La banalisation des traitements généralisés d’une maladie expose à des pratiques médicales approximatives : la prise en charge de l’hypertension artérielle en France en est un exemple. Les résultats des enquêtes successives sur la connaissance, le traitement et le contrôle de l’hypertension, avec toutes leurs limites, ne sont pas favorables, ni dans les dix dernières années en France ni par comparaison aux évolutions observées dans d’autres pays [1]. Comment améliorer les performances en prenant en compte les changements de société et les progrès techniques actuels ?
L’épidémiologie de l’hypertension artérielle s’est développée depuis plus d’un siècle, grâce aux données collectées par les Assureurs d’abord puis, à partir de 1950, grâce à l’épidémiologie de population. La technologie nécessaire est simple en apparence, généralisable, peu coûteuse : la mesure indirecte de la pression artérielle au bras de personnes assises, au repos, à l’aide d’un stéthoscope et d’un brassard gonflable. Ce geste est devenu lesymbole de l’intervention du médecin auprès de ses malades, On a ainsi acquis la certitude épidémiologique que, dans des conditions standardisées, à tous âges, dans les deux sexes, dans toutes les ethnies, les pressions artérielles allant de 100 à 300 mm Hg de pression systolique environ, sont associés de manière continue, aux risques d’accidents vasculaires cérébraux, de maladies coronariennes, d’insuffisances rénales chroniques, d’anévrismes de l’aorte, d’hémorragies et d’exsudats du fond d’œil.
La causalité de l’association a été démontrée par les réductions de l’incidence de ces maladies, au cours d’essais thérapeutiques contrôlés et randomisés à large échelle. Les bénéfices ont été obtenus avec quatre grandes classes de médicaments antihypertenseurs, jusqu’à des âges supérieurs à quatre-vingt ans en l’absence de fragilité, et sur des intervalles de temps inférieurs à 10 ans. Depuis la première recommandation de l’OMS en 1958, les recommandations des experts se sont multipliées, annuellement, dans tous les pays. Cependant, la distribution continue de tous les paramètres analysés rend et rendra vaines toutes ces tentatives de définition générale de seuils de déclenchement des traitements médicamenteux ou de pression artérielle idéale sous traitement.
La pratique médicale fondée sur des preuves acquises sur des groupes ne donne pas les moyens directs d’une médecine personnalisée. De plus, le raisonnement médical croise d’autres points de vue : économique, social, éthique. Les coûts doivent être minimisés pour soigner partout tous ceux qui peuvent bénéficier de la médecine actuelle mais ils augmentent quand on affine les pratiques. Les deux approches n’ont pas encore trouvé un équilibre. Dans les zones de pression artérielle où, en l’absence de symptômes et d’anomalies cardiovasculaires ou rénales silencieuses, on est incapable de savoir quelles personnes (rares dans un court terme de dix ans, dix sur cent et plus) feront un accident évitable par le traitement et quelles personnes, nombreuses (quatre-vingt- dix pour cent en dix ans) n’en auraient pas fait même en l’absence de traitement. Un raisonnement « vie entière » change les perspectives, alors que l’histoire naturelle des pressions artérielles traitées en population sur plusieurs décennies n’a pas encore pu être décrite.
Pendant l’acquisition de ces connaissances et la prise en compte des inconnues, le contexte scientifique et social a profondément changé. Les thérapeutiques actuelles ont été libérées de la crainte latente lors de leur découverte : l’existence d’une iatrogénie rare ou différée. Cette chance supplémentaire pour les générations à venir n’est pas suffisamment accessible parce que les médicaments en associations fixes à des doses correctes ne sont pas tous proposés. Les possibilités d’affinement du calcul de risque individuel s’affinent, grâce à l’imagerie (les calcifications coronaires par exemple) et à la génétique (les scores polygéniques de risque). Mais cette approche rend complexe et coûteuse ce qui semble pouvoir être résolu actuellement de manière simple, en particulier parce que les conditions nécessaires pour définir la pression artérielle de base de chacun ne se retrouvent pas assez dans les habitudes actuelles de mesure de la pression artérielle. Que peut-on imaginer ?
1) Une médecine simplifiée et moins couteuse pourrait théoriquement passer par Internet : achat d’un appareil d’auto mesure tensionnelle chez soi, validé et garanti cinq ans, dont les mesures seront télé transmissibles et retournées à la personne concernée, son médecin et son pharmacien. Des algorithmes de traitement, initialement simples conseilleront une démarche thérapeutique propre à la première année de suivi selon des paramètres simples télé transmissibles (taille, poids, sexe, tabagisme, diabète, LDL cholestérol, alcool, activité physique, contraception, prise médicamenteuse, histoire familiale). En permanence en situation d’apprentissage, ils donneront des conseils thérapeutiques conduisant à l’achat, sur Internet, de médicaments faiblement dosés et associés, permettant une montée croissante des doses, en quatre paliers, sans jamais avoir à prendre plus d’un comprimé par jour [2,3]. Médecins, pharmaciens et infirmiers n’interviendront que sur les les refus de cette approche et ses échecs.
