Communication scientifique
Séance du 22 janvier 2002

Critique de la prise en charge médico-sociale actuelle des malades mentaux dangereux et des agresseurs sexuels en France

MOTS-CLÉS : abus sexuel. comportement dangereux. évaluation risque.. troubles mentaux
Criticism of the present medico-social management of dangerous mental patients and sexual offenders in France
KEY-WORDS : dangerous behavior. mental disorders. risk assessment.. sex offenses

M. Bénézech

Résumé

L’auteur rappelle tout d’abord que les études internationales prouvent : que les malades et handicapés mentaux présentent un risque plus élevé d’actions criminelles que la population générale de comparaison ; que les troubles mentaux sont très fréquents chez les criminels. Il remarque que la diminution des lits de psychiatrie publique (unités d’hospitalisation ordinaires ou pour malades difficiles) ainsi que la responsabilisation pénale accrue des délinquants souffrant de troubles mentaux sont la cause d’une augmentation importante du nombre de malades mentaux graves dans les établissements pénitentiaires. Une réorganisation de la gestion des malades mentaux dangereux aussi bien dans les hôpitaux psychiatriques qu’en milieu carcéral paraît donc indispensable. En ce qui concerne les agresseurs sexuels, l’auteur regrette que la loi du 17 juin 1998 ne prévoie de traitement obligatoire qu’après la condamnation et la sortie de prison. Il estime que la prise en charge médicale de ces délinquants dangereux devrait débuter dès leur arrestation s’ils reconnaissent les faits et acceptent les soins. Enfin, l’auteur conclut que l’évaluation du risque prévisible de dangerosité, de violence et de récidive criminelle devrait faire l’objet de protocoles standards et de recherches scientifiques approfondies.

Summary

The author first underlines that the international literature proves the following : 1) individuals who are ill or mentally handicapped present a higher risk of committing criminal acts than the general population ; 2) mental disturbances are frequent in criminals. He emphasizes that the decrease in the number of beds in public psychiatric wards (units of ordinary hospitalization or for difficult patients) together with the increased penal responsibility of delinquents suffering from mental disturbances have led to a large increase in the number of the seriously mentally ill in prisons. It is therefore essential to reorganize the management of the dangerously mentally ill, both in psychiatric hospitals and in prisons. With regard to sexual offenders, the author expresses his regret that the French Law of 17 June 1998 provides for the mandatory treatment of offenders only once they have served their sentence and have left prison. He believes that the medical management of dangerous delinquents should begin as soon as they are arrested, if they have acknowledged their act and agree to receive medical care. Finally, the author concludes that the assessment of the foreseeable risk of dangerousness, violence and the relapse into crime should be subject to national standardized protocols and in-depth scientific research.

INTRODUCTION

Le titre donné à notre communication laisserait supposer de la part de l’orateur un vaste développement sur l’état actuel et l’évolution future du droit médical, des sciences criminelles, médico-légales et pénitentiaires. Dans les quelques minutes qui nous sont imparties, notre ambition sera beaucoup plus modeste et nous n’évoquerons que deux problèmes concrets susceptibles d’intéresser plus particulièrement cette compagnie :

— la dangerosité de certains malades mentaux, — la prise en charge des agresseurs sexuels.

Avant tout, il nous faut signaler l’extrême indigence de la recherche criminologique clinique dans notre pays. Nombre de travaux sont de seconde main, souvent livresques, basés sur des théories littéraires, psychologiques, psychiatriques ou sociologiques ressassées et absconses. Les recherches véritables sur le terrain sont en effet assez rares, à l’exception maintenant de celles concernant les traitements de substitution chez les toxicomanes en milieu ouvert ou fermé. Pour faire court, nous ne citerons que peu de références scientifiques.

