Autre
Séance du 20 novembre 2007

Identification des personnes par des analyses biométriques et génétiques

MOTS-CLÉS : biométrie. dépistage génétique.
Personal identification with biometric and genetic methods
KEY-WORDS : biometry. genetic screening.

Alain E. Cabanis, Jean-Yves Le Gall, Raymond Ardaillou (au nom d’un groupe de travail issu de la Commission I — Biologie)

Résumé

L’identification des personnes entre de plus en plus dans les nécessités de la vie moderne. Identifier, c’est relier des caractères personnels à ceux préalablement rassemblés dans une banque de données. Authentifier, c’est décider si un individu est bien celui qu’il prétend être. Ces deux objectifs sont assurés en analysant les données biométriques et les empreintes génétiques. Toutes les techniques biomé- triques se déroulent en plusieurs étapes : saisir l’image ou les paramètres physiques, les coder selon un modèle mathématique, comparer ce modèle à ceux contenus dans la base et calculer le risque d’erreur. Ces techniques doivent s’appliquer de façon universelle et recueillir des données spécifiques et permanentes d’un individu. Les plus utilisées sont la reconnaissance faciale, les empreintes digitales (plis de flexion et dermatoglyphes qui ont l’avantage de laisser des traces), la surface et la texture de l’iris. D’autres techniques biométriques analysent des comportements : voix, signature, frappe sur un clavier, démarche. Enfin, on peut être identifié par radio-émetteur implantable. Tous ces systèmes sont caractérisés par les mêmes paramètres : taux de faux rejets, taux de fausse acceptation, taux d’impossibilité d’enregistrement. Les utilisations de la biométrie sont multiples et en constante extension : systèmes d’identification nationaux et internationaux, contrôle d’accès dans des lieux protégés, identification des délinquants et de leurs victimes, sécurité des transactions. La génétique identifie sans risque d’erreur les individus par leurs empreintes génétiques. Il s’agit de courtes séquences de deux à cinq nucléotides répétées un nombre variable de fois et appelées microsatellites. Les trousses les plus courantes permettent d’analyser onze à seize marqueurs autosomiques indépendants. Plus rarement, on analyse l’ADN mitochondrial et celui du chromosome Y. Ces tests génétiques sont utilisés pour identifier des suspects ou des victimes à partir des tissus biologiques retrouvés ou des cadavres et pour établir des liens de filiation. L’identification des personnes pose de nombreuses questions : dans quels cas constituer et comment exploiter une banque de données selon les instructions de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) ? Comment règlementer l’accès aux données génétiques ? Le polymorphisme géné- tique permet-il d’identifier des races parmi les humains ? Jusqu’où doit aller l’interopérabilité avec le foisonnement des fichiers ? Quelles limites apporter aux fiches individuelles consultables sur Internet et à l’identification par radiofréquences à partir de puces implantées ? L’équilibre doit être trouvé entre, d’une part, la nécessité d’assurer la sécurité des individus et des transactions et, d’autre part, l’autre nécessité de protéger les libertés individuelles et le secret de la vie privée.

Summary

The need for personal identification is growing in many avenues of society. To ‘‘ identify ’’ a person is to establish a link between his or her observed characteristics and those previously stored in a database. To ‘‘ authenticate ’’ is to decide whether or not someone is the person he or she claims to be. These two objectives can now be achieved by analysing biometric data and genetic prints. All biometric techniques proceed in several stages : acquisition of an image or physical parameters, encoding them with a mathematical model, comparing the results of this model with those contained in the database, and calculating the error risk. These techniques must be usable worldwide and must examine specific and permanent personal data. The most widely used are facial recognition, digital prints (flexion folds and dermatoglyphs, that offer the advantage of leaving marks), and the surface and texture of the iris. Other biometric techniques analyse behaviours such as walking, signing, typing, or speaking. Implanted radio-transmitters are another means of identification. All these systems are evaluated on the basis of the same parameters, namely the false rejection rate, the false acceptance rate, and the failure-to-enrol rate. The uses of biometrics are increasing and diversifying, and now include national and international identification systems, control of access to protected sites, criminal and victim identification, and transaction security. Genetic methods can identify individuals almost infallibly, based on short tandem repeats of 2-5 nucleotides, or microsatellites. The most recent kits analyze 11-16 independent autosomal markers. Mitochondrial DNA and Y chromosome DNA can also be analyzed. These genetic tests are currently used to identify suspected criminals or their victims from biological samples, and to establish paternity. Personal identification raises many ethical questions, however, such as when to create and how to use a database while preserving personal freedom ? How to control access to genetic data ? Do genetic polymorphisms delineate different human races ? To what extent should different databases be interconnected ? and What limits should be placed on individual files available on the web and on radiofrequency identification by implanted chips ? A balance must be struck between the need to ensure the security of persons and transactions and the need to protect individual freedom and privacy.

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS .

