Résumé
La thrombose d’une artère coronaire secondaire à la fissuration ou la rupture d’une plaque athéroscléreuse est la cause la plus fréquente de l’infarctus du myocarde. Dans 6 à 12 % des cas l’exploration angiographique précoce ne met en évidence aucune sténose coronaire significative et on retient le diagnostic d’infarctus du myocarde à artères « angiographiquement normales ». Mais les limites de l’exploration angiographique coronaire, sont bien connues et les nouvelles techniques d’exploration coronaire, échographie endocoronaire, scanner multicoupes, détectent fréquemment des lésions invisibles à l’angiographie. Aussi on peut se demander si ces infarctus à artères coronaires « normales » sont une réalité ou un mythe. Dans une série de 1 205 infarctus du myocarde nous avions retenu 45 cas d’infarctus de ce type mais avec l’échographie endocoronaire nous avons découvert vingt et une fois des lésions athéromateuses minimes, des plaques athéromateuses à risque, ou fissurées non détectables à l’angiographie. Finalement les infarctus à coronaires « angiographiquement » normales sont exceptionnels et représentent 1 % seulement des infarctus aigus. Ce syndrome s’individualise par l’âge particulièrement jeune des patients, l’absence de syndrome prémonitoire, des facteurs déclenchants, une élévation enzymatique modérée, une atteinte minime de la fonction ventriculaire. Le pronostic après revascularisation immédiate est favorable et on constate un faible taux de complications à moyen terme. Dans 50 % des cas on retrouve un facteur favorisant ou causal, un spasme coronaire, un état hypercoagulable, une intense stimulation sympathique, la prise de toxiques, ou une ingestion massive d’alcool associée au tabac. Les principaux diagnostics différentiels sont une entité pathologique récemment individualisée la ballonisation apicale du ventricule gauche ou des myocardites aiguës. Ce diagnostic d’infarctus à coronaires « angiographiquement normales » doit être porté avec esprit critique et après échographie endocoronaire ou scanner multicoupe. Le traitement comporte une revascularisation myocardique immédiate, de l’héparine et des antiagrégants plaquettaires, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion pour réduire le remodelage ventriculaire. Si un spasme coronaire est confirmé les inhibiteurs calciques seront préférés aux bétabloquants dans le post infarctus. Ces patients atteints précocement d’une lésion myocardique exigent un suivi attentif, l’arrêt définitif du tabac et la prévention rigoureuse des dyslipidémies et du diabète.
Summary
The leading cause of acute myocardial infarction (AMI) in patients with coronary heart disease is plaque rupture. Between 6 % and 12 % of AMI patients have angiographically normal coronary arteries. However, new procedures have demonstrated the limits of coronarography and challenged the existence of this situation. Angiograms may fail to detect minimal lesions whereas, in many cases, intravascular sonography reveals small atherosclerotic plaques. With the development of intravascular sonography and multislice computed tomography, the prevalence of myocardial infarction with normal coronary arteries has fallen to about 1 %. Myocardial infarction with normal coronary arteries may be due to coronary vasospasm, hypercoagulable states, intense sympathetic stimulation, non atherosclerotic coronary disease, alcohol or cocaine abuse, and systemic diseases. In a series of 1205 AMI patients, we found no significant coronary disease in 45 patients, but intravascular sonography showed minimal intracoronary plaque in 21 of these cases. The 24 patients without significant lesions were young, had no risk factors for AMI without a prodrome, low peak creatine release, a small reduction in the left ventricular ejection fraction after thrombolysis or angioplasty, and good outcome at 26 months. The mechanisms of AMI in these 24 patients were coronary spasm, myocardial bridge, a prothrombotic state, contraceptive pill usage, and drug or alcohol abuse. The differential diagnoses of these cases of AMI are acute myocarditis and stress cardiomyopathy, and apical left ventricular ballooning. Initial management is the same as for ‘‘ conventional ’’ AMI, including pain relief, nitrates, antiplatelet agents, heparin, thrombolysis or angioplasty in the acute phase, and ACE inhibitors. Patients with spasm should receive calcium antagonists rather than betablockers. The prognosis of these patients is better than that of patients with atherosclerotic lesions. They nonetheless need close follow-up and strict secondary prevention measures, including smoking cessation and prevention of dyslipidemia and diabetes.
