Éloge
Séance du 7 avril 2009

Éloge de Michel Arthuis (1921-2007)

Jacques Battin *

Summary

Éloge de Michel Arthuis (1921- 2007)

Jacques BATTIN *

Pendant le premier trimestre 2007 l’Académie nationale de médecine s’étant repliée à la Sorbonne pour permettre sa rénovation, nous avions pris l’habitude, Michel Arthuis et moi, après chaque séance, de deviser dans un café de la célèbre place et de faire revivre les figures du passé qui avaient été pour lui des sources de lumière. Il repensait à ses belles années passées auprès de son maître vénéré Robert Debré.

Nous échangions sur nos communes origines lorraines. Les souvenirs jaillissaient avec précision, illuminant son visage d’un sourire bienveillant, même lorsqu’il évoquait sa longue attente pour accéder, à 59 ans, à la Clinique de Pédiatrie et Puériculture de l’Hôpital Saint Vincent de Paul. Il avait connu des années difficiles où, tout en gardant de prenantes responsabilités hospitalières, il exerçait aussi avec bonheur et passion la pédiatrie de ville pour subvenir aux besoins de sa famille devenue rapidement nombreuse. La patience et l’espérance l’ont toujours guidé dans sa vie. Dans le survol qu’il m’en fit, il me dit aussi le cœur qu’il mettait au service des Associations d’enfants handicapés qu’il continuait à animer.

Michel aimait parler, partager l’expérience d’une vie ample toujours au service des autres et chaque moment partagé avec lui m’apparaissait précieux. Le regret de devoir le quitter était atténué par le plaisir de le revoir à la prochaine séance de notre Académie. Aussi, quels ne furent pas notre stupeur et notre chagrin quand nous apprîmes qu’il avait succombé brutalement le samedi 7 avril 2007, veille du jour de * Membre de l’Académie nationale de médecine

Pâques, alors qu’il était dans son Prieuré de Normandie, il y a très précisément deux ans, jour pour jour.

Tout ce qu’il m’avait confié, dans la plus parfaite sérénité, alors que rien dans son état de santé ne pouvait alarmer, justifie mon souhait très profond de lui rendre hommage, avec l’assentiment de ses enfants.

Michel Arthuis est né en 1921 à Nancy. Son père, Pierre Arthuys, avait songé, un temps, à devenir bénédictin, avant de rencontrer sa femme Elisabeth Haushalter de souche lorraine. Durant la guerre de 1914-1918, alors qu’elle n’avait que quinze ans et que lui était au front, il lui écrivait des lettres édifiantes pour inspirer sa réflexion.

Il avait une foi solide nourrie des lectures de saint Augustin, de saint Thomas d’Aquin et des encycliques du pape Pie XI, qui, avant 1939, avait condamné les mouvements d’extrême-droite, comme l’Action française, l’eugénisme et tous les totalitarismes. Avec son épouse, ils iront écouter le philosophe et humaniste chrétien que fut Jacques Maritain converti au catholicisme, ainsi que sa femme Raissa.

À peine marié en 1920, Pierre Arthuys était parti en Amérique du Sud conquérir des marchés pour la manufacture de Pont-à-Mousson. Michel naquit alors que son père était encore en voyage.

Le couple se fixa à Paris en 1929 avec ses quatre enfants. Pierre Arthuys mourut jeune, à 53 ans, en 1946, au sortir de la guerre, peu de temps avant que Michel ne se marie. Gazé à l’hypérite en 1918 et reparti, malgré cela en 1939, il était revenu malade de captivité en 1941. Michel Arthuis sera marqué par le courage de son père et de son oncle Jacques, dont la figure sera évoquée plus loin.

La lignée maternelle, d’origine mosellane, passa sous le joug germanique après la défaite de 1870. L’arrière grand-père de Michel, médecin du village de Sierck, décida d’y rester pour continuer à soigner ses malades, tandis qu’il engageait son fils Paul à partir à Nancy pour y faire ses études secondaires et échapper à la conscription allemande. Nancy, restée française, s’enrichit alors de ces nouveaux venus, émigrants de l’intérieur, désireux de participer au redressement national et à l’essor de leur ville d’adoption.

