur Daniel Loisance, même adresse. Article reçu le 10 mars 2010, accepté le 29 mars 2010 .

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 1105-1114, séance du 29 juin 2010