LES MALADES MENTAUX DANGEREUX

Données statistiques

D’abord quelques chiffres et observations à partir de recherches anciennes ou récentes, nationales ou internationales :

— environ 5 % des homicides volontaires ordinaires (non crapuleux) sont dus à des troubles mentaux sévères. Cela représente environ une centaine de cas chaque année en France [4]. Beaucoup de ces patients sont reconnus responsables au sens de l’article 122-1 du Code pénal [13] ;

— les non-lieux psychiatriques sont de plus en plus rares dans notre pays (0,5 % des affaires), les experts psychiatres responsabilisant la plupart des grands malades mentaux meurtriers [13] ;

— on compte au minimum 50 psychotiques meurtriers chaque année en France, la moitié sont admis en unités pour malades difficiles (UMD) [5] ;

— le taux d’arrestation et de condamnation des hommes malades mentaux graves est deux à quatre fois plus élevé que celui de la population générale masculine [2, 12] ;

— les malades mentaux meurtriers ont, en fréquence et en gravité, un score criminel supérieur à celui des meurtriers non aliénés. Ceci est particulièrement évident en matière d’infractions violentes [2, 12] ;

— les psychopathes-états limites (personnalités pathologiques borderlines), selon les définitions de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10) et du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-IV), constituent environ 10 % de la population des prisons. Les divers troubles de la personnalité concernent plus de la moitié des détenus. Quatre à 10 % des prévenus incarcérés sont psychotiques [10] ;

— les malades mentaux les plus dangereux sont : les hommes, les psychopathesborderlines, certains psychotiques (schizophrènes, paranoïaques), ceux qui utilisent alcool ou stupéfiants, ceux mal intégrés socialement. Les études scientifiques s’accordent pour reconnaître six prédicteurs majeurs de risque de violence criminelle [3, 14, 17, 18, 20] (Tableau 1) ;

Tableau 1 Recherches internationales É 6 variables majeures Sexe masculin Troubles mentaux sévères Personnalité antisociale Intoxications répétées Non consentement au traitement Faible intégration sociale É Élévation du risque d’agression, de violence
— la violence dans les institutions psychiatriques et dans les autres établissements de santé (services d’urgence) est en augmentation : agression contre les autres patients et les équipes soignantes, vols, rackets, cambriolages, incendies, détériorations de biens [8].

Évolution médico-sociale

Par ailleurs, au point de vue médico-légal, on observe en France :

— une « désinstitutionalisation » de la psychiatrie publique avec une diminution du nombre des lits, une féminisation des personnels, une architecture peu compatible avec des mesures de sûreté et de contention ;

— une responsabilisation des malades mentaux délinquants, même psychotiques décompensés ;

— un développement de la psychiatrie pénitentiaire avec augmentation du nombre des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) des prisons et donc du nombre de lits de psychiatrie en milieu carcéral ;

— un déséquilibre entre la psychiatrie publique (qui ouvre ses portes et ferme ses lits) et la psychiatrie pénitentiaire (qui augmente ses moyens et se ferme dans ses murs) se caractérisant par la multiplication des SMPR, c’est-à-dire de petites unités psychiatriques intra-carcérales avec hospitalisation en service libre. Les SMPR deviennent ainsi illégalement des UMD pour détenus aliénés dangereux, ce qui pose un problème médico-légal et celui de la qualité des soins pour les grands malades mentaux opposants à l’hospitalisation et au traitement en milieu pénitentiaire. On observe le même phénomène à l’étranger (pays anglosaxons) où les prisons remplacent toujours davantage les hôpitaux psychiatriques [10] ;

— une prise en compte accrue des droits des patients hospitalisés et des personnes incarcérées pour éviter tout arbitraire ;

— une mauvaise adaptation des structures aux malades dangereux et le peu de zèle de nombreux psychiatres hospitaliers à gérer les malades hospitalisés d’office (HO) ou à la demande d’un tiers (HDT), spécialement s’ils sont violents ou perturbateurs ;

— toute cette évolution juridique et institutionnelle conduit à une gestion de plus en plus insuffisante, médiocre et hasardeuse des comportements psychiatriques dangereux.