Classiquement, l’infarctus du myocarde est la conséquence d’une thrombose coronaire secondaire à la fissuration ou la rupture d’une plaque athéroscléreuse vulné- rable. Mais quelquefois l’infarctus survient chez un patient dont les artères coronaires sont « angiographiquement » normales, sans sténose significative ou avec des lésions coronaires minimes. Cette entité pathologique fut décrite il y a plus de 40 ans, dès la pratique des coronarographies dans les syndromes coronariens aigus [1, 2].
Depuis ces descriptions princeps plusieurs travaux ont été consacrés à ce syndrome dont la pathogénie et l’étiologie sont encore discutées [3-5]. Les limites de l’angiographie coronaire qui ne montre la lumière artérielle que dans deux dimensions, sont
bien connues et les progrès actuels de l’imagerie ont depuis peu considérablement réduit la fréquence de ces infarctus qui représentent en fait un cadre très hétérogène.
L’échographie endocoronaire, le scanner multicoupe, capables de détecter la pré- sence de sténoses ou de plaques athéromateuses minimes sur des vaisseaux angiographiquement normaux, ont réduit la prévalence de ces accidents coronariens aigus [6, 7]. Ces accidents coronariens sans sténose significative, définis par des critères angiographiques, méritent ils d’être individualisés et cette entité pathologique ne va-t-elle pas disparaître avec les progrès technologiques ? Un contexte étiologique particulier, des aspects cliniques et évolutifs caractéristiques, lui donnent cependant une certaine unité : leur survenue brutale chez des sujets très jeunes, l’absence de facteurs de risque, un facteur déclenchant, un pronostic meilleur que celui des infarctus classiques. L’enquête étiologique demeure souvent négative. Les spasmes coronaires, une thrombose de novo sur une artère coronaire normale au cours d’un état hypercoagulable, d’une intoxication, d’une anomalie artérielle coronaire ou d’une maladie générale, peuvent être impliqués. Une dysfonction endothé- liale sur des plaques quiescentes, joue un rôle essentiel [8].
Prévalence
La prévalence de ces infarctus s’est réduite avec l’essor de nouvelles techniques d’exploration, plus performantes que la coronarographie. Dans les premières études leur prévalence était évaluée à 10-12 %. Actuellement dans les travaux les plus récents comportant une échographie endocoronaire ou un scanner multicoupes, ces infarctus sur artères normales sont exceptionnels et leur prévalence varie de 1 à 3 %.
Pour confirmer l’absence de sténose coronaire significative, la lecture de l’angiographie doit être effectuée par deux cardiologues évaluant la bonne qualité technique de l’examen et l’état des vaisseaux. Une étude angiographique récente, fait état sur 1 004 coronarographies validées à la phase aiguë de l’infarctus de 2,6 % d’images artérielles sans lésions significatives, pourcentage inférieur aux constatations d’il y a vingt ans [9]. Dans notre expérience avant l’échographie endocoronaire, la prévalence de ces infarctus atteignait 6, 5 %, la pratique de cette technique, montrant des lésions invisibles à la coronarographie, a réduit ce pourcentage à 2 %. Pour 45 infarctus classés comme infarctus à coronaires normales, l’écho endocoronaire a détecté vingt et une fois des images de plaques athéroscléreuses quiescentes ou fissurées avec un remodelage artériel.