Michel était très fier d’être le petit-fils de Paul Haushalter (1860-1925) qui devint agrégé de médecine à trente-deux ans. Il avait consacré ses premiers travaux aux maladies infectieuses, à la tuberculose et à la syphilis et à réduire l’effroyable mortalité infantile par des mesures d’hygiène et des laits adaptés. Après avoir été chargé de cours complémentaire, fut créée pour lui la chaire de clinique de médecine infantile de Nancy qu’il occupa de 1906 à sa mort en 1925. Il y donnera toute sa mesure, à en juger par ses publications qui couvrent tous les domaines de cette discipline neuve, à laquelle il consacra un des premiers traités français des maladies des enfants, édité en 1898 chez Masson.

Il fit réaliser des locaux permettant d’isoler les nourrissons et de réduire la mortalité des hospitalisés de 50 %. Pendant la Grande Guerre, il eut en plus la charge des militaires atteints de maladies contagieuses à l’hôpital Villemin.

Précurseur en médecine sociale et en pédiatrie, enseignant renommé par son contact humain, nul doute que ce fondateur de l’école pédiatrique nancéenne, Correspondant de notre Compagnie, fut un modèle pour son petit-fils.

Ananké, disaient les Grecs, la nécessité, autrement dit le destin, mais un destin orienté plutôt que subi. Chez Michel Arthuis, c’est bien ce principe de nécessité intérieure, d’ordre spirituel, comme le dépeint Kandinsky, qui dicta son projet de vie. Sur la trame des gènes transmis par ses ascendants se tissèrent les exemples et les messages reçus dans sa famille, et dans sa belle-famille, dont il fut très proche.

Comptèrent aussi ceux des maîtres choisis, maîtres que Paul Valéry définissait comme ceux qui permettent le possible dans le domaine de l’impossible. Ce sont tous ces apports qui sédimentent en chacun de nous pour en façonner la singularité.

Après ses études au Collège Stanislas, puis au lycée Janson de Sailly où il obtient le baccalauréat philosophie-mathématiques en 1940, Michel Arthuis commence ses études de médecine, qu’il interrompt pour s’engager en 1944 dans la formation chirurgicale de l’Armée Rhin et Danube du Général de Lattre de Tassigny, alors que son frère Christian était parti plus tôt dans la Résistance, dans le maquis corrézien.

La résistance à la privation de liberté est inscrite dans l’âme des lorrains. Son oncle paternel, Jacques Arthuys, avait aussi refusé la défaite en 1940. il fut un des premiers résistants lorrains ayant fondé l’Organisation civile et militaire (OCM). Arrêté par la Gestapo en 1941 à Paris, avenue Victor Hugo où une plaque a été scellée à sa mémoire, il mourut en déportation en 1943 au camp de Hintzert en Allemagne.

En 1946, Michel Arthuis est reçu à l’externat et se marie avec Geneviève d’Humières, d’une famille catholique, gaulliste et résistante de la première heure, amie de la sienne depuis longtemps. Son beau-père, André d’Humières, avait été pilote de chasse pendant la Grande Guerre et ami de Jacques Arthuys. Les deux familles furent très liées et André d’Humières devint un second père pour Michel.

En 1950, Michel est interne des hôpitaux de Paris. De tous les patrons qu’il a alors côtoyés, celui qui l’a le plus séduit, parce qu’il répondait à ses propres aspirations, fut Robert Debré dont il devient chef de clinique en 1954, année où il soutient sa thèse sur les amyotrophies spinales sous la présidence de Robert Debré assisté de Stéphane Thieffry et de Raymond Garcin. Commence alors son engagement dans la neurologie pédiatrique initiée par Stéphane Thieffry. Le travail intense était compatible avec des manifestations festives du service, équivalent de nos anciennes revues d’internat, comme ces dîners de patrons dont sa sœur Chantal a gardé le souvenir, comme celui en 1956 au cours duquel Robert Debré trônait en Louis XIV et Michel en pape en 1989.

Il est admissible à l’Agrégation de pédiatrie en 1962, mais sans le poste correspondant, de même en 1965. Robert Debré lui propose alors un poste à Dakar, mais par lettre, Michel Arthuis refuse cet exil et adjure son cher Patron de sauver ses élèves pour qu’ils ne soient pas, dit-il, les délaissés de sa réforme. Pendant plusieurs années, il va rester ainsi en attente, mais sans connaître la désespérance, chargé de cours et assistant des hôpitaux ancien régime. Il participera activement à la première équipe de réanimation infantile créée à l’hôpital des Enfants-malades pour les poliomyélitiques par son maître Thieffry, qu’il suivra ensuite à l’Hôpital Saint-Vincent-dePaul. Trente-neuf lits lui seront confiés avec deux internes et deux chefs de clinique.