Mesures proposées

Il serait donc nécessaire de prendre les mesures correctives suivantes :

— établir un programme national de recherche visant à l’évaluation objective de l’agressivité et des comportements antisociaux des malades mentaux hospitali-
sés sans consentement (HDT et HO) dans notre pays. Chaque étude individuelle nécessite des tests psychologiques de personnalité, des échelles d’évaluation (dépression, violence, hostilité, psychopathie, psychose), une observation comportementale dans l’unité, une étude de l’accessibilité et du consentement au traitement, une détermination de l’efficacité thérapeutique. Il faut donc une standardisation des opérations et procédés d’évaluation de la dangerosité psychiatrique. Il est en effet anormal que les décisions des préfets pour les malades mentaux dangereux HO soient basées sur de simples certificats médicaux souvent peu ou mal circonstanciés, aussi bien en matière de poursuite de l’hospitalisation que de demande de sortie. Il en est de même pour les patients HDT dont l’inconscience du trouble les rend dangereux pour eux-mêmes. La proposition médicale de maintien ou de levée de l’hospitalisation sans consentement devrait s’appuyer sur des outils concrets d’évaluation du risque auto et hétéro-agressif et non pas uniquement sur un entretien clinique. Il y a là un problème de qualité du diagnostic et des prestations médicales ainsi que de responsabilité pour l’établissement psychiatrique de soins. Ceci concerne aussi bien les secteurs de psychiatrie ordinaire que les UMD ;

— créer une unité sécurisée dans chaque établissement psychiatrique public départemental permettant de recevoir les HDT et HO, non détenus et détenus, dans un environnement et avec des soins adéquats. N’oublions pas que les malades mentaux sont des malades debout qui peuvent généralement bénéficier de promenades dans une cour sécurisée ;

— augmenter la capacité des UMD qui n’ont plus que 366 lits dont 40 de femmes, soit la moitié d’il y a 20 ans, avec des listes d’attente de plusieurs mois, un règlement intérieur désuet, une absence de souplesse et d’adaptation ne permettant pas de répondre aux besoins immédiats, urgents. Il faut créer de petites structures d’UMD en Bretagne, dans le Nord, dans le Centre de la France et il faut actualiser le règlement intérieur de ces structures ;

— faciliter les relations et les hospitalisations entre les SMPR, les secteurs psychiatriques généraux et les UMD. Tout SMPR devrait disposer à l’hôpital psychiatrique public de lits « vacants » ou rapidement disponibles d’HO en milieu sécurisé, c’est-à-dire d’une unité d’hospitalisation compatible à la fois avec la protection de l’ordre public et la qualité des soins dispensés aux patients détenus.

Prévention et prise en charge

Ceci débouche sur la gestion du risque de violence physique (meurtrière, suicidaire ou autres) de la part des personnes souffrant de troubles mentaux graves, que ces personnes soient hospitalisées ou incarcérées, qu’elles aient des obligations de soins ordonnées par les magistrats dans le cadre du contrôle judiciaire, de la condamnation, du sursis avec mise à l’épreuve, de la libération conditionnelle. C’est donc le problème fondamental de la prévention et de la prise en charge des comportements
agressifs dans les établissements pénitentiaires et de soins, ainsi que dans la société civile. Une publication récente sur les homicides des malades mentaux en Norvège montre que 27,5 % sont prédictibles, 65 % pourraient être empêchés, 60 % de ces malades meurtriers ont des antécédents ou des facteurs de risque de violence [15].

LES AGRESSEURS SEXUELS

Un constat préoccupant

C’est un problème de société considérable par leur nombre, par leur « récidivisme », par la qualité des victimes (femmes et enfants), par les conséquences psychologiques sur lesdites victimes et leurs familles. Un quart des détenus des établissements pénitentiaires français sont des délinquants sexuels. Il faut noter l’absence de structures soignantes spécialisées dignes de ce nom dans notre pays.