Aspects cliniques
Les circonstances d’apparition de ces accidents coronariens aigus sont quelquefois singulières, la douleur thoracique survenant soit après un effort intense et inhabituel chez un sujet non entraîné, soit après un choc émotif majeur à l’occasion d’une catastrophe, de l’annonce d’un évènement dramatique. Le syndrome douloureux peut être masqué par des signes de choc, des lipothymies ou syncopes liées à des arythmies immédiates ou un collapsus. Exceptionnellement un œdème pulmonaire
ou une insuffisance cardiaque dominent le tableau clinique. Si l’incidence de ces infarctus est voisine dans les deux sexes, leur survenue brutale chez des sujets très jeunes, d’âge en général inférieur à trente ans, peut égarer le diagnostic faisant évoquer à tort une péricardite ou une myocardite aiguë [9]. Dans le sexe féminin des antécédents de migraine, de syndrome de Raynaud sont des arguments en faveur d’un spasme artériel. La prise d’oestroprogestatifs associée à un tabagisme important fait penser à un accident coronarien [10]. Dans le contexte social actuel un tel syndrome douloureux chez un adulte jeune ou un adolescent, doit évoquer un infarctus dû à une intoxication à la cocaïne, la prise d’anabolisants, une ingestion massive d’alcool associée à des drogues [11].
Le tracé électrocardiographique n’a pas de spécificité et les signes varient en fonction de la précocité de l’examen. Dans la première heure on constate un sus-décalage majeur de ST/T isolé et si le tracé est plus tardif l’aspect classique avec une onde Q, large, supérieure au tiers de l’onde R suivante, avec un sus décalage de ST> 2mm.
Dans quelques cas il s’agit d’un infarctus sans onde Q avec un sous décalage important et persistant de ST. Actuellement la revascularisation précoce par une thrombolyse intraveineuse ou une angioplastie immédiate permet d’éviter l’aspect habituel d’un infarctus transmural.
Le syndrome biologique confirme la nécrose myocardique avec une élévation enzymatique spécifique, un pic élevé de Créatine Phosphokinase à une valeur double des valeurs normales et une élévation des troponine I et C. Le bilan biologique sera complété par la suite avec dosage de la CRP, du fibrinogène, des différents facteurs de l’hémostase, et on recherchera bien sur un diabète, une dyslipidémie athérogène comme pour tous les autres infarctus.
L’échographie cardiaque, si la revascularisation myocardique n’a pas été immédiate, montre des anomalies de la cinétique ventriculaire, avec une akinésie localisée, segmentaire, contrastant avec une cinétique normale ou exagérée du myocarde non nécrosé. On ne constate pas dans le segment infarci d’épaississement myocardique systolique. Les altérations de la fonction ventriculaire chez un patient qui a été revascularisé en urgence, sont moins prononcées qu’au cours des infarctus survenus chez des patients plus âgés, athéroscléreux. La tomoscintigraphie au thallium ou au technetium montre un défaut de perfusion et quantifie l’importance de la zone nécrosée.
État du réseau coronaire
L’aspect normal de la coronarographie réalisée dans les 24 ou 48 premières heures individualise ce syndrome. Si elle est réalisée précocement, ce qui est actuellement le cas le plus courant, on peut observer l’occlusion d’un tronc coronarien par un thrombus, moulé par le produit de contraste, le vaisseau sera désobstrué par angioplastie. Si le patient a été traité par une thrombolyse intraveineuse on constate soit une recanalisation complète soit un thrombus séquellaire avec une opacification rapide ou retardée du segment distal de l’artère en cause. Pour authentifier le
diagnostic, deux spécialistes entraînés doivent valider la qualité technique de l’examen et confirmer l’absence de rétrécissement significatif dans plusieurs incidences sur le vaisseau responsable ou sur les autres artères.