Pendant cette période, il assumera une clientèle de pédiatre de ville, son maître Debré veillant à lui assurer un recrutement suffisant de patients pour lui permettre de faire vivre ses six enfants. Tandis que les deux autres assistants s’en vont, Gilles Lyon à Louvain et Jean Aicardi à l’Inserm, tous deux ayant grandement contribué à l’essor de la neuro-pédiatrie.

Il a fallu attendre 1976 pour qu’une mobilisation menée par le professeur Pierre Royer aboutisse à la nomination de Michel comme professeur associé, poste en général réservé aux étrangers ou aux disciplines non représentées. Siégeant au CCU à cette époque, je me souviens de l’ardeur que nous avions développée pour rassembler le maximum de voix auprès de toutes les disciplines médicales réunies dans l’amphithéâtre Farabœuf. Puis, il fallut la détermination du doyen Delbarre pour transformer, par une procédure peu habituelle, ce poste transitoire en titulaire et pérenniser ainsi la neuropédiatrie dans la chaire de Pédiatrie et Puériculture de l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul.

C’était en 1980, Michel Arthuis avait 59 ans. Il ne perdit pas de temps, car aussitôt responsable de ce service, il fit nommer Agrégé Gérard Ponsot qui lui succédera et ira ensuite fonder la neuropédiatrie à l’hôpital Trousseau. Avant de partir à la retraite et pour assurer la continuité, Michel Arthuis veillera à nommer Olivier Dulac, qui lui succédera avant de partir diriger le service de neurologie des Enfantsmalades. À Saint-Vincent-de-Paul, son continuateur est actuellement Patrick Aubourg.

L’œuvre scientifique

Michel Arthuis s’est entièrement voué à la neurologie de l’enfant. Toutes les maladies aiguës et chroniques, acquises et génétiques du système neuro-musculaire ont retenu son attention et entraîné de nombreuses publications. La première à laquelle il participa comme interne fut présentée en 1952 à notre Compagnie, sur les formes nerveuses de la maladie des griffes du chat décrite par Robert Debré ;

cette lymphoréticulose bénigne d’inoculation due à une bactérie Gram négative de la famille des Bartonellacae peut, en effet, se compliquer d’encéphalites convulsivantes.

Sa thèse était consacrée à l’amyotrophie spinale infantile, maladie décrite par les auteurs germaniques Wernig et Hoffmann entre 1891 et 1900. Cette redoutable poliomyélite antérieure chronique dégénérative de transmission récessive autosomique était de surcroît une affaire de famille. Son grand-père, Paul Haushalter n’avait-il pas rapporté en 1898 les trois premiers cas français ? Michel Arthuis, à l’aide d’une trentaine d’observations, en reprend tous les aspects et à l’instar de Paul Haushalter (1920), il récuse l’individualité de la myatonie congénitale d’Oppenheim qui regroupe en réalité des affections diverses, des myélopathies, des myopathies congénitales et le retard de maturation du tonus musculaire. Il sera par la suite souvent confronté à cette affection, à la survie habituellement si courte. Il aura la sagesse de décourager tout acharnement thérapeutique, bien avant que cette attitude ne soit proscrite dans le code de déontologie.

En début de carrière, il eut à faire face aux dernières épidémies de poliomyélite aiguë. Il rapporta des aspects peu connus de la maladie de Heine-Médin, formes ataxiques et encéphalitiques identifiées grâce à la virologie-sérologie. Les formes paralysantes respiratoires en rendant nécessaire l’assistance avec les poumons d’acier, ouvrirent la voie aux services de réanimation. Avec son patron Stéphane Thieffry de 1950 à 1957, il traita 170 cas de poliomyélites asphyxiantes.

Il rapporta aussi une centaine de cas de syndrome de Guillain-Barré, dont le qualificatif de polyradiculonévrite bénigne est discutable, car il existe des formes asphyxiantes qui seraient fatales sans l’assistance respiratoire.