Une étude française

La seule recherche un peu ambitieuse entreprise en milieu carcéral est celle de l’ARTAAS (Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles) [7]. Malheureusement, ce travail présente les défauts de bien des recherches françaises dans le domaine de la criminologie clinique :

— elle est essentiellement psychopathologique, fondée sur le fonctionnement psychique des agresseurs sexuels dans une perspective psycho-dynamique ;

— l’évaluation est faite à partir du discours de l’agresseur sans aucune vérification objective basée sur le dossier judiciaire (constatations matérielles, médicolégales, dépositions des victimes, casier judiciaire) ;

— elle connaît des problèmes de méthode (longueur excessive, redondance, questions intrusives) ;

— les questions essentielles sont posées sous forme de questions fermées ou tous les sujets répondent par l’affirmative (interrogations inductives de réponses) ;

— elle a une position théorique aprioriste relative au comportement et à la personnalité de l’agresseur sexuel ;

— le questionnaire utilisé (QICPAAS) compte 387 questions, plus des tests projectifs éventuels. Ses résultats sont basés sur l’étude de 176 agresseurs sexuels répartis sur 18 SMPR et 32 témoins violents de 25 à 45 ans non criminels sexuels.

Il s’agit de détenus qui sont prévenus ou condamnés « tous venants ».

Les références bibliographiques citées sont majoritairement françaises et psychiatriques, ignorant presque complètement les nombreuses recherches étrangè- res [11].

Évaluation et prédiction de la récidive

L’évaluation d’un agresseur sexuel (Schéma 1) dépasse largement l’approche purement psychologisante et nécessite la recherche de nombreux paramètres, dont l’utilisation d’échelles permettant d’analyser la personnalité, l’intelligence, la violence, l’impulsivité (colère), la sexualité, les facteurs prédictifs de la récidive (Schéma 2). Il est évident que toute évaluation connaît des limites, particulièrement dans la sphère comportementale, mais la fiabilité relative des protocoles de prédiction du risque criminel ne doit pas cependant nous empêcher de les utiliser en complément de l’observation clinique classique.

Schéma 1

Évaluation d’un agresseur sexuel – antécédents familiaux, personnels, médico-légaux, – développement sexuel, – facteurs (déficits) non spécifiques, – facteurs (déficits) spécifiques reliés à la délinquance sexuelle :

• déficit relationnel, • préférences sexuelles, • fantasmes sexuels déviants, – facteurs de stress précriminels, – actes précriminels, signes précurseurs, – état émotionnel précriminel (généralement négatif), – mode opératoire, affects per et post-infraction, – facteurs liés à la récidive (prédicteurs), – chaîne conduisant à l’infraction : conflit actuel → sentiment de malaise → recrudescence des fantasmes déviants → modification du mode de vie → situation à risque → acte sexuel déviant, – diagnostic psychiatrique, – diagnostic selon une typologie de délinquance sexuelle, – traitements éventuels non spécifiques et spécifiques en fonction des déficits et des capacités personnelles, – consentement à la thérapeutique.

Traitement

Sur le plan thérapeutique, le traitement hormonal utilisé avec satisfaction à l’étranger depuis plus de trente ans en est à ses balbutiements en France. Les produits concernés n’ont toujours pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement des criminels sexuels. L’échec thérapeutique pour les pédophiles primaires et les violeurs à répétition est habituel, les meilleures équipes au monde n’obtenant qu’une diminution de 20 à 30 % du taux de récidive sur cinq ans [1, 9].

Schéma 2

Prédicteurs de dangerosité sexuelle et de récidivisme – agresseur souffrant d’un syndrome d’alcoolisme fœtal, – agresseur victime de sévices sexuels dans l’enfance, – jeunesse de l’agresseur, – personnalité psychopathique, sadisme, – importance de la comorbidité psychiatrique, – nombre et gravité des infractions sexuelles antérieures, – comportements violents et incarcérations antérieures, – adhésion à des croyances sexuelles déviantes, – préférences sexuelles déviantes, enfants pré-pubères victimes, – alcoolisation avant les faits, – agression sexuelle avec violence physique, viol, – agression sexuelle extrafamiliale, – multiplicité des victimes, – agression de fillettes avec coït, – pédophilie primaire, dite d’élection ou chronique, – pédophilie homosexuelle, – conduite exhibitionniste, – traitement absent ou incomplet chez un agresseur à risque élevé.