L’échographie endocoronaire est l’examen de référence. Elle est réalisée à l’aide d’un transducteur de type mécanique, d’une fréquence de 30 ou 40 MHz, tournant à une vitesse de 1 800 tours /minute. Le retrait du transducteur est fait automatiquement à la vitesse constante de 0,5 mm/sec avec enregistrement des images sur cassette S-VHS. L’acquisition des images se fait de la distalité jusqu’à l’ostium de l’artère coronaire concernée. En cas de doute sur une zone suspecte d’athérosclérose, un retrait manuel est pratiqué avec injection de solution saline ou de produit de contraste pour permettre une analyse qualitative et quantitative de la lésion observée. Un thrombus pédonculé, mobile, dans la lumière artérielle apparaît comme une masse inhomogène, faite de scintillations punctiformes très brillantes [11]. Une rupture de plaque se traduit par une cavité au sein de la plaque, communiquant avec la lumière artérielle [12, 13]. On peut détecter des plaques hypoéchogènes dites « molles » présentant une réflectivité < 50 % de celle de l’adventice, évoquant une plaque riche en lipides avec une forte cellularité. L’échographie a montré ces aspects d’athérome chez vingt-deux patients les excluant de notre étude.
Si on détecte une plaque, l’échographie permet une étude quantitative de la lésion et des mesures prenant en compte le centre géométrique de l’artère, la longueur et l’épaisseur de la lésion, le remodelage artériel. Par planimétrie on mesure la surface de la plaque, le comblement athéromateux, le pourcentage de la surface artérielle sténosée [13].
Le scanner multicoupes représente une évolution technologique majeure de l’imagerie. Le principe est de disposer de plusieurs, maintenant 64 détecteurs de rayons X.
Au lieu d’acquérir une seule image tomographique par rotation du tube à rayons X autour du patient, on obtient seize images par rotation. La haute résolution spatiale permet de détecter des plaques minimes de volume de plus en plus réduit. Une méta analyse de la performance diagnostique du scanner multicoupes comparée à celle de la coronarographie a montré sur un total de vingt-sept études et l’analyse de 22 800 segments artériels une sensibilité de 85 % et une spécificité de 93 % (IC 95 %, valeurs de 72 à 89 % et de 90 à 95 %) [14].
Évolution
L’évolution dépend du contexte étiologique mais en l’absence d’athérosclérose coronaire, le pronostic de ces infarctus est à moyen terme meilleur que celui des infarctus habituels. En l’absence en phase aigue d’arythmie, de dysfonction ventriculaire, de collapsus, le pronostic est favorable [10, 11]. L’étude de Da Costa avec un suivi moyen de trois ans d’un groupe de quatre-vingt dix cas de ce type et le comparant à un lot apparié d’infarctus dus à l’athérosclérose, montre une meilleure survie et moins d’évènements cardiaques (taux de survie à trois ans, 91vs 82 %) [15].
Dans notre expérience, comme dans d’autres études, la fraction d’éjection était peu
altérée après une revascularisation précoce et il n’y a pas eu de décès, de récurrence ischémique ou de nouvel événement coronaire au cours d’un suivi moyen de vingtsix mois. Si des facteurs de risque apparaissent avec le vieillissement et si le tabagisme intense persiste ces patients pourraient être sujets à des récidives [5-15]. Une tendance dépressive réactionnelle peut survenir chez ces sujets victimes avant la quarantaine d’une atteinte myocardique imprévue.
Physiopathologie et Etiologies
Les infarctus à coronaires « non athéromateuses » constituent un cadre très hétérogène, de nombreuses étiologies pouvant être responsables. Mais l’enquête s’avère souvent négative et dans les séries les plus récemment publiées, malgré une recherche approfondie, une étiologie ne fut retrouvée que dans la moitié des cas [15, 16]. Dans notre expérience sur vingt-quatre infarctus de ce type nous n’avons décelé un facteur probablement causal que dans quatorze cas.