Les progrès de l’électronique en capture numérique de l’image et, surtout, ceux de l’informatique en algorithmes mathématiques, vitesse de calcul et volume des bases de données, bouleversent la précision de la reconnaissance biométrique de l’homme. La spécificité des empreintes génétiques confirme la possibilité d’identifier une personne donnée, sans (pratiquement) aucun risque d’erreur. Ces progrès constituent une chance parce qu’ils accroissent la sécurité des individus et des transactions et peuvent contribuer au bien être quotidien. S’agissant de données nominatives, ils ne sont acceptables que dans la mesure où sont respectés le secret de la vie privée et les libertés individuelles. Or, la croissance du nombre et du volume des fichiers et leur inter opérabilité possible font que ce risque existe. Le CCNE a émis des recommandations auxquelles l’Académie nationale de médecine s’associe. Il lui a semblé opportun, cependant, de se prononcer sur plusieurs points dont certains font actuellement l’objet de débats.

L’Académie recommande :

— de suivre attentivement les progrès techniques de l’identification par analyses biométriques comme ceux intégrant le mouvement afin d’en évaluer les conséquences au plan éthique et les mesures à prendre pour en contrôler l’application ;

— de continuer à réserver l’analyse génétique aux domaines médical, scientifique et judiciaire, et d’exiger, pour toute autre utilisation, en particulier administrative, une règlementation spécifique respectant les droits et les libertés individuels ;

— de faire en sorte, comme elle l’a déjà demandé, que l’utilisation, en vue d’études épidémiologiques, de fichiers regroupant des échantillons étendus de la population française soit possible, à condition de préserver l’anonymat des personnes ;

— d’écarter le recensement de la population française sur une base ethnique qui est sans justification biologique ;

— de prévoir une évolution de la loi relative à la bioéthique afin de contrôler l’offre commerciale de tests d’analyse génétique dans un marché en forte croissance ; des pistes de réflexion pour encadrer l’offre, à défaut de la prohiber, existent : exigence d’assurance qualité, étude préalable à la mise sur le marché, information large du public sur les limites de ces tests qui, en médecine prédictive, indiquent seulement des probabilités.

 

Liste des personnalités auditionnées

Mme Yvette DELOISON, Chercheur, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) UPR 2147, Dynamique de l’Évolution Humaine, 44 rue de l’Amiral Mouchez, 75014 Paris.

M. Bernard DIDIER, Sagem Défense Sécurité — Division Sécurité/Le Ponant de Paris, 27, rue Leblanc, 75512 Paris Cedex 15.

M. Lionel FOURNIER, Professeur de Médecine Légale, Université de St Quentin en Yvelines, responsable du Centre de rétention administrative de Paris, 1 place du Parvis Notre Dame, 75001 Paris.

M. Stéfan LOLLIVIER, Directeur des Statistiques Démographiques et Sociales, INSEE Timbre F001, 18 bld Adolphe Pinard, 75014 Paris.

Pr. Jean-Paul MOISAN, Président Directeur Général, Institut Génétique Nantes Atlantique (IGNA), 19 rue Léon Durocher BP 70425, 44204 Nantes cedex 2.

M. Charles PINEAU, PhD Directeur de Recherche INSERM Equipe Acteurs Moléculaires de la Spermatogenèse UPRES JE 2459 — INSERM U.625 Campus de Beaulieu 35042 Rennes cedex France, 02.

M. Alain PÜTZ, Doyen des juges des libertés et de la détention, Vice Président au Tribunal de Grande Instance de Paris, Palais de justice, 75055 Paris RP.

Dr. Marie-Odile RETHORÉ, membre de l’Académie Nationale de Médecine Mme le Pr. Danielle RIGAL, Université Clermont II, Chef du Service d’Ophtalmologie, CHU Gabriel Montpied, 58 rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand.

M. Philippe ROBIN, Directeur technique « Thales Security System », 18 avenue du Maréchal Juin, 92362 Meudon-La-Forêt.

Dr. Yves SCHULLIARD, Médecin en chef, Sous-Directeur Scientifique, Institut de Recherches Criminelles de la Gendarmerie Nationale (IRCGN), 1 bld Théophile Sueur, 93110 Rosnysous-Bois.

Dr. Bernard SWYNGHEDAUW, membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine.

M. le Sénateur Alex TURK, Président de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), 8 rue Vivienne, 75083 PARIS cedex 02.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient M. Bernard DIDIER (Sagem), Mme le Pr. Danielle RIGAL (Université Clermont II), Mme le Dr Marie-Odile RETHORÉ et M. Philippe ROBIN (Thales) pour leur généreuse contribution à l’iconographie de ce travail.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 20 novembre 2007, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

Ce rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academiemedecine.fr

* Membre de l’Académie nationale de médecine ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine *** Constitué de : Membres titulaires : Mmes ADOLPHE, RETHORÉ, MM. ARDAILLOU, BAZEX, BOUREL, FOURNIER, de GENNES, HAUW, LAUNOIS, LE GALL J.Y. (secrétaire), NEZELOF, PESSAC, SRAER, SUREAU, VINCENT. Membres correspondants : Mme MARCELLI, MM. CABANIS (président), JEANTEUR, MILGROM, SWYNGHEDAUW. Invités : MM. Lionel FOURNIER, Guy NICOLAS, Alain PÜTZ

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1779-1782, séance du 20 novembre 2007