Un autre travail regroupait 216 cas de neuropathies sensitivo-motrices héréditaires.

Il regroupa et analysa 171 cas de neurofibromatose de von Recklinghausen. Nous ne pourrons que citer ses rapports sur les tumeurs du cervelet et du quatrième ventricule, si fréquentes et redoutées chez le jeune enfant, les compressions médullaires, les paralysies obstétricales, les scléroses en plaque et les névrites optiques, les paralysies périodiques, les dermato et polymyosites.

Avec Maurice Lamy et Jean de Grouchy, il participa à l’identification des premières aberrations chromosomiques.

Parmi les multiples maladies métaboliques touchant le système nerveux, il fit connaître la sulfatidose et la leucodystrophie métachromatique. Dès 1982, il ouvrit le champ des maladies peroxysomiales en publiant une vingtaine de cas d’adrénoleucodystrophie avec Jean-Louis Chaussain et P. Aubourg, lequel devait acquérir par la suite une expérience internationale de cette redoutable maladie liée à l’X. Il fit connaître aussi l’ataxie-télangiectasie et l’angiomatose de Sturge-Weber.

Conscient de l’essor que prendrait la neurogénétique, il avait confié cette consultation à Josué Feingold dès 1980.

La fréquence des épilepsies au début de la vie et leurs diverses formes nécessitant des traitements adaptés ont été étudiées par notre confrère, qu’il s’agisse du syndrome de West, des convulsions hyperthermiques, du petit mal ou de l’état de mal. Il avait contribué à l’évaluation thérapeutique du valproate et je me rappelle qu’en 1984 mon service s’était associé au sien pour juger de l’effet à long terme du progabide.

Parmi tous ces thèmes de recherche clinique, il en est deux qui l’ont constamment préoccupé, en raison de leur impact médico-social, l’infirmité motrice cérébrale et la débilité mentale. Nombre de ces travaux furent l’objet de rapports dans des Congrès, de chapitres dans des traités, ou de présentations lors des Journées parisiennes de pédiatrie dont Michel présida le comité d’organisation pendant de nombreuses années.

Parmi ses ouvrages, il faut citer celui sur les

Malformations cranio-cérébrales , avec

Jean Dubousset en 1973,

Génétique et épidémiologie des anomalies congénitales du système nerveux central publié en 1984 avec Josué Feingold et Gérard Ponsot et surtout en 1990 chez Flammarion ce qui fut le premier traité français de

Neurologie de l’enfant, qu’il publia avec Nicole Pinsard, Gérard Ponsot et d’autres neuropédiatres, ouvrage que Stéphane Thieffry eut la satisfaction de préfacer. Ce volume de six cents pages, fruit d’un travail collectif a été l’objet d’une deuxième édition enrichie en 1998. La troisième édition est imminente prouvant ainsi sa valeur de référence pour une pathologie qui affecte 10 % des enfants hospitalisés.

Michel Arthuis rédigea aussi des articles de synthèse sur la maturation du cerveau, ainsi que sur l’examen neurologique de l’enfant. Soucieux de pédagogie et de communiquer sa science clinique rigoureuse, il avait constitué une cinémathèque, qui lui permettait d’illustrer de façon dynamique son enseignement à des publics très variés, des étudiants de la spécialité aux kinésithérapeutes.

Son goût de l’enseignement, il l’exerçait aussi en famille. Il n’hésitait pas à prendre la voiture, et à suivre le chemin des écoliers, selon le témoignage de sa fille Nathalie, pour montrer un beau monument ou prenant une semaine avant d’arriver à destination, passant ainsi par les gorges du Verdon pour se rendre en Corse. Il avait suivi les conseils de son beau-père André d’Humières, qui l’incita à découvrir la haute montagne à Chamonix, Zermatt et Wengen. Il parcourut les sauvages Pics d’Europe, massif peu connu des Français, pour faire découvrir à ses enfants ce bastion asturo-cantabrique où la chrétienté avait échappé à l’assaut des Maures et où le moine Beatus, au ixe siècle, fit ses commentaires de l’Apocalypse qui eurent tant de retentissement théologique et artistique au Moyen Age. La curiosité de Michel Arthuis était inépuisable, comme sa mémoire.

