CONFÉRENCE INVITÉE
Microbiote intestinal normal ?
Joël DORE *
L’intestin humain héberge une communauté microbienne complexe, le microbiote intestinal, qui exerce des fonctions clés en terme de nutrition et de santé. Les interactions entre constituants alimentaires, microbes et organisme hôte sont le fruit d’une longue co-évolution ayant conduit à une association mutualiste. Tant qu’il dépendait de la culture, le taux de découverte de nouvelles bactéries est resté très faible. L’application d’outils moléculaires indépendants de la culture ont résulté en un accroissement majeur du nombre de microorganismes identifiés, ouvrant dans un premier temps l’accès à un inventaire complet de la diversité microbienne dominante et donnant plus récemment accès au répertoire complet des gènes du microbiote dominant, le métagénome. Chaque microbiote intestinal humain dominant est composé de quelques centaines d’espèces moléculaires dont une fraction est spécifique de son hôte tandis qu’une fraction est conservée entre individus, constituant un noyau métagénomique d’espèces plus prévalentes. Le microbiote associé au mucus intestinal est différent du microbiote fécal et dans le même temps très conservé de l’iléon au rectum. Les connaissances générées par ces explorations moléculaires très haut débit donnent des clés pour définir le microbiote normal sur la base de paramètres statiques et dynamiques, portant sur la composition et de plus en plus sur les fonctions. Cette qualification de ce que l’on peut considérer comme l’Eubiose — le contexte homéostatique normal du microbiote du sujet sain — ouvre la perspective de définir la Dysbiose, distortion aujourd’hui reconnue comme hautement pertinente pour les grandes pathologies de société ayant toutes une composante immune (maladies inflammatoires, métaboliques ou dégénératives). Cette situation nouvelle ouvre la perspective d’étudier le mécanisme reliant dysbiose et pathologies mais aussi de développer des stratégies visant à restaures l’homéostasie de l’eubiose. Bien que toute récente, l’étude du métagénome par analyse de séquences a conduit à des observations uniques. Le catalogue de gènes du métagénome intestinal humain généré à partir de quelques centaines d’individus-Européens est fait de plus de 4 millions de gènes (plus de 150 fois la taille du génome humain), un demi million de gènes en moyenne constituant le métagé- nome dominant de chaque individu. Les génes répertoriés dans des études portant sur des sujets américains ou japonais sont pour 70 à 86 % communs au répertoire de la cohorte Européenne. Etonnamment, en fonction du nombre de gènes du métagénome intestinal les individus se répartissent suivant une distribution bimodale.
Environ un tiers de la population présente un métagénome avec une faible diversité génique et deux-tiers présente un métagénome avec une forte diversité génique. Les observations préliminaires associent à ce stade une faible diversité génique à un phénotype plutôt péjoratif pour l’individu. Quelques espèces, connues ou non, sont par ailleurs associées à une faible ou au contraire à une forte diversité génique.
Enfin, l’étude du microbiome de sujets européens a montré de façon encore plus surprenante une séparation des individus en trois clusters clairement distincts, caractérisés par une structure du métagénome distincte entre chacun des ces trois clusters dénommés entérotypes. A chaque entérotype peut être associé un genre bactérie plus prévalent : Bacteroides, Prevotella ou Ruminococcus ; sans que pour autant l’on puisse à ce stade indiquer les déterminants de cette composition du microbiote. Le métagénome donne également aujourd’hui un accès direct aux activités du microbiote intestinal par criblage de banques de clones porteurs de fragments métagénomiques, indépendamment de l’existence d’un représentant cultivé. La biodiversité fonctionnelle ainsi accessible est considérable, et à titre d’exemple la métagénomique fonctionnelle permet d’identifier les fragments de métagé- nome, les gènes et molécules signalés responsables du dialogue entre bactéries et cellules humaines. Cela permet de poser un regard totalement nouveau sur la modulation de l’immunité, de la prolifération ou du métabolisme cellulaire. Le consortium international du microbiome humain a ainsi pour but de donner une vision sans précédent du microbiote intestinal et de valider des signatures à valeur diagnostique et pronostique. Ces approches permettront d’identifier les caractéristiques génomiques du microbiote intestinal humain ; son homéostasie fonctionnelle. Cela permettra à terme de valider le concept d’un noyau fonctionnel du microbiote intestinal humain, en en qualifiant les spécificités tant au niveau du métagénome, du métaprotéome ou du métabolome.
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Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 6, 1291-1293, séance du 14 juin 2011