— le spasme coronaire Le spasme coronaire joue un rôle important dans la physiopathologie des syndromes coronariens aigus, témoignant d’une dysfonction endothéliale et d’une hyper réactivité des artères coronaires. Il est dû à la contraction anormale, brutale, des couches musculaires des artères épicardiques survenant sur des lésions athéromateuses ou des artères angiographiquement saines. Un spasme prolongé ou des spasmes répétés peuvent induire des lésions endothéliales susceptibles de libérer des substances thrombogènes favorisant l’activation plaquettaire et l’oblitération du vaisseau [16]. Un infarctus peut compliquer un angor spastique ou être la manifestation inaugurale du syndrome. Ce trouble vasomoteur est facilité par des circonstances favorisantes, froid intense, phase de récupération après un effort excessif et brutal, choc émotif violent et soudain, ingestion aiguë importante d’alcool associée à un tabagisme, intoxication à la cocaïne, prise d’anabolisants ou lors d’une chimiothérapie anti cancéreuse [17]. Un spasme coronaire en cause dans six de nos observations à été confirmé par un test à la methyl ergométrine. Ce test de provocation est positif dans 30-40 % des cas [16].
Les mécanismes évoqués dans la genèse d’un spasme coronaire sont un déficit en NO secondaire à une dysfonction endothéliale et une hyperplasie intimale, une libération accrue d’endothéline, de sérotonine/thromboxane par des agrégats plaquettaires. Dans le sexe féminin la constatation de migraines, de troubles vasomoteurs des extrémités doit faire évoquer le rôle du spasme artériel dans la pathogénie de ces infarctus. L’accès migraineux est associé à une augmentation des facteurs prothrombotiques et vasoactifs, serotonine et endothéline[18].
— la thrombose dans le cadre d’un état hypercoagulable Une thrombose « de novo » sans plaque rompue ou fissurée peut être la consé- quence d’un trouble de l’hémostase. Lors du bilan, on peut découvrir une anomalie
thrombogène, un déficit en protéine C, en antithrombine III, en facteur XII une résistance à la protéine C activée, une anomalie de l’activité de l’inhibiteur du tPA.
La mutation du facteur V Leiden, cause génétique la plus fréquente de thrombose veineuse est quelquefois constatée dans ce contexte de thrombose artérielle. Les sujets porteurs de cette mutation ont une résistance à la protéine C activée. La prévalence de porteurs hétérozygotes est estimée à 5 % de la population européenne et américaine [19]. Certains auteurs ont conclu à une augmentation du risque d’infarctus du myocarde lorsque le facteur Leyden et un tabagisme étaient associés.
En l’absence de la mutation, le tabagisme multiplie le risque d’infarctus par sept, sa présence multiplie ce risque par douze. La prévalence de la mutation est significativement augmentée chez les sujets jeunes atteints d’infarctus du myocarde à coronaires normales [15].
— Contraception et infarctus du myocarde Les premières observations d’infarctus du myocarde à coronaires normales chez les utilisatrices de pilule contraceptive furent publiées dès les années soixante. Les contraceptifs oraux contenaient de fortes doses d’oestrogènes qui augmentent le facteur VII, réduisent la fibrinolyse et le taux d’antithrombine III [19]. La réduction des doses d’oestrogènes et la plus grande vigilance du corps médical vis-à-vis des facteurs de risque chez les utilisatrices ont diminué le risque coronarien et vasculaire.
L’impact vasculaire et thrombogène de l’association âge/tabac/contraception est redoutable et même avec des doses inférieures à 20 microgrammes d’ethynyl estradiol, des infarctus du myocarde ont été décrits sur coronaires d’aspect normal. Chez les femmes à risque vasculaire, les modifications engendrées par la pilule oestroprogestative sur les facteurs de coagulation, le métabolisme lipidique et glucidique peuvent faciliter l’athérothrombose. Dans notre expérience sur dix cas d’infarctus survenus chez des patientes sous contraception orale et tabagiques, le réseau coronaire n’était parfaitement normal que quatre fois, des lésions d’athérosclérose précoce étant constatées dans les six autres cas.