L’engagement médico-social

L’engagement de Michel Arthuis auprès des Associations d’enfants handicapés est exemplaire, car à la suite de son maître Debré et suivant la devise d’Henri Bergson, il pensait en homme d’action et agissait en homme de pensée. Non content de soigner ses malades, il se préoccupait de leur avenir scolaire et de leur insertion sociale.

S’il fut un scientifique et un clinicien rigoureux, il a plus aimé les malades que la maladie et, si éminent que fut son esprit, si lumineuse son intelligence, rien ne pourra faire oublier son grand cœur et son dévouement auprès d’Associations dont les responsables, venus nombreux aujourd’hui, ont tenu par leur présence à témoigner leur gratitude.

La plus ancienne de ces Institutions a été fondée par un prêtre de Saint Philippe du Roule en 1853 pour accueillir les jeunes filles incurables sous le nom d’Association Notre Dame ou Asile Mathilde. La princesse Mathilde, cousine germaine de Napoléon III, avait pris cette maison sous son patronage et obtenu en 1855 qu’elle fut reconnue d’utilité publique. Cette œuvre charitable continuait à recevoir près de trois cents femmes, mais n’était plus adaptée. Averti par sa belle-mère, qui habitait tout près à Neuilly, de la situation difficile de cette association, Michel Arthuis prend contact en 1968 avec la supérieure et son conseil qui décident de créer de nouveaux locaux pour des patients mieux ciblés. Après avoir été administrateur, puis directeur médical, Michel Arthuis est promu médecin-chef de cet établissement qu’il transforme en centre d’infirmes moteurs cérébraux avec la prise en charge que cet état exige, kinésithérapie, balnéothérapie, scolarité adaptée. Comme il l’avait institué à l’Hôpital Saint Vincent-de-Paul dès 1970, alors qu’il n’était pas encore chef de service, il ouvre avec notre confrère Jean Dubousset une consultation conjointe de neuro-orthopédie. Il fait acquérir 7 500 m2 pour édifier des bâtiments nouveaux.

Actuellement la maison de Neuilly comporte un bâtiment de 10 000 m2 avec un jardin de 3 500 m2. Ce centre compte vingt-cinq places d’accueil de jour, quarantetrois studios pour adultes ; cent enfants sont externes et scolarisés, trente sont internes. En complément, à Senonches en Normandie, il y a cinquante-huit places pour adultes IMC. Cette Association constitue une communauté de plus de deux cent-soixante personnes handicapées entourées de trois cent trente-cinq salariés et d’une centaine de bénévoles. La présidente d’honneur en est aujourd’hui la princesse Napoléon qui a écrit à Madame Arthuis que son mari avait été la conscience et la lumière de cette maison.

Il présida aussi la Société d’Études et de Soins pour les Enfants Poliomyélitiques, la S.E.S.E.P qui fut créée en 1947 par le professeur Robert Debré pour la prise en charge de cette pathologie avec le laboratoire correspondant de virologie au Centre International de l’Enfance au château de Longchamp. A la disparition de la poliomyélite, la S.E.S.E.P se voua aux enfants polymalformés, sans changer d’acronyme. En 1960 fut créé le centre d’Antony avec quarante-cinq places pour des enfants de moins de cinq ans souffrant de pathologie malformative et tumorale.

Ayant pris le nom d’Elisabeth de la Panouse-Debré en 1970, ce centre est dirigé par le docteur Jeanne Charlotte Carlier, fille de notre regretté confrère Philippe MonodBroca et petite fille de Robert Debré, laquelle reçut au côté de Michel Arthuis, en 1997, pour le cinquantenaire de cette Fondation reconnue d’utilité publique en 1955, la médaille de vermeil de la Ville de Paris.

Il a été président du Comité d’Éthique du CESAP, fondé par Stéphane Thieffry, pour se pencher sur les problèmes éthiques propres aux handicapés mentaux. En relation étroite avec l’UNAPEI, Michel Arthuis a animé des débats, dont certains publics à la Mutualité, avec une grande liberté de ton et d’approche, sur des sujets délicats, tels que le conseil génétique, le diagnostic prénatal, la sexualité et la procréation chez les personnes handicapées mentales, les limites de la réanimation néonatale. Cette fonction lui a valu d’être entendu, au nom des soixante-dix mille familles concernées, par la commission parlementaire chargée des lois de bioéthique en 1994.