Législation spécifique

La loi française du 17 juin 1998 sur les infractions sexuelles et la protection des mineurs ne fait référence qu’à :

— « l’expertise médicale » avant jugement de l’auteur d’une infraction sexuelle, l’expert étant «interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire » (article 706-47 du CPP) ;

— « l’expertise psychiatrique » préalable à une mesure de libération conditionnelle pour un condamné en matière d’infractions sexuelles. Il faut trois experts lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l’assassinat ou le viol d’un mineur de quinze ans (article 722 du CPP) ;

Or, on connaît l’insuffisance des expertises psychiatriques, le sort de l’individu étant le plus souvent réglé après un entretien ou des tests purement subjectifs d’une à deux heures. Les médecins traitants ne sont que rarement interrogés, comme l’entourage familial et les proches. Les écarts diagnostiques et pronostiques observés entre les constatations des experts et celles des équipes soignantes pour les « infracteurs » reconnus responsables de leurs actes sont révélateurs du peu de fiabilité de l’exper-
tise mentale [16, 19]. Il faut donc créer dans chaque région pénitentiaire un centre d’évaluation et d’expertise criminologiques, dont les missions seront confiées à une équipe spécialisée pluridisciplinaire et hautement qualifiée [6].

Suivi socio-judiciaire

L’obligation de soins prévue par la loi du 17 juin 1998 dans le cadre du suivi socio-judiciaire ne concerne que les agresseurs sexuels condamnés après leur sortie de prison. Il est donc déjà trop tard puisque ces détenus vont sortir non traités pour la plupart. Enfin, la prise en charge de ces agresseurs en milieu libre reste à mettre en place de façon concrète et pertinente alors que nos médecins et autres professionnels de la santé ne sont pas formés aux traitements spécialisés visant à prévenir la récidive ou à diminuer son risque [11].

CONCLUSION

Les recherches portant sur les malades mentaux susceptibles d’être dangereux et sur les criminels sexuels sont d’une grande importance sur le plan hospitalier, pénal et social. Elles devraient être coordonnées et organisées au plan national, sorte de conférences de consensus de gestion du risque aboutissant à une codification de la marche à suivre. L’évaluation du risque prévisible de dangerosité, de violence et de récidive criminelle devrait dès maintenant faire l’objet de protocoles standards et d’études scientifiques.

Par ailleurs, l’évolution de la politique sanitaire française depuis plus de vingt ans tend à rendre inopérant le dispositif médico-légal traditionnel de prise en charge des malades mentaux violents et difficiles. Entre autres changements, la diminution du nombre de lits d’hospitalisation se révèle très préjudiciable à leur traitement en milieu psychiatrique fermé. De plus, la responsabilisation et l’incarcération des criminels souffrant de troubles mentaux graves empêchent ces personnes de bénéficier de soins appropriés, éventuellement imposés, qui ne peuvent être légalement et médicalement dispensés qu’en établissement hospitalier. Il faut donc réorganiser de façon pragmatique, efficace et licite la gestion des individus psychiatriquement et criminologiquement dangereux.

Quant aux agresseurs sexuels reconnaissant les faits et demandeurs d’une thérapeutique, ils doivent pouvoir être soignés antérieurement à leur condamnation et à leur libération de prison. Il faut commencer à s’occuper du traitement d’un criminel dès le début de son incarcération, c’est-à-dire bien avant qu’il soit remis en liberté et se trouve donc exposé à la récidive en milieu ouvert.

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[6] Bénézech M. — De la nécessaire création de centres d’évaluation et d’expertise criminologiques à l’échelon national. In : Médecine pour la prison de l’an 2000 . Paris : Palais du Luxembourg, 25-26 octobre 1996, 82-85.

[7] Ciavaldini A. — Psychopathologie des agresseurs sexuels. Paris : Masson , 1999 .

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[9] Grossman L.S., Martis B., Fichtner C.G. — Are sex offenders treatable ? A research overview . Psychiatric Services, 1999, 50, 349-361.

[10] Gunn J. — Future directions for treatment in forensic psychiatry.

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[11] Hachouf S., Bénézech M. — Éléments pour une approche thérapeutique des agresseurs sexuels. Annales Médico-Psychologiques, 2001 , 159, 3, 182-189.

[12] Hodgins S. — Les malades mentaux face à la justice criminelle.