— L’intoxication à la cocaïne C’est un problème croissant chez les jeunes dans le monde entier. Les effets sur le système cardio vasculaire sont complexes. La drogue a un puissant effet vasoconstricteur coronaire, les études animales montrant une réduction du diamètre coronaire de 20 % due à la stimulation des récepteurs alpha. Il apparaît une augmentation des catécholamines, une diminution de la production locale de NO, une sécrétion augmentée d’endothéline, une activation plaquettaire avec production de thromboxane[20]. Le tout est associé à un effet tachycardisant et à une augmentation de la consommation d’oxygène myocardique. Nous avons pu observer un cas chez un homme de vingt-six ans.
— l’intoxication tabagique et alcoolique La majorité des patients des deux sexes présentant des thromboses coronaires aigues sans athérosclérose patente sont de grands fumeurs et ont une consommation
alcoolique majeure (deux cas dans notre série). Le tabac intervient par ses effets toxiques sur l’endothélium vasculaire, l’activation plaquettaire et ses effets proagrégants avec réduction de la production locale de NO.
Le rôle d’une intoxication alcoolique aiguë est mal documenté : on ne retrouve dans la littérature que de rares observations n’impliquant que l’alcool, le froid, des repas copieux et le tabagisme sont fréquemment associés. L’éthanol et le tabac interviennent par leur rôle spasmogène et une intense activation plaquettaire [21].
Causes diverses Le dopage se répand chez les sportifs professionnels ou amateurs. Ce type d’infarctus a été décrit après des prises prolongées d’anabolisants, en particulier les dérivés de la testostérone qui ont des effets thrombogènes (élévation du tromboxane A2, activation plaquettaire, diminution des prostaglandines) et un effet vasospastique [22]. L’EPO à fortes doses répétées, aboutit à une hypercoagulabilité et des hématocrites très élevés, causes de thromboses vasculaires. Les contractions répétées d’un pont myocardique peuvent favoriser des lésions endothéliales et une activation plaquettaire sur un vaisseau normal. (un cas dans notre expérience) De même, des dissections coronaires spontanées, des embolies coronaires peuvent être en cause.
Des observations faisant intervenir des mécanismes pathogéniques complexes ont été décrites au cours des collagénoses, du lupus erythémateux disséminé, au cours d’un syndrome avec anticorps circulants anticardiolipine.
Affections faisant évoquer un infarctus à coronaires normales — la ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche ou syndrome du Takotsubo
Une nouvelle entité associant un syndrome angineux, des anomalies électrocardiographiques et une élévation de la troponine sans lésion coronaire associée, a été décrite par les auteurs japonais [23]. Ce syndrome de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche survient chez femmes ménopausées à l’occasion de chocs émotifs ou affectifs dramatiques. Les altérations électriques et l’élévation des biomarqueurs cardiaques sont transitoires. La ventriculographie met en évidence des anomalies de l’apex et de la région médio ventriculaire, une akinesie associée à une hyperkinesie des segments de la base du cœur. L’évolution peut se compliquer de choc cardiogénique, mais ce syndrome est le plus souvent réversible en quelques jours. Le nom de Tako-tsubo a été donné à ce syndrome, la déformation du ventricule à l’angiographie rappelant la forme d’un piège à pieuvres japonais. Le mécanisme est inconnu mais on évoque une stimulation adrénergique intense, un vaso spasme, l’action toxique des catécholamines.
Les myocardites aiguës.
Les myocardites aiguës à virus Coxsackie peuvent simuler un infarctus du myocarde. Les douleurs thoraciques intenses, un important syndrome inflammatoire
avec une élévation de la troponine et des enzymes myocardiques, des anomalies électriques, peuvent égarer le diagnostic, aboutissant quelquefois à une thrombolyse inappropriée. L’agression virale pourrait entraîner une dysfonction endothéliale, la libération de substances vasoconstrictrices, causes de spasmes coronaires.