Pendant quatorze ans, il présida le comité de réflexion et d’éthique de l’UNAPEI dont il disait que ces personnes différentes nous rappellent notre fragilité et notre humanité. Elles en appellent à notre empathie, à notre solidarité. En plus des lois qui contribuent à améliorer leur vie, nous leur devons l’amour qui guérit tout, leur apporter ainsi qu’à leur famille compréhension, soutien, accompagnement en vue d’une vie digne, qui, en retour, humanise notre société.

Il participa aussi à S.O.S-mamans, à l’Association Famille et Libertés (AFM), à la COTOREP qui a pour but l’orientation et le reclassement professionnel des jeunes adultes en fonction de leur degré de déficience mentale et de leurs potentialités.

La liste de ces fonctions entièrement bénévoles est loin d’être close, aussi stupéfiant qu’il en paraisse. Michel Arthuis fut aussi président d’honneur de l’Association pour la Recherche, l’Éducation et l’Insertion des Jeunes Épileptiques, ARPEIJE Il succéda en 2004 à Roger Henrion à la présidence du Conseil National pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) dans les situations d’adoption, d’insémination artificielle par donneur anonyme et d’accouchement sous X, tous sujets où son sens de l’apaisement fut bien utile pour calmer des débats souvent très tendus.

Parmi toutes ses activités, une lui tenait particulièrement à cœur, l’École à l’Hôpital.

L’origine en est lointaine, puisque créée en 1929, à l’initiative de Marie-Louise Imbert, fille d’industriels du Nord, qui ne supportait pas que les enfants tuberculeux, si nombreux en ce temps, fussent privés de toute activité intellectuelle pendant leur long séjour hospitalier. Il fallait apporter à la vie de l’esprit et de l’âme les soins que les médecins devaient à la vie du corps.

Michel Arthuis eut l’heureuse idée de créer en 1991 la Fédération des Associations d’enseignement des malades à domicile et à l’hôpital, ce qui lui valut de revenir à la mairie de Paris pour recevoir la médaille de vermeil de la Ville de Paris en 1999, pour les soixante-dix ans de l’Association princeps.

Je peux témoigner de l’hommage qu’il reçut comme président d’honneur, lorsque la Fédération tint son congrès à Bordeaux en 2003 avec un dîner au Palais Rohan autour de la présidente en exercice Anne Brézillon, actuellement adjointe au maire de Bordeaux pour l’éducation. À titre personnel, je ne peux oublier avec quel enthousiasme Michel Arthuis accepta de préfacer, puis analysa ici même Aimer l’école, pourquoi pas ? le livre de mon épouse, qu’il accompagna plusieurs fois à des salons du livre.

Michel Arthuis à l’Académie nationale de médecine

En 1990, quand sonna l’heure de la retraite à l’hôpital, celle-ci ne pouvait signifier pour lui un retrait, car il ne pouvait laisser ses nombreuses associations. De plus, quatre ans plus tard, il était élu à l’Académie nationale de médecine dans la section d’hygiène, médecine préventive et épidémiologie de la 4e division, qu’il présidera le moment venu. L’Académie devint sa seconde famille et il se plaisait à dire qu’il y était heureux.

Chaque semaine, il revenait avec un réel plaisir et se montra ici aussi très actif dans trois commissions, d’éthique, d’hygiène et épidémiologie et dans la commission de la grossesse, de l’enfance et de l’adolescence qu’il présida jusqu’à sa disparition. Il menait les débats avec sa courtoisie et sa sérénité coutumières sur la santé mentale de la maternelle à la fin de l’école primaire, la première semaine de vie, la protection mèreenfant,laviolencedesenfantsetadolescents,surl’éducationàlavieaffectiveetsexuelle dans les établissements d’enfants, sur les troubles alimentaires, les rythmes scolaires.

Il rédigea le rapport demandé par l’Élysée sur la prise en charge de la douleur chez l’enfant qu’il apporta avec les membres du bureau de l’Académie au Président Jacques Chirac en 2001. Après cette rencontre, le Haut Comité de la Population et de la Famille lui demanda un rapport sur le vieillissement des personnes handicapées.

Devant l’Académie, il prononça trois éloges d’amis disparus, Henri Lestradet en 1997, Pierre Boulard en 1998, et Gabriel Blancher en 2004.