In : Traité de criminologie empirique (Szabo D., Leblanc M., Eds). Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1994, 323-348.

[13] Journal Français de Psychiatrie : Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ? Éditions Érès, 2000, numéro spécial 13.

[14] Monahan J., Steadman H.J., Appelbaum P.S. et al . — Developing a clinically useful actuarial tool for assessing violence risk . British Journal of Psychiatry, 2000, 176, 312-319.

[15] Munro E., Rumgay J. — Role of risk assessment in reducing homicides by people with mental illness . British Journal of Psychiatry, 2000, 176, 116-120.

[16] Saint P. — Inadéquations entre l’expertise psychiatrique et la dangerosité criminologique.

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[17] Senninger J.L., Fontaa V. — Psychopathologie des malades dangereux. Paris : Dunod, 1996.

[18] Swanson J.W. — Mental disorder, substance abuse, and community violence : an epidemiological approach. In : Violence and mental disorder. Developments in risk assessment (Monahan

J., Steadman H.J., Eds). Chicago : University of Chicago Press, 1994, 101-136.

[19] Tron P., Loas G. — De la fiabilité des expertises : étude comparative sur des patients hospitalisés ou emprisonnés après un acte criminel. Annales Médico-Psychologiques, 1992 , 150, 10, 741-746.

[20] Walker N. (Ed.) — Dangerous people. London : Blackstone Press, 1996.

DISCUSSION

M. Roger NORDMANN

Vous nous avez dressé un tableau très complet des mesures qu’il conviendrait de prendre pour améliorer la prise en charge des malades mentaux dangereux. Ma question porte sur la situation actuelle en milieu carcéral quant à la consommation de drogues, que vous avez citée parmi les 6 facteurs favorisant la dangerosité. Parmi les 3 hypothèses suivantes, laquelle correspond à la situation actuelle lors de l’incarcération : sevrage brutal, prise en charge médicale avec éventuellement traitement de substitution, consommation de drogues circulant illégalement à l’intérieur même du milieu carcéral ?

La situation est très différente selon les maisons d’arrêt et vos trois hypothèses se rencontrent donc en pratique. Dans les grands établissements pénitentiaires, les traitements de substitution (Subutex, Méthadone) sont assez largement utilisés chez les toxicomanes dépendants alors que le simple sevrage avec traitement palliatif reste courant ailleurs. Mais, partout hélas, la consommation illicite de substances psychotropes règne en maître dans les prisons françaises, les produits (tranquillisants, hypnotiques, Subutex, cannabis, cocaïne, héroïne) étant le plus souvent introduits dans l’établissement par les familles et autres visiteurs proches des détenus. Les prisons sont au centre d’un trafic important et beaucoup de polytoxicomanes détenus continuent à se droguer, sans parler de l’initiation aux conduites addictives des détenus non toxicomanes à leur admission.

M. Louis AUQUIER

Nous avons discuté du traitement des agresseurs sexuels il y a quelques années dans le but d’éviter les récidives et les crimes commis sur les mineurs et surtout sur les enfants en bas âge. Avez-vous connaissance des résultats de ces traitements ainsi que des conséquences de la loi du 17 juin 1998 sur un problème social dont il est inutile de souligner l’extrême gravité ?

Les thérapeutiques des agresseurs sexuels sont diverses (hormonales, psychothérapiques, cognitives, comportementales, éducatives) et doivent être associées et personnalisées selon les déficits, les caractéristiques mentales et comportementales et les facteurs de risque de récidive mis en évidence par une véritable évaluation objective. Leurs résultats sont aléatoires, le plus efficace et le plus sûr étant le traitement hormonal injectable en intramusculaire. On ne guérit pas un délinquant sexuel qui présente un risque élevé de récidive mais on peut l’aider à diminuer ce risque par un traitement préventif en lui apprenant à identifier les signes précurseurs d’un passage à l’acte et à demander immé- diatement une reprise ou une adaptation de son traitement. Quant à la loi du 17 juin 1998, aucune infrastructure médicopsychologique véritable ne lui permet de fonctionner en milieu libre. Trop complexe, elle est toujours basée sur l’expertise, dont on connaît les insuffisances en matière psychiatrique. Elle oublie le milieu fermé puisqu’elle ne s’applique qu’au condamné après sa remise en liberté.