2) Une médecine sophistiquée appliquera les examens qui auront démontré une amélioration de leur capacité de classification du risque cardiovasculaire individuel [4]. Ils pourront être difficiles et coûteux d’accès (une hémodynamique artérielle complète, une imagerie vasculaire, la recherche de mutations découvrant plus de maladies rares qu’attendu actuellement, l’utilisation de scores polygéniques de prédiction des maladies cardiovasculaires, rénales ou métaboliques) Elle sera initialement réservée à des privilégiés par la localisation ou l’éducation.
3°La médecine humaine que je souhaite est décrite dans le livre ‘Des maladies hypertensives aux maladies d’Alzheimer’, troisième tome d’une trilogie sur la médecine d’hier et de demain [5]. Le médecin aura été formé différemment, et le plus vite interviendra ce changement, le mieux ce sera. Elle (le médecin !) saura que le stéthoscope comme l’interrogatoire ont leurs faux positifs et leurs faux négatifs. Elle aura appris comme l’infirmier, le pharmacien et les soignants dans leur ensemble le travail pluridisciplinaire, la communication avec les malades et les familles, en particulier sur les choix des malades qui le souhaitent L’accès immédiat à l’information scientifique validée, l’utilisation des programmes d’aide au diagnostic et au pronostic pour le médecin et aux synergies et interférences médicamenteuses pour le pharmacien, l’accès aux caractéristiques évolutives de sa patientèle par comparaison aux autres médecins contribueront à transformer son rôle.
Outre la fin d’un laisser-aller d’une dizaine d’années, la prise en charge de l’hypertension artérielle en France reposera sur le développement d’une recherche opérationnelle, locale ou régionale et d’une participation aux nouvelles questions qui sont posées internationalement :
1° Avec le recul, ne faudrait-il pas mieux traiter plus tôt à faibles doses de médicaments anciens et sans risque avec l’objectif de prévenir le développement de l’hypertension artérielle systolique associée au vieillissement vasculaire plus ou moins accéléré [6]
2° Faut-il traiter en visant des seuils plus bas comme le souhaitent les dernières recommandations américaines, au risque d’induire plus d’effets secondaires [7]
3° Que faut-il choisir, entre traiter sur la base d’un calcul discutable de risque cardiovasculaire à 5, 10 ans, ou vie entière ou sur la base d’une mesure tensionnelle améliorée par sa répétition et sa neutralité, quelles qu’en soient les modalités ? On peut être amené à ne pas faire les mêmes propositions aux personnes hypertendues selon le choix fait [8]
Par les efforts de recherche, de soin, et d’information qu’elles ont demandés, les maladies hypertensives, à la fois maladie et facteur de risque, devraient être l’un des premiers domaines d’une nouvelle médecine, car les réalisations du passé sont un préalable nécessaire à la réalisation des rêves d’avenir.
RÉFÉRENCES
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WaldDS, Law M, Morris JK, Bestwick JP, Wald Combination therapy versus monotherapy in reducing blood pressure: meta-analysis on 11,000 participants from 42 trials. Am J Med. 2009;122:290-300
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Ménard J. Médecin de Passage : témoignage.1.Du Roman à la Réalité. Société des écrivains : Septembre 2018
JuliusS, Nesbitt SD, Egan BM, Weber MA, Michelson EL, Kaciroti N, Black HR, Grimm RH Jr, Messerli FH, Oparil S, Schork MA; Feasibility of treating prehypertension with an angiotensin-receptor blocker. Trial of Preventing Hypertension (TROPHY) Study N Engl J Med. 2006;354:1685-97
Bress AP, Kramer H, Khatib R, Beddhu S, Cheung AK, Hess R, et al. Potential Deaths Averted and Serious Adverse Events Incurred From Adoption of the SPRINT(Systolic Blood Pressure Intervention Trial) Intensive Blood Pressure Regimen in the United States: Projections From NHANES(National Health and Nutrition Examination Survey). Circulation. 2017;135:1617-28.
Karmali KN, Lloyd-Jones DM, van der Leeuw J, Goff DC Jr, Yusuf S, Zanchetti A, et al. Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration. Blood pressure-lowering treatment strategies based on cardiovascular risk versus blood pressure: A meta-analysis of individual participant data.. PLoS Med. 2018;15:e1002538.
Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, no 7, 1581-1584, séance du 2 octobre 2018