Pour travailler ces rapports en ligne, les corriger, les communiquer, il s’était initié à l’informatique et était devenu un internaute suivant les conseils de ses enfants, très satisfaits des progrès de leur père.

Ainsi furent la vie et l’œuvre de Michel Arthuis, toujours disponible et prenant son temps, sans jamais se presser, pour écouter les parents et examiner ses malades avec précision et délicatesse. Il ne perdait jamais son énergie en de vaines querelles. Il fut actif jusqu’au dernier jour, arrivé à un âge avancé, sans avoir eu à lutter contre la maladie. Il nous a montré que le temps ne peut rien sur l’âme lorsqu’on ne laisse engourdir aucun de ses ressorts. Il eut le bonheur d’accomplir pleinement son projet de vie.

Il ne désespérait jamais. Il rejoignait à nouveau son maître Debré qui, sur le cadran solaire de sa propriété des Madères, avait fait inscrire que chaque heure apporte une espérance. Mais, chez Michel Arthuis, l’espérance était inscrite dans sa foi chré- tienne. Heureux, il le fut en famille, avec son épouse Geneviève avec qui il partagea soixante ans de vie en parfaite communion de pensée et de sentiment ; elle ne lui survécut que de quelques mois. Heureux, il le fut aussi avec ses six enfants, ce qui de nos jours est un exploit, car il sut leur transmettre ses valeurs en consacrant à chacun le temps nécessaire, sans se dérober à ses tâches si nombreuses.

Il pratiquait les vertus cardinales de foi, d’espérance et de charité. Bienveillant par une disposition naturelle, il était tolérant et savait que seul compte l’exemple sans ostentation, mais vécu, il ne promenait pas en bandoulière ses convictions, on l’appréciait simplement en le regardant, comme l’a très justement dit son ami et camarade d’internat le président Claude Sureau en le décorant de la croix de la Légion d’honneur.

Michel Arthuis s’est interrogé, jusqu’à la fin, sur la cruciale conciliation de l’incessant progrès technique avec les valeurs de l’humanisme et il n’oubliait jamais ses malades.

En témoigne une lettre adressée à son ami Gabriel Blancher avant son intervention cardiaque de l’an 2000 où il lui demandait de faire son éloge, s’il ne se réveillait pas.

Puis, confiant dans cette promesse inouïe de la résurrection glorieuse des corps, qui est le fondement de la foi chrétienne, il écrit ceci : « je revois tous ces enfants « différents » que j’ai soignés. J’ai la conviction qu’à la Résurrection, ils seront transfigurés, ce qui leur donnera le même bonheur qu’à tous. Sinon l’œuvre de Dieu serait incomplète. Ce n’est pas possible. » Devant cet abîme du temps et cette espérance de bonheur enfin partagé, Michel Arthuis rejoint la conviction affirmée par Bossuet dans un de ses célèbres sermons :

« ce n’est pas toute l’étendue de notre vie qui nous distingue du néant. Quoique la mort nous soit inhérente et que nous la portions en notre sein, toutefois, à travers l’obscurité de nos connaissances, si nous savons rentrer en nous-mêmes, nous y trouverons quelque principe qui montre bien, avec une certaine vigueur, son origine céleste et qui n’appréhende pas la corruption. » François Mauriac, dans une lettre adressée à l’un de ses frères en 1911, estimait « qu’il ne nous reste rien, si nous ne comblons pas d’éternité nos vies éphémères… » Michel Arthuis était de ces êtres qui aident à vivre et à espérer.

L’Académie nationale de médecine joint ses regrets à ceux de la grande famille rassemblée de Michel Arthuis, à ses six enfants, ses vingt et un petits enfants et quatre arrières petits enfants, ainsi qu’à son frère Christian, ses sœurs Bernadette et Chantal, elle qui fut sa secrétaire pendant toute sa carrière hospitalière. Les familles Haushalter et Arthuis atteignent le record de compter une lignée continue de médecins sur six générations parmi lesquels François, fils de Michel, qui est neurochirurgien et Marie, une de ses petites filles, actuellement étudiante en médecine à Marseille.

Nous ne reverrons plus au premier rang de cette Assemblée notre confrère et ami, mais nous qui l’avons connu, apprécié, aimé, nous garderons vivant son souvenir et son exemple aussi longtemps que nous vivrons nous-mêmes.