M. Pierre JOLY

Dans le cadre du Conseil Économique et Social j’ai eu l’honneur d’établir un rapport sur les troubles mentaux et de visiter votre établissement qui m’avait beaucoup impressionné. Votre exposé pose, en fait, le problème général de la psychiatrie. Il faut, avec vous, déplorer la faiblesse dans notre pays des recherches en psychiatrie en général, même si nos recherches en neurosciences sont honorables. Ne faudrait-t-il pas, avant de se lancer dans de multiples projets, faire fonctionner les structures qui existent et compléter leurs insuffisances actuelles plus que préoccupantes ? Le système psychiatrique, les réseaux, sont en général mal connus des médecins familiaux et des forces de police qui ne savent pas toujours adresser au bon endroit les malades présentant des troubles mentaux qui, par exemple, troublent l’ordre public. N’y a-t-il pas un effort à faire pour mieux informer les médecins généralistes et les forces de police ?

Dans le domaine de la psychiatrie médico-légale, les forces de police et de gendarmerie savent où amener les présumés malades mentaux dangereux ou criminels après appel ou réquisition d’un médecin généraliste. Le problème majeur se pose en aval : compétence et disponibilité des établissements psychiatriques, prisons, expertises mentales. Actuellement, tout concourt —comme je l’ai montré— à ce que les malades mentaux délinquants soient responsabilisés et incarcérés.

M. Jean-Didier VINCENT

Où en sont, en France, les recherches en imagerie cérébrale concernant les délinquants sexuels ?

À ma connaissance, il n’y a aucune recherche française en imagerie médicale concernant les criminels violents en général et plus spécialement les agresseurs sexuels. Parfois, lors d’une expertise psychiatrique pénale, l’expert demande un scanner ou une IRM qui revient en général sans anomalie significative. Des examens biologiques du liquide céphalo-rachidien (exploration du système sérotoninergique par le dosage du 5-HIAA) ne sont jamais réalisés dans ces circonstances, pas davantage d’ailleurs que des explorations par une caméra à positons alors que des travaux internationaux montrent que le fonctionnement cérébral des criminels violents peut avoir certains « traits » physiopathologiques caractéristiques.

M. Pierre JUILLET

S’agissant des agresseurs sexuels, sait-on dans quelle mesure une demande thérapeutique authentique, sinon suffisante, est observée chez ces sujets ?

La pratique met en évidence une faible demande thérapeutique spontanée véritablement authentique chez les agresseurs sexuels qui viennent d’être incarcérés. Tout l’art et le métier des équipes soignantes est de transformer une demande au départ utilitaire (être moins condamné, être libéré plus rapidement) en une demande véritable de soins (se traiter pour être moins dangereux vis-à-vis de futures victimes innocentes). Au final, la grande majorité des agresseurs sexuels « non pervers » peut accéder volontairement et sincèrement à des traitements divers mais même les « pervers » eux-mêmes pourraient bénéficier d’une thérapeutique hormonale efficace, qui leur serait imposée. La loi ne le permet pas contre leur volonté.

M. Pierre PICHOT

Je souhaiterais approuver votre demande de renforcer la recherche dans le domaine de la psychiatrie médico-légale et de donner une place centrale à cette recherche, à la collection et à l’interprétation des données objectives.

Il est temps dans notre pays d’apprendre à évaluer correctement, c’est-à-dire scientifiquement, les comportements criminels violents et leur risque de récidive. La clinique doit s’accompagner d’instruments actuariels standardisés. Tout un programme national, voire européen, est à mettre en place en matière de psychiatrie médico-légale et de criminologie.


* Service Médico-Psychologique Régional, Maison d’Arrêt de Bordeaux-Gradignan. BP 109 — 33173 Gradignan cedex. Tirés-à-part : Professeur Michel Bénézech, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 3 juillet 2001, accepté le 9 octobre 2001.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 1, 103-115, séance du 22 janvier 2002