Thérapeutique
Les objectifs du traitement sont les mêmes que ceux des infarctus habituels. La revascularisation par thrombolyse ou angioplastie immédiate donne d’excellents résultats si elle est pratiquée avant la sixième heure. Le traitement médical comporte des dérivés nitrés, des antiagrégants plaquettaires, de l’héparine non fractionnée ou à bas poids moléculaire. Des arguments en faveur d’un spasme incitent à préférer les antagonistes calciques aux bétabloquants. En fonction du retentissement ventriculaire gauche on associera un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2. La réadaptation cardiaque est recommandée chez ces patients jeunes, souvent découragés par la survenue d’un accident cardiaque totalement imprévu et insolite. Bien sûr, la prévention secondaire joue un rôle majeur et les sevrages alcoolique, tabagique, l’arrêt des toxiques ou des anabolisants sont impératifs.
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DISCUSSION
M. Claude DREUX
Les patients de votre série avaient-ils des anomalies lipidiques ? Avez-vous fait une corrélation entre l’obésité et le diabète ?
Les patients chez lesquels la coronarographie et l’échographie endocoronaire n’ont pas décelé de lésions artérielles significatives, ce qui est exceptionnel, 2 % des infarctus, n’avaient pas de facteur de risque d’athérosclérose, pas d’hypercholestérolémie ou de diabète ou de syndrome métabolique. Par contre ils avaient un tabagisme important et pour certains un alccolisme aigu majeur lors de l’épisode aigu. Deux sujets très jeunes
avaient une intoxication à la cocaine. Pour les patients avec des coronarographies normales et des plaques athéroscléreuses à l’échographie (donc exclus de notre présentation) il y avait des facteurs de risque en particulier un tabagisme et une élévation du LDL-cholestérol.
M. Bernard HILLEMAND
Les cas de spasme coronaire de votre très beau travail s’accompagnaient-ils de troubles digestifs : oesophago cardio tuberositaires (oesophagite de reflux, hernie hiatale entre autres) ? En effet on a, jadis, allégué ces anomalies digestives à l’origine d’angor reflexe cadre certes discuté.
Pour un patient atteint d’infarctus associé à un spasme coronaire, on a constaté la présence de troubles digestifs liés à une hernie hiatale avec reflux oesophagien. Mais le cadre d’angor réflexe non athéroscléreux est en effet très controversé et même nié par la majorité des auteurs. Dans l’angor féminin souvent atypique on évoque souvent des facteurs favorisants digestifs ou oesophagiens M. Pierre DELAVEAU
L’expérience personnelle m’a conduit naguère à rechercher des corrélations entre apparition des infarctus et facteurs météorologiques (mal cernés) tels que des variations brutales de pression, de température est ‘‘ propreté ’’ de l’air inhalé. Où en est la question actuellement ?
Nous n’avons pas hélas recherché de corrélation entre les facteurs météréologiques et l’apparition de ces syndromes coronariens aigus avec des artères angiographiquement « normales ». Mais outre le froid qui joue un rôle majeur dans le spasme chez trois patients il est admis que les conditions météréologiques : vent important, brouillard, orages, la pollution atmosphérique sont des facteurs favorisants d’ischémie myocardique.
La concentration élevée de monoxyde de carbone, d’ozone, d’hydrocarbures avec le brouillard et la chaleur favorisent l’hypoxie, la tachycardie et l’augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde, cause d’ischémie chez des sujets ayant des problèmes cardio pulmonaires. Mais je ne peux pas vous donner des précisions sur ces points pour les patients de notre série.
* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine ** Cardiologie, Hôpital de Rangueil — Toulouse Tirés-à-part : Jean-Paul BOUNHOURE, même adresse
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 815-825, séance du 15 mai 2007